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Enseigner la discipline informatique avec
un Capes et/ou une agrégation d'informatique

Jean-Pierre Archambault
 

   Dans son interview à 20 minutes, le 15 octobre 2015 [1], Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l'Éducation nationale, répond d'abord à la question « Quel est l'intérêt d'initier les élèves à la programmation » : « En apprenant à programmer, ils atteignent une véritable maîtrise de l'ordinateur. Coder, c'est aussi acquérir plus de rigueur dans la construction de la pensée. Car une ligne de code n'a de sens que par rapport à ce que l'on veut en faire. Le codage donne ainsi des bases de logique utiles dans bien d'autres disciplines. » De bonnes et essentielles raisons en effet.

   Plus loin, à la question « Ne faudrait-il pas créer un Capes et une agrégation d'informatique pour avoir de vrais experts du sujet ? », elle répond : « Cela reviendrait à créer une discipline à part entière. Or, le numérique traverse toutes les disciplines et nous voulons que tous les enseignants puissent l'utiliser dans leurs cours. Un enseignant d'anglais doit pouvoir se servir d'un laboratoire numérique de langues. Et un professeur de musique doit avoir la possibilité d'initier ses élèves au piano sur tablette. » Excellents exemples d'usages pédagogiques du numérique mais, en la circonstance, la ministre parle de deux choses complémentaires mais de natures différentes, à savoir l'informatique objet d'enseignement et l'informatique outil d'enseignement. Et, parenthèse, bien que le français traverse toutes les disciplines, il y a un cours de français et des professeurs de lettres.

   Il existe des statuts éducatifs distincts de l'informatique et du numérique. On peut en proposer quatre.

Outil pédagogique, l'objectif étant de développer des usages raisonnés, raisonnables, pertinents et efficaces [2]. L'informatique permet de faire mieux ou autrement, ou de faire ce que l'on ne pouvait pas faire auparavant. les apports potentiels sont multiples : l'ordinateur aide à atteindre des objectifs d'autonomie, de travail individuel ou en groupe. Il est aussi encyclopédie active, créateur de situations de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d'images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves. Il favorise l'activité intellectuelle...

Outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté scolaire dans son ensemble. Cela va de la gestion de la paye des personnels et de la préparation de la rentrée scolaire à l'utilisation d'un traitement de texte pour préparer ses cours en passant par celle d'internet pour faire un exposé. Ce statut ne se confond pas avec le précédent, la meilleure preuve étant que, si la grande majorité des enseignants utilise l'ordinateur à domicile, pour autant ils l'utilisent encore relativement peu ou pas en classe.

Facteur d'évolution des disciplines enseignées, modifiant leurs objets, méthodes et outils, leur « essence ». Cela se traduit dans leur enseignement. C'est particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels où l'informatique s'est banalisée depuis une trentaine d'années déjà. Le traitement de texte a supplanté la machine à écrire, la base de données le fichier carton et le logiciel de DAO la planche à dessin, les machines à commandes numériques les tours et étaux-limeurs. Peu ou prou, toutes les disciplines sont concernées : EXAO et simulation dans les sciences expérimentales, systèmes d'information géographique...

Objet d'enseignement. C'est le cas par exemple avec l'enseignement de spécialité optionnel de Terminale S « Informatique et sciences du numérique » [3]. On sait l'enjeu. Donner à tous les élèves une culture générale informatique, composante majeure de la culture générale scientifique et technique au 21e siècle. L'informatique et le numérique sont omniprésents dans la société. De plus en plus d'activités et de réalisations reposent sur la numérisation de l'information. Au coeur du numérique, il y a la science informatique car elle est la science du traitement et de la représentation de l'information numérisée. Elle sous-tend le numérique comme les sciences physiques sous-tendent l'industrie de l'énergie et la biologie éclaire le vivant.

   Alors discipline ou pas discipline ? À la question de savoir comment l'École donne une culture générale, pour avoir la réponse il suffit de regarder ce qu'elle fait avec les autres domaines de la connaissance. Depuis longtemps, nous savons qu'il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de vitesse et de force, d'atome et de molécule, de microbe et de virus, de chronologie et d'événement, de genre et de nombre, etc. Et ces initiations se font dans un cadre disciplinaire. Il est indispensable aujourd'hui de les initier de la même façon aux notions centrales de l'informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu'au sein d'une discipline informatique. Quand une discipline est partout, elle est quelque part en particulier. Comparaison n'est certes pas raison mais, quand même, que penserait-on d'une situation où l'on confierait l'étude des entiers relatifs au professeur d'histoire qui les traiterait lorsqu'il s'intéresse à la période « avant-après J.-C. » ? Et les coordonnées seraient vues lors de la présentation des notions de latitude et de longitude en géographie...

   La culture générale scolaire évolue. Le latin et le grec n'occupent plus la place qu'ils avaient antan. En mathématiques, la géométrie descriptive et les coniques ont disparu, remplacées par les probabilités et les statistiques. Dans les années 1960, la discipline sciences économiques et sociales a été créée, etc. Si, il y a plus d'un siècle, les sciences physiques sont devenues discipline scolaire, c'est parce qu'elles sous-tendent les réalisations de la société industrielle [4]. Alors oui à une discipline informatique en tant que telle pour tous les élèves. Et oui à un Capes et une agrégation d'informatique qu'il faut créer sans tarder. Enseigner l'informatique, science et technique, suppose qu'il y ait des professeurs d'informatique formés comme le sont les professeurs des autres disciplines. C'est la condition sine qua non de la réussite des initiatives prises et annoncées [3].

   Pour en revenir aux statuts de l'informatique à l'École, leur diversité amène à bien distinguer, pour les professeurs, les profils de formation suivants (avec des durées de formation « significatives ») :

  • l'ensemble des enseignants pour qui c'est une formation à l'exercice de leur coeur de métier, la pédagogie ;

  • les enseignants d'une discipline donnée ; peu ou prou, toutes les disciplines, d'une manière spécifique, aux plans de la pédagogie et de la didactique et des contenus enseignés ;

  • les professeurs de la discipline scientifique et technique informatique.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
(association Enseignement Public et Informatique)

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] http://www.20minutes.fr/societe/1710175-20151015-numerique-ecole-2018-100-colleges-connectes

[2] À propos du « Rapport OCDE et (de l') enquête PISA. Pourquoi l'informatique à l'École ? », Jean-Pierre Archambault.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1510f.htm

[3] Communiqué de la Société Informatique de France et de l'association Enseignement Public et Informatique, « Enseigner l'informatique : il est temps de s'inscrire dans la durée ».
http://www.societe-informatique-de-france.fr/2015/10/enseigner-linformatique-il-est-temps-de-sinscrire-dans-la-duree/
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1510a.htm

[4] Dans les écoles médiévales, les élèves apprenaient d'abord la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique, puis l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie et l'Astronomie. Pas de Physique, pas d'Histoire, pas de Biologie.

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Novembre 2015

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