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Mise en relief des conceptions
des enseignants marocains de physique
du secondaire qualifiant

À propos du mouvement inertiel
dans son rapport à la force

Hassan Azzaoui, Nadia Benjelloun, Abdelkrim El Hajjami, Lotfi Ajana
 

Résumé
Le présent article s'inscrit dans le cadre des recherches didactiques qui s'inspirent de l'histoire des sciences. Notre objectif est d'identifier les conceptions mises en oeuvre par les enseignants marocains de physique, du secondaire qualifiant, confrontés à des questions concernant le mouvement inertiel dans son rapport à la force. L'étude a été menée auprès de 59 enseignants qui ont répondu à 5 questions à choix multiples, orientées par 2 questions de recherche. Des croisements dynamiques sont effectués, quand c'est nécessaire, dans le but d'établir une certaine typologie à base conceptuelle. Il s'avère, après analyse des résultats, que de nombreux enseignants gardent encore des conceptions non conformes à celles avancées par la mécanique newtonienne.

Mots clés : Mouvement inertiel ; Force ; Enseignant ; Mécanique newtonienne.

 
1. Introduction

   L'histoire des sciences montre que le principe d'inertie a un rôle fondateur en mécanique newtonienne, c'est ainsi que sa formulation « représente le verrou qu'il fallait faire sauter pour que les autres lois de la mécanique émergent » (MEN Fr, 2001, p. 3).

   En effet, pour formuler cette première loi, on devait rompre, successivement, avec la conception aristotélicienne associant à chaque mouvement un moteur qui le cause, et avec celle des théories pré-galiléennes de l'impetus, prétendant que c'est parce que le moteur imprime cette « cause » dans le mobile qui la stocke en lui, que ce dernier continue son mouvement.

   D'une manière similaire, penser cette loi selon la conception newtonienne, consiste d'abord, à s'abstraire de la réalité de tous les jours, où les influences du milieu extérieur sur les corps en mouvement sont présentes, puis concevoir l'idée du mouvement inertiel, en affirmant qu'en l'absence de toute action extérieure, un mobile serait en mouvement rectiligne uniforme.

   La principale difficulté, qui avait tardé la formulation du principe d'inertie, et entrave sa compréhension, semble être alors « d'ordre conceptuel » (MEN Fr, 2001, p. 3).

   Dans notre recherche, qui prétend se placer dans une démarche « associant didactique et histoire des sciences » (De Hosson et al., 2011, p. 3), cette difficulté commune nous pousse à mener deux enquêtes : une centrée sur les conceptions mises en oeuvre par les enseignants de physique confrontés aux questions relatives au principe d'inertie dans son rapport à la force, l'autre tournée vers l'évolution de ce rapport dans l'histoire des sciences.

2. Contexte et problématique

   Pour les besoins de notre recherche, nous allons faire un inventaire des principaux travaux réalisés sur le sujet, sans toutefois prétendre à l'exhaustivité, puis orienter notre investigation selon deux questions de recherche qui s'élaboreront chemin faisant.

2.1. État des lieux

   Des recherches en didactique ont été menées auprès des apprenants de différents âges, niveaux et pays. Leurs résultats mettent en évidence des raisonnements erronés qui montrent que la notion de force pose souvent problème chaque fois qu'on étudie le mouvement.

   Ainsi, parmi les enjeux de l'enseignement de la dynamique évoqués par Viennot (1996), nous citons en particulier l'établissement, par les étudiants concernés par l'étude, d'une relation entre force et vitesse ou ce que l'auteur l'appelle « amalgame entre force et vitesse ». Ils font aussi appel à « l'idée d'objet stockant en son sein une cause antérieure de mouvement » (Viennot, 1996, p. 91). Une telle logique de raisonnement usuel, permet à la cause de « rester une raison de mouvement » (Viennot, 1996, p. 82).

   Dans un essai de classement des conceptions des élèves, tout en se présentant la typologie des obstacles épistémologiques de Gaston Bachelard [1], Thouin (1985), et à partir des résultats de plusieurs recherches [2] traitant le concept d'inertie, énonce que « bien des élèves au niveau secondaire ou collégial, font appel à des représentations premières incompatibles avec la loi de l'inertie pour expliquer certains phénomènes physiques » (Thouin, 1985, p. 251). Alors que pour le concept de force, l'auteur déduit, en s'appuyant sur d'autres études  [3] qu'« un grand nombre (d'élèves) soutiennent qu'un mouvement rectiligne uniforme est nécessairement causé par une force de traction constante » (Thouin, 1985, p. 252).

   En faisant le suivi des conceptions des lycéens, en mécanique, identifiées par d'autres travaux  [4] menés jusqu'alors dans ce contexte, Coppens (2007) déduit que « beaucoup d'élèves considèrent qu'il y a forcément une force qui s'exerce sur un objet en mouvement » (Coppens, 2007, p. 22). Ensuite, et pour trouver une « cause » au mouvement lorsqu'il n'y a pas de force, « la plupart des élèves inventent une "force", stockée dans l'objet sous forme d'un capital dynamique indifférencié » (Coppens, 2007, p. 24). Un tel capital est rapproché, selon l'auteur, par d'autres chercheurs [5] à la notion médiévale d'impetus.

   Maarouf et Kouhila (2001), lors de leur analyse des difficultés d'apprentissage de la notion de force au niveau fondamental marocain, se demandent si « le terme cause évoqué dans la définition de la force ne renforce-t-il pas la conception pré-galiléenne : la force implique le mouvement ».

   Gilles Bélanger (1989), pour sa part, déclare que nombre d'ouvrages didactiques définissent la force comme la « cause qui tend à mouvoir un corps », et attire l'attention sur le fait que même les ouvrages de référence réputés sérieux n'échappent pas à la règle, et avance la définition donnée par le Dictionnaire encyclopédique Quillet, pour lequel « le sens intuitif, et très vivace, de cette notion est celui de cause de mouvement » (Bélanger,1989, p. 754)

   Les résultats que nous venons de présenter, ainsi que d'autres cités par les auteurs de ces recherches décrites, visent généralement les élèves et les étudiants, et parfois les enseignants en cours de formation (Viennot, 1996), et les situations d'évaluation proposées par ces chercheurs, tournent autour des pratiques de la classe qui plus est.

   Ainsi, la notion de force est traitée, le plus souvent, dans son rapport au mouvement d'une manière générale, et les situations correspondantes renvoient, par suite, à la deuxième loi de la mécanique – comme des applications de celle-ci, là où la force se trouve liée à la variation de la vitesse – plutôt qu'à la première, à partir de laquelle, la force prend son propre sens [6].

   Notre étude propose de cibler les enseignants marocains de physique en plein exercice du métier, et ce, pour deux raisons :

  • La crise du « système éducatif marocain est à présent plus fréquemment énoncée en termes de crise de contenu » (UNESCO, 2010, p. 59) ;

  • Le rôle qu'a l'enseignant, d'institutionnaliser les savoirs. En effet, « L'enseignant est ici le représentant de la Physique, le garant de la conformité du résultat (de la recherche entamée par les élèves en petits groupes, organisée et animée par lui) aux savoirs de la Physique » (Boilevin, 2005, p. 20).

   Un tel choix va nous permettre, en principe, de pousser les situations proposées vers plus d'abstraction que nous estimons nécessaire, par comparaison à celles habituellement traitées en classe.

   Aussi, la présente étude propose-t-elle de mesurer la conformité des conceptions des enseignants avec celles du savoir de référence, à propos de la persévérance du mouvement particulier, le mouvement inertiel, dans son rapport à la notion de force.

   Pour ce faire, nous nous limiterons, aux enseignants marocains de physique, exerçant au secondaire qualifiant. Notre étude tente de répondre à deux questions de recherche.

2.2. Questions de recherche

Q1 : Pour les enseignants marocains de physique, du secondaire qualifiant, le mouvement inertiel nécessite-t-il une force pour persévérer ?

Q2 : Ces enseignants acceptent-ils l'idée d'objet stockant un capital dynamique en son sein, considéré comme cause de son mouvement inertiel ?

3. Savoir de référence

   Les grandes sources de l'histoire des sciences, en tant qu'histoire conceptuelle, définissent trois étapes depuis l'antiquité jusqu'au XVIIe siècle : la physique d'Aristote, la physique de l'impetus et la physique de Newton appelée moderne, puis classique avec l'avènement de la relativité d'Einstein et la mécanique quantique.

La physique classique

   La détermination claire et distincte de la notion de force apparaît pour la première fois dans l'oeuvre newtonienne, et prend son sens, particulièrement avec la formulation du principe d'inertie et le principe fondamental de la dynamique.

   Ainsi, la première loi du mouvement, celle qui nous intéresse le plus, énoncée par Newton dispose que « tout corps persévère dans l'état de repos ou de mouvement en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n'agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d'état » (Newton, 1686, p. 13). Cette loi recèle « une détermination en creux de la force (...) : c'est ce qui n'agit pas sur un corps lorsqu'il est dans l'état inertiel » (Lecourt, p. 420). Mais lorsqu'elle agit, la force est alors l'« action exercée sur un corps, qui a pour effet de changer son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme » (Lecourt, p. 420). En effet, le mobile « lui-même est inerte » (Koyré, 1986, p. 164). Par conséquent, la force, conçue comme action extérieure au mobile, n'a pas à expliquer la conservation de la vitesse, mais son changement.

La physique aristotélicienne

   La physique aristotélicienne associe à tout mouvement un moteur, ou un propulseur initial, qui le cause. Pour Aristote, si en général « tout effet a une cause [7] , tout mouvement a en particulier un moteur » (Lecourt, p. 419). Autrement dit, tout mû est mû par un moteur. Par conséquent, un mouvement « ne peut persévérer de lui-même » (Lecourt, p. 419), comme le prévoit l'inertie newtonienne. Au contraire, une « force est cause du mouvement » (Lecourt, p. 419).

   Une telle conception, ne permet-elle pas d'attribuer à Aristote une loi quantitative selon laquelle « seule une force constante pourrait mouvoir un corps à vitesse constante » (Lecourt, p. 420)

La physique de l'impetus

   Lorsque la théorie aristotélicienne se trouve contredite par la pratique journalière de la persistance du mouvement des projectiles [8], considérée comme « seul et unique défaut » à l'époque (Koyré,1986, p. 22), la théorie scolastique de l'impetus [9] propose une autre explication. Ainsi, « lorsque le moteur est en contact avec le mobile, il peut lui communiquer un impetus, lui communiquer un élan ou une force capable de le mouvoir un certain temps ; cette impulsion s'use progressivement » (Lecourt, p. 419). En conséquence, les scolastiques reconnaissent au « corps la capacité d'intérioriser une force » (Lecourt, p. 420) pour persévérer dans son mouvement. Ceci autorise l'« idée de stockage » d'une cause antérieure (Viennot, 1996, p. 76). La notion d'impetus n'a-t-elle pas toujours « fonctionné comme cause de la continuation du mouvement » (Ben Jaballah, 1999, p. 88)

4. Méthodologie

   Pour mettre en relief les conceptions des enseignants concernés par notre présente étude, nous avons choisi le questionnaire à choix multiples comme outil de collecte de données.

4.1. Échantillon

   Notre échantillon est composé de 59 enseignants marocains de physique (45 hommes et 11 femmes). Leur ancienneté moyenne est de 25 années d'exercice au secondaire qualifiant. Ils ont déjà enseigné les chapitres de la mécanique, choisie comme domaine de notre recherche en cours, qui se trouve étalée sur les programmes des trois années de ce cycle d'enseignement.

4.2. Le questionnaire

   Les enseignants de notre échantillon ont répondu à 5 questions à choix multiples, basées sur des situations diverses conformément à l'objet d'étude. Ces questions font partie d'un questionnaire global à intérêts complétifs, centrés sur le principe d'inertie.

   Pour chaque question, le répondant a le choix entre « D'accord » avec ce qu'elle propose, et « Pas d'accord ». Puis un choix « Sans réponse » qui veut dire pour nous, une fois coché, que le répondant n'arrive pas à se situer.

5. Analyse des résultats

5.1. Résultats de la question 1

   Pour faire le tour approximatif de cette question, nous avons mis les enseignants de notre échantillon devant des situations différentes, encadrées par les quatre questions à choix multiples suivantes :

Le mouvement inertiel d'un corps :

D'accord

Pas d'accord

Sans réponse

C21- nécessite une force pour assurer sa persévérance

     

C22- n'a pas besoin de force pour assurer sa persévérance

     

La raison de ce qu'un corps est, au moment actuel, en mouvement uniforme en ligne droite est que :

D'accord

Pas d'accord

Sans réponse

D12- une force extérieure agit continuellement sur ce corps

     

D13- ce corps se meut de lui-même

     

   La fréquence et le pourcentage de chacun des choix sont regroupés dans le tableau 1 des résultats.

Concept Question Code

Choix

D'accord

Pas d'accord

Sans réponse

N(fréquence)

%

N(fréquence)

%

N(fréquence)

%

Force et persévérance du Mvt inertiel

Persévérance nécessite une force

C21

23

39 %

30

51 %

6

10 %

Persévérance pas besoin de force

C22

33

56 %

20

34 %

6

10 %

Force ext. agissant continuelmt

D12

9

15 %

45

76 %

5

9 %

Se meut de lui-même

D13

19

32 %

33

56 %

7

12 %

Tableau 1. La fréquence et le pourcentage des 3 choix de réponse à chacune des questions relatives
au concept « Force et persévérance du mouvement inertiel ».

Interprétation

   Tout d'abord, nous commençons par une comparaison entre les réponses à la question C21 là où la force est citée sans plus d'explication, et celles correspondant à D12 là où la force est décrite comme agissant de l'extérieur. Nous constatons que cette mention a pour effet l'amélioration du pourcentage des répondants conformément à la conception de la première loi de Newton pour laquelle le mouvement inertiel ne nécessite pas de force pour persévérer. Ainsi, le pourcentage des répondants « Pas d'accord », passe de 51 % pour C21 à 76 % pour D12. De même, celui des répondants, par abus, « d'accord » au fait que le mouvement inertiel nécessite une force, diminue de 39 % pour C21 à 15 % pour D12. Nous pouvons avancer que la mention « extérieure », apparue à la question D12, a éveillé chez ces enseignants ce que l'on peut appeler « la conscience de la classe », là où la force est souvent déclarée comme extérieure. Nous estimons que ces enseignants ont une difficulté sous jacente à propos de la force qui ne peut être conçue, lorsqu'elle agit sur un corps, qu'extérieure.

Analyse des questions C21 et C22

   Pour mener à bien l'analyse des résultats obtenus, nous avons élaboré un croisement dynamique pour ces deux questions C21 et C22 à partir de notre matrice de données. Quatre catégories sont attendues.

   Tout d'abord, dans cette situation, pour qu'une réponse soit conforme à la conception newtonienne, il ne suffit pas de cocher « d'accord » à ce que le mouvement inertiel d'un corps n'a pas besoin de force pour assurer sa persévérance, mais aussi, de cocher « Pas d'accord » à ce que ce mouvement nécessite une force.

   Effectivement, ce croisement fait apparaître 4 catégories d'enseignants. Le pourcentage de chacune, ainsi que le nom conventionnel proposé, sont représentés dans la figure 1 suivante :

Figure 1. Conception des enseignants à propos de la nécessité éventuelle d'une force
pour la persévérance du mouvement inertiel.

   La catégorie des « newtoniens », représente 53 % des répondants, pour qui, lorsque le mouvement inertiel a lieu, la force n'agit pas. Ainsi, pour cette catégorie, la condition de l'inertie est l'absence de force.

   La catégorie des « aristotéliciens » représente 33 %. Les enseignants concernés ne sont pas d'accord sur le fait que le mouvement inertiel n'ait pas besoin de force pour persévérer. Et pour confirmer ce choix, ils sont d'accord sur le fait que ce mouvement nécessite une force pour assurer sa persévérance.

  • 6 % font partie d'une catégorie des « indécis ». Ces enseignants s'accordent quant à la nécessité d'une force assurant la persévérance du mouvement, et aussi, sur le fait que le mouvement inertiel n'a pas besoin de force pour persister. Il parait que l'indécision de cette catégorie, recèle des conceptions incompatibles avec le principe d'inertie.

  • Enfin, 8 % sont des « immanentistes », ils cochent « Pas d'accord » avec la nécessité d'une force pour assurer la persévérance du mouvement inertiel, et « Pas d'accord », sur le fait que ce dernier n'ait pas besoin de force. Autrement dit, ce mouvement ne nécessite pas de force pour persévérer, et en même temps ne peut s'en passer. Ces enseignants, conçoivent-ils cette force supposée, comme immanente au corps mû, et ne provenant pas de l'extérieur ?

   Nous retenons que 47 % au total des enseignants de ce croisement dynamique, ont une difficulté à déclarer décidément, et de toute les manières, que le mouvement inertiel ne nécessite pas de force pour persévérer, et ce, conformément à l'énoncé du principe d'inertie qui prévoit la persévérance de ce mouvement tant qu'aucune force n'agit sur lui.

   Pour eux, la force est prise dans son sens intuitif, communément utilisé, celui de « cause » de mouvement, ce qui leur permet d'établir une relation entre force et vitesse, vitesse constante dans notre cas (soit 33 %).

   Le fait de considérer la force comme étant immanente au mobile, creuse encore l'écart conceptuel par rapport à la mécanique classique.

Analyse des questions C21 et D13

   Le croisement de ces deux questions révèle 4 types d'enseignants que nous allons nommer d'une manière conventionnelle, et préciser le pourcentage de chacun d'entre eux sur la figure 2 :

Figure 2. Conception des enseignants à propos de la persévérance d'un corps
dans son état de mouvement rectiligne uniforme, en tant que corps inerte.

  • 22 % des enseignants sont des « newtoniens », ils cochent « Pas d'accord » au fait que le mouvement inertiel nécessite une force pour assurer sa persévérance, et « D'accord » à ce que la raison qui fait qu'un corps se meut d'un mouvement rectiligne uniforme, est qu'il se meut de lui-même. Nous pouvons avancer que pour ce type d'enseignants, la notion d'inertie, au sens de la mécanique classique (Azzaoui et al, 2014), est claire. Les mots « force » et « inertie » semblent, pour eux, bien « antinomiques » (Signore, 2012, p. 48)

  • 29 %, sont des « aristotéliciens ». Pour eux, le mouvement inertiel d'un corps nécessite une force pour persévérer, et, ce corps ne peut se mouvoir de lui-même. Ce type d'enseignants soutient qu'un mouvement rectiligne à vitesse constante (donc de variation nulle) nécessite une force pour persévérer. Qu'en est-il alors, pour ces enseignants, au niveau de la compréhension de la loi d'inertie, voire, de la 2ème loi de la mécanique, qui associe la force à la variation de la vitesse, et non pas à la simple vitesse ?

  • 37 % sont des « scolastiques ». Ils ne sont pas d'accord quant à la nécessite du mouvement inertiel à une force pour assurer sa persévérance, mais encore ne sont pas d'accord avec le fait que le mouvement rectiligne uniforme continue à se mouvoir de lui-même. Ces enseignants semblent chercher une « cause » pour le mouvement inertiel. Celle-ci, ne serait-elle pas autre chose que la force ? Par conséquent, cette « cause » indifférenciée ne prévoit-elle pas la conception, chez ce type d'enseignants, d'un certains « capital dynamique stockée »(Viennot, 1996, p. 93) dans le corps en mouvement inertiel ? C'est ce qui renvoie aux théories scolastiques de l'impetus.

  • Enfin, 12 % sont des « attributifs ». Pour eux, un corps en mouvement inertiel nécessite une force pour persévérer, et en même temps continue de se mouvoir de lui-même. Ces enseignants ne se représentent-ils pas cette force comme étant attribuée au corps ? Dans ce cas, la force n'est pas conçue, comme étant extérieure au corps qui est inerte.

   Il en résulte qu'au total, 78 % des enseignants ont des difficultés à reconnaître l'inertie comme propriété d'un corps matériel, lui permettant de persévérer dans son état de mouvement rectiligne uniforme, au contraire, ils cherchent une « cause » pour rendre compte de sa persévérance. Pour 41 % d'entre eux, le mouvement inertiel a pour « cause » une force : explicite pour 29 %, alors qu'elle attribuée au corps en mouvement, pour 12 %. Cependant 37 % semblent chercher la « cause » en dehors de la notion de force.

5.2. Résultats de la question 2

   Une seule question à choix multiple, est présentée à notre échantillon. La situation qu'elle encadre présente : le « mouvement rectiligne uniforme » ; « l'impulsion initiale » ; un « corps ayant stocké l'impulsion... » ; enfin, le terme « cause » de mouvement. Cette question est structurée comme suit :

La raison de ce qu'un corps est, au moment actuel, en mouvement uniforme en ligne droite est que : D'accord Pas d'accord

Sans réponse

D11- ce corps a stocké, en lui, l'impulsion initiale qui reste une cause de son mouvement

     

   Les résultats sont regroupés dans le tableau 2 suivant :

Concept

Question

Code

Choix

D'accord

Pas d'accord

Sans réponse

N(fréquence)

%

N(fréquence)

%

N(fréquence)

%

Persévérance du mvt inertiel et Capital dynamique stocké
(≈Impetus)

Raison=Stockage de l'impulsion Initiale ?

D11

37

63 %

18

30 %

4

7 %

Tableau 2 : La fréquence et le pourcentage des 3 choix de réponse à la question relative à la persévérance du mouvement inertiel et l'idée de capital dynamique stocké.

   Notre question est claire et directe, en ce qui concerne l'idée du « stockage ». Pourtant 63 % des répondants se déclarent d'accord avec le « stockage de l'impulsion initiale », comprise comme « cause » de la persistance du mouvement rectiligne uniforme.

   Deux types de raisonnement usuel apparaissent à travers ce résultat : « l'idée de stockage » et l'« association d'une cause à un mouvement », voire, à un mouvement inertiel qui est le notre.

   On voit bien que la majorité des enseignants concernés acceptent d'expliquer la persévérance du mouvement inertiel de la mécanique classique, par les théories pré-galiléennes, mettant en oeuvre un impetus stocké dans l'objet pour expliquer la continuation du mouvement.

Analyse des questions D13 et D11

   Lorsque nous revenons aux réponses à la question D13 au tableau 1, nous voyons que 56 % des enseignants ne sont pas d'accord avec le fait que la raison de ce qu'un corps est en mouvement uniforme en ligne droite, c'est qu'il se meut de lui-même, autrement dit, de par son inertie. Ce résultat nous pousse à voir si ces derniers mobilisent-ils « l'idée de stockage ». Pour ce faire, un croisement dynamique D13 avec D11 paraît nécessaire.

   La figure 3 fait apparaître 4 catégories d'enseignants, avec leur nom conventionnel et le pourcentage correspondants.

Figure 3. Conception des enseignants à propos de la persévérance du mouvement inertiel
et l'idée de « capital dynamique stocké ».

   Nous retenons, surtout, le pourcentage 50 % correspondant aux enseignants qui refusent que l'inertie soit la seule raison du mouvement inertiel et acceptent « l'idée de stockage » de l'impulsion initiale.

  • 14 % sont des « scolastiques », ils acceptent que la raison, de ce qu'un corps est, au moment actuel, en mouvement uniforme en ligne droite, est que celui-ci se meut de lui-même, et aussi, le fait d'avoir stocké l'impulsion initiale en son sein, ou alors, le corps se meut de lui-même après impression de cause antérieure.

  • 14 % d'autres sont des « évocateurs », ils refusent les deux raisons proposées : le mobile ne peut continuer de se mouvoir de lui-même, et n'a pas stocké l'impulsion initiale. Ces enseignants évoquent-ils une tierce « cause » indifférenciée pour assurer la persévérance du mouvement inertiel ?

   Ce ne sont que 22 % qui sont « newtoniens », lorsqu'ils acceptent que le corps en mouvement inertiel se meuve de lui-même, et ne stocke pas l'impulsion initiale.

   Soit donc, 78 % des enseignants concernés qui expliquent la persévérance du mouvement inertiel d'un corps en dehors de son inertie, dont 64 % d'entre eux, adoptent l'idée de stockage de l'impulsion initiale comme « cause » de ce mouvement.

Conclusion

   La tendance des enseignants de physique à trouver une cause au mouvement inertiel est donc manifeste. Si ce n'est pas une force proprement dite, provenant de l'extérieur, elle est immanente au corps mû, ou alors, une « cause antérieure stockée » dans le mobile.

   La mobilisation d'une force pour assurer la persévérance du mouvement rectiligne uniforme, autorise l'établissement d'une relation entre force et vitesse constante en grandeur vectorielle. Ce qui s'inscrit en faux avec le principe d'inertie, qui n'a cours qu'en l'absence de force, et contredit le principe fondamental de la dynamique, voire, la conception de la force elle même.

Hassan Azzaoui1
hassanazzaoui2003@yahoo.fr
Nadia Benjelloun1
Abdelkrim El Hajjami2
Lotfi Ajana2

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

1 - Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique des Sciences et Techniques (LIRDIST), Faculté des Sciences Dhar El Mehraz, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah-Fes, Maroc.

2 - Laboratoire TICFS, École Normale Supérieure, Fès, Maroc.

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http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001897/189743f.pdf (consulté le 30/02/2014).

Viennot, L. (1996). Raisonner en physique : La part du sens commun. Belgique, De Boeck Université, 1re édition.

NOTES

[1] Gaston Bachelard (1989). La Formation de l'Esprit Scientifique. Paris, 4e édition, Librairie philosophique J. Vrin.

[2] Green et al., 1982 ; Gunstone et White, 1981 ; Mc Closkey et al., 1980.

[3] L'auteur cite : Champagne et Klopfer, 1983 ; Clément, 1982 ; Green, 1982 ; Mc Closkey, 1982 ; Ruel, 1982 ; Viennot, 1976.

[4] L'auteur cite : Viennot, 1979 ; Clément, 1982 ; Gunstone, 1987 ; Enderstein et Spargo, 1996 ; Mildenhall et Williams, 2001.

[5] L'auteur cite : Watts, 1983 ; Twigger et al., 1994 ; Maarouf et Kouhila, 2001. Nous ajoutons aussi (Viennot, 1996, p. 82).

[6] « La force imprimée est l'action par laquelle l'état du corps est changé, soit que cet état soit le repos ou le mouvement uniforme en ligne droite. » Les Principes, Définition IV.

[7] Le mot « cause » est utilisé ici, selon Viennot, au sens premier, c'est ce qui explique pourquoi les choses arrivent (Viennot, 1986, p. 22).

[8] La question était : pourquoi les projectiles continuent à se mouvoir, lorsqu'ils ne sont plus en contact avec le mouvant (le moteur ou le lanceur) ?

[9] Théorie qui remonte à Jean Philopon dit Jean Le Grammairien (VIe siècle).

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Mai 2014

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