Informatique, formation et métiers
d'aujourd'hui et de demain
85 % des diplômés de 2013 en informatique ont un emploi. Pour la promotion 2013, l'informatique reste un « Eldorado » en matière d'insertion professionnelle : plus de 8 jeunes diplômés sur 10 sont en poste, selon l'Apec (Association pour l'emploi des cadres). Un taux bien supérieur à la moyenne [1]. Voilà pour les métiers d'aujourd'hui.
Sans grand risque de se tromper, on peut penser que la place de l'informatique dans la société va continuer à grandir. L'informatisation est la forme contemporaine de l'industrialisation. Les débats sociétaux vont se multiplier ainsi que les usages quotidiens [2]. Certes, on ne connaît pas dans le détail tous les métiers d'avenir qui vont apparaître au fil des ans. Mais ce que l'on sait avec certitude est que l'on aura besoin de plus en plus d'informaticiens mais aussi que tous les métiers, peu ou prou, nécessiteront des connaissances et des compétences informatiques, une culture générale scientifique et technique. C'est un enjeu et un défi majeurs pour l'économie française. Sinon exit créativité, innovation, modernisation... Le manque d'innovation menace la croissance, c'est ce que dit d'ailleurs un rapport du CAE (Conseil d'analyse économique), remis à Matignon mi-septembre, qui pointe les ravages sur l'économie d'un progrès technique en berne : « ... le niveau de formation de la population active doit aussi être relevé. Faute d'un tel effort, la France raterait le coche et s'appauvrirait. » [3].
Il en sera ainsi dans la société numérique, société dans laquelle la production dominante est à base d'informatique (comme il y eut la société agraire et la société industrielle, l'agriculture et l'industrie n'ayant pas pour autant disparu mais s'étant transformées). La pensée informatique doit être un des biens communs culturels de tous. La culture générale scolaire doit pleinement intégrer l'une des sciences majeures du 21e siècle, ce qui est aussi une façon de lutter contre la dramatique crise des vocations scientifiques que connaît notre pays.
Comment l'École donne-t-elle une culture générale ? Il suffit de regarder ce qu'elle fait avec les autres domaines de la connaissance. Depuis longtemps, nous savons qu'il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de vitesse et de force, d'atome et de molécule, de bactérie et de virus, de chronologie et d'événement, de genre et de nombre, etc. Pour différentes raisons. La thermodynamique, la mécanique, l'électricité, la chimie sous-tendent les réalisations de la société industrielle. Cela concerne effectivement les futurs spécialistes. Mais tout le monde ne sera pas technicien ou ingénieur. En revanche, tout le monde a besoin d'une culture de base en la matière. Au travail mais aussi dans le quotidien car il faut connaître l'environnement moderne. Se connaître aussi, savoir de quoi est fait l'être humain et comment son corps fonctionne, même si tout le monde n'est pas médecin ou infirmier ou infirmière. Tout le monde n'est pas écrivain, chercheur en mathématiques ou en histoire. Et pourtant, dans les matières enseignées, il y a les mathématiques, les sciences expérimentales, l'histoire, le français... D'une manière analogue, il faut former les élèves à la discipline informatique, ses contenus et ses méthodes, dès l'école primaire, puis au collège et au lycée. Il y a urgence. Comme le dit le rapport de l'Académie des sciences, Il est urgent de ne plus attendre [4].
Il faut éviter de retomber dans les ornières du passé récent : le B2i a été un échec, notamment pour des raisons d'infaisabilité. On ne confie pas l'apprentissage de la grammaire à toutes les disciplines sous prétexte que l'on parle français pendant les cours. Il y a un cours de français. Quand une discipline est partout chez ses consoeurs, elle est quelque part en particulier. Bien sûr, l'informatique et le numérique doivent aussi être présents dans les disciplines, ne serait-ce que pour les disciplines elles-mêmes. Mais ainsi, ces dernières apportent également leur contribution à la culture numérique des élèves. Il y a là un outil pédagogique transversal ou spécifique à une discipline, dont on ne dira jamais assez la complémentarité avec l'enseignement de l'informatique, les deux se renforçant mutuellement. Et puis, l'informatique est facteur d'évolution des disciplines enseignées, de leur « essence » (objets, méthodes et outils) ; c'est plus ou moins le cas pour toutes les disciplines et particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels où le traitement de texte s'est substitué à la machine à écrire, la base de données au fichier-carton, le logiciel de DAO à la planche à dessin, la machine à commandes numériques à l'étau-limeur, etc.
Dans un rapport récemment publié, le CNN (Conseil National du Numérique) préconise de mettre de l'informatique dans les programmes dans chaque cycle, de façon ciblée : découverte en primaire, approfondissement au collège, formation plus intensive au lycée avec la généralisation à toutes les filières de l'enseignement optionnel « Informatique et sciences numériques », actuellement réservé à la série S [5]. C'est une « exigence ». La pédagogie de l'informatique a ses spécificités, notamment une approche par projet (en mode collectif, avec l'utilisation d'outils collaboratifs). Le rapport propose aussi l'introduction d'un nouveau cursus menant à un baccalauréat général, baptisé « humanités numériques » (HN), au côté des autres filières S, L et ES. Et d'installer la littératie de l'âge numérique [6].
Reste la question de la formation des enseignants, trop longtemps différée, qui est essentielle. Il faut d'urgence mettre en place des démarches pérennes. Cela signifie un Capes et une agrégation d'informatique (comme dans les autres disciplines !), des Capes et agrégations bivalents, externes et internes, des listes d'aptitude, des habilitations du type de celles prévues pour les enseignants d'ISN et un renforcement de la formation continue ; des certifications dans les ESPE pour les professeurs des écoles, en formations initiale et continue dès cette année [7]. Dans un communiqué de presse, le CNN souligne la nécessité de la formation d'un corps d'enseignants en informatique par la création d'un Capes et d'une agrégation d'informatique [8].
Nous allons être reçus pour une audience au cabinet de la ministre de l'Éducation nationale le 17 octobre prochain. Nous ne manquerons pas de parler de ces questions de formation à l'informatique des élèves et de leurs professeurs [9]. Il en sera question également à OWF 2014 (Open World Forum) le 31 octobre [10].
15 octobre 2014
Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI
NOTES
[1] 85 % des diplômés de 2013 en informatique ont un emploi :
http://www.silicon.fr/jeunes-diplomes-informatique-emploi-promo-2013-97089.html
[2] Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Cédric Fluckiger a réalisé une étude dans un collège de la région parisienne. Des pratiques spontanées et sans recul ne suffisent pas à devenir un utilisateur averti. Une bonne appropriation de notions scientifiques fondamentales est indispensable car elle conditionne une utilisation rationnelle de l'outil conceptuel qu'est l'ordinateur et la résolution des problèmes rencontrés au fil du temps présent et à venir dans la société et l'économie numériques. Il faut relativiser fortement les compétences acquises hors de l'École, qui restent limitées aux usages quotidiens. Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire plus exigeant. Les pratiques ne donnent lieu qu'à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur des savoir-faire limités, peu explicitables et laissant peu de place à une conceptualisation. Il ne faut pas confondre « consommation » et « création » d'informatique, utilisation « intelligente » des outils.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0905d.htm
[3] Le Monde Éco & Entreprise du 02-09-2014.
[4] Rapport de l'Académie des sciences, mai 2013 :
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf
[5] Jules Ferry 3.0. Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique :
http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2014/10/Rapport_CNNum_Education_oct14.pdf
[6] « L'aptitude à comprendre et à utiliser les TIC dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d'atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. »
[7] Voir communiqué de l'EPI du 6 septembre 2014 :
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1409a.htm
[8] Jules Ferry 3.0. Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique :
http://www.cnnumerique.fr/wp-content/uploads/2014/10/CP_CNNum_julesferry3.0.pdf
[9] Sans oublier l'apprentissage du code en primaire, dans un premier temps et de manière transitoire dans le cadre du périscolaire.
http://www.epi.asso.fr/revues/docu/d1410a.htm
[10] Open World Forum (OWF) 2014 :
http://www.openworldforum.paris/fr/
http://www.epi.asso.fr/revues/lu/l1410j.htm
http://www.openworldforum.paris/fr/tracks/education-vocational-training#talk_321
http://www.openworldforum.paris/fr/tracks/education-vocational-training#talk_323
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