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Le libre à la française

Ces licences injustement méconnues

Dominus Carnufex
 

   Si vous vous intéressez au libre, la question des licences du même nom vous a nécessairement touché. Vous avez peut-être même déjà lu le tutoriel d'Arius et Flori@n.B [1] sur les licences Creative Commons ! Si c'est le cas, vous m'excuserez pour les redites inévitables, nos sujets étant relativement proches.

   Parmi les licences libres, certaines font office de cadors : tout le monde en a entendu parler, même sans savoir exactement ce qu'il y a dedans, et elles sont très majoritairement utilisées de par le globe. Dans le domaine du logiciel, on pense naturellement à la GPL et à sa petite soeur la LGPL, ou à la licence MIT largement plus permissive. Côté arts et lettres, ce sont les licences Creative Commons qui tiennent le haut du pavé : la licence CC 0, pour les amoureux du domaine public, la CC BY-SA utilisée par Wikipédia, ou encore la CC BY-SA-NC dont la clause Non Commercial est un sujet de querelles aussi productif que le concours de la meilleure distribution GNU/Linux.

   Ces licences ont un point commun, au-delà de leur « liberté » : elles sont américaines. Fondées sur des conceptions juridiques américaines, écrites en concordance avec le droit américain. Et pour cette raison, leur utilisation en Europe de manière générale, et en France en particulier, présente un certain nombre de difficultés. C'est là l'objet de cet article. Vous y découvrirez ou redécouvrirez quelques notions de droit qui vous permettront de comprendre ce que les licences libres américaines ont de problématique pour des Français. Puis je vous présenterai quelques solutions, prenant la forme de licences libres françaises.

Que nos lecteurs belges [2], suisses, monégasques, québécois ou encore luxembourgeois me pardonnent, mais cet article se concentre sur le cas de la France : le droit de vos pays est globalement similaire, mais je ne le maîtrise pas assez. En outre, il n'y a pas à ma connaissance de licences libres belges ou suisses ou autres, seulement des françaises.

Un peu de droit, pour ne pas comprendre de travers

Une licence, qu'es acò ?

   C'est un contrat. Pour être tout à fait exact, c'est un contrat par lequel quelqu'un se déclare prêt à faire certaines choses à certaines conditions, et laisse quelqu'un d'autre libre d'accepter ou de refuser les conditions en l'état : contrairement à la plupart des contrats, une licence n'est pas négociée.

   Pour que vous compreniez mieux, prenons l'exemple d'une licence d'utilisation d'un logiciel : la personne qui diffuse le logiciel y joint un contrat, que vous devez accepter pour avoir le droit d'utiliser le logiciel. Il n'y a pas de négociation entre vous et le fabricant, c'est lui et lui seul qui fixe les termes du contrat. Vous avez seulement le choix entre « J'accepte les termes du contrat et j'utilise le logiciel » ou « Je n'accepte pas les termes du contrat et je me trouve un autre logiciel ».

   Ordinairement, celui qui émet la licence est appelé le concédant et celui qui accepte la licence est appelé le licencié.

   Ce point est très important, parce que les contrats sont extrêmement encadrés, quel que soit le pays. Il y a des règles à respecter, et ce n'est pas parce qu'elle est écrite dans un contrat signé qu'une clause illégale doit être appliquée. Par exemple, on peut parfaitement écrire dans un bail que le propriétaire est autorisé à virer son locataire en plein mois de décembre, il n'en aura quand même pas le droit parce que la loi l'interdit, et que la loi est au-dessus des accords privés. On dit que la clause est nulle et non avenue.

De la territorialité d'Internet

   Nan, mais on s'en fout de la loi française : on est sur Internet !

   Perdu. Ça ne marche pas comme ça.

   Au grand dam des pirates de tous poils, Internet n'est pas un pays souverain doté de sa propre législation, ni même une terra nullius, mais simplement un moyen de communication. Et n'allez pas croire qu'Internet ait chamboulé la justice et laissé tout le monde dépourvu : les communications électroniques existent et sont encadrées juridiquement depuis la première moitié du XIXe siècle, avec l'invention du télégraphe, et toute la législation applicable jusqu'alors restait valable pour Internet.

   Ce qui signifie qu'un contrat passé par le biais d'Internet est soumis aux mêmes règles qu'un contrat passé entre deux personnes se rencontrant physiquement. Eh oui. Or ces règles édictent que tout contrat passé entre deux personnes résidant habituellement en France, ou entre deux Français dont l'un réside habituellement en France, doit impérativement être conforme au droit français. En d'autres termes, si vous êtes Français en France et que vous diffusez une de vos oeuvres à d'autres Français ou étrangers résidant en France, toute licence non conforme au droit français sous laquelle vous placeriez vos oeuvres serait nulle et non avenue.

   Voyons plus précisément ce qu'implique la nullité d'une licence d'utilisation pour le licencié, c'est-à-dire vous dans la plupart des cas. Si la licence est nulle pour le concédant (par exemple, le concédant est un Français résidant en France, et vous êtes un Suisse résidant aux États-Unis où la licence est valide), c'est terriblement dangereux : à tout moment, il peut invoquer la nullité de celle-ci pour vous retirer tous les droits qu'il vous avait accordés. En particulier, toute copie que vous auriez faite de l'oeuvre deviendrait une contrefaçon, bonjour l'angoisse ! Si la licence est nulle pour le licencié (inversez les rôles), le risque est équivalent : il peut vous attaquer en contrefaçon au motif que vous ne pouviez pas accepter les termes de la licence, illégaux dans votre pays, et que par conséquent vous n'aviez pas le droit de jouir des droits qu'elle vous accordait. Dans un autre ordre d'idées, le licencié se verrait incapable d'appliquer une clause de contamination (alias copyleft) aux oeuvres dérivées, n'ayant pas le droit d'accepter ce contrat en tant que concédant, et ne pourrait donc pas diffuser ses oeuvres dérivées.

Pour résumer, si vous êtes Français, ou si vous résidez habituellement en France, et que vous voulez diffuser une de vos oeuvres sous une licence libre, oeuvre susceptible d'être diffusée à d'autres Français ou à d'autres résidents de France, la licence que vous choisirez doit obligatoirement être valide en droit français, sous peine de nullité.

   Ce qui n'est pas le cas de la GPL, nous y reviendrons.

Copyright et droit d'auteur, quelle différence ?

   On croit souvent à tort que les deux termes sont équivalents : c'est une méprise. Les deux notions correspondent à une protection de la propriété intellectuelle, mais elles sont assez différentes. En gros, le copyright se pratique dans les pays dits de common law (plus ou moins le Commonwealth), et le droit d'auteur dans les pays dit de droit romano-civiliste (plus ou moins le reste du monde) : tous deux tendent de plus en plus à se rapprocher mais leurs origines différentes sont encore sensibles.

Les systèmes juridiques du monde


Orange = romano-civiliste, violet clair = common law, violet foncé = bijuridisme,
vert = droit islamique, jaune = droit coutumier.

   Pour simplifier considérablement, le droit d'auteur vise à protéger les droits d'un créateur, tandis que le copyright vise à protéger un diffuseur contre la concurrence déloyale. Cela se manifeste de plusieurs manières.

   Tout d'abord, seul un créateur peut être titulaire des droits d'auteur sur une oeuvre, tandis que c'est la personne qui prend en charge la diffusion d'une oeuvre qui a un copyright dessus. Pour cette raison, une personne morale (une entreprise, une association, une administration publique) ne peut être titulaire de droits d'auteurs que sous certaines conditions très restrictives, voire ne le peut pas du tout (comme en Allemagne). En revanche, il est tout à fait possible et même courant qu'une personne morale soit titulaire d'un copyright. Pour prendre un exemple frappant, tournons-nous vers le cinéma. En France, c'est le réalisateur du film qui est titulaire des droits d'auteur dessus, aux États-Unis, c'est le producteur, et le réalisateur est un employé de la boite de production. C'est ce qui explique que, dans ce pays, l'on puisse virer un réalisateur en cours de tournage et poursuivre malgré tout : en France, le réalisateur étant titulaire des droits d'auteur sur ce qu'il a commencé à filmer, il peut s'opposer à la réutilisation des bandes par un autre réalisateur.

   Ensuite, sous le régime du copyright, seul ce qui peut être copié est protégé, c'est-à-dire qu'une oeuvre doit être fixée sur un support pour être protégée. Sous le régime du droit d'auteur, c'est l'acte de création qui marque le début de la protection. Par exemple, un discours improvisé est protégé en France dès l'instant où son auteur le prononce, tandis qu'aux États-Unis, il ne sera protégé que s'il est enregistré ou couché par écrit. Et c'est l'éditeur qui sera titulaire du copyright, qu'il peut vendre à une autre boite, qui deviendra alors le nouveau titulaire : on ne peut pas vendre un droit d'auteur, on ne peut que le concéder.

   Enfin, se pose la question des droits moraux. Avec l'harmonisation des législations, la plupart des pays de copyright ont adopté un système de droits moraux, mais les États-Unis s'y refusent toujours, ce qui transparaît dans les licences libres originaires de ce pays. Le droit d'auteur accorde un certain nombre de droits à l'auteur que l'on qualifie de moraux : le droit de décider du moment et du moyen de la première diffusion de son oeuvre, le droit à être reconnu comme l'auteur de son oeuvre, y compris sous un faux nom ou de manière anonyme, le droit à l'intégrité de son oeuvre, et le droit de se repentir et de retirer son oeuvre de la circulation. Contrairement aux droits patrimoniaux (droit de vendre, copier, etc. son oeuvre), les droits moraux sont incessibles (impossible de les concéder à quelqu'un d'autre) et imprescriptibles (ils durent éternellement). Aux États-Unis, ces droits n'existent pas et le titulaire du copyright a tout à fait le droit de modifier une oeuvre sans l'assentiment de l'auteur : c'est de là que vient la différence possible entre le director's cut voulu par le réalisateur et le final cut décidé par le producteur ; en France, une telle différence n'est pas possible, puisqu'illégale.

   En outre, cette conception autorise la notion d'oeuvre de commande dans les pays de copyright, parce que l'auteur réel peut être dépouillé de l'ensemble de ses droits contre rémunération, tandis qu'il conservera au minimum ses droits moraux en pays de droit d'auteur.

   C'est également en raison de ces particularités que seul le droit d'auteur connaît la notion de droits voisins : des droits moraux et patrimoniaux accordés à des gens sans qui certains types d'oeuvres ne pourraient pas exister, mais qui n'ont pas pour autant de droit d'auteur dessus. Par exemple, c'est le compositeur qui est titulaire des droits d'auteur sur un morceau de musique, mais les musiciens disposent de droits voisins sur une interprétation donnée de celui-ci, et le studio d'enregistrement dispose de droits voisins sur un enregistrement donné. Aux États-Unis, dans la plupart des cas, c'est le studio d'enregistrement qui serait titulaire du copyright, les autres acteurs étant de simples employés rémunérés pour leur prestation ponctuelle.

Les licences libres du domaine logiciel

   Dans le domaine logiciel, trois licences américaines dominent l'essentiel du paysage libre : la GNU General Public License (GPL), la GNU Lesser General Public License (LGPL) et la licence MIT, alias licence X11, ou la licence BSD qui lui est extrêmement similaire.

   La GPL autorise n'importe qui à diffuser des copies d'un logiciel, éventuellement modifiées, à condition que le logiciel ou ses versions modifiées soit toujours distribué avec ses sources (clause opensource), que la mention du copyright du ou des contributeurs soit préservé (clause de paternité), et que les versions modifiées ou tout logiciel utilisant le logiciel sous GPL soient aussi diffusés sous GPL (clause copyleft ou de contamination).

   La LGPL est identique à la GPL, à la seule exception près que la clause de contamination est limitée aux modifications du logiciel original : un logiciel intégrant un autre logiciel sous    LGPL sans modification n'a pas à être sous LGPL. Les licences de type MIT abandonnent toute clause de contamination, ainsi que la clause opensource, exigeant uniquement que la paternité de l'oeuvre originale soit respectée. De fait, elles se rapprochent énormément du domaine public tel qu'il est conçu en France.

Des licences inutilisables en France

   Au début des années 2000, des juristes français se sont penchés sur la question de ces licences, en particulier de la GPL qui est la plus restrictive, et ils en sont arrivés à la conclusion que la GPL n'est pas valide en droit français, surtout pour une entreprise ou un service public. Ce qui réduisait considérablement la possibilité que de gros organismes français contribuent au monde du libre. Il y a plusieurs raisons à cette invalidité.

   La première est que ces licences sont toutes rédigées en anglais et qu'il n'en existe pas de traduction officielle en français. En particulier, la Free Software Foundation qui gère la GPL et la LGPL a explicitement refusé de faire des traductions officielles de ces licences dans des langues étrangères, arguant du fait que cela représenterait trop de travail et nécessiterait des compétences rares (un juriste bilingue connaissant les droits des deux pays). Or, la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, plus connue sous le nom de loi Toubon, interdit explicitement l'usage d'une autre langue que le français dans tous les documents visant à informer un consommateur au sujet d'un produit qui lui est proposé. Une licence d'utilisation tombe bien évidemment sous le coup de cette obligation.

   Deuxièmement, le texte de ces licences ne détaille pas les droits concédés et ne fait aucune mention d'une restriction dans le temps et dans l'espace de la concession effectuée : en effet, la législation américaine n'impose aucun formalisme de ce type. Le Code de la propriété intellectuelle français, au contraire, est très clair.

   La cession globale des oeuvres futures est nulle. Article L131-1 [3].

   La transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. Article L131-3 [4].

   Le second article vient préciser le premier, et édicte que dans une licence d'utilisation, y compris pour un logiciel, chaque droit concédé par le titulaire des droits d'auteur doit être précisé nommément, et qu'il doit être précisé dans quelle partie du monde et pour combien de temps ce ou ces droits sont concédés. On peut tout à fait déclarer que les droits sont concédés dans le monde entier, mais cela doit être écrit dans le contrat, et non rester implicite. Le premier article est très sévère : si ne serait-ce qu'une seule de ces trois obligations n'est pas respectée, la licence est nulle.

   Troisièmement, les licences américaines ont pour habitude de traiter les garanties par dessus la jambe. La licence MIT, par exemple, passe plus de temps à expliquer que l'auteur du logiciel ne pourra être tenu pour responsable ni de près ni de loin d'un quelconque dommage directement ou indirectement causé par son logiciel, ou de l'utilisation de technologie brevetée, qu'à autoriser la libre utilisation de son logiciel. Les producteurs américains de logiciels sont tellement coutumiers du fait de ne pas se mouiller, que Terry Pratchett et Neil Gaiman écrivaient en 1991 (déjà !) dans De bons présages que les Enfers devraient prendre exemple sur l'industrie informatique pour rédiger les pactes avec le diable. La législation française, en revanche, aime à protéger les simples citoyens contre les abus des entreprises. En particulier, l'article L132-1 [5] du Code de la consommation interdit les clauses passées entre un professionnel et un simple consommateur qui créeraient un trop grand déséquilibre des droits et obligations au détriment du consommateur, et l'article 1386-15 [6] du Code civil interdit les clauses qui viseraient à se dédouaner de toute responsabilité envers un vice caché. Ce troisième motif de nullité ne s'applique qu'aux entreprises et organismes publics, mais il contribue à empêcher l'utilisation de ces licences par des organismes disposant de moyens importants.

La solution : les licences CeCIll

   Afin de parer à ces défauts, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) et l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) ont mis au point début 2004 une série de trois licences qui adaptent au droit français les principes des trois licences américaines présentées plus tôt dans cet article. Ces licences ont reçu le nom de CeCIll, pour CEA-CNRS-INRIA-logiciel-libre.

   Bien que très différentes dans leur rédaction de leurs cousines d'Amérique, elles concèdent les mêmes droits et imposent les mêmes limitations. À tel point que la FSF a explicitement reconnu que les licences CeCIll étaient compatibles avec la GPL, et que celle de ces licences qui imite la GPL stipule que, pour le cas où un logiciel sous CeCIll intégrerait un logiciel sous GPL, le résultat final serait réputé diffusé sous GPL. Mais ce faisant, elles corrigent tous les défauts – du point de vue de la loi française – des originales.

   Elles sont bien évidemment rédigées en français. En outre, l'article final stipule qu'en cas de litige au sujet de la licence ou de l'utilisation du logiciel, celui-ci sera traité par les tribunaux compétents de Paris, selon le droit français. De cette manière, si vous diffusez votre logiciel sous CeCIll et que quelqu'un abuse des droits que vous lui avez concédés, vous êtes certain de pouvoir défendre vos droits en français et devant un tribunal de France, alors que le droit international privé risque fort de vous obliger à vous déplacer dans le pays de résidence de votre adversaire, et à ce que le cas soit traité selon le droit de ce pays. On pourrait rétorquer que cela limite fortement l'utilisation des CeCIll à l'international. En fait non. D'une part, il existe une traduction en anglais, officielle et d'égale valeur juridique, d'autre part, les parties en litige peuvent décider d'un commun accord de traiter l'affaire devant une autre juridiction.

   Par ailleurs, la liste des droits concédés est détaillée explicitement, et un des premiers articles stipule que la concession est faite dans le monde entier et pour la durée des droits patrimoniaux attachés à l'oeuvre, c'est-à-dire 70 ans dans la plupart des cas actuels. Enfin, toute une partie est consacrée à la responsabilité du concédant en cas de dommage dont il serait directement responsable, et pour le cas où une technologie utilisée par le logiciel serait brevetée. Évidemment, c'est un peu plus contraignant que la GPL, mais cela garantit aussi à l'utilisateur que vous pouvez être que l'auteur du logiciel ne peut pas complètement vous entuber.

Ce que je trouve beau avec cette licence, c'est qu'émanant d'une des législations les plus protectrices du globe, mais laissant une certaine marge de manoeuvre dans son utilisation, elle peut être utilisée par à peu près n'importe qui dans le monde, malgré son ancrage dans le droit français. Pour parler clairement, la CeCIll pourrait remplacer la GPL sans que cela cause de dommage.

   Permettez-moi donc de vous présenter les trois filles du génie juridique français en termes de logiciel libre.

  • La CeCIll [7], qui est l'équivalent de la GPL.

  • La CeCIll-B [8], qui est l'équivalent des licences type MIT. En cela, elle est ce que la législation française autorise de plus proche du domaine public dans le domaine logiciel. Si vous êtes fans de la CC 0, diffusez vos logiciels sous CeCIll-B !

  • La CeCIll-C [9], comme « composant » qui est l'équivalent de la LGPL.

   Je ne saurais trop vous conseiller d'en faire largement usage.

Les licences libres pour les arts et lettres

   Il ne sera pas question ici de la GNU Free Documentation License (GFDL) qui est le pendant pour la documentation de la GPL : outre qu'elle est critiquée même dans le monde du libre, elle présente strictement les mêmes « défauts » que la GPL et n'a pas été francisée.

   Le monde de la culture libre est dominé, et de très loin, par les différentes licences Creative Commons. Contrairement aux licences de la Free Software Foundation, les Creative Commons (CC) sont traitées comme une seule et même licence dont seuls certains détails varient : il est ainsi possible, dans une certaine mesure évidemment, de se constituer une licence « à la carte » en choisissant précisément quels droits on veut concéder et lesquels on veut conserver. C'est pourquoi certaines licences CC ne sont pas libres, car elles ne concèdent pas assez de droits.

   Elles proposent trois clauses qui peuvent se combiner, en excluant bien sûr les combinaisons incompatibles. La clause SA est une clause de contamination ou copyleft : toutes les oeuvres dérivées devront être publiées sous une licence équivalente. La clause ND, au contraire, interdit de modifier l'oeuvre, donc de produire et diffuser des oeuvres dérivées. La clause NC, enfin, interdit de recevoir une compensation financière ou en nature de quelque sorte que ce soit pour la diffusion de l'oeuvre ou de ses oeuvres dérivées. Il existe également une clause BY de paternité, parce qu'il est nécessaire de le préciser aux États-Unis, mais elle est présente dans toutes les variantes. La CC 0 est particulière : elle tente de se rapprocher du domaine public autant que la législation locale le permet.

   Contrairement encore aux licences de la Free Software Foundation, les licences CC sont traduites dans d'autres langues que l'anglais, de manière officielle. Plus exactement, elles sont adaptées, de manière à coller avec les législations étrangères. Il est à noter que, dans le cas de la version en français, l'adaptation s'efforce de rester le plus proche possible de l'original, et d'être compatible avec le droit de tous les pays francophones, si bien que stricto sensu elle est valide en droit français, mais cela est fait de manière assez sale. Par exemple, l'article qui stipule n'accorder aucune garantie au licencié est entièrement traduit, seule une courte mention « dans la limite du droit applicable » permet de se prémunir contre la nullité : on ne peut pas dire que ce soit très explicite.

Les limites des licences Creative Commons

   C'est donc plutôt sur le fond que les licences CC montrent quelques limites. Celles-ci sont au nombre de deux et concernent la finesse des choix possibles.

   Tout d'abord, la clause NC, qui provoque bien des débats dans le monde du libre : une licence qui interdit les utilisations commerciales de l'oeuvre est-elle libre ? Non répond la Free Software Foundation, et cela est bien compréhensible : ce sont des Américains. Et rappelons-le, le copyright a pour vocation première d'instaurer un monopole sur la commercialisation d'une oeuvre, la liberté de faire de l'argent est la plus importante de toutes dans cette conception anglo-saxonne. Oui répondent d'autres gens, généralement issus de pays de droit romano-civiliste, et même plus qu'une licence qui ne dispose pas d'une telle clause : comment une oeuvre pourrait-elle se prétendre libre si un intermédiaire économiquement puissant peut se glisser entre l'auteur et les bénéficiaires de l'oeuvre ? Sauf que ce débat n'a pas lieu d'être en ce qui concerne la clause NC des Creative Commons. En effet, cette clause interdit toute utilisation onéreuse de l'oeuvre et non pas seulement ses utilisations commerciales.

V'là le janséniste, tiens... En quoi ça fait une différence ?

   Essayons de faire simple. Le commerce, ce n'est pas n'importe quoi : chaque législation en fait une définition précise et en fixe les limites. Par exemple, en France, c'est le Code de commerce [10] qui en fixe les règles générales, et la jurisprudence qui en détermine les limites précises. Et il en résulte que tout échange d'un bien ou d'un service contre une compensation quelconque (de l'argent, un autre bien ou service, une faveur particulière) ne constitue pas nécessairement un acte commercial. Par exemple, si vous vendez votre vélo à quelqu'un sur le Net, vous ne faites pas du commerce : cela deviendrait du commerce si et seulement si, soit l'essentiel de vos revenus provenait de la vente de vieux objets à vous, soit vous achetiez régulièrement des vélos dans le seul but de les revendre. La clause NC va bien au-delà de cela : dès qu'il existe une quelconque forme de compensation à la diffusion de l'oeuvre, cette clause l'interdit.

   C'est pour cette raison que Wikipédia a choisi la licence CC BY-SA plutôt que la CC BY-SA-NC : cette dernière ne permettrait pas de vendre à prix coûtant des CD ou des clés USB bourrés à bloc d'articles de Wikipédia, pour les gens qui peuvent difficilement accéder à Internet. Mais du coup, Wikipédia n'est pas protégé contre le genre de parasitisme que peuvent pratiquer les éditeurs scientifiques : n'importe qui peut faire un florilège des meilleurs articles de Wikipédia, les présenter sous une forme agréable et revendre le tout au prix d'un rein sans rien reverser à Wikimédia ou aux auteurs [11].

   En résumé, il manque aux licences CC une vraie clause « non commercial » entre les clauses « non onéreux » et « utilisation commerciale permise ».

   Ensuite, en ce qui concerne la création d'oeuvres dérivées, Creative Commons ne propose qu'un choix binaire : on autorise tout ou on n'autorise rien. Pourtant, certains pourraient vouloir autoriser certains types d'oeuvres dérivées, et pas d'autres. Par exemple, un dramaturge peut autoriser la traduction de ses pièces en langue étrangère, mais vouloir garder la main sur les mises en scène et adaptations cinématographiques éventuelles de ses pièces. Évidemment, de telles licences n'autorisant que partiellement la modification ne seraient pas à proprement parler libres, mais il peut être intéressant de laisser ce choix malgré tout : il vaut mieux une oeuvre partiellement libre qu'une oeuvre pas libre du tout.

La solution française : les licences Bien Public

   Je passe très rapidement sur la licence Art Libre [12]. On la présente souvent comme une adaptation française de la licence CC BY-SA, car elle accorde les mêmes droits et impose les mêmes conditions. En vérité, elle a été écrite en 2000, soit un an avant la fondation de Creative Commons. Je ne m'appesantis pas dessus, parce qu'elle n'apporte rien de plus que la traduction française de la CC BY-SA, et qu'elle est d'un formalisme douteux.

   Je préfère vous parler des licences Bien Public, ou BiPu. Du point de vue de la rédaction, elles sont directement inspirées des licences CeCIll et adoptent plus ou moins les mêmes solutions légales pour garantir leur conformité au droit français : la principale différence étant qu'il n'existe pas de traduction officielle en langue étrangère, ce qui limite un peu leur usage à l'international. Du point de vue du contenu, elles imitent le style « une licence en plusieurs variantes » des Creative Commons, mais en corrigeant les deux limitations de ces dernières. En voici une rapide présentation.

   Tout d'abord, deux licences se trouvent à part :

  • La licence Bien Public [13] tout court, ou BiPu, équivaut à une CC 0 et se rapproche autant que faire se peut du domaine public.

  • La licence Bien Public 0 [14], ou BiPu 0, est au contraire une licence tout à fait propriétaire, où tous les droits sont réservés. Cependant, elle rappelle que certains droits, comme le droit de courte citation ou de parodie, ne peuvent pas être réservés, elle garantit le droit à la copie privée en interdisant notamment l'utilisation de DRM, et elle précise que le concédant a quelques obligations en termes de garantie.

   Les autres représentent toutes les combinaisons possibles entre les trois positions possibles vis-à-vis de l'argent et les trois positions possibles vis-à-vis des oeuvres dérivées. En outre, les licences qui autorisent en tout ou partie les oeuvres dérivées existent en deux variantes (avec ou sans contamination / copyleft), et celles qui autorisent seulement une partie des oeuvres dérivées peuvent prendre six formes différentes : modification autorisée (code 1), transposition autorisée (code 2), adaptation autorisée (code 3), modification et transposition autorisées (code 4), modification et adaptation autorisées (code 5), transposition et adaptation autorisées (code 6). Quant au sens exact de ces termes, ils sont expliqués dans le texte des licences, que je cite ici.

On entend par modifier le fait d'altérer le contenu de l'OEuvre sans en altérer ni le support ni le médium. On entend par transposer le fait d'altérer le support de l'OEuvre sans en altérer ni le contenu ni le médium. On entend par adapter le fait d'altérer le médium de l'OEuvre sans en altérer le contenu, et dans la mesure du possible sans en altérer le support.

On entend par médium le ou les sens du public auxquels l'OEuvre est adressée. En particulier, et de manière non exhaustive, un livre a un médium textuel, une photographie a un médium visuel, un morceau de musique a un médium auditif, un film a un médium visuel et auditif, une bande dessinée a un médium textuel et visuel, un livre lu a un médium textuel et auditif.

   Ce qui nous donne, en forme courte, le tableau suivant.

Dérivés / Argent

 

Libre

Non commercial

Non onéreux

Autorisés

Copyleft

BiPu W

BiPu L

BiPu G

Sans copylef

BiPu I

BiPu Lb

BiPu Gb

Autorisés partiellement

Copyleft

BiPu A

BiPu V

BiPu M

Sans copyleft

BiPu Ab

BiPu Vb

BiPu Mb

Interdits

BiPu N

BiPu S

BiPu E

   Il va de soi que toutes ces licences autorisent la libre diffusion de copies de l'oeuvre originale, sous la même licence, et comportent une clause forte de paternité. De manière un peu plus détaillée, une explication sur les noms, et des liens.

  • La licence Bien Public Wiki [15] ou BiPu W, parce qu'elle correspond à une CC BY-SA, et est donc compatible avec une utilisation de documents tirés de Wikipédia et de ses projets annexes.

  • La licence Bien Public Intégré [16] ou BiPu I, aurait pu s'appeler BiPu Wb, car elle est identique à la précédente, mais sans clause de contamination. Elle est conçue pour une oeuvre qui a vocation à être incluse dans une autre, éventuellement sous une forme un peu modifiée, comme un set de textures ou une bibliothèque de sons génériques.

  • La licence Bien Public Libre [17] ou BiPu L, ainsi nommée parce qu'elle permet de diffuser des oeuvres libres et vraiment non commerciales. Version sans copyleft [18].

  • La licence Bien Public Gratuit [19] ou BiPu G, parce qu'avec cette licence, on peut copier l'oeuvre et la modifier, mais pas en tirer le moindre centime : elle est équivalente à une CC BY-SA-NC. Version sans copyleft [20].

  • Les licences Bien Public Artiste ou BiPu A, par lesquelles on peut se réserver une partie des produits dérivés mais laisser toute liberté sur les autres. Les différentes variantes : BiPu A1, BiPu A1b, BiPu A2, BiPu A2b, BiPu A3, BiPu A3b, BiPu A4, BiPu A4b, BiPu A5, BiPu A5b, BiPu A6, BiPu A6b [21].

  • Les licences Bien Public Vivant ou BiPu V, assez similaires aux BiPu A, mais plus restrictives sur l'exploitation d'oeuvres dérivées : elles sont conçues pour ceux qui font des arts plastiques ou du spectacle vivant. Par exemple, un peintre peut autoriser les gens à prendre ses peintures en photo mais pas à faire commerce de ces photos. Les différentes variantes : BiPu V1, BiPu V1b, BiPu V2, BiPu V2b, BiPu V3, BiPu V3b, BiPu V4, BiPu V4b, BiPu V5, BiPu V5b, BiPu V6, BiPu V6b [22].

  • Les licences Bien Public Musée ou BiPu M sont encore plus restrictives sur ce point et sont conçues pour les musées ou institutions similaires : les photographies d'une oeuvre de la collection sont autorisées, à condition qu'elles ne soient diffusées que gratuitement. Les différentes variantes : BiPu M1, BiPu M1b, BiPu M2, BiPu M2b, BiPu M3, BiPu M3b, BiPu M4, BiPu M4b, BiPu M5, BiPu M5b, BiPu M6, BiPu M6b [23].

  • La licence Bien Public Norme [24] ou BiPu N, parce qu'il est interdit de modifier l'oeuvre, mais on peut la diffuser sans restriction. Elle est équivalente à une CC BY-ND.

  • La licence Bien Public Science [25] ou BiPu S, n'autorise pas les modifications ni l'utilisation commerciale. Malgré une obligation de signaler que l'oeuvre a été altérée, pour certaines personnes, le risque que le sens d'un texte scientifique soit altéré par une modification discrète est trop important pour autoriser quelque changement que ce soit. Par ailleurs, la clause « non commercial » protège contre une utilisation abusive par un éditeur scientifique peu scrupuleux, malheureusement trop fréquente.

  • La licence Bien Public Échantillon [26] ou BiPu E correspond à ces échantillons qu'envoient certains éditeurs quand on commande plusieurs livres chez eux, ou aux manuels gratuits que les profs reçoivent de la part des éditeurs scolaires : il est interdit de les modifier ou de les vendre, mais ils ont vocation à être diffusés. Elle est équivalente à une CC BY-ND-NC.

   En principe, avec un choix aussi large, il y a peu de créateurs qui ne trouveraient pas leur bonheur. Et c'est sur ces bonnes paroles que je vous laisse faire votre marché !

Et toi, à quoi tu joues, tu utilises quelle licence ?

   Le présent tutoriel est diffusé sous licence BiPu L. La carte a été placée dans le domaine public par son auteur Erasoft24 et se trouvait originellement sur Wikipédia. Le logo, quant à lui, est dans le domaine public.

Dominus Carnufex
https://zestedesavoir.com/membres/voir/Dominus Carnufex/

Publié lundi 05 janvier 2015 sur Un Zeste sans Fin sous licence Creative Commons BY-NC-SA
https://zestedesavoir.com/articles/152/le-libre-a-la-francaise/

NOTES

[1] https://zestedesavoir.com/tutoriels/281/ le-droit-dauteur-creative-commons-et-les-licences-sur-zeste-de-savoir/

[2] D'après Arius, en Belgique, toute licence d'utilisation qui ne va pas ouvertement à l'encontre du droit communautaire est valable, donc les licences françaises y sont en principe utilisables sans problème.

[3] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069414 &idArticle=LEGIARTI000006278955&dateTexte=20150102

[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069414 &idArticle=LEGIARTI000006278958&dateTexte=20150102

[5] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006069565 &idArticle=LEGIARTI000022441381&dateTexte=20150102

[6] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721 &idArticle=LEGIARTI000006438975&dateTexte=20150102

[7] http://www.cecill.info/licences/Licence_CeCILL_V2.1-fr.html

[8] http://www.cecill.info/licences/Licence_CeCILL-B_V1-fr.html

[9] http://www.cecill.info/licences/Licence_CeCILL-C_V1-fr.html

[10] http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do? cidTexte=LEGITEXT000005634379

[11] C'est pour cette raison que je refuse de publier mes traductions sur Wikisource.

[12] http://artlibre.org/licence/lal/

[13] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu.pdf

[14] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_0.pdf

[15] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_W.pdf

[16] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_I.pdf

[17] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_L.pdf

[18] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_Gb.pdf

[19] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_G.pdf

[20] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_Gb.pdf

[21] Sur le modèle de http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_A/BiPu_A6b.pdf en adaptant la terminaison au type de licence.

[22] Sur le modèle de http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_V/BiPu_V6b.pdf en adaptant la terminaison au type de licence.

[23] Sur le modèle de http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_M/BiPu_M6b.pdf en adaptant la terminaison au type de licence.

[24] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_N.pdf

[25] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_S.pdf

[26] http://www.teladiai.re/public/licences/BiPu_E.pdf

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