bas de page

Tribune libre

Une école qui ne veut ni tradition ni modernité

Luc Sanselme
 

   Je vais partir d'une critique sur la refondation de l'école.

   Il y a probablement, dans cette refondation une erreur méthodologique et conceptuelle. L'erreur méthodologique, vient de l'asservissement de l'action au profit de l'idéologie. Elle aboutit ainsi à vouloir imposer à l'école une forme idéalisée d'une école du passé. Une erreur conceptuelle, parce que la refondation suggère de faire table rase, et donc par là même de renier notre passé. Il me semble plus vertueux de nous poser la question de ce que nous devons faire et de ne pas sacraliser notre action. L'histoire se chargera de dire si notre action a été une refondation, ou une action d'une autre nature, et de lui donner le degré de sacralité qu'elle méritera.

   S'il y a une leçon que je retiens de mes élèves, après seulement dix ans de carrière, c'est que ce qui leur importe c'est la sobriété, l'efficacité et l'authenticité. Ils sont tout ce qu'il y a de plus réfractaires au fait de servir de cobayes à des expérimentations qui n'ont pour but que de servir une idéologie.

   Mon point de vue, est que, nous avons besoin aujourd'hui d'arrêter de raisonner en terme de réformes : nous avons besoin, au contraire, d'analyser la situation à travers des grilles de lecture desquelles émergeront naturellement les besoins d'évolution de notre système éducatif.

   Je vous propose, donc, de regarder notre système éducatif à travers le spectre de l'informatique.

   Je commencerai par rappeler quelques résultats importants des fondements de l'informatique, auxquels je ferai référence par la suite. Ensuite, j'évoquerai les conséquences que l'on peut tirer des paradigmes de l'informatique sur un certain nombre de thématiques éducatives.

1. Une révolution intellectuelle : l'informatique

   Nous n'avons pas tiré les conséquences de la révolution que représente l'informatique, depuis ses fondements.

   Le choix du mot « informatique » est important. Je fais exprès de ne pas utiliser le mot de « numérique », qui est un concept marketing au service d'une sphère médiatique et politique.

   L'informatique, sous sa forme théorique, est née dans les années 1930. Le début du 19e siècle est marqué en mathématiques par la volonté de formaliser une théorie de la démonstration. Des réponses arriveront dans les années 1930.

   Le premier résultat révolutionnaire est celui dû à Gödel, en 1929, connu sous le nom de « théorème d'incomplétude de Gödel ».

   Il comporte deux théorèmes.

   Le premier théorème nous apprend que dans toute théorie (suffisamment riche pour contenir les bases de l'arithmétique) certains énoncés ne seront ni démontrables, ni réfutables, c'est-à-dire que l'on ne peut ni les démontrer ni démontrer leur contraire. Le deuxième théorème affirme qu'une théorie qui serait cohérente ne pourrait pas démontrer sa propre cohérence.

   Ces deux résultats sont vertigineux : d'un point de vue épistémologique, ils changent la vision du monde. Ils ont représenté une blessure narcissique énorme pour la communauté scientifique, et en particulier mathématique de l'époque.

   Le premier résultat affirme qu'un énoncé peut être vrai, faux ou ni l'un ni l'autre. Et, dans ce dernier cas, on pourra le rajouter à l'ensemble des axiomes, ou rajouter son contraire : on obtiendra ainsi deux mondes qui seront tout aussi cohérents, mais non compatibles. Les mathématiciens ne peuvent donc pas tout démontrer.

   Les Mathématiques restent tout de même la science de la vérité. Pas si sûr. Le deuxième résultat affirme qu'aucun système cohérent ne peut démontrer sa propre cohérence.

   Par conséquent, il se peut que les axiomes des mathématiques aboutissent à des contradictions, et nous n'avons aucun moyen de nous en prémunir de manière certaine. C'est à l'aune de ces résultats, qui font chuter les mathématiques de leur piédestal, que l'informatique va voir le jour avec la thèse de Church-Turing.

   Afin de simplifier, je ne vais parler que des travaux de Alan Turing, parus en 1936. Alan Turing propose un modèle, pour décrire tout ce qui peut être calculable-démontrable, « dans notre monde réel », de manière algorithmique.

   La thèse, non infirmée à ce jour, affirme que « les machines de Turing » permettent de rendre compte de tout processus algorithmique réel que l'on peut exécuter dans notre monde régi par les lois de la physique.

   Puis, à l'intérieur de ce cadre, Turing énonce deux résultats importants. Le premier affirme qu'il n'est pas possible de donner un algorithme général qui permettrait de résoudre tous les problèmes que l'on peut résoudre à l'aide d'un algorithme. C'est un résultat de plus qui souligne la « non toute puissance » de la science. Le second, plus positif, ouvre une ère nouvelle : il est possible de construire une machine, qui étant donnée la description d'un algorithme (en fait une machine de Turing), simule cet algorithme. La forme théorique de l'ordinateur, machine programmable, était née.

   Rentrons maintenant dans le vif du sujet et voyons quelles conséquences, l'école peut et doit tirer de cette révolution intellectuelle.

2. Informatique et numérique

   En particulier dans un contexte d'éducation il est fondamental de bien faire la différence entre « l'informatique » et « le numérique ».

   L'informatique est une science, âgée de quelques dizaines d'années : l'ordinateur en est un outil et un objet d'étude.

   Le numérique, est un « concept marketing », qui sert à vendre des « objets nouveaux » à des personnes dépendantes de ces objets, mais ne comprenant de préférence pas leurs modalités exactes de fonctionnement.

   Le « numérique » risque d'ailleurs de tuer l'informatique, en tant que discipline éducative, avant même que celle-ci n'arrive à se faire une place.

   « L'élite d'hier », que sont les hommes politiques, et les hauts dignitaires, en responsabilité aujourd'hui, n'acceptent pas de se voir débordés par « l'élite d'aujourd'hui », incarnée par toutes ces grandes boîtes, en particulier celles provenant de la silicone Vallée qui imposent petit à petit les contours de la société de demain. Cette « élite d'hier » ne veut pas qu'une part trop importante de la société d'aujourd'hui maîtrise l'informatique. Cela lui permettra de perdurer encore quelque peu à la tête du pays.

   Pour illustrer cela, regardons la position du ministère de l'Éducation nationale à ce sujet. Le ministère fait une compagne pour le numérique à l'école, mais est farouchement opposé à la création d'un CAPES et d'une agrégation d'informatique. Et les personnes en charges ont du mal à comprendre que utiliser l'ordinateur pour faire des mathématiques, de la physique, de la biologie, des langues ou des lettres, ce n'est pas faire de l'informatique (tout comme faire un calcul en physique, ce n'est pas faire des mathématiques, c'est utiliser les mathématiques pour faire de la physique et écrire un raisonnement en mathématiques ce n'est pas faire du français).

   Voici un dialogue imaginaire (mais malheureusement pas tant que cela) pour comprendre la fracture :
— Il faut équiper les écoles de « numérique » !
— Pour quoi faire ?
— Parce que cela va révolutionner la pédagogie !
— Ah ! Vraiment ?
— Oui, bien sûr, les élèves seront ainsi bien mieux formés !
— Ah ! Et pourquoi les enfants des CEO (Chief Executive Officer) et des CTO (Chief Technology Officer), vont dans des écoles privées, où les enseignants sont équipés du nec plus ultra du « bon vieux tableau noir » ?

ou encore :
— Pourquoi ne pas commencer à initier les enfants à l'informatique dès l'école maternelle (à petite dose bien entendu) ?
— C'est déjà ce qui se passe.
— Ah bon ?
— Oui, un grand nombre d'écoles sont équipées de tablettes tactiles.
— Si elles peuvent aider les enfants à apprendre (et peut-être à terme permettre de faire des économies en diminuant le nombre d'enseignants), tant mieux. Mais je parlais d'enseigner l'informatique.
— Ne pensez-vous pas qu'en maternelle les enfants sont trop petits pour manipuler un clavier et une souris ?
— On peut faire de l'informatique sans ordinateur. Ce qu'il faudrait surtout c'est éveiller les enfants à la « pensée incrémentale » (computational thinking).

   Il y a certainement des applications intéressantes des nouvelles technologies pour améliorer la pédagogie, mais pas de révolution... Par contre « l'informatique pour tous » conduira à quelque chose de plus révolutionnaire.

   Par ailleurs, il me semble important de garder en tête deux choses, dans le rapport de l'homme à la technologie, en particulier quand il s'agit de faire le choix des supports éducatifs de demain.

   Premièrement, les nouvelles technologies ne font pas disparaître les précédentes, mais les font redéfinir leur place. La télévision n'a pas remplacé la radio, et on peut même voir qu'aujourd'hui, à l'heure d'internet, la radio se porte beaucoup mieux que la télévision. Deuxièmement, le stylo, au bout du bras, est le prolongement du cerveau. Beaucoup de réflexions, se font grâce à ce stylo. Je ne crois pas qu'il soit raisonnable de le remplacer par quoi que ce soit d'autre pour le moment. De même que l'écriture sur papier a remplacé l'écriture sur pierre, l'écriture sur tablette remplacera peut-être l'écriture sur papier. Ou alors les tablettes seront obsolètes dans 10 ans.

3. Informatique et alphabétisation

   L'informatique utilise un nouveau langage. Ce langage permet de « donner des instructions » à un ordinateur, pour pouvoir exploiter ses capacités de calcul. Ce langage permet aussi de conceptualiser nombre de nouveaux objets.

   L'informatique peut redonner du sens à l'école. Comme l'école d'hier a su trouver sa place dans « l'alphabétisation de masse », l'école d'aujourd'hui peut trouver sa place dans « l'alphabétisation numérique de masse ».

   Aux États-Unis, le système éducatif stagne depuis les années 50-60. Et, aujourd'hui, le taux de chômage chez les diplômés est plus élevé que chez les non diplômés, si l'on compte dans les « chômeurs diplômés » les diplômés qui effectuent des emplois ne nécessitant pas les diplômes qu'ils ont. Chez nous, la stagnation éducative ne date que du milieu des années 90, mais nous allons dans la même direction. C'est tout de même un aveu d'échec terrible pour des sociétés qui voulaient placer si haut les valeurs d'éducation et d'instruction. La réflexion sur la place de l'informatique à l'école peut être l'occasion de redéfinir les missions de l'école et de revenir à ce que l'école sait bien faire. Ce que l'école n'a jamais su faire, ce qu'elle veut faire de plus en plus et ce qui cause sa perte, c'est de former des élèves à un métier. L'école n'a que très peu de réussites, et dans des domaines très spécifiques en ce qui concerne l'enseignement professionnel. Les entreprises savent mieux former, en leur sein, des élèves venant de filières générales, que les élèves venant des filières professionnelles dédiées.

   Nous pouvons, par ailleurs, dire que un grand nombre de maux de l'école sont entrés dans le système éducatif par cette voie professionnelle. La pédagogie par objectifs, qui a été inventée par l'industrie, à l'époque du Taylorisme est entrée dans l'école, aux États-Unis dans les années 40-50, et en France dans les années 70, par les filières professionnelles, avant de s'étendre à tout le système éducatif. La pédagogie par compétence suit depuis quelques années, exactement le même chemin, et finira de la même façon. Il est par ailleurs normal que les techniques de formation de l'entreprise ne fonctionnent pas à l'école, parce que le temps de l'école et le temps de l'entreprise ne sont pas les mêmes. L'école se situe dans un temps très long.

   Ce que l'Éducation nationale sait faire, qui donne un sens à son existence c'est d'enseigner à apprendre. L'élève, à l'école doit apprendre à apprendre. Les apprentissages doivent donc être guidés par ce qui donne accès à de vastes domaines. On y apprend ce que l'on ne peut apprendre sur le tas, ou ce qui demande un tel investissement que cet investissement est irréaliste une fois dans la vie active. La lecture, l'écriture, le calcul, les mathématiques, l'histoire, la physique, la biologie sont des matières, chacune avec ses propres paradigmes, qui vont structurer l'élève et lui offrir des grilles de lectures sur ce qui l'entoure.

   L'informatique doit prendre sa place, aujourd'hui, parmi ces matières. Les enfants doivent apprendre à « coder » (à programmer disait-on), dès le plus jeune âge, et cela avec des enseignants compétents et formés.

   Nous n'avons pas toujours conscience de la fracture qui est en train de s'opérer entre une petite minorité de la population qui maîtrise la technologie, et l'immense majorité qui la subit. On entend parler en permanence des « Digital natives ». Mais, ce qu'on ne dit pas, c'est que la capacité à utiliser la technologie chez ces jeunes générations est bien moins bonne que celle des générations précédentes. Le fait d'évoluer dans un domaine quasi exclusivement « plug-and-play » fait que la technologie est devenue une véritable boîte noire.

   Les élèves d'il y a 10 ans maîtrisaient mieux l'outil informatique que les élèves d'aujourd'hui, même si depuis 2 ou 3 ans, la tendance semble s'inverser un peu. Vouloir transmettre, c'est avant tout réorganiser un cadre où pourra s'effectuer cette transmission. La question du sens est une question fondamentale pour la conception de ce cadre. L'« alphabétisation numérique » pourrait redonner du sens à cette notion de transmission qui nous manque aujourd'hui.

4. Informatique et autres sciences

   Les mathématiques ont longtemps servi de boîte à outils pour la physique. Les derniers programmes de classes préparatoires ont étés marqués par ce divorce entre programmes de mathématiques et programmes de physiques : cela a été difficilement accepté. Les mathématiques ont donc besoin de s'ouvrir culturellement. De nombreux domaines de l'informatique théorique sont des mathématiques, qui se sont développées dans des laboratoires d'informatique. Et, il ne s'agit pas là de polémiquer pour savoir si la théorie des graphes est des mathématiques ou de l'informatique. Cette thématique doit être abordée par ces deux sciences, comme les équations aux dérivées partielles intéressent les mathématiques et la physique.

   Nous sommes là en face d'un problème religieux : les mathématiques, et les sciences « traditionnelles » comme la physique ou la biologie doivent accepter de revoir leurs croyances. Les résultats des années 1930 que nous évoquions plus haut ont tué la science en tant que Dieu : la science n'est pas toute puissante et elle a ses limites. « L'athéisme », qui loue souvent ce Dieu Science ne peut plus être la religion inculquée à nos enfants. Il faut revenir probablement à plus d'agnosticisme, dans un cadre laïque. Mais attention, si l'informatique nous fait nous éloigner de cette science du 19e siècle, il nous fait nous rapprocher de la science Cartésienne : celle de Descartes, celle du doute, celle qui avait déjà bien compris, en allant chercher le « credo » que les fondements des mathématiques (et a fortiori des autres sciences) ne seraient jamais une terre ferme ; ce même Descartes proposait d'ailleurs déjà les mathématiques comme base de l'arbre des sciences. Leur rôle n'est donc pas de soutenir une seul branche.

   Cela dit, peut être que l'informatique a vocation à prendre la place des mathématiques à la base de l'arbre. Peut-être que les nouveaux paradigmes qu'offre l'informatique, comme le rapport aux heuristiques, en feront un candidat au rôle de socle. Si c'est le cas, les conséquences au niveau du système éducatif n'en seront que plus grandes. D'un point de vue pédagogique et didactique il y a un travail important à faire, en particulier au niveau épistémologique. S'il n'est pas question de faire de grand cours théoriques aux élèves à longueur d'année, l'acte de transmettre ne saurait être une seule mécanique dénuée d'un fond conceptuel.

   On parle de science tout le temps, mais qu'est-ce ? Le Larousse dit : « Ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales. » C'est vague. Nous y reviendrons plus tard, car la notion de science est une notion complexe.

   Cependant, les notions de « théorie scientifique » et de « démarche scientifique » sont plus claires et d'un important intérêt pédagogique.

   La « démarche scientifique » est une façon de penser, qui, tout en adoptant une certaine rationalité, sait s'en départir, mêlant doute, expérimentation et conceptualisation. Une « théorie scientifique » est un « état de l'art », c'est-à-dire un ensemble de connaissances, de savoir-faire, de concepts et de méthodologies.

   Ainsi, il y a des « théories médicales » et « des pratiques médicales », « des théories psychanalytiques » et « des psychanalyses », comme il y a des « théories physiques » et « de la physique ». Il n'est d'ailleurs probablement plus opportun de distinguer « sciences exactes » et « sciences humaines », terminologie issue, elle aussi, de la vision du 19e siècle.

5. Informatique et philosophie

   Je viens de critiquer la position dominante dans les sciences, aujourd'hui, mais des critiques analogues peuvent être faites à d'autres disciplines. Lors d'une conférence, Patrick Dehornoy disait que la philosophie était restée, au mieux, en 1950 au niveau des conséquences à tirer de la théorie des ensembles. Je n'ai pas une culture précise en philosophie, mais je ne me souviens pas avoir lu de philosophie qui raisonnait avec des objets mathématiques ou informatiques de la deuxième moitié du 20ème siècle. Quant aux objets de la première moitié du 20ème siècle, ils y sont à peine plus présents.

   Une véritable fracture s'est instaurée entre une science nouvelle et des disciplines qui culturellement se nourrissaient de la science. Il est loin le temps où « Nul n'entrait s'il n'était géomètre ». En ce qui concerne la philosophie, cette fracture remonte d'ailleurs peut-être aux Lumières, où officiaient encore des philosophes ayant des bases solides en sciences.

6. Informatique, information et probabilités

   Revenons à ce qu'est une science, et à cette opposition entre sciences exactes et sciences humaines.

   Aristote affirmait qu'il n'y a de science que du général. Oui et Non, cela ne veut pas dire grand chose. Si on n'émet pas d'hypothèses, on ne pourra conclure que des banalités. A l'inverse, si l'on émet beaucoup d'hypothèses, le champs d'application de nos conclusions sera restreint. Dans les deux cas, les résultats sont inexploitables. Ce que Aristote, à mon avis, pressentait, mais qu'il n'arrivait à exprimer c'est que ce qui est constitutif de la science, c'est la capacité à prévoir : prévoir pour agir. Le véritable objet de la transmission est là : ce que l'on doit transmettre c'est cette capacité à prévoir. Comment agir, si nous ne pouvons prévoir les conséquences de nos actions ?

   Là encore, je vais mettre en avant que l'informatique peut redonner du sens à cette transmission. L'informatique est la science du traitement de l'information. L'informatique s'est développé conjointement avec une autre grande percée scientifique du 20e siècle : les probabilités. Si l'informatique s'attache au traitement de l'information, les probabilités, elles, s'attachent à quantifier cette information.

   Ces deux sciences, en mettant en avant le concept d'information, révolutionnent notre façon de penser les choses.

   Ce qui était inaccessible à Aristote, parce que les concepts de son époque ne lui permettaient d'envisager que des raisonnements « déterministes », doit être accessible au plus grand nombre aujourd'hui.

   C'est cette incapacité à penser en terme probabiliste, qui a poussé à faire un découpage « sciences exactes » et « sciences humaines ».

   Ce découpage est d'ailleurs idéologique. Aucune science n'est exacte.

   Je disais une fois à mon directeur de thèse, Miklos Santha, que, pour moi, les algorithmes probabilistes n'existaient pas et n'étaient qu'une vue de l'esprit. Il me répondit que c'étaient les algorithmes déterministes qui étaient une vue de l'esprit. La probabilité qu'une météorite s'écrase sur un ordinateur pendant son calcul n'est pas nulle. J'admets que mon point de vue était bien naïf.

   Cette notion d'information est un concept majeur qui doit, lui aussi, trouver sa place dans notre discours éducatif. Il m'arrive régulièrement de l'utiliser pour faire prendre conscience aux élèves de certains concepts.

   Par exemple démontrer que A implique B, c'est transformer l'information donnée par A, en la dégradant pour obtenir B. Comme B est impliqué par A, il y a, a priori, moins d'information dans B que dans A. Il y a un choix à faire quant aux informations que l'on va utiliser. L'implication réciproque, si elle est vraie, correspond à une transformation de l'information sans perte.

7. Informatique, pensée et intelligence

   La période des Lumières voit s'affirmer la notion de raison, l'émancipation de la science après une période dominée par l'autorité de l'église catholique et de la monarchie de droit divin.

   Le développement de la rationalité, en soit, fut une bonne chose. Le problème est qu'elle a abouti à nier toute autre forme de pensée : les émotions, l'intuition ou la créativité ont été exclues du champs de la pensée, et avec elles un grand nombre de mécanismes de contrôle des pulsions.

   Le calcul, qui est la forme extrême du raisonnement rationnel, est ce que savent faire les ordinateurs, et dans quoi ils sont imbattables ! Pour des éducateurs et des enseignants, la distinction entre raisonnement et pensée est donc fondamentale, parce que, si le raisonnement est quelque chose d'important à maîtriser, la valeur ajoutée des élèves que nous formons sera toujours dans la part de leur pensée qui n'est pas rationnelle. L'ordinateur a une énorme puissance de calcul, mais, comme le dit Gérard Berry, « l'ordinateur est complètement con », alors que l'homme a une puissance de calcul faible, mais est intelligent.

   Attention, je ne dis pas qu'il ne faut pas former les élèves au raisonnement rationnel. C'est, en temps, le travail essentiel de l'école. Mais il faut avoir conscience, que ce travail de formation n'est là que pour aboutir à l'essentiel. Pour des élèves, il faut qu'il soit clair que cette formation à la rationalité est un socle, mais surtout pas une fin en soi. En ce qui concerne la pensée et l'intelligence, il y a plus de questions que de réponses, et il est essentiel d'en être conscient quand on enseigne.

   Turing, encore lui, à la fin de sa vie, avait imaginé ce que l'on appelle le « test de Turing ». Le test qu'il avait conçu devait permettre d'évaluer l'intelligence d'une machine. Le principe était le suivant : une personne communiquait, en échangeant des messages écrits, avec deux opérateurs ; l'un est une autre personne humaine et l'autre est un ordinateur. Le but est de deviner lequel est un ordinateur et lequel est l'humain. Turing imaginait ainsi qu'un ordinateur qui pourrait passer le test aurait prouvé qu'il est doué d'intelligence. Il a élaboré ce test au milieu du 20e siècle, et pensait que 50 ans plus tard, les ordinateurs passeraient ce test sans problème.

   Tout d'abord, on voit que Turing s'est, malgré son génie, trompé sur ce point. Nous pouvons même dire que nous sommes encore loin du compte. Par ailleurs, comme l'on fait un certain nombre de personnes, on peut critiquer ce test en ce qu'il pourrait être révélateur de l'intelligence. Certains l'ont critiqué, en disant que le fait de passer ce test n'était pas une condition nécessaire d'intelligence, d'autres l'ont critiqué en disant que ce n'était pas une condition suffisante.

   Et ils ont probablement raison.

   En matière d'éducation, d'instruction et de formation, il est indispensable aujourd'hui d'avoir une vision « multilatérale ». En effet, il apparaît nécessaire, à travers des visions très différentes de l'élève, d'essayer de développer chez lui ce qui lui permettra d'être un citoyen bien inséré, mais critique, et une personne qui pourra s'épanouir professionnellement.

7.1. Informatique et représentation de l'homme

   En fait, au delà même d'une vision limitative de la pensée, l'école souffre d'une vision anthropologique de l'homme non adéquate.

   Avec la victoire finale du rationalisme sur le catholicisme, en France, la seule vision qu'il reste de l'homme est celle d'une machine sophistiquée, aboutissement de la théorie de l'évolution. Yeshayahou Leibowitz, chimiste et philosophe, dans « Corps et Esprit », explique très bien que toutes les visions scientifiques de l'homme ne peuvent permettre de comprendre ce que sont le conscient ou l'inconscient, ou le fait de penser. Aucun sportif, lorsqu'il veut faire un mouvement, ne le fait en s'appuyant sur la compréhension des phénomènes biochimiques en oeuvre, mais à partir de ce qu'il ressent. Leibowitz termine son livre, d'ailleurs en faisant la critique, destinée à ceux qui voient l'homme comme un ordinateur, qu'il est étrange de vouloir se définir en référence à sa propre création. Les élèves que l'on a aujourd'hui, et que l'on aura demain sur les bancs de l'école, entourés d'ordinateurs, de tablettes, de smartphones, et certainement demain de robots humanoïdes, ont besoin d'avoir une vision d'eux-mêmes qui rende justice à leur valeur propre.

   Si nous continuons à vouloir leur offrir cette vision d'eux-mêmes comme étant des machines, ils ne pourront avoir qu'une vision dégradée d'eux-mêmes, puisqu'ils se rendront bien compte qu'en tant que machine, ils ne sont pas très bons.

   Mon opinion personnelle est qu'il ne faut pas abandonner cette vision « scientifique de l'homme ». Mais tant que l'école ne proposera pas une vision anthropologique de l'homme, les élèves iront la chercher dans des religions plus ou moins fondamentalistes. Les enseignants qui ne se voient qu'à travers cette vision « rationaliste » de l'homme ne s'étonneront pas d'être remplacés par des MOOCS ou autre machine à enseigner. C'est en grande partie hors de la rationalité, et des processus algorithmiques, que se trouve la clé de la compréhension des mécanismes de transmission.

8. Informatique et démocratie

   Comment peut-on discuter « démocratiquement » des enjeux de demain, qui comprennent un grand nombre de questions liées à la technologie, alors que l'immense majorité de la population est « numériquement analphabète ».

   Comment les citoyens, et leurs représentants politiques, pourraient-ils appréhender les problématiques liées à la loi sur le renseignement, votée il y a quelques temps ? Le minimum nécessaire à la compréhension du sujet n'est aujourd'hui accessible qu'à des informaticiens.

   Il en est de même du vote électronique. Nous sommes dans une situation, où, la majorité des spécialistes académiques du vote électronique sont contre son utilisation, et où, même ceux qui envisagent son utilisation, l'envisagent avec des protocoles assez sophistiqués pour éviter autant que faire se peut les dérives dictatoriales. Malgré cela, le vote électronique est utilisé dans les élections professionnelles de la fonction publique, et même pour l'élection d'une petite partie de la représentation nationale : l'élection des députés des français de l'étranger.

   Il faut garder à l'esprit que les démocraties historiques, que ce soit au Royaume-Uni, en France ou aux États-Unis, sont nées après une augmentation de la proportion de personnes alphabétisées, qui a conduit à des taux d'alphabétisation très élevés. On peut rappeler aussi que le Moyen Age, qui a abouti à une monarchie absolue, s'est mis en place à un moment où « l'élite politique », en l'occurrence le roi, était inculte et entouré de personnes qui, elles, étaient instruites. Si nous ne prenons pas garde, nous pourrions renouveler l'expérience avec « l'instruction de l'informatique ».

   Les objectifs de productivité économique et les enjeux démocratiques ont au moins pour futur commun cette « alphabétisation numérique ».

9. Informatique et organisation sociale

   La structure « Éducation nationale » est organisée d'une façon qui ne répond plus à l'environnement offert par le progrès technique.

   La France, fille aînée de l'Église, de très forte tradition catholique, a fini de se débarrasser, dans la seconde moitié du 20ème siècle du poids de cette institution, et de l'influence que pouvait avoir le Vatican. Cependant, elle a conservé toute la culture et les valeurs catholiques, en particulier un certain nombre de valeurs qui me semblent aujourd'hui rétrogrades.

   On peut citer, par exemple, son système hiérarchique pyramidal extrêmement rigide. Cette structure hiérarchique forte pouvait être un atout au moment de la seconde révolution industrielle, mais dans la révolution numérique, il y a fort à parier qu'elle constituera un handicap. Une partie de l'armée, au sortir de la seconde guerre mondiale, avec la mise en place d'« unités commandos », a été probablement dans les premières institutions à sortir de cette structure hiérarchique pyramidale du pouvoir. Une partie du secteur privé, en particulier dans le domaine des services, lui a emboîté le pas.

   Cependant, la fonction publique, et plus particulièrement l'Éducation nationale, a conservé cette structure hiérarchique archaïque, en s'installant dans son rôle de nouvelle « Église ».

   La seule chose qui a changé depuis 40 ans, c'est que le bas de la pyramide hiérarchique n'est plus constitué des élèves, mais des enseignants. La société civile ayant refusé que ses enfants évoluent dans un système aussi hiérarchisé, le système aurait pu choisir de se restructurer. Au lieu de cela, il a décidé de faire sortir le dernier étage de la pyramide. La culpabilisation et la coercition qui s'appliquaient sur les élèves il y a 40 ans s'appliquent aujourd'hui sur les enseignants : l'Éducation nationale veut imposer aux enseignants ce qu'elle interdit aux enseignants d'imposer à leurs élèves aujourd'hui.

   Pour que le système scolaire puisse à nouveau être en adéquation avec le monde des élèves et des parents, il faudrait que l'Éducation nationale accepte d'avoir une organisation plus conforme au monde de 2015.

   L'armée, historiquement réputée pour sa structure pyramidale rigide a fait cette révolution. Pourquoi l'Éducation nationale en serait-elle incapable ? De la même façon que, dans la Marine, le commandant à un instant t n'est pas nécessairement le plus gradé, mais celui qui est le plus à même de gérer la situation, l'Éducation nationale doit réinventer son rapport à l'organisation et à la hiérarchie. C'est d'autant plus important dans une institution comme l'Éducation nationale ou l'Enseignement Supérieur, où les acteurs de terrains, que sont les enseignants, peuvent avoir un niveau de formation académique très supérieur à celui de leur hiérarchie, et des compétences très pointues dans certains domaines.

   Nous sommes, aujourd'hui, avec la révolution du numérique, dans un cadre qui ressemble probablement plus à celui de la 1ère révolution industrielle, qu'à la seconde, avec un besoin de petites structures ayant une plasticité forte, plutôt que de grosses structures qui se manoeuvrent comme des paquebots.

   L'école doit montrer l'exemple.

   Nous pouvons faire une seconde critique importante. Je ferai alors une comparaison avec le modèle américain. Il y a une culture de l'acceptation de l'échec, de la valorisation de soi, et une capacité à « se vendre » qui est beaucoup plus importante. Cette différence est certainement en grande partie liée au fait qu'en France nous baignons dans une culture catholique, alors que la culture Américaine est plutôt protestante. Probablement que la conquête d'un monde sauvage et le rêve américain ont contribué à cette culture. Toujours est-il que c'est quelque chose que l'école, en France ne sait pas faire, et dans une société de l'innovation c'est quelque chose qui peut être extrêmement handicapant. On peut faire de nombreuses critiques sur le système scolaire et universitaire américain, mais sur ce point, il faut que nous prenions exemple.

10. Informatique et innovation pédagogique

   Le problème lorsque l'on découvre un nouveau concept, ou que l'on découvre un nouveau « joujou », c'est qu'on veut l'utiliser partout et tout le temps. L'informatique ne fait pas exception à la règle.

   J'enseigne les mathématiques, l'informatique dans l'Éducation nationale, et j'enseigne l'aïkido dans le milieu associatif. Mon rapport à la pédagogie et à « l'innovation pédagogique » n'est pas du tout le même dans ces trois disciplines.

   En Aïkido, lorsque l'on propose de nouvelles choses, il y a une forte résistance de ceux qui ont l'impression que l'innovation va détruire le patrimoine qui nous a été transmis. A mon sens, on ne peut conserver du patrimoine d'une génération à l'autre qu'à travers un processus actif de relecture de ce patrimoine.

   En mathématiques, la didactique est tellement avancée, que les problèmes d'innovation dans l'enseignement se résument à de la « pédagogie pure ».

   En informatique, on a affaire à une science qui manque encore de structure et pour laquelle la didactique a encore peu étoffé son contenu. La tendance est alors forte de faire de la pédagogie par projet, par exemple, plutôt que de faire du cours magistral. On a vite tendance à imaginer des outils que l'on pense extrêmement innovants, pour revenir raisonnablement à quelque chose de plus académique et plus efficace. Dans l'enseignement de l'informatique, la priorité est de savoir comment organiser toutes les informations nouvelles apportées par cette discipline en un savoir structuré que l'on peut transmettre. Dans d'autre disciplines plus traditionnelle, une touche de pédagogie par projet de temps en temps apportera certainement une bouffée d'oxygène.

   Avec les nouvelles possibilités offertes par la technologie, la pédagogie a souvent tendance à vouloir révolutionner sa façon de faire au lieu de la faire évoluer simplement de ce que la technologie apporte de positif.

   Est-ce que la pédagogie inversée, à l'époque où les élèves n'avaient que des livres, nous aurait semblé pertinente ? Est-ce qu'elle nous aurait semblé pertinente à l'heure du magnétoscope ? Alors pourquoi la trouver pertinente aujourd'hui pour l'enseignement de masse ?

   La « pédagogie inversée » a toujours existé. C'est beaucoup comme cela que l'on travaille dans le monde de la recherche ou sur des modules de formation continue. Elle peut même être utilisée de manière ponctuelle à l'école. C'est d'ailleurs de la pédagogie inversée, lorsqu'en Français, on demande aux élèves de lire un livre et qu'on le décortique après. Mais, ce n'est ni une innovation pédagogique, ni la solution miracle à la crise du système éducatif.

11. Une école qui ne veut ni tradition ni modernité

   Notre école est coincée entre passé et futur, dans un monde imaginaire dont les croyances et les dogmes ne sont plus en adéquation avec son époque. Notre école refuse de transmettre une tradition parce qu'elle n'assume pas son passé, et sa raison d'être. Elle refuse la modernité, parce qu'elle court à travers une image d'elle-même, qui aurait été son âge d'or et qui n'a jamais existé, au lieu de se poser la question des enjeux de demain.

   Deux points, au carrefour entre la tradition et la modernité, peuvent être mis en avant. À l'école, l'élève est là pour « apprendre à apprendre ». C'est l'alpha et l'oméga de toute formation initiale. Cela est d'autant plus vrai à une époque où les économistes nous disent que nous aurons probablement au moins 5 ou 6 métiers dans notre vie.

   Entendons-nous bien, apprendre à apprendre signifie, entre autre, maîtriser les concepts, mais également les techniques fondamentales. Maîtriser la technique est un pilier fondamental pour se libérer d'elle : la manipuler sans effort permet d'agir à un niveau supérieur.

   Seule cette aisance à apprendre ou à réfléchir dans de nouveaux domaines peut donner aux individus cette autonomie dont les programmes scolaires nous parlent tant aujourd'hui. Savoir lire, écrire, raisonner sur des objets complexes sont de ces fondamentaux. La maîtrise de l'histoire également, parce que ce qui a été sera. Connaître le passé, c'est en grande partie connaître le futur, et peut-être un peu le maîtriser.

   Et, pour ma part, j'espère vous avoir convaincu que l'apprentissage des fondamentaux de l'informatique doit s'ajouter aux savoirs fondamentaux.

   Je ne voudrais pas que l'on me fasse dire ce que je n'ai pas dit : l'informatique ne doit pas remplacer les « anciens enseignements de base », il doit prendre sa place à leurs côtés. La maîtrise de la masse d'information à laquelle nous avons accès sur internet demande une culture et une capacité de synthèse qui fait défaut à la jeune génération. Il est toujours étonnant de voir à quel point les élèves ont du mal à trouver l'information sur internet, et à quel point leur utilisation des moteurs de recherche n'est pas du tout optimale (ce ne sont pas les seuls).

   Le deuxième objectif que doit se fixer notre système éducatif c'est l'enseignement du « doute ». Nous sommes dans un environnement où les savoirs, les techniques et la technologie évoluent à une allure déroutante. Rappelons que la puissance de calcul des ordinateurs double tous les 18 mois à deux ans. Rappelons également que dans de très nombreux domaines, les progrès techniques, liés à l'amélioration des algorithmes, est encore plus importante que cette amélioration de la vitesse de calcul des ordinateurs. Afin de perdurer dans un tel environnement, il faut des connaissances de base solides, et suffisamment génériques pour ne pas être obsolètes rapidement. Par ailleurs, c'est cet environnement solide qui nous permettra de douter, et de savoir de quoi douter en priorité. Le doute, c'est quelque chose de compliqué, qui n'est pas un refus pur et simple. C'est un processus intellectuel extrêmement sophistiqué, véritable valeur ajoutée de l'homme par rapport à l'ordinateur. Il nécessite, pour s'exprimer, une certaine plasticité intellectuelle.

   Il renvoie au fait qu'il n'y a de stabilité que dans le mouvement. Que pour accepter le mouvement, il ne faut pas craindre le changement.

   Pour conclure, je voudrais dire que les élèves n'ont pas changé. Je ne crois pas qu'il y ait eu une mutation dans l'espèce humaine (peut-être pourrait-on demander aux spécialistes de neurosciences de nous confirmer ce point).

   Par contre, leur environnement a profondément évolué. L'école doit faire de même. Mais évoluer, ça ne veut pas dire « faire table rase », ça ne veut pas dire mettre en place une solution miracle à chaque changement de ministre. Cela veut dire accepter le travail besogneux d'adaptation au monde.

8 octobre 2015

Luc Sanselme
Professeur en CPGE au lycée Poincaré à Nancy
(mathématiques et informatique),
docteur en informatique

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

haut de page
Association EPI
Novembre 2015

Accueil Articles