Une commission de l'Académie des Sciences
sur l'enseignement de l'informatique
 

   L'Académie des Sciences est en train de mettre en place une commission sur l'enseignement de l'informatique, avec l'objectif de proposer une vision d'ensemble de cet enseignement, de la maternelle à l'université, à l'horizon 2020. Elle est coprésidée par les académiciens Gérard Berry et Maurice Nivat, Gilles Dowek en est le secrétaire [1]. Une première réunion a eu lieu le 6 janvier dernier.

   L'informatique est partout. Depuis une trentaine d'années, la synergie de la microélectronique, du logiciel et des réseaux de télécommunication a détrôné les techniques fondamentales du système productif, jusqu'alors celles de la mécanique, de la chimie et de l'énergie. Comme l'industrialisation n'a pas supprimé l'agriculture mais l'a industrialisée, l'informatisation ne supprime pas l'industrie mécanisée : elle l'informatise. Elle est la forme contemporaine de l'industrialisation [2]. L'informatique intervient dans l'économie de trois façons essentielles. Au niveau de la production de biens manufacturés ou agricoles par l'automatisation de plus en plus poussée des processus de production. Au niveau de la création de nouveaux produits ou de l'amélioration de produits anciens par l'introduction dans la plupart des objets ou machines vendus de puces qui assurent des fonctions de plus en plus nombreuses avec plus de précision et de fiabilité que ne pouvaient le faire l'utilisateur humain ou des mécanismes anciens. Au niveau de la gestion des entreprises comme des administrations où des « systèmes d'information », véritable coeur de l'entreprise, gèrent tous les flux d'information nécessaires à chaque acteur et permettent de savoir, donc de contrôler et rationaliser, tout ce qui s'y passe : ils sont l'outil stratégique par excellence sur lequel reposent toutes les décisions à prendre.

   Or, concernant l'enseignement de l'informatique, le rapport Stratégie nationale de recherche et d'innovation, SNRI, faisait en 2009 le constat que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines. » [3].

   De par le monde, l'informatique représente 30 % de la R&D (18 % seulement en Europe). Elle est l'une des trois grandes familles de la science contemporaine avec les mathématiques et les sciences expérimentales. En connexion avec les progrès des capteurs physiques, c'est l'informatique, pour ne prendre que ces exemples, qui a récemment fait faire de très spectaculaires progrès à l'imagerie médicale et qui permet ceux de la génétique. L'informatique modifie progressivement, et de manière irréversible, notre manière de poser et de résoudre les questions dans quasiment toutes les sciences expérimentales ou théoriques qui ne peuvent se concevoir aujourd'hui sans ordinateurs et réseaux.. Juristes, architectes, écrivains, musiciens, stylistes, photographes, médecins, pour ne citer qu'eux, sont tout aussi concernés.

   L'informatique a radicalement changé la manière dont nous administrons les États, créons et diffusons des oeuvres d'art, accédons à la connaissance, échangeons des informations entre individus, gardons trace de notre passé, etc. La neutralité du Net et les libertés numériques font la une de l'actualité. 2009 a vu le vote de la loi Création et Internet dite loi Hadopi. En 2006, la transposition par le Parlement de la directive européenne sur les Droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) avait été l'occasion de débats complexes où exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. Dans un cas comme dans l'autre on a constaté un sérieux déficit global de culture du numérique largement partagé. La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté.

   Il y a de grands enjeux de formation donnant à toutes et à tous une solide culture générale informatique. Un premier pas vient d'être fait avec la création à la rentrée 2012 d'un enseignement de spécialité optionnel en Terminale S « Informatique et Sciences du numérique ». Il en appelle d'autres.

   On enseigne les mathématiques, les sciences physiques et les SVT de l'enseignement primaire à l'université. Cela veut dire que l'on a estimé et que l'on juge toujours bon de donner à tous une culture scientifique en commençant par les choses les plus simples mais indispensables à la vie de notre société. C'est le début d'une connaissance que l'on peut enrichir jusqu'à devenir un spécialiste patenté de tel ou tel chapitre de la science après quelque chose comme vingt ans d'études. Il a fallu bien des efforts pour en arriver là et mettre sur pied des programmes cohérents prévoyant que chaque année de nouvelles connaissances soient ajoutées aux précédentes de façon harmonieuse. L'explication des phénomènes que l'on commence par faire observer aux enfants les plus jeunes devient au fur et à mesure que l'enfant avance en âge plus précise et plus convaincante.

   L'objectif est de faire de même avec la science informatique. De former « l'homme, le travailleur et le citoyen » du 21e siècle. De donner à tous les fondamentaux de culture générale informatique, scientifique et technique, dans l'enseignement scolaire et dans l'enseignement supérieur, sur lesquels les formations professionnalisantes, de par les évolutions incessantes des besoins, doivent justement pouvoir s'appuyer. L'ambition de la commission est d'apporter sa contribution à cette ardente obligation.

Le 15 janvier 2012

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] Sont actuellement membres initiaux de cette commission :
Serge Abiteboul, directeur de recherche à l'INRIA, membre de l'Académie des Sciences, professeur au Collège de France,
Jean-Pierre Archambault, professeur agrégé de mathématiques à la retraite, président de l'EPI,
Christine Balagué, enseignante chercheuse à l'Institut Télécom, coprésidente de Renaissance Numérique,
Georges-Louis Baron, professeur de sciences de l'éducation à l'Université Paris Descartes, directeur du laboratoire Éducation et apprentissages,
Gérard Berry, directeur de recherche à l'INRIA, membre de l'Académie des Sciences, professeur au Collège de France 2007-2008 et 2009-2010,
Gilles Dowek, directeur de recherche à l'INRIA,
Colin de la Higuera, professeur en informatique à l'Université de Nantes, président de SPECIF,
Maurice Nivat, membre de l'Académie des Sciences,
Françoise Tort, maître de conférences en informatique à l'École Normale Supérieure de Cachan,
Thierry Viéville, directeur de recherche à l'INRIA.

[2] Michel Volle, Le nouveau monde
http://michelvolle.blogspot.com/2011/05/le-nouveau-monde.html

[3] « Le système éducatif n'a pas donné à l'enseignement de l'informatique une place suffisante en regard des enjeux futurs, industriels et d'innovation pour l'ensemble de l'économie nationale, et de participation à la vie sociale et politique de la part des citoyens. Absent aux niveaux primaire et secondaire, il est inexistant ou trop limité dans les classes préparatoires aux grandes écoles. La majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines. Pourtant, ils utiliseront ou pourront avoir à décider de l'utilisation d'outils informatiques sophistiqués. Il est à craindre qu'ils ne le feront pas avec un rendement optimal ou que, en position de responsabilité, ils sous-estimeront l'importance du secteur. »

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Association EPI
Janvier 2012

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