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HASLERSTIFTUNG
 
L'enseignement de l'informatique en France
Il est urgent de ne plus attendre

Jean-Pierre Archambault
 

   L'Académie des sciences (France) a adopté en mai 2013 un rapport intitulé « L'enseignement de l'informatique en France - Il est urgent de ne plus attendre » [1].

   Ce rapport a été préparé par un groupe de travail de l'Académie dans le cadre de son Comité sur l'enseignement des sciences.

   L'enjeu est fort et formulé sans ambages : « Nous avons besoin d'un véritable plan de formation national si nous voulons sortir notre pays de l'illettrisme informatique dans lequel il se trouve aujourd'hui. » Après avoir évoqué le fort potentiel de l'informatique dans l'essor économique et culturel de nos sociétés modernes, et dressé le constat de la place trop faible dévolue à la science informatique dans l'éducation des élèves et des citoyens, l'Académie des sciences émet des recommandations en faveur de la création, en France, d'un enseignement d'informatique structuré et adapté, dispensé par des professeurs qu'il conviendra de former spécifiquement à cet enseignement.

   Le contexte fait consensus : « L'impact considérable de l'informatique dans un nombre toujours croissant de domaines de l'industrie, de la communication, des loisirs, de la culture, de la santé, des sciences et de la société en général est universellement reconnu. On parle désormais d'un « monde numérique » au sens large, qui s'appuie sur deux grands leviers, celui des matériels informatiques et celui de la science informatique. » Nombre des progrès technologiques les plus marquants de ces dernières années sont des produits directs de l'informatique : moteurs de recherche et traitement de très grandes masses de données, réseaux à très large échelle, informatique sûre embarquée dans les objets, etc. L'informatique est d'une importance toujours grandissante en termes de création de richesses et d'emplois dans le monde, que ce soit directement dans l'industrie informatique ou dans des domaines grands utilisateurs comme l'aéronautique, l'automobile et les télécommunications.

  • De par l'universalité de son objet, la science informatique interagit de façon étroite avec pratiquement toutes les autres sciences. Elle ne sert plus seulement d'auxiliaire de calcul, mais apporte des façons de penser nouvelles.

  • On ne compte plus les débats citoyens suscités par le numérique et l'informatique : loi Hadopi, neutralité du Net, libertés...

  • Numérique et informatique sont de plus en plus présents dans la vie quotidienne de tout un chacun.

   Mais bien au-delà de l'éducation au numérique, c'est-à-dire à l'usage des matériels et des logiciels, qui concourt à la réduction de la fracture numérique, l'Académie des sciences met en avant la nécessité d'enseigner la science informatique en tant que discipline unifiée, autonome, avec ses formes de pensées et ses résultats propres. Elle insiste sur la distinction fondamentale qui doit être faite entre enseignement de la « science informatique » et « éducation au numérique », entre enseignement des bases, pérennes, de la démarche informatique, et apprentissage d'outils et de techniques qui naissent et se périment très vite.

   L'enseignement de l'informatique peut et doit être commencé dès le primaire, par une sensibilisation aux notions d'information et d'algorithme, possible à partir d'exemples très variés dans le style de « La main à la pâte » pour les sciences physiques. Il doit être approfondi au collège et au lycée. On pourra y distinguer trois phases principales :

  1. La sensibilisation, principalement au primaire, qui peut se faire de façon complémentaire en utilisant des ordinateurs ou de façon « débranchée » ; un matériau didactique abondant et de qualité est d'ores et déjà disponible.

  2. L'acquisition de l'autonomie, qui doit commencer au collège et approfondir la structuration de données et l'algorithmique. Une initiation à la programmation est un point de passage obligé d'activités créatrices, et donc d'autonomie.

  3. Le perfectionnement, qui doit se faire principalement au lycée, avec un approfondissement accru des notions de base et des expérimentations les plus variées possibles.

   L'enseignement de l'informatique doit s'adresser d'une part à tous les citoyens, pour qu'ils comprennent les mécanismes et façons de penser du monde numérique qui les entoure et dont ils dépendent. L'informatique est une composante de la culture générale au XXIe siècle et, à ce titre, l'enseignement scolaire étant fondamentalement un enseignement de culture générale pour tous, doit faire partie de la culture générale scolaire. L'enseignement scolaire étant également une propédeutique aux formations professionnalisantes à venir, l'enseignement de l'informatique doit s'adresser d'autre part de façon plus approfondie à tous ceux qui auront à créer, adapter ou simplement bien utiliser des applications ou objets de nature informatique, quels que soient leurs domaines d'activité. Un soin particulier doit être apporté à le rendre attirant pour les deux genres, le milieu informatique restant encore trop majoritairement masculin.

   Le rapport propose des esquisses de curriculum portant sur les grands domaines de l'informatique : algorithmique, programmation et langages, théorie de l'information, architecture des matériels (machines et réseaux). La pédagogie et la didactique de l'informatique ont leurs spécificités. La démarche de projet est importante ainsi que les activités de programmation. Il faut veiller à équilibrer théorie et expérimentation, à relier l'informatique au monde réel et aux autres disciplines, à dépasser les seuls usages et la formation « sur le tas ».

   La formation des enseignants est une priorité absolue et urgente car elle est une condition nécessaire de la réussite de l'enseignement de l'informatique pour tous les élèves. Pour les professeurs des écoles, amenés à sensibiliser les élèves à la science informatique, l'enseignement des concepts et des exemples de base devrait prendre la forme d'un module dédié dans les ESPE (Écoles supérieures du professorat et de l'éducation) nouvellement créées. Pour les professeurs de Collège et Lycée, l'Académie recommande fortement des qualifications et des modes de recrutement alignés sur ceux des autres disciplines de l'enseignement secondaire (Capes et agrégation d'informatique). Tous les enseignants devront être formés à l'impact de l'informatique dans l'évolution de leur discipline : la simulation dans les sciences expérimentales, l'usage de bases de données en histoire ou géographie, l'analyse de textes en littérature, la traduction automatique, la création artistique, etc.

   Le rapport se termine par une synthèse de travaux de recherche et de rapports publiés, qui donne une image (partielle) d'un ensemble contrasté de situations au niveau mondial, avec un intérêt croissant pour l'enseignement de l'informatique.

Jean-Pierre Archambault,
agrégé de mathématiques,
Président de l'association Enseignement Public et Informatique (EPI),
France.

Ce texte sur le rapport de l'Académie des sciences de mai 2013 accompagne l'intervention que Jean-Pierre Archambault fera lors de la journée organisée par la fondation Hasler à Lausanne le 29 janvier 2014. Elle portera sur l'enseignement de l'informatique.
http://fit-in-it.ch/sites/default/files/small_box/rapport-archambault-france-novembre-2013.pdf

Cette contribution est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification) <http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/>.

NOTE

[1] L'enseignement de l'informatique en France - Il est urgent de ne plus attendre.
Rapport de l'Académie des sciences - Mai 2013.
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf
Pour une version en anglais : Teaching computer science in France - Tomorrow can't wait.
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513gb.pdf

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Association EPI
Décembre 2013

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