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Au congrès de la PEEP,
une table ronde sur l'enseignement de l'informatique

Jean-Pierre Archambault, Gilles Dowek, Colin de la Higuera
 

   Événement important, les 14, 15 et 16 mai 2015, la PEEP (Fédération des Parents d'Élèves de l'Enseignement Public), forte de 200 000 adhérents, a tenu son 93e Congrès national à Lille, dont l'ouverture officielle s'est faite en présence de Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Le thème de ce congrès était « l'École au coeur du numérique ».

   La PEEP coopère avec la SIF et l'EPI, notamment en participant au groupe ITIC-EPI-SIF dont sont membres Valérie Marty, présidente nationale de la PEEP, François Lasne et Bruno Bes, vice-présidents [1]. Le premier jour du congrès a eu lieu une table ronde consacrée à l'enseignement de l'informatique à l'école primaire, au collège et au lycée. Animée par Luc Hossepied, journaliste, la table ronde regroupait Jean-Pierre Archambault, président de l'EPI, Gilles Dowek, président du Conseil scientifique de la SIF, Colin de la Higuera, président-fondateur de la SIF et Philippe Leclercq, DAN (Délégué académique au numérique) de l'Académie de Lille qui, dans un premier temps, a présenté la politique de son académie en matière de numérique. La table ronde a donné lieu à des échanges riches et variés avec la salle. Omniprésence sociétale de l'informatique et du numérique, enjeu fort de culture générale pour tous, cheminement chaotique de l'enseignement de l'informatique, avancées et annonces récentes furent au coeur des débats.

L'informatique et le numérique partout dans la société

   Si le terme numérique désigne les activités et réalisations reposant sur l'information numérisée, l'informatique est la science de la représentation et du traitement de l'information numérisée. L'informatique est donc le coeur du numérique. L'informatique et le numérique occupent une place de plus en plus grande dans la société, que l'on peut observer au prisme des missions fondamentales de l'École, à savoir former l'homme, le travailleur et le citoyen.

   Au quotidien, il y a les smartphones, les tablettes, le Web que l'on consulte, les réseaux sociaux, la feuille d'impôts que l'on remplit en ligne...

   Quand on pense à l'importance de la culture générale en informatique pour préparer les jeunes Français à, un jour, exercer un métier, on pense d'abord au métier d'informaticien. Mais la problématique va beaucoup plus loin, car tous les métiers sont aujourd'hui transformés par l'informatique. L'informatisation est la forme contemporaine de l'industrialisation. Les médecins, les chauffeurs de taxi, les enseignants... ont, eux aussi, besoin d'une culture générale en informatique, afin d'être capable de co-concevoir les objets qu'ils utilisent. Faute de quoi, ils se laisseront progressivement assujettir à ceux qui les conçoivent pour eux.

   La loi sur le renseignement fait la Une de l'actualité après la NSA l'année dernière. 2009 a vu le vote de la loi « Création et Internet » dite loi Hadopi. En 2006, il y avait eu la transposition par le Parlement de la directive européenne sur les Droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI). Ces deux moments législatifs DADVSI et Hadopi ont été l'occasion de débats complexes où exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. En effet, s'il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques... ce fut sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l'autre on a constaté un sérieux déficit global de culture informatique, largement partagé. Il y a aussi la neutralité du Net et les libertés numériques, le vote électronique... La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté.

Un enjeu fort de culture générale pour tous

   Il y a donc un enjeu fort de culture générale scientifique, de culture générale informatique pour tous. L'informatique étant au coeur du numérique, il faut bien la connaître pour être à l'aise au XXIe siècle dans les environnements numériques omniprésents.

   Par exemple, un enjeu important du numérique est tout ce qui touche à la sécurité, à la maîtrise de son identité numérique (Phishing, phreaking, spamming, pharming, whaling...). Une question particulièrement sensible concerne les mots de passe qu'il faut changer, tester. Il faut savoir ce qu'est un mot de passe « fort ». Il est impossible d'expliquer les mots de passe à une personne qui n'a pas étudié l'algorithmique, les machines et leur fonctionnement , les langages (et donc les protocoles), les données et en particulier, ici, les codages. Supposons par contre qu'on puisse s'appuyer sur des compétences (croissantes) en informatique . On peut alors apprendre à :

  • chiffrer, déchiffrer
  • écrire un programme qui chiffre et qui déchiffre un chiffre simple (le code de César)
  • écrire un programme encore plus simple qui déchiffre le code de César dont on n'a pas la clé
  • écrire un programme qui déchiffre un chiffre encore plus compliqué
  • mesurer comment et pourquoi certains chiffres sont meilleurs que d'autres
  • retrouver l'importance du chiffrement en histoire
  • utiliser les mêmes idées de programmes sur les chiffres pour étudier du français, des mathématiques...

   Il faut donc initier tous les élèves aux notions de base de l'informatique : algorithmique, langage et programmation, théorie de l'information, machines et réseaux, leurs architectures et protocoles. À l'instar de ce qui se fait depuis longtemps avec les notions de nombre et d'opération, force et vitesse, atome et molécule, chronologie et événement, microbe et virus, genre et nombre... dans des disciplines scolaires et avec des professeurs spécialisés titulaires d'un Capes et/ou d'une agrégation, il faut donc une discipline informatique en tant que telle et un Capes et une agrégation d'informatique, à créer sans tarder.

   Mettre en oeuvre cet enseignement d'informatique suppose de bien le distinguer des autres statuts éducatifs de l'informatique :

  • outil pédagogique transversal ou spécifique à une discipline, dont on ne dira jamais assez la complémentarité avec l'informatique que l'on enseigne en tant que telle, les deux se renforçant mutuellement ;

  • facteur d'évolution des disciplines enseignées, de leur « essence » (objets, méthodes et outils) ; c'est plus ou moins le cas pour toutes les disciplines (par exemple expérimentation assistée par ordinateur et simulation en sciences expérimentales) et particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels où le traitement de texte s'est depuis longtemps déjà substitué à la machine à écrire, la base de données au fichier-carton, le logiciel de DAO à la planche à dessin, la machine à commandes numériques à l'étau-limeur, etc. ;

  • outil de travail personnel et collectif des élèves, des enseignants et de la communauté éducative dans son ensemble.

Un bref survol

   On peut parler de cheminement chaotique de l'enseignement de l'informatique depuis une quarantaine d'années. Ce phénomène n'est pas propre à la France, il vaut pour les pays développés dans leur ensemble, les pays émergents étant, eux, plus offensifs sur la question. Dans les années 80, il y avait dans les lycées d'enseignement général (Seconde, Première et Terminale) une option d'informatique. Présente dans un lycée sur deux, ce qui ne veut pas dire qu'un lycéen sur deux la suivait, elle était en voie de généralisation quand elle fut supprimée une première fois en 1992. Puis rétablie en 1995. Et à nouveau supprimée en 1998. Ce fut alors la traversée du « désert explicatif » avec le B2i dont l'échec était prévisible. L'action pour un enseignement de l'informatique fut relancée en 2007 à la faveur d'une audience de l'EPI à l'Élysée. Parmi les acteurs, Gérard Berry, Maurice Nivat, Serge Abiteboul, Thierry Viéville, Jacques Baudé, les trois signataires de cet article, l'EPI, l'ASTI, SPECIF, l'INRIA, la SIF. En 2012 est obtenue la création en Terminale S de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » (ISN). En 2013, celle d'un enseignement d'informatique pour tous les élèves des CPGE scientifiques. Le rapport de l'Académie des Sciences « L'enseignement de l'informatique en France – Il est urgent de ne plus attendre » est publié en mai 2013 [2]. Depuis environ deux ans, le code à l'école, l'enseignement de la programmation sont devenus des questions grand public et les articles se multiplient dans les médias. Manifestement les choses se sont « débloquées » [3].

Les récentes annonces

   Le 7 mai dernier le Président de la République a fait des annonces importantes : à partir de la rentrée 2016, dès le primaire (au CE1), les élèves seront initiés au codage (informatique) et à la culture digitale, cet apprentissage se poursuivant jusqu'au lycée. Au collège cet enseignement sera confié aux professeurs de mathématiques et de technologie. La spécialité « Informatique et sciences du numérique », qui était réservée à certains élèves de terminale S, sera généralisée à toutes les filières et étendue à la classe de Première sous la forme d'une option. Des avancées en perspective.

   Le Conseil supérieur des programmes (CSP) a rendu publics ses projets de nouveaux programmes, du CP à la troisième. La notion de « numérique » est très présente. La programmation informatique est introduite de façon significative du CE2, avec l'acquisition de notions simples sur les algorithmes, au collège avec l'algorithmique et la programmation, les éléments constitutifs de tout langage de programmation et la mise en oeuvre pour le développement d'applications. Najat Vallaud-Belkacem a précisé que les projets du CSP, qui à ce stade n'engagent que lui, pourront évoluer tant sur la forme que sur le fond en fonction de la consultation en ligne qui a débuté, pour l'école élémentaire et le collège, le 11 mai.

   Reste en suspens la question essentielle de la formation pour laquelle il faut distinguer :

  • l'ensemble des enseignants pour qui c'est une formation à l'exercice de leur métier ; avec deux niveaux, les enseignants et les formateurs ;

  • les enseignants d'une discipline donnée (peu ou prou, toutes les disciplines, d'une manière spécifique) ;

  • les professeurs de la discipline scientifique et technique informatique.

   Mais toujours pas de professeurs d'informatique en vue, de Capes et d'agrégation d'informatique. Comment donner une culture informatique à tous les élèves sans professeurs spécialisés ? Il faut fixer le cap, à savoir l'informatique enseignée au collège et au lycée comme discipline en tant que telle par des professeurs spécialisés titulaires d'un Capes ou d'une agrégation d'informatique. D'autres mesures ont leur place, pour une part transitoires : des Capes et agrégations bivalents, externes et internes, des listes d'aptitude, des habilitations du type de celles prévues pour les enseignants d'ISN et un renforcement de la formation continue. Et des certifications pour les professeurs des écoles dans les ESPE. Cette question de la formation des enseignants, trop longtemps différée, est primordiale

Jean-Pierre Archambault,
Gilles Dowek,
Colin de la Higuera

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] Le 15 mai, dans une interview à l'AEF (dépêche n°500465), Valérie Marty déclare que « la PEEP milite pour l'enseignement du code informatique du primaire au lycée, avec des enseignants spécialisés » et que, par rapport au grand débat pour savoir qui des enseignants de mathématiques ou de technologie doit en assurer l'enseignement, « la PEEP est plutôt favorable à la création d'un nouveau champ disciplinaire ».

[2] L'enseignement de l'informatique en France - Il est urgent de ne plus attendre.
Rapport de l'Académie des sciences - Mai 2013.
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf

[3] En décembre 2013, le président Obama appelle tous ses compatriotes à étudier la programmation. Pour que les États-Unis restent en tête. Pour le moins à méditer.

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Association EPI
Juin 2015

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