L'usage des TIC pour l'enseignement-apprentissage du français,
cas du lycée marocain
Driss Louiz
Le secteur des nouvelles technologies atteint actuellement presque tous les domaines de notre vie au quotidien, l'intégration des Technologies de l'information et de la communication dans le processus de l'enseignement-apprentissage du domaine de l'éducation est devenue une nécessité. De nombreux lycéens marocains se mettent à la page et cherchent à suivre ces nouvelles technologies qui évoluent rapidement de jour en jour. Les jeunes lycéens se trouvent cependant confrontés à cette évolution technologique qu'ils ne maîtrisent pas suffisamment, et il y a même ceux qui se sentent complètement dépassés. De plus entre le milieu urbain et rural, il y a un grand fossé qui sépare ces élèves. Un autre problème qui se pose avec acuité est qu'un nombre significatif d'enseignants marocains n'utilisent pas adéquatement et suffisamment ces technologies de l'information et de la communication dans leur pratique enseignante, ce qui crée des tensions entre des élèves qui paraissent parfois en avance et des professeurs réfractaires ou réticents à l'utilisation des TIC.
L'usage des Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement (TICE) dans l'enseignement-apprentissage du français est un débat qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers temps. Le Maroc, pays en développement, n'échappe pas à cette règle, il tente de rattraper le retard, à travers les différentes réformes et malgré les obstacles qui contrecarrent la voie de l'innovation pédagogique.
Contexte
Ces dix dernières années, et depuis 2002, le Maroc a engagé plusieurs réformes, notamment celles relatives à l'intégration des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement.
Les technologies de l'information et de la communication jouent un rôle incontournable dans le développement des pays en général et dans le domaine de l'enseignement en particulier.
Selon le dernier rapport du Conseil supérieur de l'enseignement « les performances des élèves en langue française variant dans l'ensemble entre un niveau faible et un niveau moyen. Ces résultats reflètent bien le niveau réel des élèves dans la plupart des établissements publics, beaucoup d'entre eux passant d'une classe à l'autre en traînant de grandes lacunes en français et ce, depuis la deuxième année du primaire » (2009, p. 39) [1].
D'autres rapports internationaux confirment ce dysfonctionnement comme les rapports TIMSS et PIRLS.
« En ce qui concerne l'enquête PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) 2006, les résultats des élèves marocains dans cette enquête se présentent ainsi :
les performances des élèves marocains se situent au-dessous de la moyenne internationale fixée à 500 ; avec un score moyen de 323, le Maroc est classé avant-dernier ;
74 % des écoliers marocains n'atteignent pas le niveau des performances minimales exigé par PIRLS » [2].
Pour ces raisons, le système politico-éducatif marocain a mis en oeuvre plusieurs dispositifs, comme l'intégration des technologies de l'information et de la communication, beaucoup d'efforts ont été entrepris pour mener à bien la pratique pédagogique de notre enseignement, en d'autres termes, toutes ces initiatives ont été entreprises dans le but d'accompagner l'évolution technologique.
Problématique
Parler de la problématique des TICE dans les établissements scolaires marocains, c'est tout d'abord évoquer la situation des technologies de l'information et de la communication au Maroc.
Certes l'État marocain a alloué en 2009 un budget important (s'élevant à 1 milliard de dirhams) 3 000 écoles ont été équipées et connectées, 6 500 écoles primaires ont bénéficié d'une valise numérique et 140 000 enseignants ont été formés (pour) en vue de l'intégration de ces technologies dans l'enseignement, les établissements scolaires et universitaires ayant été outillés de salles multimédias (ordinateurs, vidéoprojecteurs, imprimantes, valises numériques, etc.).
En revanche et suite à l'enquête que nous avons menée auprès des différents établissements du Royaume, nous avons constaté que l'opérationnalisation des technologies éducatives n'a pas pris en compte d'abord les spécificités du contexte, ni du vécu des apprenants et des enseignants, ni de leurs représentations, s'ajoute à cela le manque d'entretien des machines, ensuite l'absence de formation continue destinée aux enseignants, puis très souvent ces salles ne sont pas connectées à Internet, et enfin ces salles multimédias semblent insuffisantes en termes d'espace disponible pour un effectif important d'élèves (parfois une salle multimédia pour 1 500 élèves), il est donc impossible dans ces situations d'en faire profiter tout le monde.
Il en résulte que toutes ces difficultés empêchent la bonne intégration des TIC en classe, cela paraît souvent être un véritable défi à mettre en place et jusqu'à même parfois une impossibilité totale car les conditions de travail ne le permettent pas la plupart du temps.
On assiste encore à un autre obstacle relié à l'occupation de la salle multimédia, certains enseignants de la discipline informatique pensent que cette salle leur est réservée uniquement et que les professeurs des autres disciplines n'y ont pas droit. Certaines salles multimédias ont été remplacées par des salles de cours, d'autres établissements nouvellement édifiés ne bénéficient pas de salles multimédias. Une enseignante de français, lors d'un entretien au sujet de la salle multimédia nous confirme : « dans la plupart des établissements où j'ai exercé, la salle multimédia existe, mais elle est inutilisable car le matériel est soit insuffisant soit endommagé, impossible de faire profiter à une classe de 40 élèves pour 18 ordinateurs dont la moitié est en panne. »
Pour résoudre ce type de problème, le suivi et l'accompagnement de toute démarche ou initiative relative aux TIC doivent être pris en considération étant donné l'importance capitale de l'exploitation des technologies de l'information et de la communication dans le domaine de la réussite scolaire. Sinon à quoi bon dépenser de pareilles sommes d'argent pour l'équipement de ces salles sans qu'il y ait de formations suffisantes pour les enseignants, ni d'entretien du matériel, ni de suivi et accompagnement efficaces ?
Si le plan d'urgence (2009-2013) consistait à créer et équiper des salles multimédias, le programme GENIE [3], lancé en janvier 2009, visait à « promouvoir, faciliter et mettre en valeur une culture pédagogique qui favorise l'intégration des TICE dans l'enseignement et l'apprentissage », il avait pour objectif d'accompagner et former les enseignants à l'exploitation des TIC dans leur pratique enseignante [4].S'ajoutait à cette première initiative la mise en place de formations continues dispensées aux enseignants et aux cadres administratifs d'une durée de 3 à 5 jours sur deux périodes.
Cependant seule une partie des enseignants et non la totalité a bénéficié de ces formations, faute de moyens mis en oeuvre et de logistique nécessaires à la réussite de cette première tentative.
Peu d'enseignants ont bénéficié de cette formation en TICE. Certains ont refusé car ils estiment ne pas être pris totalement en charge au cours de cette formation.
Durant cette recherche, nous avons interrogé des enseignants de français du cycle secondaire qualifiant qui nous ont affirmé que plusieurs salles multimédias sont restées fermées pendant une année pour des raisons telles que : la majorité des chefs d'établissements attendaient le feu vert et les textes organisant l'exploitation de ces salles de crainte que le matériel soit endommagé (ou mal utilisé), un autre obstacle étant la surcharge des classes, parfois l'effectif dépasse les 40 élèves ce qui complique la tâche de l'enseignant, et rend complexe l'utilisation de ce genre de matériel : ordinateur, vidéo projecteur, etc.
À vrai dire, nous avons constaté que les enseignants utilisant les TICE en classe se contentaient le plus souvent de leurs ordinateurs personnels et présentaient leurs leçons sous forme de PowerPoint. Peut-on appeler cela intégration des TIC ?
Question de recherche et méthode de travail
Le travail d'étude et d'analyse de cette recherche, qui s'inscrit dans le cadre de la socio-didactique, a sollicité l'élaboration d'un questionnaire à visée quantitative. Son objectif premier c'est essayer de comprendre à quel point la population cible (les lycéens âgés de 15 à 18 ans) est capable d'utiliser les technologies de l'information et de la communication dans son apprentissage en classe de français.
Le nombre de questionnaires administrés est 430, nous avons écarté 30 questionnaires car certains présentent des anomalies : des enquêtés n'ont pas répondu à la totalité des questions ou n'ont pas remis le questionnaire à leurs professeurs. Le questionnaire, en version papier, comportant 13 questions a été remis aux élèves au mois de mars 2013. Comme la totalité des questions étaient de type fermées et semi ouvertes, nous avons tenu à récupérer les questionnaires le plus tôt possible. Le temps consacré à la passation du questionnaire était limité dans le but d'éviter des oublis, nous n'avons pas voulu laisser le questionnaire à la disposition de l'enquêté pendant longtemps. Dans ce sens, Boukous dit :
« L'idéal serait que l'enquêteur puisse récupérer le questionnaire immédiatement après la passation, [...]. Des questionnaires récupérés après un laps de temps important après leur administration non seulement retardent l'opération de traitement mais encore risquent de biaiser les résultats de l'analyse. » (Boukous, 1999, p. 23).
Loin de prétendre à toute exhaustivité, le questionnaire a été adressé aux élèves de cinq régions du Maroc afin que cette enquête atteigne une population cible aussi riche que variée.
Nous avons donc essayé de toucher cette population par le biais du questionnaire, de l'observation des classes et d'un entretien avec des enseignants de français. Le but recherché est d'obtenir une bonne représentativité et surtout de parvenir à mieux comprendre à quel point les lycéens marocains appartenant à divers milieux sociaux (urbain, rural, périphérique) et à travers eux les enseignants de français utilisent les TIC en classe de façon générale et en classe de français en particulier.
Résultats de l'usage des TIC en classe de français au Maroc en (%) pourcentages
Nous avons considéré important d'inclure la variable « sexe » dans cette enquête pour constater dans quelle mesure la catégorie « fille » s'intéresse autant à l'usage des TIC que la catégorie « garçon ».
En milieu urbain, dans l'enseignement public, le chiffre obtenu pour les filles est de 43% d'usage des TIC en classe contre 57 % pour les garçons. Le pourcentage pour les filles augmente notamment dans l'enseignement privé soit, 51 % contre 49 % (chez) pour les garçons. Finalement l'usage des TIC pour les filles en milieu rural ne couvre que 25 %.
Pour que notre échantillon soit représentatif, notre enquête a touché les différentes catégories sociales appartenant à cinq régions du Maroc. Un nombre important d'enquêtés possèdent une page Facebook et une adresse électronique. Pour ce qui est de l'outil « ordinateur », l'élève a soit un ordinateur personnel soit il utilise celui de la famille et ceux qui ne possèdent pas d'ordinateur recourent le plus souvent aux cybercafés car le prix d'une heure de connexion Internet reste accessible et varie entre 3 et 5 dirhams, soit entre 0,30 et 0,50 euros.
Lors de notre enquête, nous avons obtenu les résultats suivants : La grande majorité des enquêtés affirment avoir un accès facile aux technologies de l'information et de la communication :
- 80 % de ces élèves ont un ordinateur ;
- 75 % ont une connexion Internet ;
- 77 % possèdent un courrier électronique ;
- 83 % de ces lycéens ont une page Facebook ;
- 20 % déclarent avoir un blog ;
- 28 % affirment que leurs professeurs exploitent avec eux les TIC en classe ;
- 5 % des enquêtés ont déclaré avoir eu l'occasion d'assister ou de participer à une visioconférence.
Si l'enseignement privé vient en tête des pourcentages, c'est que ce secteur dispense un enseignement de qualité, les établissements scolaires offrent davantage d'opportunités non seulement aux élèves (des enseignants compétents, motivés et bien rémunérés) mais aussi aux enseignants grâce à l'équipement des salles de cours en matériel pédagogique innovant. La majorité des élèves sont issus de milieux favorisés et bénéficient de suivi et de soutien pédagogique.
Le milieu urbain de l'enseignement public occupe la deuxième place, les lycéens des villes sont mieux lotis que leurs camarades issus du milieu rural, car ils ont accès plus ou moins facile à l'outil informatique et à la connexion Internet par le biais des bibliothèques, centres culturels, cybercafés, etc.
Le milieu rural occupe la dernière place dans ce classement car ces élèves rencontrent de nombreuses difficultés telles que l'éloignement des établissements scolaires, les coupures électriques, l'absence quasi totale de connexion Internet dans la majorité des établissements, le manque de moyens de transport. Tous ces facteurs découragent ces élèves des régions rurales à poursuivre leurs études, la catégorie « fille » en particulier, nous avons constaté que seules 29 % des lycéennes issues du milieu rural font usage des TIC.
Bref, le numérique apparaît comme une intéressante opportunité notamment parce qu'il favorise la mise en place des pédagogies différenciées qui, à notre sens, seules sont efficaces. Grâce aux TIC, l'apprenant a la possibilité d'accéder à l'information, d'échanger et d'interagir avec les autres, il pourrait également apprendre à son rythme.
Nous pensons qu'au Maroc l'intégration des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement (TICE) jouera un rôle prépondérant dans le développement de l'enseignement en général et celui du français en particulier à condition que les décideurs du système politico-éducatif accorderaient aux TICE la place qu'elles méritent par le biais d'une politique d'accompagnement et de suivi, l'équipement des établissements en matériel pédagogique, la formation continue des enseignants et l'implication des acteurs sociaux dans le système éducatif. L'enseignant est par conséquent invité à mettre à jour ses connaissances et son savoir-faire en vue d'abolir les écarts qui peuvent exister entre lui et ses apprenants souvent motivés et intéressés par les nouvelles technologies.
Louiz Driss,
louizdriss@yahoo.fr
professeur de français de l'enseignement secondaire qualifiant (doctorant)
Laboratoire Langage et Société, Faculté des Lettres et sciences humaines,
IbnTofail, Kénitra, Maroc
Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification).
http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/
Références
Boukous, A. (dir.) (1999). Sociolinguistique marocaine, Plurilinguismes, Sorbonne, Paris.
Conseil supérieur de l'enseignement (2009). Programme National d'Évaluation des Acquis, PNEA 2008, Langue Française, Instance nationale du système d'éducation et de formation.
UNESCO (2012). Données mondiales de l'éducation, édition 2010-2011. Rapport publié par l'Unesco au sujet de l'enseignement au Maroc.
http://www.ibe.unesco.org/fileadmin/user_upload/Publications/WDE/2010/pdf-versions/Morocco.pdf
Abdelmjid Abourriche, Ahmed Lablidi, Mohamed Talbi (2012). L'usage des TICE en formation continue des enseignants au Maroc, Mathématice n° 30, mai 2012.
http://revue.sesamath.net/spip.php?article419
NOTES
[1] Conseil supérieur de l'enseignement, (2009). Programme National d'Évaluation des Acquis PNEA 2008, Langue française, Instance nationale du système d'éducation et de formation.
[2] Rapport publié par l'Unesco au sujet de l'enseignement au Maroc:
http://www.ibe.unesco.org/fileadmin/user_upload/Publications/WDE/2010/pdf-versions/Morocco.pdf
[3] GENéralisation des technologies de l'Information et de la communication dans l'Enseignement.
[4] Revue électronique publiée par le programme GENIE : l'usage des TIC en formation continue.
http://revue.sesamath.net/spip.php?article419
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