Industrialisation, innovation et informatique
Maurice Nivat
À l'heure où le Président des États-Unis appelle dans un discours tous ses concitoyens à apprendre à programmer (how to code), à l'heure où le parlement britannique décide de généraliser dans tous les lieux d'enseignement du royaume l'enseignement de l'informatique (computer science), à l'heure où de nombreux autres pays, de la Finlande à la Corée, de la Chine au Maghreb, du Brésil à la Suisse font de grands efforts pour développer la formation à l'informatique, il est nécessaire que la France ne reste pas à l'écart d'un vaste mouvement qui trouve sa source dans l'évidence de plus en plus manifeste que l'informatique joue un rôle de plus en plus important dans l'innovation, la création et le progrès.
On sait le rôle essentiel que l'innovation doit jouer pour enrayer une désindustrialisation de notre pays qui se poursuit depuis une vingtaine d'années inexorablement. Il faut donner le goût de l'innovation aux jeunes qui sont encore sur les bancs des écoles, collèges, lycées et universités. Or cette innovation passe dans un très grand nombre de cas par une informatisation des objets que produit l'industrie et une informatisation des méthodes de travail, par la robotisation et le contrôle automatisé de nombreux processus, les robots et systèmes de contrôle étant à au moins cinquante pour cent de l'informatique. Sans informaticiens de la plus grande qualité, nous ne pourrions pas applaudir la première mondiale que constitue l'implantation d'un coeur artificiel dans la poitrine d'un être humain par le Docteur Alain Carpentier à l'hôpital Georges Pompidou sur les bords de la Seine.
Pour promouvoir cette innovation, il convient que chacun ait, à son échelle et à sa place, la connaissance la plus précise possible de ce que l'informatique peut apporter pour aller plus loin dans la recherche, pour améliorer ou carrément remplacer des manières de faire désuètes, pour utiliser à bon escient chaque fois que ceci peut constituer un progrès un des nombreux outils matériel, logiciel ou intellectuel que fournit l'informatique. Ce sont pratiquement toutes les activités humaines qui aujourd'hui s'informatisent pour plus d'efficacité, plus de fiabilité, plus de sécurité, plus de compétitivité.
Il est vrai que quelque chose a été fait pour enseigner un peu d'informatique à des lycéens suite aux actions menées ces dernières années. Un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du Numérique » a été créé en Terminale S à la rentrée 2012. Cette spécialité sera étendue aux Terminales L et ES à la rentrée 2014. En septembre 2013 a été introduit un enseignement d'informatique pour tous les élèves des CPGE scientifiques.
Mais la limite de cet enseignement de spécialité se manifeste déjà, après un an et quelques mois d'existence, par le manque d'enseignants : ceux d'aujourd'hui sont tous des enseignants d'autres disciplines auxquels on a donné une formation trop brève, par manque de temps, par manque d'argent, et quels que soient leur bonne volonté et le gros travail qu'ils fournissent, il ne saurait remplacer des enseignants longuement formés à la discipline informatique comme le sont ceux des autres matières au programme. On voit même d'ailleurs se tarir cette bonne volonté, il a été plus difficile cette année que l'an passé de recruter des volontaires pour enseigner cette spécialité qui ne peut donc pas être offerte dans tous les lycées de notre pays.
L'intégration de la science et technique informatique dans la culture générale scolaire de tous les élèves est une question de première importance, une question politique. Elle nécessite donc une décision politique qui doit être affirmée au sommet de l'État et confirmée par la Représentation Nationale. Pour enseigner l'informatique à tous depuis la maternelle jusqu'à bac+5, il est nécessaire de mettre en place des certifications pour les professeurs des écoles dans les ESPE et de recruter des professeurs d'informatique avec des compétences égales et des diplômes (Capes, agrégation) comparables à ceux des autres disciplines.
Il faut faire cesser les atermoiements, les absurdes querelles pour décider si l'informatique est une science ou une technique (elle est les deux) et faire admettre que l'informatique n'est pas la discipline ancillaire qu'encore beaucoup de gens veulent voir en elle, mais une discipline à part entière, riche déjà de beaucoup de succès mais porteuse d'encore plus de problèmes à résoudre et de défis.
Maurice Nivat
Académie des sciences
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