Quelle approche faut-il adopter pour intégrer les TIC
dans l'enseignement des mathématiques au Maroc ?
Ali Kaouani
À l'instar de nombreux pays, le Maroc a montré une forte volonté quant à l'intégration des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement (TICE). Des programmes tels que Génie [1] et leurs dérivés sont mis en place et des moyens considérables, accompagnées d'un discours prophétique, sont accordés aux établissements scolaires dans tout le royaume en termes de produits matériels, logiciels et de formations. À titre d'exemple, le tableau ci-dessous [2] présente la répartition en millions de Dirhams des crédits de Génie2 pour le plan 2009-2013 :
Intitulé de la charge |
Hauteur
(en millions de MAD) |
Infrastructures (ordinateurs – TBI...) |
1172 |
Formations |
147,5 |
Ressources Numériques |
63 |
TOTAL |
1382,5 |
Les mathématiques, parmi d'autres disciplines, ont bénéficié, elles aussi, de ce type d'aides pour une raison jugée primordiale, à savoir : les TICE sont particulièrement bien adaptées aux champs des mathématiques. Mais, il est très difficile de parler aujourd'hui d'une intégration des TIC dans les classes. En effet, l'approche qui a été adoptée par le MEN était globale [3]. Une approche qui laisse au terrain la prise en charge de l'appropriation des TIC et la découverte des applications pédagogiques viables. L'organisation scolaire et les programmes sont potentiellement souvent remis en cause car ils sont jugés peu adaptés aux grandes promesses de changement véhiculées par ces nouvelles technologies. Mais une simple évaluation montre que les productions pédagogiques comparées aux investissements sont presque nulles et c'est pourquoi les tableaux de répartitions des charges sont exposés en palliatif aux productions pédagogiques promises. Donc, les véritables causes sont ailleurs.
Une vraie intégration des TICE suppose de nouvelles compétences devant être acquises par les enseignants et de nouvelles pratiques enseignantes manifestées en classe (gestion de classe – gestion du temps d'apprentissage – nouvelles approches d'enseignement – transposition informatique). En effet, les enseignants, pour un travail avec les nouvelles technologies, rencontrent beaucoup de difficultés liées à la gestion de classe, aux contraintes de temps avec un programme à terminer etc. Nous pouvons donc dire, pour qu'un enseignant accepte de surmonter ces difficultés, il doit avoir des justifications personnelles (mais pas externes) de l'apport des TICE dans l'enseignement des mathématiques. Chaachoua et al. [4] soulignent également ce propos : « Nous pensons que ce n'est pas par le discours qu'on apportera des réponses à cette demande mais en donnant aux enseignants les moyens de se rendre compte par eux-même des apports de l'usage d'un environnement informatique au niveau des objectifs de l'enseignement des mathématiques. »
Quant à l'élève, une vraie intégration des TICE nécessite de sa part une construction des instruments mathématiques attachés aux artefacts. Cette dernière n'est pas facile à réaliser, étant donné la légitimité mathématique attachée aux artefacts usuels de l'activité mathématique. Ainsi apparaît-il nécessaire de justifier l'importance pour l'apprentissage des mathématiques d'entrer dans un tel travail de transformation des ordinateurs en des instruments mathématiques.
Une vraie intégration de TICE doit tenir compte de l'effet de la transposition informatique. En effet, les concepts mathématiques étudiés dans un environnement papier-crayon ne sont pas vécus identiquement dans l'environnement informatique par les élèves. Et en plus un objet mathématique enseigné dans un environnement informatique subira deux transpositions successives : la première est didactique, due au passage du savoir savant au savoir enseigné, la seconde informatique due au passage du savoir enseigné au savoir représenté dans un milieu informatique. Le rapport du sujet au savoir est donc modifié par les effets de transpositions didactiques et informatiques.
Les considérations qui précèdent nous amènent donc à souligner l'importance et la nécessité d'une approche locale pour la réussite de l'intégration des nouvelles technologies dans l'enseignement. Une approche basée sur la formation et l'expérimentation et qui prendra en compte les nouvelles variables du milieu informatique. Son but principal est de faire adhérer les enseignants à un nouvel environnement et aux nouvelles pratiques pédagogiques. Elle leur permettra de maîtriser dans un premier temps les propriétés de l'artefact qu'ils utiliseront dans leurs classes ; car un artefact n'est jamais neutre et influence la construction du savoir « Toute représentation transforme le représenté » Balacheff [5]. Et dans un second lieu, et en termes d'expérimentation, ils seront capables d'analyser l'impact de l'utilisation des TICE sur les conceptualisations des élèves. L'enseignant sera alors en mesure de construire ses propres convictions relatives aux apports de ces outils à l'enseignement des mathématiques, dépassant ainsi les obstacles exprimés par son comportement de réticence à l'égard des TICE.
Il s'agit donc d'une formation que l'on peut qualifier de didactique info-mathématique en phase avec l'organisation et les programmes scolaires et répondant aux besoins exprimés par les enseignants. Comme l'avait souligné Artigue [6] : « Sans sous-estimer les obstacles matériels, nous estimons que le levier déterminant aujourd'hui est celui de la formation des enseignants, tant initiale que continue. » Nous y ajoutons un second levier, la recherche-action (l'expérimentation) qui va de pair avec la formation. Dans le cas contraire, l'intégration des TICE restera superficielle et ne dépassera pas les simples utilisations et notre système éducatif continuera à basculer dans les généralisations abusives.
Ali Kaouani
Inspecteur Pédagogique Principal des Mathématiques
AREF du Grand CASA
NOTES
[1] L'acronyme Génie signifie : Généralisation des Technologies d'Information et de Communication dans l'Enseignement au Maroc.
[2] Bellamlih Abdelhak (2012). « Présentation du programme Génie 2 », in T3 Maroc-France, Marrakech 16 Juin 2012.
[3] Bruillard Éric (1995). « Quel(s) rôle(s) attribuer aux instruments informatiques dans l'enseignement des mathématiques ? », Bulletin APMEP, n° 401, p. 893-901.
[4] Chaachoua Hamid et al. (2000). « Usage des TICE dans l'enseignement : Quelles compétences pour un enseignant des mathématiques ? », Séminaire INRP.
[5] Balacheff Nicolas (2000-2001). Cours de DEA EIAH-D, Module I1, Grenoble.
[6] Artigue Michèle (1995). Une approche didactique de l'intégration des EIAO à l'enseignement, in Environnements informatiques d'apprentissage avec ordinateur, Paris : Eyrolles, p. 17-28.
|