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Le numérique au service de l'apprentissage de l'écriture

Patrice Virieux
 

   Écrire demeure une compétence cruciale pour la réussite scolaire et l'émancipation en société d'un individu. Les productions écrites prennent des formes diverses et ne se rédigent pas uniquement dans le cours de français. Ainsi, ce sont toutes les disciplines, tous les enseignements qui sont concernés par l'acquisition de cette compétence. De plus, son apprentissage se poursuit tout au long de la scolarité et on continue à la développer tout au long de la vie.

   Avec les possibilités des traitements de texte et d'Internet, l'informatique renouvelle profondément les pratiques d'écriture. La réforme du CAP de 2002 avec le pari de la réécriture et le recours au traitement de texte en français constitue une étape déterminante dans la reconnaissance institutionnelle de l' « écriture assistée par ordinateur » comme activité scolaire à part entière. Mais, l'ordinateur n'est pas l'outil magique qui va résoudre les difficultés rédactionnelles des élèves. En effet, il ne permet pas de lever toutes les inhibitions face à l'écrit. De plus, la langue écrite elle-même ne sort pas indemne des mutations en cours.

1. Le numérique au service de l'écriture dans les instructions officielles

   Dans le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le domaine 1 consacré à l'apprentissage des différents langages rappelle la nécessité de la réécriture. « L'élève s'exprime à l'écrit pour raconter, décrire, expliquer ou argumenter de façon claire et organisée. Lorsque c'est nécessaire, il reprend ses écrits pour rechercher la formulation qui convient le mieux et préciser ses intentions et sa pensée. » Le traitement de texte peut alléger cette révision du texte et sa réécriture.

   Autre axe de réflexion : l'outil numérique permet de varier les stratégies d'apprentissage. « L'élève sait que la classe, l'école, l'établissement sont des lieux de collaboration, d'entraide et de mutualisation des savoirs. Il aide celui qui ne sait pas comme il apprend des autres. L'utilisation des outils numériques contribue à ces modalités d'organisation, d'échange et de collaboration. » Les outils numériques apportent donc une autre façon de travailler ensemble en classe. L'apprentissage est plus interactif ; il s'enrichit d'une fertilisation croisée entre les élèves et les enseignants.

   Le Domaine 2 consacré aux méthodes et outils pour apprendre met bien sûr en avant les outils numériques pour produire, échanger et communiquer. « L'élève sait mobiliser différents outils numériques pour créer des documents intégrant divers médias et les publier ou les transmettre, afin qu'ils soient consultables et utilisables par d'autres. Il sait réutiliser des productions collaboratives pour enrichir ses propres réalisations, dans le respect des règles du droit d'auteur. »

   En lycée, le programme de français énonce qu'« il est nécessaire de faire acquérir une distance et une réflexion critique suffisantes pour que se mette en place une pratique éclairée de ces différents supports, en montrant ce qu'ils impliquent du point de vue de l'accès aux connaissances, de la réception des textes et des discours, de l'utilisation et de l'invention des langages, comme du point de vue des comportements et des modes de relations sociales qu'ils engendrent ». Les usages du numérique doivent conduire à une réflexion éthique menée collectivement dans toutes les disciplines car toutes sont impactées par cette mutation.

   En lycée professionnel, l'outil numérique est d'abord au service de la réécriture. On distingue clairement la phase de révision durant laquelle l'élève va amender son texte en apportant des ajouts, des remplacements, en effectuant des suppressions et des déplacements, et le travail de correction qui porte sur l'orthographe et la grammaire, mené sur la version finale. La réécriture s'inscrit dans une démarche de remédiation et peut donc être mise en oeuvre dans toutes les disciplines.

2. Écriture manuscrite versus écriture numérique

   Les médias rendent compte régulièrement de la concurrence entre écriture manuscrite et écriture numérique. Parfois sur un ton alarmiste, ils annoncent même l'abandon de l'écriture cursive. Il ne s'agit pas d'opposer l'écriture manuscrite et l'écriture numérique [1]. Les spécialistes des sciences cognitives s'accordent à dire que l'acte d'écrire est fondamental [2]. Mais comme le suggère Jean-Luc Velay, le clavier peut trouver sa place dans cet apprentissage car notamment « plus simple sur le plan moteur ».

   Quant au correcteur automatique, l'illusion persiste chez les élèves que l'ordinateur va effectuer la tâche, à leurs yeux fastidieuse, de corriger leur texte. Il convient d'intégrer son usage dans la didactique de la langue. Dans la phase de correction, nous sommes tous amenés à observer que l'élève clique le plus souvent sur la première proposition qui n'est pas toujours celle qu'il faudrait retenir. Dans une démarche qui tire parti de l'erreur, il est nécessaire de montrer à l'élève qu'il convient de se donner le temps de réfléchir sur la nature du surlignement et d'observer les différentes suggestions pour faire un choix éclairé. Dès lors, le correcteur automatique n'encourage pas à la paresse et n'exclut pas l'apprentissage traditionnel des normes orthographiques. À partir d'erreurs fréquentes que les élèves sont d'ailleurs en mesure de corriger par eux-mêmes, on montre ainsi un usage raisonné du correcteur automatique, son efficacité et ses limites,

Exemple n° 1 : une trace écrite en histoire saisie par un élève de CAP

Le correcteur automatique permet de corriger l'oubli du « u ». En revanche, la terminaison de l'infinitif n'apparaît pas dans la liste des suggestions.

Exemple n° 2 : une trace écrite en histoire saisie par un élève de seconde professionnelle

La première suggestion - celle retenue par l'élève au clavier - est erronée. L'ordre des propositions induit ici en erreur.

   On montre ainsi que le correcteur automatique ne réfléchit pas. Seule la réflexion de l'élève peut amener à une utilisation efficiente de l'outil. Derrière ce simple usage du traitement de texte, on mesure les enjeux du numérique : ce n'est jamais l'ordinateur qui agit à notre place !

3. Cas pratiques

   Dans la pratique, nous sommes bien sûr dépendants des conditions matérielles. Les exemples d'activités d'écriture présentés tiennent compte de l'équipement informatique disponible. L'autre contrainte est la gestion du temps. En effet, c'est l'un des freins souvent évoqués car ces activités paraissent chronophages.

3. 1. Le traitement de texte au service de la réécriture

   L'équipement d'une classe ordinaire comprend généralement un seul ordinateur et un vidéo-projecteur. L'usage pédagogique de ces outils reste souvent limité à la projection de documents. Or, cet ordinateur partagé entre l'enseignant et les élèves peut être également au service des apprentissages.

   Lors d'une mise en activité (un travail sur consignes), deux élèves effectuent directement leur travail sur le poste informatique. On « gèle » l'écran pour projeter la consigne ou le support de l'activité. La mise au travail est plus efficace et les élèves moins attentistes. Le binôme au clavier est concentré sur sa tâche. La mise en commun s'effectue plus rapidement. Une fois saisi, leur travail sert de support à la correction. On le commente, l'améliore, le corrige... Il fait l'objet d'une remédiation durant laquelle les pairs sont davantage actifs.

   Situation : les élèves d'une classe de première professionnelle prennent connaissance d'un extrait du manga d'anticipation Pluto (sous la direction de Makoto Tezuka, éditions Kana, 2009) qui aborde les problématiques liées à la robotique. La première consigne consiste à résumer l'histoire racontée dans cet extrait.

   La mise en commun permet de travailler efficacement la réécriture avec des déplacements et des suppressions pour rétablir l'ordre chronologique du récit, ainsi que sa progression et sa cohérence. Les remplacements effectués permettent de produire moins d'efforts lors de la lecture. Le traitement de texte simplifie le travail de réécriture et de révision car il facilite l'acceptation de l'erreur dans le processus d'apprentissage et permet de mettre à distance le texte qui va être examiné.

3. 2. Écrire pour une encyclopédie en ligne [3]

   Situation : en histoire, dans le cadre du sujet d'étude « Voyages et découvertes, XVIe - XVIIIe siècle », les élèves d'une classe de CAP prennent connaissance des articles de l'encyclopédie Vikidia, consacrés aux deux navigateurs Christophe Colomb et Louis-Antoine de Bougainville, chacun ayant fait l'objet d'une séance. L'activité rédactionnelle consiste à compléter l'article en ligne, en apportant au moins trois ajouts. Cette séance d'une durée de deux heures et co-animée avec le professeur-documentaliste est menée au CDI qui est équipé de plusieurs postes informatiques. Les élèves travaillent seul ou en binôme [4].

   Vikidia est une encyclopédie francophone, en ligne, gratuite et conçue sur le modèle collaboratif de sa grande soeur Wikipédia. Des versions existent en anglais, en italien, en espagnol. Elle s'adresse plus particulièrement aux enfants et aux adolescents. Vikidia est certes une encyclopédie ouverte, mais pas sans règles. Les élèves prennent connaissances de la charte du contributeur. Celui-ci doit respecter des principes comme la non-utilisation de textes sous copyright, la neutralité de point de vue. Un article doit aussi avoir une « valeur cognitive » et être adapté au public visé.

Extrait de l'article initial consacré à Christophe Colomb :

   Cette activité se donne trois objectifs : d'accroitre les compétences de lecture et d'écriture, de développer la capacité à rendre compte de connaissances par la mise en situation d'écriture dans des conditions inédites, mais aussi d'éduquer à l'utilisation raisonnée et responsable des nouveaux médias. Les élèves consultent ces encyclopédies en ligne, sans forcément savoir comment elles sont alimentées. Certains élèves expriment d'ailleurs des doutes quant à la valeur scientifique des articles. Mais une fois connectés à leur compte comme contributeur, ils sont encore plus surpris quand ils mesurent la facilité avec laquelle on peut modifier un article, « Monsieur, on peut donc écrire n'importe quoi ? » Ce changement de statut d'usager à contributeur les amène à prendre conscience des enjeux citoyens du web collaboratif, des risques réels de manipulation quand on ne vérifie pas ses sources ou quand on s'en tient à une seule source.

   Après la lecture des articles, les élèves choisissent celui sur lequel ils vont travailler. Ils effectuent des ajouts et des remplacements, mais ils doivent veiller à ne pas supprimer des informations. Ils contrôlent que leurs propositions s'intègrent syntaxiquement à l'article. Ils sont amenés à sélectionner les connaissances abordées en cours, les vérifier en les croisant avec une autre source. Enfin ils rédigent pour le lectorat de cette encyclopédie. Ainsi, s'ils sont amenés à simplifier, il ne s'agit pas pour autant de déformer ou de falsifier l'information.

Réécriture de la partie de l'article consacrée au premier voyage de Christophe Colomb,
avant sa mise en ligne. Les modifications apparaissent en gras.

https://fr.vikidia.org/wiki/Christophe_Colomb

   Simple et intuitive, l'application permet d'entrer facilement dans le corps de l'article et de lire les modifications. Les différentes propositions sont relues et commentées. Les professeurs assurent l'expertise et valident les ajouts et les substitutions les plus pertinents. Cette activité montre l'importance d'appréhender pour les enseignants, les nouvelles compétences liées aux mécanismes du traitement de l'information, surtout face à la masse des données et des informations qui sont aujourd'hui disponibles. La machine et le Web stockent, mais ne pensent pas. Le rôle du professeur est dès lors aussi d'apprendre à sélectionner, discriminer, traiter et exploiter les données pour parvenir à construire et rédiger avec les élèves des connaissances scientifiques valables.

   Des résistances culturelles, des inquiétudes s'expriment car la réflexion didactique sur ces nouvelles pratiques rédactionnelles demeure insuffisante. En effet, il conviendrait de déterminer les enjeux didactiques du numérique, c'est-à-dire évaluer la plus-value, mais aussi la moins-value (ce que l'enseignant et l'élève peuvent aussi perdre). L'apprentissage de l'écriture nécessite aujourd'hui d'associer outils traditionnels et nouveaux outils et d'articuler travail sur écran et sur papier. Dans cette révolution du numérique, il nous appartient de discerner les usages et les situations pédagogiques les plus favorables et de mutualiser les expériences.

Patrice Virieux
Professeur et interlocuteur académique au numérique
en Lettres-Histoire-Géographie-EMC
Lycée professionnel Marcelle Pardé de Bourg-en-Bresse

Paru sur le site Dane Lyon le 23 novembre 2015 :
http://dane.ac-lyon.fr/spip/Le-numerique-au-service-de-l

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas d'utilisation commerciale - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/

Bibliographie et sitographie

Éduscol propose de nombreuses ressources théoriques et pratiques sur l'apprentissage de l'écriture :
http://eduscol.education.fr/siene/lettres/ressources-pour-enseigner/entrees-dans-les-apprentissages/ecrire/672-ressources.html

Marty Nicole, Informatique et nouvelles pratiques d'écriture, Nathan, coll. Les repères pédagogiques, 2005.
Ouvrage scientifique et pédagogique sur les usages de l'informatique dans le primaire. Des analyses et des orientations didactiques toujours pertinentes quel que soit le niveau d'enseignement.

Bézard Michel et D'atabekian Caroline (coordination de l'ouvrage), Guide TICE pour le professeur de français, CRDP de l'académie de Paris et l'association WebLettres, 2012.
Une collection de guides disciplinaires qui propose à la fois une sélection de ressources et des activités pédagogiques.

NOTES

[1] Reportage diffusé sur TV5 monde, le 31/08/2014 ::
https://www.youtube.com/watch?v=LFblXuWThhk

Anne Chemin, « Le stylo n'a pas dit son dernier mot », Le Monde, 13/11/2014 :
http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/11/13/le-stylo-n-a-pas-dit-son-dernier-mot_4523185_3224.html

[2] Jean-Luc Velay, « Clavier ou stylo : comment écrire ? », Cerveau & Psycho, n° 11.
http://www.ac-nice.fr/iencannet/ien/file/apc/velay_longcamp.pdf

[3] Éléments de réflexion didactique sur les encyclopédies collaboratives :
http://eduscol.education.fr/numerique/dossier/archives/travail-apprentissage-collaboratifs/encyclopedies-collaboratives

[4] Compte-rendu d'une expérience menée en SVT avec une classe de troisième « Écrit par, écrit pour Vikidia en classe - Rédiger un article scientifique » :
http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/espace-de-publication/public/CR_E._Giordano-Leclercq_Vfinale.pdf

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Février 2016

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