bas de page

 
Évaluation des élèves dans l'enseignement scolaire au Maroc dans la perspective des nouveaux programmes :
principaux aspects, fonctions et instruments utilisés
dans le nouveau contexte de l'évaluation des compétences

Abderrahim El Mhouti, Azeddine Nasseh, Mohamed Erradi, Kamal Eddine El Kadiri
 

Résumé
L'évaluation des étudiants est un domaine en évolution. C'est un processus complexe étroitement lié à des intentions de formation, et qui présente de nombreux avantages, tant pour l'étudiant que pour son enseignant.

Contrairement aux pratiques traditionnelles, issues des théories béhavioristes où l'évaluation des apprentissages se fait en général au moyen d'examens où l'élève doit démontrer qu'il connaît la « bonne réponse » d'une question correspondant un objectif fixé, le contexte actuel des réaménagements et des réformes des systèmes éducatifs, s'inspirants du constructivisme et du socio-constructivisme, situe l'évaluation des apprentissages au regard d'objectifs pédagogiques associés à des habiletés de niveau supérieur, à des habiletés complexes ou à des compétences. Ces pédagogies actives, mise en oeuvre par l'approche par compétences et pédagogie de l'intégration, ont contribué à renouveler les pratiques en matière d'évaluation tout en privilégiant la mise à profit de la fonction formatrice de l'évaluation.

Dans ce cadre, le système éducatif marocain a connu des changements profonds pour accroître son efficacité et répondre aux défis de la société d'aujourd'hui. Sa réforme est entrepris avec la promulgation en 1999 de la « Charte Nationale d'Éducation et de Formation » qui définit, dans son levier 5, les différents principes d'évaluation des apprentissages et préconise, dans son article 106, la mise en place de l'approche par compétences. Ces directives recommandent de réviser le système d'évaluation et de le mettre en cohérence avec l'approche par compétences pour mener à une refonte des modalités d'évaluation et de formation.

En effet, la mise en oeuvre des nouveaux mécanismes d'évaluation nécessite un changement d'attitude de la part de l'enseignant. Ce dernier doit modifier ses attitudes d'évaluation, du statut de l'erreur, de l'implication de l'apprenant dans la mise en oeuvre des décisions pédagogiques et des évaluations.

Dans cette étude, qui a pour but d'en dégager une pratique d'évaluation qui puisse s'appliquer de façon réaliste dans le contexte d'une classe et aider l'enseignant à faire des choix et à prendre des décisions, nous présentons quelques aspects fondamentaux de l'évaluation comme une composante essentielle de l'action éducative. Puis, nous traitons l'évaluation des apprentissages dans le contexte actuel des nouveaux systèmes éducatifs s'inscrivants dans une perspective constructiviste – socio-constructiviste, notamment l'approche par compétences. Enfin, nous présentons quelques fonctions de l'évaluation ainsi que les instruments dont ont recourt de plus en plus dans le cadre de l'évaluation des compétences.

Mots clés : évaluation, compétence, formation, enseignement, apprentissage.

 
Introduction

   Dans le domaine de l'éducation, l'évaluation des apprentissages est sans contredit un élément clé de tout programme de formation. Elle doit rendre compte du degré auquel les individus en formation répondent aux attentes ou aux intentions de cette formation.

   Comme l'évolution des théories d'apprentissage, les mécanismes d'évaluation des apprenants ont aussi évolué à travers différentes périodes. Au milieu due XXe siècle, les théories béhavioristes, ont contribué à renouveler les pratiques en matière d'évaluation. C'est grâce à ces théories qu'on peut s'assurer qu'une question correspond bien à l'objectif qu'on s'est fixé. L'évaluation des apprentissages se fait en général au moyen d'examens où l'élève doit démontrer qu'il connaît la « bonne réponse ».

   Cependant, avec l'émergence des pédagogies actives issues du constructivisme et socio-constructivisme dont l'approche par compétences et la pédagogies de l'intégration qui ont conduit à la réforme de plusieurs systèmes éducatifs dans le monde, de nouveaux défis sont imposés selon plusieurs points de vue : entre autres l'évaluation. L'école met en pratique de nouvelles formes d'évaluation tout en privilégiant sa dimension formative.

   Dans ce contexte, le système éducatif marocain a connu des changements profonds pour accroître son efficacité et répondre aux défis de la société d'aujourd'hui. Sa réforme est entrepris avec la promulgation en 1999 de la « Charte Nationale d'Éducation et de Formation ». Cette Charte définit, dans son levier 5, les différents principes d'évaluation des apprentissages et préconise, dans son article 106, la mise en place de l'approche par compétences. Conformément à ces directives, le système d'évaluation est révisé et mis en cohérence avec l'approche par compétences, ce qui a conduit à une refonte des modalités d'évaluation et de formation.

   En effet, en terme d'évaluation, la mise en pratique de l'APC implique une évaluation centrée sur le développement de compétences, une évaluation du niveau de maîtrise des compétences par les apprenants en début, en cours et en fin d'année, ainsi qu'en fin de chaque période d'apprentissage. Une fois l'évaluation des compétences est réalisée, de nouvelles activités sont présentées aux apprenants ayant des lacunes afin de les résorber.

   Dans cette étude, nous présentons quelques aspects fondamentaux de l'évaluation comme une composante essentielle de l'action éducative. Puis, nous traitons l'évaluation des apprentissages dans le contexte actuel des nouveaux systèmes éducatif, et dans une perspective constructiviste – socio-constructiviste, notamment l'approche par compétences. Enfin, nous présentons quelques fonctions de l'évacuation ainsi que les instruments utilisés.

Aspects fondamentaux de l'évaluation

L'évaluation prépare une décision

   Un premier aspect fondamental de l'évaluation réside dans le fait qu'elle est orientée vers la prise de décision et qu'elle doit préparer la décision. C'est ce qui différencie fondamentalement l'évaluation du jugement ou d'une appréciation. Le fait de juger, d'apprécier une personne ou une action, relève d'un processus empirique, souvent spontané, et basé sur des impressions ou sur des critères implicites. Au contraire du jugement, l'évaluation est un processus intentionnel, systématique, basé sur des critères explicites et orienté vers une prise de décision. C'est ainsi que l'on évalue :

  • en début d'année les performances des élèves pour décider si l'on peut commencer les apprentissages comme prévu ;

  • en cours d'année les performances d'un élève pour décider s'il est nécessaire de mettre en place une procédure de remédiation ;

  • en fin d'année les performances d'un élève pour décider s'il peut passer dans la classe supérieure.

   Selon les cas, l'évaluateur prendra lui-même la décision (c'est par exemple le cas de l'enseignant qui évalue les acquis de ses élèves afin d'apporter une remédiation éventuelle), ou il se contentera de préparer la décision qui se prendra à un autre niveau (c'est par exemple le cas des évaluations dans lesquelles on fait appel à un évaluateur externe, en vue de garantir le maximum d'indépendance).

L'évaluation doit se fonder sur des objectifs en relation avec la décision à prendre

   S'il est vrai que l'évaluation prépare la décision, cette décision n'est forcément pas connue au départ (sinon l'évaluation ne serait pas nécessaire) : on ne peut donc pas connaître d'avance la décision qui sera prise. Pour évaluer correctement, il faut en revanche commencer par avoir une idée très précise du type de décision qui pourrait être prise : un enseignant peut évaluer les performances des élèves soit pour prononcer la réussite ou l'échec (premier type de décision), soit pour décider ou non de proposer à certains une remédiation individualisée (deuxième type de décision), soit encore pour décider ou non de passer au chapitre suivant (troisième type de décision). Ces trois types de décisions provoqueront des évaluations très différentes. C'est là le rôle des objectifs de l'évaluation.

   La première question à se poser lorsqu'on est chargé de mener une évaluation est donc « quel type de décision peut-on être amené à prendre ? », et en fonction de la réponse à cette question, « quels objectifs vais-je me donner pour bien préparer ce type de décision ? ».

   De même qu'une nouvelle solution possible peut apparaître en cours de route, les objectifs ne sont pas nécessairement déterminés une fois pour toutes. Il peut arriver que l'on soit amené à rajuster l'objectif en cours de route.

Les objectifs doivent déboucher sur des critères d'évaluation

   Une fois les objectifs fixés, il faut déterminer des critères qui reflètent ces objectifs. Par exemple, un enseignant décide de recommencer le chapitre s'il est acquis par moins de trois quarts des élèves, il décide que l'élève peut passer dans l'année supérieure parce qu'il maîtrise l'ensemble des compétences de base, même si certains savoirs et savoir-faire secondaires ne sont pas acquis. Ce sont là les critères qui préparent la décision, qu'on pourrait qualifier de critères de décision. Quand l'évaluateur prend la décision lui-même, les critères de décision sont les mêmes que les critères d'évaluation.

L'évaluation nécessite de recueillir des informations

   Pour préparer la décision, l'évaluateur doit recueillir un ensemble d'informations. On distingue en général deux types principaux d'informations :

  • les faits : ce sont toutes les informations que l'on peut objectiver d'une façon ou d'une autre ;

  • les représentations : ce sont les avis, les perceptions, les images... de personnes concernées par l'évaluation.

   Les information recueillies doivent êtres :

  • pertinentes : c'est-à-dire qu'elles doivent être conformes à l'objectif que l'évaluateur s'est fixé pour l'évaluation. Autrement dit, les informations qu'il recueille doivent lui permettre de vérifier ce qu'il veut vérifier. En matière d'évaluation des acquis, on peut dire que les informations pertinentes sont à sélectionner parmi les différents types d'informations, à savoir : les performances des élèves, les représentations d'acteurs, des observations en classe et des informations issues des documents des élèves...

  • valides : cela signifie que les informations effectivement récoltées correspondent aux informations recherchées et implique donc que les outils d'évaluation permettent de recueillir les informations qu'il souhaite obtenir. En termes d'évaluation de compétences, la validité des informations tient surtout dans le fait que la situation que l'on soumet aux élèves n'ait pas encore été rencontrée précédemment.

  • fiables : cela signifie que les mêmes informations pourraient être récoltées par quelqu'un d'autre, à un autre moment ou à un autre endroit. Dans le cadre de l'évaluation des compétences, il s'agit surtout de voir le contexte dans lequel se déroule la situation d'évaluation : quelles précisions l'enseignant donne-t-il lorsqu'il énonce la consigne ? Dans quelle mesure intervient-il pour aider un élève en difficulté ? etc.

Quelques types d'évaluation

Évaluation normative et évaluation critériée

   Une évaluation normative (évaluation de classement) est une évaluation dans laquelle les élèves sont classés par rapport à la performance d'autres élèves, et non en fonction de leur performance absolue. Elle peut être utilisée indifféremment pour orienter, réguler (former) ou certifier.

   Une évaluation critériée est une évaluation dans laquelle les élèves sont classées par rapport à un niveau de maîtrise d'un objectif ou d'un ensemble d'objectifs, indépendamment de la performance des autres élèves.

Évaluation sommative, évaluation descriptive et évaluation intégratrice

   Une évaluation sommative est une forme d'évaluation dans laquelle on fait le point sur la somme des acquis de plusieurs apprentissages. Dans l'idée d'évaluation sommative, il y a deux choses : on évalue sur la base d'items isolés, et sur la base d'une somme d'items.

   Pour l'aspect « évaluation sur la base d'items isolés », on oppose l'évaluation sommative à l'évaluation intégratrice, qui, au lieu d'être basée sur une somme d'items (somme d'objectifs), est basée sur une tâche complexe, ou un petit nombre de tâches complexes.

   Pour l'aspect « somme d'items », on oppose l'évaluation sommative à une évaluation descriptive, dans laquelle le recueil d'informations se fait de façon différenciée, par exemple dans le but de déceler des difficultés particulières. On peut par exemple vérifier l'atteinte d'un ou deux objectifs pris séparément.

Évaluation formative et évaluation formatrice

   L'évaluation formative (appelée aussi évaluation-régulation) est un type d'évaluation menée par l'enseignant, qui, en cours d'apprentissage, vise à détecter les difficultés de l'élève en vue d'y remédier. Elle est définit par Scallon (1988) comme suit : « un processus d'évaluation continue ayant pour objet d'assurer la progression de chaque individu dans une démarche d'apprentissage, avec l'intention de modifier la situation d'apprentissage ou le rythme de cette progression, pour apporter (s'il y a lieu) des améliorations ou des correctifs appropriés ».

   Les implications pour l'enseignant sont nombreuses, dans la mesure où la mise en oeuvre de l'évaluation formative nécessite un changement d'attitude de la part de l'enseignant : « une modification des attitudes d'évaluation, du statut de l'erreur, de l'implication de l'apprenant dans la mise en oeuvre des décisions pédagogiques et des évaluations » (Altet, 2001).

   L'évaluation formatrice (Nunziati, 1990) est un type particulier d'évaluation formative, qui implique les élèves dans le processus d'évaluation formative, en les amenant à s'approprier les critères d'évaluation, et en les impliquant dans les processus de gestion des erreurs.

Changement de paradigme, changement de contexte pédagogique

   L'approche par les compétences adoptée comme principe organisateur et structurant des nouveaux systèmes éducatif, dont le système éducatif marocain, devrait s'accompagner d'une façon différente d'enseigner, organiser les relations dans la classe et d'évaluer. La conception de l'apprentissage qui se réalise par une suite d'acquisitions séquentielles et cumulatives de savoir et savoir faire, organisés et distillés par une source externe, devrait céder la place, d'une part, à une autre vision de l'apprentissage qui est conçu comme résultat de l'activité propre de l'apprenant dans le développement de ses compétences, d'autre part, à une autre vision de l'évaluation. Le changement de paradigme doit donc se traduire impérativement par un changement de contexte d'apprentissage et de pratique d'évaluation.

Une autre vision de l'évaluation des apprentissages

   À ce nouveau contexte d'apprentissage actif est associée une autre vision de l'évaluation qui s'articule autour de fonctions et procédés entièrement refondés par rapport à ceux qui ont prévalu dans la perspective des modèles traditionnels. Cette refondation, en plus du réaménagement qu'elle fait subir aux procédés et concepts dont le sens est redéfini, introduit de nouveaux éléments.

   Parmi ces éléments nous avons choisi d'en traiter trois qui nous semblent devoir requérir une attention importante concernant l'évaluation dans le contexte de l'école marocaine.

L'intégration de l'évaluation dans le processus d'apprentissage

   Le premier élément concerne l'intégration de l'évaluation dans le processus d'apprentissage. Ce repositionnement constitue une rupture par rapport aux pratiques traditionnelles de l'évaluation qui n'intervenait qu'à la fin des séquences d'enseignement-apprentissage. Dans ce cadre, la « Charte Nationale d'Éducation et de Formation » et le « programme d'Urgence » [1], visant l'accélération de la mise en oeuvre de la réforme, recommandent la mis en adéquation du système d'évaluation avec les compétences par matières, tout en préconisant ce type d'évaluation intégrée à la situation d'enseignement-apprentissage.

   Dans leurs pratiques de classe, les enseignants doivent s'inscrire dans le cadre de ce type d'évaluation ce qui nécessite une connaissance de ses procédés et de la présence de l'instrumentation adéquate. Un autre concept à prendre en compte par les enseignants lors de la pratique de ce type d'évaluation est de distinguer entre la notion de remédiation, liée à l'évaluation formative dans l'approche par les objectifs, et la régulation, concept systémique qui implique que l'action corrective intervient pour régler une situation. Renard Legendre fournit la définition des deux notions comme suit :

« - Régulation : action de régler une chose, une situation en y intervenant de façon à obtenir un fonctionnement normal.

- Remédiation : (en didactique) procédé qui vise la mise en place d'activités aidant les élèves à s'améliorer à la suite d'une activité d'évaluation formative située à la fin d'un apprentissage » [2].

   Partageant les mêmes visées pour l'amélioration et le perfectionnement de l'apprentissage, elles différent par les moments particuliers de leur intervention et, surtout, par la nature du feed-back produit et le contenu de l'action corrective.

L'évaluation des processus

   Cette évaluation s'intéresse aux stratégies d'apprentissage et aux démarches de résolution de problèmes. Ces stratégies et démarches permettent à l'élève d'utiliser les ressources acquises. Elles ont une importance capitale dans l'exercice de la compétence définie comme savoir agir fondé sur la mobilisation et l'utilisation efficace d'un ensemble de ressources. C'est de leur qualité et de leur efficacité que dépendent la pertinence des choix portés sur les ressources nécessaires à l'exercice d'une compétence et leur mobilisation en situation pour accomplir les tâches requises. En effet, un objet d'apprentissage et d'évaluation concourt à apprendre à l'élève à prendre conscience de la valeur de ses démarches de réalisation, d'en apprécier la pertinence et l'efficacité et de savoir les gérer. L'enseignant doit s'attacher, au cours de la situation d'apprentissage et d'évaluation, à faire constamment le lien entre les ressources que l'élève acquiert et les stratégies qui permettent leur mobilisation et leur réutilisation fonctionnelles. Pour entraîner les élèves à la mobilisation et l'intégration des ressources, les séances d'intégration adoptées par la pédagogie de l'intégration, qui représente un cadre méthodologique de l'approche par compétences, sont l'occasion idéale pour fournir des rétroactions fréquentes sur la maîtrise des ressources, leur mobilisation et les stratégies utilisées pour apprendre et résoudre des problèmes. Ces séances sont détournées de leur vocation pour servir de séance de remédiation ou d'application au cours desquelles les élèves s'appliquent à traiter les exercices qui se trouvent dans les livres scolaires.

L'auto-évaluation

   L'auto-évaluation consiste à amener l'élève à être en mesure de porter un jugement personnel sur la maîtrise de ses ressources et de ses stratégies. Elle fait référence à la connaissance qu'il a de sa personne et au contrôle qu'il peut exercer sur elle. Entraîner l'élève à l'auto évaluation développe ses capacités méta cognitives et lui confère les attributs d'une personne sachant se gérer aux plans cognitif et affectif. Placé devant des situations problèmes, l'élève est invité à s'auto-évaluer continuellement. Il apprend ainsi à mieux mesurer l'exigence des tâches qui lui sont soumises et à mobiliser les ressources et les stratégies adéquates pour les résoudre.

   La psychologie cognitive a montré depuis longtemps la relation étroite qu'entretient la méta cognition avec la motivation scolaire. La méta cognition amène l'élève à mieux percevoir l'exigence des tâches à résoudre et à mieux sonder les ressources et les stratégies pour y faire face. En plus, elle développe les capacités de contrôle de soi. Ces trois facteurs comptent parmi les composantes essentielles de la motivation et renforcent l'engagement et la persévérance. La méta cognition agit également sur les capacités d'autonomie de l'élève et sa pensée réflexive. Le développement des capacités méta cognitives par l'auto-évaluation, exercée sous formes verbales ou instrumentées, peut avoir donc un effet salvateur sur la motivation scolaire dont dépend la réussite scolaire.

Les fonctions de l'évaluation

   Dans la perspective traditionnelle qui visait la maîtrise d'une suite d'objectifs éducatifs précisément circonscrits, grâce à la transmission de contenus découpés et ordonnés en progressions séquentielles, l'évaluation remplissait des fonctions distinctes avec chacune une finalité propre. Dans tous les cas de figure, l'évaluation intervient à des moments distincts de l'apprentissage et a comme support des situations et des contenus artificiels et scolaires. Elle porte sur une seule dimension à la fois, généralement la dimension cognitive et se caractérise par l'uniformité des conditions et des temps de déroulement.

   Dans la nouvelle perspective de l'approche par les compétences, les fonctions de l'évaluation sont tout autres :

  • une fonction de soutien au développement des compétences par la régulation du processus d'enseignement-apprentissage ;

  • une fonction de reconnaissance des compétences.

La fonction de soutien au développement des compétences

   Elle s'exerce à deux moments du processus d'enseignement-apprentissage :

  • au début du processus pour diagnostiquer les prérequis des élèves et les situer par rapport aux apprentissages prévus ;

  • au cours du processus pour soutenir la progression des élèves.

   Les informations recueillies au début des apprentissages permettent à l'enseignant d'adapter le dispositif prévu en fonction des caractéristiques manifestées par les élèves. Cette adaptation peut prendre deux formes :

  • Une action d'aide à l'adresse des élèves qui manifestent des carences telles qu'ils ne peuvent tirer profits valablement des apprentissages prévus si leur niveau de compétences et de maîtrise des ressources disponibles n'est pas amélioré.

  • Une action de réajustement du dispositif d'apprentissage en fonction des caractéristiques de certains groupes d'élèves. Ainsi l'apprentissage sera différencié et adapté à leurs possibilités réelles.

   Les informations recueillies en cours d'apprentissage visent à soutenir les élèves. Ce soutien se réalise par une régulation de la démarche d'enseignement de l'enseignant et la démarche d'apprentissage de l'élève. Pendant les situations d'apprentissage, l'enseignant s'assure continuellement jusqu'à quel point ses interventions sont adaptées aux besoins et niveaux des élèves, tout en se préoccupant également de savoir si, chez certains élèves, des faiblesses ne viennent entraver leur apprentissage, au quel cas des mesures d'aide appropriées sont apportées sur le champ.

La fonction de reconnaissance des compétences

   Cette fonction intervient au terme d'une séquence, cycle ou période d'apprentissage et vise à vérifier si la ou les compétences inscrites au programme sont réellement installées chez les élèves. Elle s'apparente à l'évaluation sommative dans l'approche par les objectifs. Toutefois des précautions méthodologiques et techniques doivent être prises pour établir les spécificités de la fonction reconnaissance des compétences par rapport à l'évaluation sommative dans l'approche par objectifs. Dans la perspective de cette dernière approche, l'évaluation sommative est rendue par l'addition des résultats chiffrés obtenus à différents moments du cursus scolaire, type moyenne annuelle, ou par une note globale sanctionnant un examen terminal, type Bac. Cette méthodologie s'accommode bien avec la façon dont les objectifs étaient séparés pour les besoins d'enseignement.

   Dans l'approche par les compétences, le principe est tout autre. L'évaluation dans cette approche ne s'intéresse pas à l'atteinte d'objectifs reliés à des connaissances ou capacités dissociées. Elle ne peut donc se satisfaire d'un résultat composite à une épreuve portant sur des comportements isolés. La compétence ne peut comme le rappelle Scallon (2004) se résumer à une capacité particulière ou se réduire à un corpus de connaissances. De plus, comme le souligne Le Boeterf (1994) le savoir-agir ne peut être confondu avec le savoir-faire.

   La compétence est définie comme un « savoir-agir fondé sur la mobilisation d'un ensemble de ressources et leur utilisation efficace ». Son évaluation implique donc le recours à une méthodologie qui permet de formuler un jugement sur la disponibilité des ressources et la capacité des élèves à les mobiliser efficacement pour résoudre un problème ou accomplir une tâche complexe. La compétence intègre plusieurs ressources : connaissances, capacités, stratégies, démarches, attitudes, etc. L'enjeu de l'évaluation consiste à trouver des situations assez complexes et signifiantes permettant la mobilisation des ressources d'une part, et l'utilisation d'instruments adéquats pour porter un jugement sur la disponibilité de ces ressources et la qualité de leur mobilisation, d'autre part.

Les instruments d'évaluation

   Le but des instruments qui vont être présentés est d'observer sous de multiples aspects ce que l'élève sait faire pour inférer ce dont il est capable. Cette observation porte aussi bien sur les performances que sur les produits et les démarches. Les informations recueillies sont organisées pour permettre la formulation d'un jugement sur la compétence. Celle-ci étant globale et multidimensionnelle, l'observation doit s'accorder avec ces caractéristiques et s'exercer dans des situations qui les révèlent. Les instruments utilisés devraient permettre la consignation fidèle et valide des éléments observés. L'expression du jugement étant intimement liée à l'observation, des précautions sont nécessaires pour s'assurer que celle-ci présente les qualités qui lui permettent de supporter le rôle primordial qui lui est le sien dans le contexte de l'évaluation des compétences. L'une des manières d'y parvenir est de multiplier les situations d'observation et varier les instruments. Une autre est liée au soin à apporter à l'élaboration des ces outils et au choix des situations.

   Les instruments auxquels on recourt de plus en plus dans le cadre de l'évaluation des compétences sont les échelles et les grilles d'évaluation.

   La notion d'échelle renvoie à une suite de jugements reliés à un énoncé décrivant un critère d'évaluation et permettant de le situer et de lui attribuer un poids. Les degrés de l'échelle sont en principe explicités de manière opératoire dans une légende et sont indicateurs du niveau de maîtrise du critère considéré.

   Une grille d'évaluation est un ensemble d'énoncés organisés selon une logique bien définie. Les grilles d'évaluation les plus utilisées dans le contexte de l'évaluation des compétences peuvent être distinguées en deux catégories :

  • les grilles d'évaluation de type analytique ;

  • les grilles d'évaluation de type global.

Les grilles d'évaluation de type analytique

   Elles sont constituées d'une liste de critères accompagnée d'une échelle d'appréciation. Les degrés d'appréciation renseignent sur les différents niveaux de maîtrise de chaque critère. Les résultats par critère informent sur les points forts et les points faibles de l'élève, ce qui confère à ces grilles leur caractère diagnostique. Faciles à remplir et à traiter, elles peuvent être utilisées à toutes les étapes du processus d'apprentissage par l'enseignant et l'élève en même temps. L'élève les utilisera pour s'exercer à l'auto-évaluation ou pour évaluer d'autres élèves (évaluation par les pairs). Elles représentent un moyen simple et rapide de réguler les apprentissages.

   Il existe trois formes de grilles analytiques :

  • Les grilles uniformes : dans ces grilles, les degrés de l'échelle constituent un continuum et permettent de porter une appréciation qualitative sur la maîtrise du critère.

  • Les grilles de vérification simple ou à échelles dichotomiques : appelées aussi listes de vérification, elles permettent de vérifier la présence ou l'absence d'indices. L'utilisation est simple car l'enseignant ou l'élève qui l'utilise n'a qu'à porter une marque à l'emplacement indiquer pour juger de la présence ou l'absence de l'indice.

  • Les grilles analytiques à échelles descriptives : pour chaque critère de la grille les échelons décrivent les caractéristiques recherchées. Elle est explicite et a le mérite de renvoyer à l'élève une image claire de ses possibilités, comme elle permet à l'enseignant, grâce à la précision de l'information, d'intervenir avec assurance pour réguler les apprentissages. Mais elle présente l'inconvénient d'être difficile à élaborer.

Les grilles d'évaluation de type global

   Les grilles descriptives globales diffèrent des grilles analytiques par le fait que les échelons qui les constituent intègrent plusieurs critères à la fois, considérés simultanément. Chaque grille se compose d'une échelle qui comporte plusieurs niveaux (généralement de 3 à 6). Les descriptions que renferment les niveaux de la grille, appelés aussi rubriques, expriment en termes généraux le degré de complexification de la qualité globale à apprécier.

   Ces grilles d'évaluation ne permettent pas l'identification des difficultés des élèves. Leur objectif consiste à porter une appréciation globale sur une capacité considérée isolément, et à fixer le niveau où l'élève se situe par rapport à la compétence. Elles ne sont pas très indiquées pour réguler le processus d'apprentissage et ne peuvent constituer des instruments appropriés pour l'évaluation formative.

   Qu'elles soient globales ou analytiques, les grilles d'évaluation sont des outils pour la production de jugement. Les précautions et les soins apportés à leur construction peuvent diminuer l'écart qui sépare de l'objectivité recherchée dans l'appréciation des apprentissages, ou du moins leurs résultats. Mais force est de constater que cette objectivité sera toujours un mirage car on ne peut changer le substrat du jugement qui est par nature un avis, une opinion portée sur un fait.

   Une vue globale sur les différentes grilles permet de constater qu'elles ne sont pas d'égale qualité. Mais le chemin pour concilier dans la pratique les deux types d'approche, pour arriver à une évaluation globale de la compétence, reste entièrement à faire.

Conclusion

   L'évaluation est un processus complexe étroitement lié à des intentions de formation. Dans le nouveau contexte pédagogique de l'approche par compétences, on peut qualifier l'évaluation formative, à l'instar de ce qui est admis généralement dans les écrits spécialisés, à condition de ne pas limiter ses pratiques aux seules interventions intervenant au terme de séquences d'apprentissage et induisant une remédiation a posteriori.

   De la part des enseignants, la conduite des actions d'évaluation relève d'une compétence professionnelle importante : évaluation des compétences qu'il doit posséder chaque individu en formation au terme de son programme d'études ainsi que les apprentissages liés à leur développement. Le développement de cette compétence repose sur un nombre important de savoirs et de savoir-faire liés à l'évaluation des apprentissages entendue dans son sens le plus large. Pour les enseignants, il ne s'agit pas seulement de se centrer sur les compétences à faire acquérir dans le seul but de les attester ou de les certifier, le suivi de la progression de chaque élève est tout aussi essentiel et dépend de la maîtrise de divers procédés d'observation et de diagnostic. De plus, cette compétence à évaluer, attendue chez les enseignants, ne se réalise pas en toute objectivité comme dans le cas de la pratique des examens traditionnels. Ces personnes doivent alors exercer tout leur jugement et ce, d'un point de vue professionnel.

Abderrahim El Mhouti*
elmhouti@hotmail.com
Azeddine Nasseh**
Mohamed Erradi**
Kamal Eddine El Kadiri*

Laboratoire de l'Informatique, Recherche Opérationnelle
et Statistique Appliquée (LIROSA)
*Faculté des Sciences / **École Normale Supérieure
Tétouan, Maroc

Ce texte correspond à la communication des auteurs, au Colloque international « L'évaluation des étudiants et des formations dans l'enseignement supérieur : modèles en usage et principaux défis », à Oujda, Maroc, les 24-25 avril 2012.
http://esto.ump.ma/coleval/

Bibliographie

Altet Margueritte (2001). Pratiques d'évaluation et communication en classe, dans G. Figari & M Accouche, L'activité évaluative réinterrogée. Regards scolaires et socioprofessionnels, Bruxelles : De Boeck Université, p. 81.

Barth Britt-Mari (2005). Constructivisme : quelle place pour l'évaluation ? Revue Apprentissage de la lecture n° 1.
http://www.revuedeshep.ch/site-fpeq/Site_FPEQ/1_files/2005-1-Barth.pdf

Le Boeterf Guy (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Les Éditions d'Organisation.

Loucif Abdallah (2007). L'évaluation des apprentissages dans les nouveaux programmes.
http://files.igf21est.webnode.fr/200000108-782d779273/ évaluation_des_apprentissages_dans_les_nouveaux_programmes.pdf

Ministère de l'Éducation Nationale de l'Enseignement Supérieur de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique (2008). Pour un nouveau souffle de la réforme de l'Éducation-Formation. Présentation du Programme NAJAH, Royaume du Maroc.
http://www.abhatoo.net.ma/index.php/fre/content/download/16479/290875/file/Pour un nouveau souffle de la réforme de l'Education- Formation Présentation du Programme NAJAH.pdf

Nunziati Georgette. (1990). Pour construire un dispositif d'évaluation formatrice. Cahiers pédagogiques : apprendre, n° 280.
http://www.ac-toulouse.fr/automne_modules_files/ pDocs/public/r7102_61_nunziati.pdf

Roegiers Xavier (2003). L'évaluation des compétences des élèves : enjeux et démarches. Agence Intergouvernementale de la Francophonie : séminaire de juillet 2003 à Yaoundé.
http://mesexos.voila.net/web/EvaluationDesAcquis.htm

Scallon Gérard (1988). L'évaluation formative des apprentissages, Presses universitaires de Laval

Scallon Gérard (2004). L'évaluation des apprentissages : un domaine en évolution, De Boeck Supérieur.

Scallon Gérard (2005). Approche par compétences et évaluation.
http://www.fse.ulaval.ca/gerard.scallon/valise_bep2/formeval.pdf

NOTES

[1] Programme d'Urgence 2009-2012 : programme élaboré par le Ministère de l'Éducation Nationale, de l'Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique afin d'accélérer la mise en oeuvre de la réforme de l'Éducation et de la Formation.
http://www.enssup.gov.ma/index.php/programme-durgence/programme-durgence-2009-2012-

[2] Renald Legendre. Dictionnaire actuel de l'éducation, 2e édition, Guérin éditeur, Montréal, Québec, 1993.

haut de page
Association EPI
Juin 2012

Accueil Articles