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Gérard Berry, traqueur de bugs

Serge Abiteboul, Laurent Fribourg, Jean Goubault-Larrecq
 

   C'est un chercheur en informatique qui vient de recevoir la médaille d'or du CNRS, la plus haute distinction scientifique française toutes disciplines confondues [1]. Les informaticiens sont rares à avoir été ainsi honorés : ce n'est que la seconde fois, après Jacques Stern en 2006.

   Gérard Berry est un pionnier dans un nombre considérable de domaines informatiques : le lambda-calcul, la programmation temps réel, la conception de circuits intégrés synchrones, la vérification de programmes et circuits, l'orchestration de services Web. Il a été l'un des premiers informaticiens académiciens des sciences, le premier professeur d'informatique au Collège de France.

   Parmi ses grandes inventions, essayons d'en expliquer une, le langage Esterel.

   Nous sommes entourés de systèmes d'une incroyable complexité : téléphones, moteurs de recherche, avions, centrales nucléaires. Ils fonctionnent tous avec du matériel informatique (des circuits) et du logiciel informatique (des programmes). Mais alors que le plantage d'un téléphone ou même d'un moteur de recherche est anodin, il en est tout différemment des avions, des centrales nucléaires ou encore des pacemakers. Pour ces derniers, le bug peut provoquer un désastre. Pour ne donner qu'un exemple, c'est un bug qui est à l'origine de la destruction d'Ariane 5, de l'Agence spatiale européenne, quarante secondes seulement après son décollage, le 4 juin 1996. Or un bug, c'est souvent une seule ligne de code erronée sur des millions qui composent un programme. Ça vient vite ! Et ça peut faire mal.

   Comment éviter les bugs ? On peut bien sûr tester davantage les programmes. Cela permet de trouver beaucoup d'erreurs, mais combien d'autres passeront à travers les mailles du filet ? Une autre solution, c'est d'intervenir en amont dans le processus de création de programme, par exemple en fournissant aux informaticiens de meilleurs outils de conception, de meilleurs langages de programmation. C'est l'approche que prône Gérard Berry.

   Les langages de programmation standards sont mal adaptés aux situations rencontrées dans des systèmes aussi complexes que des avions. Il faut tenir compte à la fois du matériel et du logiciel, du fait que nombreuses tâches s'exécutent en parallèle, que parfois la même tâche est exécutée plusieurs fois pour se protéger d'une panne d'un composant. Surtout, il faut utiliser des modèles qui tiennent compte du temps, des délais de réponse, des mécanismes de synchronisation. Le nouveau concept de langage synchrone a permis de répondre à cette situation. Ce concept a été découvert et promu par Gérard Berry et ses collègues au travers notamment du langage Esterel. Ce langage ainsi que d'autres langages synchrones développés en France, comme Lustre et Signal, ont eu un impact majeur dans le monde entier.

   Mais comment un langage peut-il aider à résoudre des problèmes aussi complexes ? D'abord, parce qu'il permet de décrire les algorithmes que l'on veut implémenter sous une forme compacte et proche de l'intention du programmeur. Ensuite, parce que ce langage est accompagné de toute une chaîne d'outils de compilation et de vérification automatique, qui garantit que le produit final est correct.

   Les langages synchrones ont constitué une avancée scientifique majeure. Gérard Berry est allé plus loin encore, et les a emmenés dans l'aventure industrielle en cofondant la société Esterel Technologies. Ces langages sont aujourd'hui incontournables dans des domaines comme l'aérospatial ou l'énergie.

   Sa notoriété, Gérard l'a aussi mise au service du partage de la culture scientifique pour permettre à chacune et chacun de comprendre « pourquoi et comment le monde devient numérique ». Il passe un temps considérable, souvent avec des jeunes, à expliquer les fondements et les principes de la science informatique. Un défi !

   L'enseignement de l'informatique est l'un de ses grands combats. Il a dirigé avec Gilles Dowek l'écriture d'un rapport important sur la question. Un autre défi ! Alors qu'il s'agit d'éducation, de science et de technique, l'État se focalise souvent sur le haut débit et l'achat de matériel. Un pas en avant et au moins un en arrière. Mais il en faut bien plus pour entamer l'enthousiasme de Gérard Berry.

   Gérard Berry est un inventeur. Au-delà d'Esterel, c'est un découvreur des modèles stables du lambda-calcul, un inventeur de machine abstraite chimique, un concepteur de langages d'orchestration d'objets communicants, comme HipHop. Gérard Berry s'investit avec enthousiasme dans ses nombreuses fonctions des plus académiques, comme professeur au Collège de France, aux plus mystérieuses, comme régent de déformatique du Collège de Pataphysique.

   Et quand vous passerez devant une centrale nucléaire, admirez le fait que même s'il utilise des logiciels et matériels bien plus compliqués que votre téléphone, son système informatique ne « plante » pas, contrairement à celui de votre téléphone. Quand vous volerez, peut-être au-dessus de l'Atlantique, réjouissez-vous que le fonctionnement de votre avion soit plus fiable que celui de votre tablette. Et puis, de loin en loin, pensez que tout cela est possible parce que des chercheurs en informatique comme Gérard Berry ont mis toute leur créativité, toute leur intelligence pour développer cette science et cette technique qui garantissent la fiabilité des systèmes informatiques.

Serge Abiteboul (Inria)
Laurent Fribourg (CNRS)
Jean Goubault-Larrecq (ENS de Cachan)

Paru dans 1024, Bulletin de la société informatique de France, n° 4, octobre 2014.
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/10/1024-4-berry.pdf

Comme tous les artices parus dans 1024, celui-ci est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/3.0/fr/

NOTE

[1] Discours de Gérard Berry, Médaille d'or du CNRS, 17 décembre 2014 :
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/12/2014-12-17-gerard-berry-discours-medaille-or-cnrs.pdf

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