Pratiques de recherche d'information sur Internet
dans des activités de documentation.
Analyse des activités des apprenants dans le contexte scolaire

Magali Loffreda
 

Résumé
Bien qu'ils soient acculturés à l'usage des TIC, les jeunes adolescents éprouvent des difficultés à effectuer des tâches de recherche d'information (RI) lors d'activités de documentation en contexte scolaire. Le débat entre
usages experts et usages novices est donc encore d'actualité. Pourtant, les apprenants ont des stratégies de recherche spécifiques qui démontrent des capacités d'analyse, et une approche pragmatique des outils malgré un manque de connaissance du fonctionnement interne des moteurs de recherche. Sur ce point, les évolutions récentes des moteurs de recherche tendent justement à offrir aux usagers une interface de plus en plus simplifiée. Dans le cadre de la deuxième année de Master, nos enquêtes avaient pour objectif d'observer les pratiques de RI des apprenants au sein des Centres de documentation et d'information (CDI) et de voir comment les moteurs de recherches interviennent dans la tâche de RI. Ainsi, nous avons pu montrer qu'il existe des constantes quant à l'appréhension des outils. Il importe aujourd'hui de prendre en compte les différents contextes d'appropriation des TIC (cadre familial/cadre scolaire) à travers des observations permettant de bien montrer les écarts existants en terme de pratiques, et s'il est possible d'entériner des schèmes d'utilisation.

Introduction

   Si l'enquête Médiapro de 2006 a dévoilé que, pour les jeunes, la recherche d'information (RI) sur Internet devient une pratique ordinaire, il existe encore un écart entre usages normés et prescrits et usages dits non-formels. Les activités pédagogiques peinent aussi à se mettre en place, malgré l'insistance – au sein de l'Éducation nationale ; il existe des cours de documentation et de Techniques documentaires dans l'enseignement agricole – sur la nécessité d'une formation aux compétences informationnelles. Actuellement, à travers les pratiques de recherche effectuées au Centre de documentation et d'information (CDI), nous nous attardons beaucoup sur la question de l'évaluation des sources ou des informations plus que sur les processus de recherche. Comme si, en quelque sorte, l'évaluation des sources et des informations garantissait le bon déroulement d'une recherche tout en en évaluant les procédures. Cependant, trouver l'information ne garantit pas toujours une utilisation, si ce n'est pertinente, disons conscientisée des outils.

   En revanche, les procédures de recherches peuvent reposer sur des stratégies où l'usager, sans forcément connaître le fonctionnement interne d'un moteur de recherche, peut trouver la réponse à son besoin d'information.

   Mais la recherche d'information via les moteurs de recherche implique également des processus de navigation et de consultation qui ont parfois du mal à se détacher des mythes actuels liés aux outils informatiques, et à Internet en particulier, perçu à la fois comme un outil de promotion sociale s'appuyant sur des enjeux économiques, et une innovation garante d'un avenir meilleur où l'information sera à la portée de tous, et de façon immédiate.

   Les informations ou les ressources présentes sur Internet ont des caractéristiques spécifiques. En effet, sur Internet, les informations sont instables (des sites naissent ou disparaissent chaque jour), incontrôlées (n'importe qui peut publier sur Internet, et on peut y trouver n'importe quoi), non-structurées, multilingues, publiques et commerciales (ce qui peut jouer sur la fiabilité des sources).

   Il est de plus difficile de dresser un portrait des moteurs de recherche sur Internet dans la mesure où ces derniers évoluent assez rapidement. On peut noter également l'imbrication des outils, notamment entre moteurs et annuaires, qui deviennent alors des outils hybrides proposant plusieurs types de recherche : navigation arborescente, recherche hypertextuelle, ou encore recherche par mot clé. Cependant, l'une de leurs caractéristiques semble être de tendre à simplifier au maximum leurs interfaces, comme en témoigne les récentes publicités autour de Google Chrome, bien que les algorithmes de recherche restent opaques, d'où le terme employé de « boîte noire ».

   Comme le stipule Alexandre Serres (2004) : « les usagers sont passés d'une situation de dépendance totale vis-à-vis des professionnels à une interaction directe avec les outils. Cette automatisation croissante des utilisateurs est la conséquence directe d'une tendance lourde de l'évolution des outils : la simplification d'usage. »

Pratiques de recherche d'information (RI) sur Internet dans des activités de documentation

   Les modes de tri et la présentation des résultats ont pourtant une grande influence sur la recherche d'information dans la mesure où ils sont les tenants et les aboutissants d'un processus qui se réoriente en fonction des réponses à une requête spécifique.

   Les moteurs de recherche reposent aussi sur des stratégies marchandes et industrielles (achat de mot clé, liens sponsorisés...) qui biaisent les résultats, et sur lesquels l'usager n'a pas beaucoup de prise. Ces stratégies montrent que la part de neutralité, si tant est qu'elle existe, est mince dans la présentation des résultats.

   À cela s'ajoute l'édition de profils d'usagers, qui entraîne une nouvelle perspective de résultats pour les moteurs de recherche. Pourtant, les moteurs de recherche sont des outils sur lesquels on ne peut faire l'impasse car ils sont l'une des entrées principales vers les ressources disponibles sur le web (Ertzscheid 2008).

   L'urgence est donc de poser la question de l'opacité des algorithmes conjuguée à celle de leur omniprésence (Ertzscheid 2008), de peur que le système instrumentalise l'usager, alors même qu'il est censé être un instrument pour lui.

   Un autre facteur entre également en compte dans la recherche d'information, et a sa part dans la finalité de celle-ci : l'hégémonie de Google, au point qu'est née l'expression « googler quelque chose ou quelqu'un ». Aujourd'hui, alors que la recherche d'information sur Internet devient une tâche quotidienne, à la fois tâche scolaire, et activité faite à la maison, Google devient l'un des seuls médiateurs entre la tâche de RI et la réponse à cette tâche.

   Les enquêtes menées par Le Roux (2005) révèlent que Google arrive en première position pour la recherche documentaire au CDI et à domicile, et que de nombreux CDI mettent ce moteur en page d'accueil de leur navigateur « ce qui suppose un usage quotidien de cet outil par les élèves et une validation académique et tacite de Google pour l'exploration d'Internet ».

   Ainsi, il y a une part d'aléatoire dans la RI qui n'est pas le fruit du processus de recherche mis en place par l'usager, mais le produit d'une combinaison entre les logiques des outils de recherche et les habitudes des usagers.

   Dans ce contexte, l'intérêt d'observer les pratiques de RI est qu'il n'y a pas encore de discours officiels sur ce que les apprenants doivent faire, même si les curricula et les référentiels servent de texte de cadrage pour baliser les étapes de recherche.

   L'objectif étant de former les élèves à une méthodologie de travail en définissant un schéma commun à toute recherche documentaire afin de pérenniser les démarches.

   Dans le cadre du CDI, soumis à des réglementations particulières, la construction de connaissances concernant l'utilisation des ordinateurs, d'Internet et de la recherche d'information s'inscrit dans un environnement baigné des prérogatives des pouvoirs publics. Mais les difficultés liées aux temps et aux espaces d'apprentissage restreignent les temps de formation.

État des recherches précédentes sur la RI

   Les jeunes sont nés dans un monde avec les appareils et ils en parlent comme d'une sorte de « parc familier » (Perriault 2002), cependant leurs modes d'usages ne traduisent ni hyperactivité ni approche différente du savoir. Si les jeunes utilisent aujourd'hui les mots empruntés aux lexiques de l'ordinateur et d'Internet, car ils sont nés dans un univers baigné de ces inventions, les métaphores qu'ils emploient montrent que leur perception des ordinateurs en font parfois une machine « magique » à laquelle ils prêtent souvent plus de compétences qu'elle n'en a réellement.

   En témoigne par exemple l'usage de la souris et l'importance du verbe « cliquer » où l'utilisateur semble rejeté au second plan. Les étapes de recherche, au lieu d'être explicitées, se traduisent par « je clique ici/là/dessus/etc. » qui réduisent les étapes intermédiaires de la réflexion à une seule action qui semble résumer à elle seule toutes les opérations intellectuelles de la démarche de recherche d'information.

   Peut-être qu'entre aussi en jeu la représentation qu'ont les usagers du potentiel offert par les outils, où la « souris » entraîne son utilisateur dans les chemins de la découverte, avec une certaine réduction des efforts sous la séduction des icônes et des onglets, et où la machine est un guide à qui l'on fait confiance.

   Les élèves sont donc prisonniers du regard qu'ils portent sur les interfaces sans percevoir l'autre côté du miroir, les opérations propres à la machine (Baron 2006).

   Ainsi, ils ne remettent pas toujours en question leur recherche mais invectivent la machine qui en quelque sorte, les a trompés. Patrice Bride et Maria Gatine (2009) ont ainsi relevé que les élèves se comportent « comme si le moteur de recherche était une personne que l'on interroge, à qui l'on pose une question in extenso, sans oublier le point d'interrogation, et que l'on gronde lorsque la réponse n'est pas satisfaisante ».

   La formulation des requêtes sous forme de questions laissent penser qu'ils font confiance à la machine pour trouver la réponse, et leur impatience lorsque les réponses se font attendre, que se soit à cause du temps de la connexion ou du téléchargement, entre peut-être dans ces considérations, car pour eux : « Internet c'est rapide et efficace. »

   On relève aussi des faiblesses notamment en ce qui concerne l'expression des procédures effectuées car cela implique de décomposer opérations techniques et opérations intellectuelles, alors même qu'elles vont de pair dans le cadre de la RI. Pourtant, décrire les actions permet d'en faire ressortir la structure et de les ancrer en mémoire, même si l'écueil est de mémoriser une action inefficace, ou de croire qu'elle est un modèle à pérenniser.

   Cependant, les travaux de Nicole Boubée montrent que les stratégies de recherche des élèves traduisent bien des logiques spécifiques, des « logiques inventées », et non une utilisation profane des moteurs de recherche (Boubée 2007 ; Boubée et Tricot 2007).

   Nicole Boubée a mis en avant le rôle important de l'image dans la RI. La recherche par image (via Google Images) permet le repérage plus direct d'un site, et joue un rôle dans le processus d'évaluation des documents. Elle permet également de pallier à des difficultés de lecture.

   François-Marie Blondel (2001a) a souligné pour sa part que le problème n'est pas lié à la désorientation, car les élèves ne s'écartent pas de leur sujet de recherche, mais il penche plutôt pour l'absence d'une vision synthétique de leur recherche. La difficulté de la tâche de recherche pèse sur la mémorisation des protocoles de recherche, et le recours fréquent à l'icône « précédent » témoigne sans doute de cette difficulté.

   Enfin, on peut conclure sur le fait que les élèves, parce que leurs compétences sont en grande partie acquises hors du contexte scolaire, ont plutôt des pratiques ludiques que des pratiques scolaires.

   Les apprenants éprouvent encore des difficultés à effectuer des tâches de RI lorsque ces dernières sont prescrites dans le cadre d'un travail scolaire. En fait, les pratiques scolaires et les pratiques privées d'Internet diffèrent. Les premières sont apparentées à un travail scolaire et demandent une évaluation de la tâche, alors que les deuxièmes sont une appropriation ludique et générationnelle. Internet n'est pas utilisé pour la même finalité. Même si les élèves l'utilisent pour faire un devoir ou réviser des examens, il est le plus souvent un outil de sociabilité et un outil ludique (réseaux sociaux avec une forte prédominance pour Facebook, chat, jeux en ligne...).

   Les travaux de Cédric Fluckiger montrent ainsi les liens complexes entre ces pratiques (principalement entérinées par l'écoute musicale et le téléchargement de films, mais aussi la création et la consultation de blogs) qui sont des « pratiques instrumentées », et les pratiques acquises (Fluckiger 2007 ; Fluckiger 2008).

   Les pratiques personnelles des jeunes mettent plutôt en avant des compétences relationnelles car l'usage des TIC permet avant tout de créer du lien entre pairs, et aussi d'affirmer son identité (construction de soi, appartenance à un groupe, etc.), alors que les pratiques scolaires tendent à utiliser les outils comme moyen d'accès au savoir. Fluckiger a montré que le transfert entre les deux univers d'appropriation des outils ne va pas de soi.

   En effet, les compétences ne sont pas transversales, et il est difficile de créer du lien entre les deux. En fait, ce sont des compétences plutôt locales, ce qui renforce l'importance du contexte d'appropriation.

   Il y a donc un écart entre les pratiques personnelles ou familiales et les pratiques scolaires avec tout ce que le mot soulève : contraintes, prescriptions, évaluations... L'accent n'est pas mis sur les mêmes possibilités, ce qui empêche parfois de tenir compte des actions effectuées dans les deux contextes, et qui pourtant pourraient servir à entériner des schèmes d'action utiles et mobilisables à l'école comme chez soi.

   La culture des TIC paraît donc encore externe à l'école. La difficulté étant pour l'école de faire face à ces pratiques hétérogènes tout en prenant en compte les besoins que recouvrent ces pratiques qu'elle doit intégrer, non pour aboutir à une même finalité, mais pour donner une meilleure compréhension des potentialités des outils, et de leurs fonctionnalités.

Méthodologie de l'enquête

   Nos enquêtes avaient pour objectif d'observer les pratiques de RI des élèves de collège, notamment dans le cadre du CDI.

   Le choix du CDI repose sur le fait qu'il s'agit d'un lieu spécifique à la fois source (le CDI est un espace de signe) et système d'informations (le CDI est constitué d'un fonds documentaire et met à disposition des ressources) et où le professeur-documentaliste est censé jouer un rôle important dans la transmission des compétences informationnelles. De ce fait, il nous paraissait plus pertinent de pouvoir observer les pratiques dans ce contexte, sachant d'autant plus que ces pratiques sont particulières et d'une certaine complexité.

   Nous avons donc observé (observation participante) des élèves de collège dans le contexte d'activités de documentation et de séquences pédagogiques encadrées par le professeur-documentaliste et des professeurs de discipline. Les collèges visités sont tous classés Zone d'éducation prioritaire (ZEP) et sont situés en banlieue parisienne.

   Nos résultats reposent donc sur un recueil de pratiques. Deux types de situation de recherche d'information ont été analysés : les recherches « libres » ou de « loisir », c'est-à-dire entreprises par les élèves dans un but distractif (car, malgré les réglementations, certains professeurs-documentalistes sont assez souples quant à l'utilisation d'Internet, préférant voir les élèves au CDI qu'en salle de permanence, et ainsi tenter de rendre le CDI plus ouvert et donc plus attractif), et les recherches prescrites dans le cadre de séances encadrées par les professeurs de discipline (devoirs, itinéraires de découvertes, séances pédagogiques, préparation d'une exposition).

   Cependant, nous avons également mené une enquête sur un groupe d'élèves de 6e lors de leurs activités au sein d'un centre paroissial de Paris. Il nous paraissait pertinent, même si nous sortions du contexte CDI, d'observer des pratiques dans un lieu différent.

   Au sein de cette structure nous avons pu observer un groupe d'élèves – tous scolarisés en 6e – sur des séquences de RI sur Internet que nous leur avons nous-même prescrites, l'objectif étant de vérifier comment les élèves allaient entreprendre leurs recherches : s'ils allaient reprendre les mots clés du sujet ou bien entrer directement une question dans la barre de requête, ou utiliser ou non la recherche par image.

   Les fonds d'écran des séquences de RI ont été enregistrés puis analysés. Les séquences ont chacune duré une demi-heure. Avant chaque séquence, un entretien individuel d'une dizaine de minutes portant à la fois sur des questions de connaissances (moteurs de recherche, définition d'un mot clé...) et des questions personnelles (équipement à la maison...) a été mené avec les élèves.

Les pratiques de RI des apprenants dans le contexte scolaire au collège

   En ce qui concerne les observations menées dans les collèges, notre enquête montre que l'usage des ordinateurs et d'Internet est réglementé dans tous les CDI. Les élèves doivent s'inscrire et donner le sujet de leur recherche avant d'obtenir l'autorisation d'utiliser Internet.

   Ces réglementations semblent liées à la crainte que les usages ne soient déviants (usages non scolaires, piratage ou encore consultation de sites interdits ou dangereux), mais aussi à la volonté de valoriser un fonds documentaires papier considéré souvent comme obsolète ou peu attractif comparé aux ressources disponibles sur Internet.

   L'utilisation d'Internet est donc autorisée seulement si l'élève présente une consigne de l'enseignant, ou bien si le document n'existe pas dans le fonds du CDI. Elle est ensuite préconisée pour les inscriptions à des stages ou à des filières post-baccalauréat.

   Cette réglementation freine les usages d'Internet par les élèves ; un autre frein étant le manque d'équipement de certains établissements ou l'obsolescence des machines.

   Concernant l'appropriation et la vision des outils par les apprenants, nous avons pu relever, dans tous les cas de figure, que les élèves avaient du mal à définir et à identifier un moteur de recherche. Si tous les élèves nous ont mentionné Google (qui reste le moteur le plus largement utilisé), certains ont cité également comme moteurs de recherche des logiciels documentaires (BCDI) ou encore des navigateurs (Mozilla Firefox, Safari).

   La confusion entre moteurs de recherche et logiciels documentaires semble venir de l'utilisation et de la manipulation des deux outils dans la mesure où ils permettent tous deux d'accéder à des ressources selon un même mode de procédures : on décompose le sujet, on en extrait les mots clés et on entre les mots clés dans la barre de requête.

   En ce qui concerne les usages, ils sont parfois déviants (recherche d'images violentes...) et souvent ludiques (recherches de personnages, de séries télévisées, de sportifs...).

   Sinon, les élèves consultent fréquemment Wikipédia d'où sont généralement extraits les documents utilisés pour préparer un devoir ou un dossier. Les élèves utilisent également Google Images, que ce soit dans des tâches de RI de loisirs ou prescrites. Et comme le montrent les recherches de Nicole Boubée (2007), l'image a en effet un rôle important dans la sélection et la validation des sources par les élèves, notamment chez les élèves ayant de faibles compétences linguistiques et qui éprouvent des difficultés à reformuler (trouver des synonymes) les mots clés du sujet.

   Les élèves ne consultent généralement pas au-delà de la première page de résultats, ni souvent au-delà des trois premiers résultats, et choisissent le document en fonction de l'occurrence des mots clés présents dans le sujet et dans l'onglet. Les documents sont ensuite imprimés sans forcément (ce qui est fréquent) être lus.

   Dans le cadre de l'observation de séquences de recherches avec les enseignants de discipline et les enseignants-documentalistes, nous avons pu relever que les recherches sont souvent prescrites, voire même que toutes les étapes de la recherche sont entièrement balisées : l'adresse du site est donnée aux élèves ainsi que les rubriques ou les liens hypertextes sur lesquels ils doivent cliquer... Les élèves étant alors totalement encadrés.

   Lors de l'une de ces séquences, nous avons pu observer le travail d'une classe d'élèves non-scolarisés antérieurement (NSA), et non-francophones. Les élèves avaient pour consigne de remplir un tableau devant contenir les informations de certains pays (monnaie, langue...) à l'aide de Wikipédia. Pour le professeur-référent de la classe, il s'agissait de faire utiliser Internet à ses élèves afin que ces derniers ne restent pas en marge. Cependant, vu la spécificité de la classe, et les difficultés éprouvées par ces élèves, ce fut aux professeurs-documentalistes d'ouvrir une session sur l'ordinateur, et de connecter les élèves à Internet, d'aller sur Wikipédia, et parfois même de rechercher les informations via le moteur de recherche interne de l'encyclopédie. Mais, pour le professeur, l'important était que les élèves utilisent l'ordinateur et Internet.

   Ces difficultés montrent bien les problèmes concernant l'utilisation des outils et la difficulté de cerner quels en sont véritablement les enjeux et les intérêts. En ce qui concerne les activités de RI menées dans le cadre du centre paroissial, nous pouvons noter que l'appréhension et la compréhension des outils est la même que pour les autres apprenants. Cependant, les élèves ont plus largement utilisé les mots clés lors de leur recherche, avec la capacité de les reformuler lorsqu'ils estimaient que les réponses n'étaient pas pertinentes.

   De même, si la majorité des élèves utilisent Google, deux élèves ont utilisé Yahoo, et une élève a effectué sa recherche à partir du moteur interne d'un site qu'elle a elle-même sélectionné suite à l'exercice demandé, plutôt que d'effectuer sa requête directement via un moteur de recherche.

Conclusion et perspectives

   Prédire l'avenir des pratiques liées au TIC semble actuellement impossible, car nous sommes toujours dans une période d'innovations et d'inventions – qui nourrissent largement les utopies autour d'Internet et de la Société de l'information – où se dessinent encore les usages et se testent les possibilités permises par les outils.

   Dans ce contexte, la RI sur Internet est encore difficile à évaluer. Il semble qu'actuellement, nous nous attardons plus sur l'évaluation des sources, sur leur fiabilité et leur validité, mais aussi sur leur sélection et leur traitement, plus que sur les processus de recherche. Ces derniers semblent cantonnés aux étapes découpées en tranches formalisées via les différents modèles de RI proposés (le Big 6 Skills, le modèle de Carol Kuhlthau ou encore le modèle EST, Tricot et al. 2000)

   La recherche d'information induit donc des temps forts ponctués de cadrages, de recadrages, de déviations, de doute... qui sont difficilement sectionnables au moment T de l'activité, même si les modèles de RI peuvent permettre d'assimiler un processus.

   Ainsi, plusieurs limites bornent l'efficacité des méthodes de recherche. La première est la linéarité de sa représentation, et la deuxième limite est que la méthode fait loi et est centrée sur la foi en l'existence d'invariants, et dans ce cas, l'échec de l'activité est imputé au non-respect de la méthode.

   Or les étapes, si elles se déclinent facilement sur le papier ne tiennent pas compte du processus de recherche qui ne suit pas forcément un ordre précis dans la mesure où, s'il y a réévaluation du but, l'usager va rediriger ou stopper sa recherche.

   Dans le cadre de la RI, d'autres facteurs : sociaux, économiques, cognitifs... viennent se greffer à la simple utilisation « technique » des machines et rend difficile la décomposition et l'explication les étapes d'une RI.

   Les travaux disciplinaires que sont les TPE, IDD, PPCP (Projet pluridisciplinaire à caractère professionnel), où la recherche d'information est l'une des étapes fondamentales, interrogent sur la façon dont la prescription va influencer la tâche de recherche d'information.

   On a pu remarquer que les élèves font la différence entre recherche d'information faite à la maison (plutôt de « loisir ») et recherche d'information effectuée en classe (tâche prescrite).

   Ainsi, les outils ne sont pas forcément utilisés de la même façon, surtout dans la mesure où l'école attend un travail formel. L'appropriation des TIC repose plutôt sur des actions que sur des savoirs encyclopédiques, et de ce fait, les curricula ne favorisent pas forcément la transposition didactique des savoirs, ni même l'évaluation des pratiques des élèves. La conceptualisation des procédures vers un usage plus autonome ne tient malheureusement pas compte des pratiques personnelles des élèves. Il ne s'agit donc pas de transmettre un savoir mais aussi d'entériner des schèmes, notamment des schèmes de navigation.

   Il semble qu'aujourd'hui on peut parler d'une approche plutôt en aval qu'en amont des procédures de recherches d'information, dans la mesure où c'est le produit d'une recherche qui est analysé plutôt que les stratégies de recherche des apprenants.

   L'école a certes un rôle à jouer dans la formation des citoyens pour aller de l'usager à l'initié, cependant, il faut peut-être d'abord s'interroger sur les pratiques des jeunes afin de comprendre comment ils peuvent réinvestir leurs compétences en classe, avant de leur apprendre à maîtriser les outils.

   La question est de savoir comment les moteurs de recherches influencent les étapes de RI, et comment ils interviennent dans la tâche de RI et s'ils invitent à des recherches différentes qu'une recherche documentaire sur un fonds papier ou encore à l'aide d'un logiciel documentaire, et quel est le rapprochement possible et la transposition didactique des deux méthodes de recherche, en tenant compte également des pratiques privées (dans la famille, avec les pairs...) et des pratiques scolaires.

   Comment la recherche d'information entre en jeu dans les compétences informationnelles, et quelle est sa place exacte ? Et comment faire pour faire émarger des contenus ?

   Il y a bien des curricula ou encore des référentiels, mais justement, leur prolifération montre la difficulté d'homogénéiser les pratiques. Quelles sont réellement les compétences, et que mettent-elles en oeuvre ?

   Il serait intéressant d'observer également les pratiques de RI des professeurs-documentalistes, ainsi que des autres enseignants. Pour le moment, il est difficile d'identifier ce qu'il faut transmettre.

   Les TIC sont souvent perçues comme un « gadget », et de plus elles sont « chronophages », même si les enseignants reconnaissent qu'elles peuvent jouer sur la motivation des élèves.

   En fait les TIC superposent aux usages déjà établis dans l'établissement d'autres usages, qui ne sont pas forcément chronophages, mais nécessitent un travail différent. L'autre difficulté est de savoir comment enseigner différemment au travers des disciplines existantes. Il est sans doute désormais nécessaire de savoir comment les disciplines s'imbriquent, et comment créer des séquences de travail interdisciplinaire.

   De fait, les activités de RI s'inscrivent-elles dans les « éducations à... » ou dans le cadre plus large d'une discipline qui serait alors enseignée par le documentaliste ? Ou encore via le professeur de technologie ? Quelle est la corrélation entre recherche d'information sur Internet et recherche documentaire dans le fonds d'un centre de documentation ou encore une bibliothèque ? Existe-t-il même une différence entre recherche d'information, souvent employée pour Internet, et recherche documentaire, plus largement employée pour l'utilisation d'un fonds papier ?

   Pour les professeurs-documentalistes, former aux compétences informationnelles est difficile parce qu'ils interviennent sur d'autres missions : culturelles, gestions... et qu'ils n'ont pas de programmes ni d'horaires spécifiques – exception faite dans l'enseignement agricole –, donc ils ne peuvent pas imposer des séquences de travail, cependant même que l'une de ses missions est l'initiation et la formation des élèves à la recherche documentaire.

   Or les enseignants doivent réfléchir aux fonctionnalités permises par les TIC, et éviter de les utiliser pour les utiliser, s'ils veulent créer du « liant » entre usages et apprentissage.

Magali Loffreda
2e année de doctorat
Laboratoire EDA, université Paris-Descartes
45 rue des Saints-Pères, 75270 Paris Cedex 06.
PLPA externe de documentation / EPLEFPA de Saint-Germain en Laye.

Références

Aillerie, K. (2008). Les pratiques de recherche d'information informelles des jeunes sur internet. Dans L'éducation à la culture informationnelle, p. 1-5. Lille : Colloque international de l'ERté.
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00344181/fr/

Baron, G.-L. (éd.) (1989). L'informatique discipline scolaire ? Le cas des lycées. PUF.

Baron, G.-L. (2006). Réflexions sur la place des technologies de l'information et de la communication dans la formation scolaire. Dans Information et démocratie : formons nos citoyens ! 7e congrès de la FADBEN, Nice du 8 au 10 avril 2005, Nathan / Fadben.

Baron, G.-L., et Bruillard, É. (éds.) (1996). L'informatique et ses usagers dans l'éducation. PUF.

Blondel, F.-M. (2001a). Pratiques documentaires en sciences avec Internet, outils de recherche et compétences des élèves. Internet-Based Teaching and Learning 99, p. 73-78.

Blondel, F.-M. (2001b). La recherche d'information sur internet par des lycéens : analyse et assistance à l'apprentissage. Dans Hypermédias et Apprentissages 5, p. 119-133. Paris : Actes du cinquième Colloque Hypermédias et apprentissage.
http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000456/fr/

Boubée, N. (2007). L'image dans l'activité de recherche d'informations des élèves du secondaire : ce qu'ils en font et ce qu'ils en disent. Spirale 40, p. 3-9.

Boubée, N. et Tricot A. (2007). La formulation de requête, une pratique ordinaire des élèves du secondaire. Dans Actes du 6e colloque international du chapitre français de l'ISKO - International Society for Knowledge Management, p. 135-151. Toulouse : 6e colloque international de l'ISKO.
http://andre.tricot.pagesperso-orange.fr/Boubee&Tricot_ISKO.pdf

Boullier, D. (1997). Les usages comme ajustements : services propriétaires, moteurs de recherche et agents intelligents sur Internet, Dans Archivesic - CNRS, p. 1-13. Bordeaux-Arcachon : Colloque Penser les usages.
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000858/fr/

Bride, P. et Gatine, M. (2009). La documentation en duo. Les élèves et la documentation, Les Cahiers pédagogiques 470, p. 33-34.

Cordier, A. (2008). Étudier les imaginaires et les pratiques non formelles de recherche sur internet : un enjeu scientifique d'actualité pour les sciences de l'éducation et de la communication. Dans Les sciences de l'information et de la communication : affirmation et pluralité, [ ?]. Compiègne : 16e congrès SFSIC.
http://www.sfsic.org/congres_2008/spip.php?article19

Duplessis, P. (dir.) (2005). Inventaire des concepts info-documentaires mobilisés dans les activités de recherche d'informations en ligne. Dans Travaux réalisés par un groupe d'enseignants documentalistes du Maine-et- Loire, p. 1-21. Site de l'Académie de Nantes.
http://lestroiscouronnes.esmeree.fr/uploads/file/2006-01Duplessis Inventaire des concepts i-doc en RIL.pdf

Ertzscheid, O. (2008). Moteurs de recherche : des enjeux d'aujourd'hui aux moteurs de demain. Dans Métadonnées : mutation et perspectives - ADBS, p. 59-89. Dijon : Colloque Métadonnées : mutation et perspectives.
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00325690/fr/

Fluckiger, C. (2007). L'appropriation des TIC par les collégiens dans les sphères familières et scolaires. ENS-Cachan, UMR-STEF.
http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00422204/fr/

Fluckiger, C. (2008). L'école à l'épreuve de la culture numérique des élèves. Revue française de pédagogie 163, p. 51-61.

Fluckiger, C. (2009). Internet et ses pratiques juvéniles. Une étude sur les usages d'Internet par les adolescents. Médialog 69, p. 42-45.
http://medialog.ac-creteil.fr/ARCHIVE69/juvenile69.pdf

Guilhermond, N. et Liquète, V. (2007). Approche des pratiques informelles des jeunes avec Internet en matière de recherche d'information. Esquisse 50/51, p. 107-124.

Lardy, J.-P. (éd.) (2000). Recherche d'information sur Internet. ADBS

Le Coadic, Y. F. (éd.) 2008. Le besoin d'information. ADBS.

Legros, D. et Crinon, J. (éds). 2002. Psychologie des apprentissages et multimédia. Armand Colin/VUEF.

Le Roux, L. 2005a. Google au CDI : au-delà de la « boîte noire » pour une recherche d'information efficace. InterCDI 197, p. 90-96.
http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00001303/fr/

Morizio, C. (2002). La Recherche d'information. Dans J. Perriault (éd.), Éducation et nouvelles technologies. Théorie et pratiques, Nathan/VUEF.

Pinczon Du Sel, P. (2006). État des lieux des résultats d'une recherche d'information simultanée sur le moteur de recherche Google. Dans International Journal of Information Sciences for Decision Makin, p. 121-131. Besançon : Ve colloque TIC & territoire : quels développements ?
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001755/fr/

Serres, A. (2004). Recherche d'information sur Internet : où en sommes-nous, où allons-nous ? Savoirscdi [En ligne].
http://www.cndp.fr/savoirscdi/index.php?id=1052

Serres, A. (2005). Moteurs de recherche et maîtrise de l'information : faut-il former à Google et comment ? Dans HAL – Archives ouvertes, p. 1-10. Bucarest : Workshop « Le Monde selon Google ».
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001730/fr/

Simonnot, B. (2002). De la pertinence à l'utilité en recherche d'information : le cas du Web. Dans Recherches récentes en Sciences de l'information - convergences et dynamiques, p. 393-410. Toulouse : actes du Colloque international MICS-LERASS.
http://halshs.archives-ouvertes.fr/sic_00001410/

Tricot, A. ; Drot-Delange, B. ; Foucault, B. et El Boussarghini, R. (2000). La sur-utilisation d'un instrument, effet négatif d'une compétence instrumentale ? Dans Archives-Edutice [En ligne] L'exemple des compétences à naviguer sur le web. Cachan : Colloque Usages éducatifs des technologies de l'information et de la communication : quelles nouvelles compétences pour les enseignants ?
http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000210/fr/

___________________
Association EPI
Octobre 2011

Accueil Articles