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Les usages et les obstacles liés
à l'intégration des technologies par
les enseignants du secondaire au Maroc

Aziz Rasmy, Aurélien Fiévez
 

Résumé
L'utilisation des outils technologiques dans les classes marocaines est une pratique relativement prometteuse, mais encore à l'état de linéaments. Cet article a pour objectif de dresser un état des lieux de l'usage des TIC par les enseignants du secondaire de la grande région de Casablanca au Maroc. La collecte de données a été effectuée à l'aide d'un questionnaire à question fermée et ouverte. Les résultats indiquent que de nombreux défis restent visibles et que peu d'enseignants maîtrisent les outils technologiques. Nous observons que le dualisme entre la formation technique et la formation pédagogique est peu finalisé.

1. Contexte et objectif

   Comme l'ont mis en évidence les plus hauts responsables académiques et scientifiques ces dernières années (OCDE, 2015 ; UNESCO, 2015), il est primordial de s'intéresser aux développements et à l'intégration des TIC non seulement dans la sphère privée et économique, mais également dans l'éducation. Pour cela, les gouvernements doivent apporter les mesures adéquates afin de promouvoir leur utilisation selon des pratiques efficientes. L'intégration des technologies en contexte scolaire est en pleine expansion au Maroc ces dernières années (El Madhi, Chiahou, Belghyti, El Kharrim et El Halouani, 2014). Ainsi, les réformes éducatives successives initient l'intégration des TIC en salle de classe et mettent en évidence les moyens nécessaires afin de parvenir à une intégration efficiente. Cependant, nous observons que les enseignants intègrent les technologies progressivement et que de nombreux obstacles sont répertoriés (Mastafi, 2014). Afin de les combler, le système éducatif marocain a fait l'objet d'une réforme profonde depuis 1999 par le biais de la Charte nationale de l'éducation et de la formation. Cette réforme vise à améliorer la réussite scolaire des élèves par l'implantation des technologies dans les milieux scolaires. Le programme « Génie » est au coeur du chantier de réforme du système scolaire. Ce programme mis en oeuvre depuis 2006 a pour but la généralisation des équipements informatiques et la connexion au réseau Internet de l'ensemble des établissements scolaires publics, soit 8604 établissements (Ministère Éducation du Maroc, 2009).

   La dernière réforme en date, initiée par le gouvernement, est intitulée « Plan d'urgence de la réforme du système scolaire marocain (2009-2012) » vise à prolonger les efforts introduits lors du programme « génie ». Elle accorde une place prépondérante à l'utilisation des TIC dans les milieux scolaires. En effet, elle vise à intégrer les TIC dans les apprentissages en tant que support d'innovation pédagogique afin d'améliorer la qualité de l'enseignement. Au-delà de la mise en place d'un équipement technique, cette réforme vise à développer les environnements pédagogiques et à mettre en place une stratégie de formation des enseignants axée sur le numérique. In fine, plusieurs initiatives d'envergure sont entreprises par le Ministère de l'Éducation marocain dans le but de favoriser l'exploitation des TIC dans les milieux scolaires.

   À l'heure actuelle, il est pertinent de se questionner quant aux usages effectifs et aux défis rencontrés par les enseignants lors de l'utilisation des outils technologiques en salle de classe. Afin de développer cette problématique, les objectifs de cette recherche sont de : 1) dresser un portrait des usages des technologies en salle de classe ; 2) analyser les défis et conditions nécessaires à la mise en place d'une intégration réussie des technologies dans l'enseignement et l'apprentissage.

2. Cadre théorique

   Dans cette section nous présentons le cadre théorique qui a guidé notre étude, à savoir l'approche systémique dans une perspective dynamique et mobilisatrice du personnel enseignant lors de l'utilisation des TIC en salle de classe. Cette approche nous permet d'appréhender les tenants et aboutissants du processus d'appropriation des TIC ainsi que les pratiques pédagogiques des enseignants.

   L'intégration des technologies en contexte scolaire entraîne des changements majeurs dans les pratiques des différents acteurs. Les enseignants sont ainsi les premiers intervenants touchés par ce changement (Lefebvre, 2014). Selon plusieurs auteurs, l'intégration des technologies doit se faire non seulement au niveau technique, mais aussi pédagogique (Villeneuve, Karsenti et Collin, 2013). C'est dans cette perspective théorique que nous mettrons à profit les possibilités nouvelles et diversifiées des technologies (Karsenti et Tchameni Ngamo, 2009).

   Pour mieux cerner et comprendre les usages et les stratégies d'intégration des TIC dans le milieu scolaire marocain, nous avons adopté l'approche systémique comme modèle de référence. Cette approche repose sur le principe que tous les éléments composant un système sont inter reliés. Il s'agit d'examiner les relations entre les éléments en fonction des finalités visées. Il s'agit de mener un grand nombre d'activités, de s'intéresser à l'ensemble du personnel et de mettre en oeuvre un ensemble de pratiques (communication, développement des compétences, etc.).

   Dans cette perspective systémique, Fullan (1991) a développé un modèle de changement planifié qui s'avère pertinent pour faciliter l'innovation dans le milieu scolaire.


Figure 1 : Modèle de Fullan (1991).

   Le modèle de Fullan (1991) se divise en 4 constituantes. La première, la phase d'initiation, demande l'analyse de la qualité de l'innovation et de son accès, l'adéquation avec les contraintes curriculaires, la sensibilisation des enseignants et la prise en considération des agents externes. La seconde phase analyse la mise en oeuvre en fonction des caractéristiques des facteurs internes (établissement, enseignants, contexte, etc.), les facteurs externes (gouvernement) et les caractéristiques du changement (besoins, objectifs, complexité et possibilités). L'implantation vise les répercussions positives ou négatives du changement. Enfin, les résultats présupposent une avancée positive dans le changement envisagé. Ce modèle montre une perspective dynamique où l'accent est mis sur la phase d'implantation. Ainsi, afin d'assurer la réussite de l'intégration des technologies comme innovation pédagogique, il faut s'assurer de la présence des trois dimensions du changement : les aspects technologiques, pédagogiques et humains. De manière générale, ce modèle repose sur l'importance de : la communication et le partage de l'information ; le développement des compétences ; la participation aux décisions ainsi que la collaboration ; la reconnaissance des efforts ; la valorisation de la formation continue du personnel. Ce modèle s'insère de manière concrète dans notre volonté d'identification des facteurs et des conditions pouvant améliorer l'intégration des TIC chez les enseignants dans leur pratique pédagogique.

3. Méthodologie

   La collecte de données a été effectuée auprès des enseignants du secondaire de la région de Casablanca au Maroc en février et mars 2 014. Les participants de la collecte des données ont été recrutés selon un échantillonnage aléatoire. Au total, 155 enseignants issus de 7 établissements secondaires ont répondu à un questionnaire.

   Le questionnaire est composé de 24 questions fermées et cinq questions ouvertes. Les questions fermées ont été élaborées à partir d'un instrument de mesure basé sur les travaux de Villeneuve, Karsenti et Collin (2013). Nous avons adopté l'échelle de type Likert à six entrées, soit « Tout à fait en désaccord » à « Tout à fait en accord ».

   L'âgé moyen des répondants est de 41 ans dont 55 % sont des femmes. Comme le montre la figure 1, différentes disciplines sont visées dans notre échantillonnage. Nous observons que les trois principales matières enseignées sont : les mathématiques (19,35 %), le français (16,13 %), et les sciences physiques (12,90 %). Viennent ensuite l'histoire et la géographie (9,68 %), l'arabe (9,68 %), l'anglais (6,45 %), les sciences de la vie et de la terre (4,45 %), l'informatique, la technologie et la philosophie à chacune 3,23 %


Figure 2 : Le pourcentage des répondants selon la matière enseignée.

   Les données quantitatives ont été traitées à l'aide du logiciel SPSS. L'analyse de contenu a été utilisée pour les données qualitatives (les questions ouvertes) et traitées avec le logiciel QDA Miner.

4. Résultats

   Dans cette section, et en lien avec l'objectif visé par la présente recherche, nous présentons les résultats. Ces derniers visent l'intégration, les facteurs et les conditions nécessaires à une utilisation efficiente des technologies en salle de classe.

4.1. Les usages des enseignants

   D'abord il est intéressant de constater (figure 3 ci-dessous) que 80 % des enseignants enquêtés disposent d'un ordinateur à la maison et sont connectés au réseau Internet. Seulement 3,3 % des enseignants utilisent l'ordinateur sans connexion internet.


Figure 3 : Les outils technologiques utilisés par les enseignants.

   Comme le montre la figure 4 ci-dessous, relative aux usages technologiques, 58,1 % des enseignants utilisent l'ordinateur pour rechercher de l'information. 51,6 % d'entre eux utilisent les logiciels de traitement de textes (ex. Word) afin de concevoir leurs séquences de cours. Cependant, seulement 22,6 % des enseignants utilisent un logiciel de soutien à la communication orale (ex. Power-Point). Les résultats montrent également que les enseignants analysent très peu les avantages et les inconvénients de l'utilisation d'un outil technologique en salle de classe. Seulement 22,6 % des enseignants abordent la pertinence et l'efficience de l'utilisation des TIC. De manière générale, nous constatons que les outils technologiques sont peu utilisés et que le retour réflexif sur la pertinence de l'outil est peu visible.


Figure 4 : Usages des technologies en salle de classe par les enseignants
sur leur propre pratique.

   Comme illustré dans la figure 5 ci-dessous, les pratiques des enseignants liées à l'intégration des TIC sont faibles. En effet, seulement 22 % des enseignants indiquent qu'ils intègrent les TIC dans leurs stratégies pédagogiques. Moins du cinquième des enseignants affirment amener les élèves à utiliser les TIC et exercer un esprit critique à cet égard. Presque le dixième des enseignants seulement amènent les élèves à réaliser des projets mettant à profit les technologies.


Figure 5 : Usages des technologies en salle de classe par les enseignants
lors d'activités de classe.

   Ensuite, comme le montre la figure 6 ci-dessous, l'utilisation des technologies pour communiquer avec les élèves et leurs parents constitue un autre aspect négatif dans l'exploitation des TIC par les enseignants. En effet, presque la totalité des enseignants affirme ne pas utiliser le courriel dans leurs communications avec les élèves ou les parents.


Figure 6 : Usages des outils de communication par les enseignants.

4.2. Les défis rencontrés par les enseignants

   Les questions ouvertes répertorient plusieurs défis auxquels les enseignants sont confrontés lors de l'utilisation des technologies dans leurs pratiques d'enseignement. Ces défis, de divers ordres, renvoient à quatre obstacles principaux, soit la qualité de la formation continue, le manque de ressources, un faible engagement de la direction d'école, et enfin des obstacles liés à certaines caractéristiques individuelles des acteurs (motivation, attitudes et aptitudes).

   Le premier obstacle rapporté par les répondants est relié à la qualité de la formation continue. Selon plusieurs enseignants le développement professionnel apparait comme une nécessité afin d'améliorer les pratiques pédagogiques liées à l'intégration des TIC dans l'enseignement et l'apprentissage :
EN4 [1] « La formation continue est un beau moyen d'apprendre les nouvelles pratiques technologiques (...) cette spécificité devrait être généralisée dans toutes les écoles marocaines ».

   En effet, les enseignants questionnés affirment que les activités de formation, auxquelles ils ont participé se limitaient à des initiations et des notions simples concernant les TIC et non pas une formation axée sur les usages pédagogiques de ces technologies. Peu de formations était directement en lien avec les pratiques réelles de l'enseignant. Au Maroc, malgré l'importance accordée au développement professionnel des professeurs dans les politiques éducatives, les activités de formation ne répondent pas aux besoins effectifs du milieu. Conséquemment, cette situation se traduit par de nombreuses difficultés pédagogiques liées à une utilisation réduite des technologies dans leurs pratiques professionnelles.

   Le second obstacle relevé vise le manque de ressources. En effet, les résultats montrent que les enseignants sont confrontés à l'insuffisance du matériel informatique et à l'obsolescence des équipements. Ainsi, la majorité des répondants déplorent le fait que les ordinateurs mis à leur disposition ne correspondent pas toujours à leurs attentes. De fait, au Maroc, de nombreuses écoles se trouvent dans un contexte de carence technologique, le vieillissement du matériel et le manque de ressources financières sont des éléments qui contribuent à freiner l'intégration des technologies en salle de classe.

   Le troisième obstacle est lié au manque de soutien des directions dans l'intégration des technologies. En effet, les commentaires des répondants indiquent que la direction d'école n'est pas parvenue à établir un climat favorable à une bonne collaboration entre le personnel enseignant et l'école. Celle-ci n'a pas déployé les efforts nécessaires pour mettre à la disposition des enseignants les moyens matériels et humains nécessaires à la réalisation des activités du programme.

   Le quatrième obstacle est lié aux caractéristiques individuelles des enseignants. À ce propos, selon les commentaires, certains enseignants rapportent avoir rencontré des difficultés motivationnelles en ce qui concerne la perception des apprenants à l'égard des TIC. Également, certains enseignants ont manifesté des attitudes négatives vis-à-vis de l'intégration des technologies :
EN2 « Il me semble que l'enseignement et l'apprentissage des TIC sont difficiles (...) la majorité des apprenants ne possèdent pas d'ordinateur ni internet (...) un grand nombre ne manipulent l'ordinateur que sommairement ».

   En somme, l'analyse des données qualitatives recueillies à l'aide des questions ouvertes montre que le développement professionnel continu et la disponibilité des ressources matérielles sont les deux principaux facteurs favorisant l'intégration des TIC dans l'enseignement et l'apprentissage des enseignants questionnés.

Éléments

Résultats liés aux obstacles rencontrés

Formation continue

Une forte proportion des répondants rapportent que la formation continue est un facteur qui favorise l'intégration des TIC par les enseignants

Disponibilité des ressources

Les ressources nécessaires à l'intégration des TIC sont insuffisantes.

La majorité des enseignants affirment ne pas disposer de suffisamment de temps pour intégrer les TIC dans leur enseignement.

Soutien de la direction

La majorité des enseignants expliquent que les directions ne remplissent pas adéquatement leur rôle.

Facteurs personnels

Certains répondants rapportent une perception négative à l'égard de l'utilité des TIC ainsi que sur croyance d'efficacité.

Collaboration entre le personnel de l'école

Une forte proportion des répondants rapportent un manque de collaboration entre les enseignants.

Tableau 1 : Défis rencontrés par les enseignants lors de l'utilisation des TIC
en salle de classe.

Conclusion

   Cet article avait pour objectif de dresser un état des lieux de l'usage et des défis rencontrés par les enseignants lors de l'intégration des TIC en contexte éducatif. Les résultats de la présente recherche indiquent une faible intégration des technologies dans les milieux scolaires interrogés. En effet, les résultats montrent que les outils sont moyennement maîtrisés et que la réflexivité de l'enseignant vis-à-vis des technologies est peu présente. Conséquemment, cette situation se traduit pour les enseignants par des difficultés face à l'utilisation des TIC dans leurs pratiques professionnelles. Les résultats obtenus dans le cadre de cette étude confirment l'importance de la formation continue et la disponibilité des ressources matérielles. Plus concrètement, il est nécessaire de développer les compétences technologiques et pédagogiques des enseignants. De fait, nous avons constaté que la disponibilité des ressources matérielles et une formation pédagogique adaptée favorisait une intégration efficiente des technologies en salle de classe que se soit au Maroc ou ailleurs. In fine, les efforts mis en place dans les réformes permettent d'envisager une avancée certaine, mais il reste encore de nombreux défis à affronter.

Aziz Rasmy*
Aurélien Fiévez*

* Ph.D. en psychopédagogie ; Université de Montréal.

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Références

El Madhi, Y., Chiahou, I., Belghyti, D., El Kharrim, K. et El Halouani, H. (2014). Les contraintes liées à l'intégration du TIC dans l'enseignement des sciences de la vie et la terre dans la vie. European Scientific Journal, 10(34).

Fullan, M. et Stiegelbauer, S. (1991). The new meaning of educational change. 2nd ed. New York : Teachers College Press.

Karsenti, T. et Tchameni Ngamo, S. (2009). Qu'est-ce que l'intégration pédagogique des TIC ? Dans T. Karsenti (dir.), Intégration pédagogique des TIC : Stratégies d'action et pistes de réflexion. Ottawa : CRDI.

Lefebvre, S. (2014). Intégration des TIC : types de connaissances abordées dans le discours d'enseignants en exercice et d'étudiants en formation initiale. Revue canadienne de l'éducation, 37(3).

Léocadie Djédjé, V. (2006). « Étude des éléments de support de l'implantation locale des technologies de l'information et de la communication dans deux écoles secondaires générales et publiques en Côte d'Ivoire. Thèse de doctorat inédite. Montréal : Université de Montréal.

Mastafi, M. (2014). Intégration et usages des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le système éducatif marocain : contraintes, obstacles et opportunités. (Thèse de doctorat).

Ministère de l'Éducation du Maroc (2009). Le programme Génie. Rabat : Gouvernement du Maroc.

Organisation de coopération et de développement économique OCDE (2015). Perspectives des politiques de l'éducation 2015 : les réformes en marche. Paris, France : éditions OCDE.

United Nations Educational, Scientific and cultural Organization UNESCO (2008). ICT Competency Standards For Teachers. Paris : UNESCO.

Villeneuve, S., Karsenti, T. et Collin, S. (2013). Facteurs influençant l'utilisation des technologies de l'information et de la communication chez les stagiaires en enseignement du secondaire. Éducation et francophonie, 16(1).

NOTE

[1] Les entrevues ont été retranscrites afin d'être analysées avec le logiciel QDA Miner. Les extraits utilisés viennent appuyer et confronter les données quantitatives issues des questionnaires. Ces extraits ont été anonymisé afin de préserver la confidentialité des participants. Tout au long de la présentation des résultats, « EN » signifie « enseignant » et les numéros associés spécifient l'ordre dans lequel sont intervenus les enseignants dans les questions ouvertes.

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Association EPI
Décembre 2015

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