Connaissance/compétences Le nouveau émerge toujours dans la douleur. Il n'a jamais été simple de créer une discipline scolaire. Dans les années 1980 existait dans les lycées une option informatique d'enseignement général. En voie de généralisation, elle fut supprimée en 1992, rétablie en 1994 puis à nouveau supprimée en 1997. Des actions menées ces dernières années ont abouti, on le sait, à la création d'un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » (ISN) en Terminale S à la rentrée 2012 : un pas en avant important qui en appelle d'autres. En ce qui concerne la façon de donner à tous la nécessaire culture générale informatique, deux approches s'opposent. La première préconise l'appropriation de cette culture par les utilisations de l'informatique. Le B2i, brevet mis en place en 2001, qui l'incarne s'est révélé être un échec, d'ailleurs prévisible. L'autre approche considère qu'une discipline scolaire à part entière est incontournable... et que la « création de 2012 » est bienvenue ! D'une manière générale, il faut distinguer la formation pour tous aux fondamentaux de culture générale informatique, scientifique et technique, dans l'enseignement scolaire et dans l'enseignement supérieur, et les formations professionnalisantes qui, de par les évolutions incessantes des besoins, doivent justement pouvoir s'appuyer sur une solide formation initiale. La formation de l'homme demande une mise en perspective des savoirs. Elle s'inscrit dans la durée. La formation du travailleur porte, elle, sur l'acquisition de compétences directement exploitables. L'informatique a souffert d'une évaluation par compétences poussée jusqu'à la caricature. Le B2i formule des compétences d'une manière extrêmement générale, du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple », éventuellement répétitives à l'identique d'un cycle à l'autre, sans que les contenus scientifiques et techniques permettant de les acquérir ne soient explicités. Avec en plus l'injonction de procéder par des contributions multiples et partielles des autres disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des notions informatiques [1]. Le lent (et chaotique) cheminement de la discipline informatique s'éclaire d'un jour nouveau quand on le situe dans un contexte plus global où les savoirs et la connaissance ont quelque peu maille à partir avec les compétences. Dans un entretien croisé accordé au Monde.fr, le 2 septembre 2011, « Contre l'idéologie de la compétence, l'éducation doit apprendre à penser », Philippe Meirieu, pédagogue et essayiste, et Marcel Gauchet, historien et philosophe, décrivent comme suit un contexte sociétal global [2]. « Le savoir et la culture étaient posés comme les instruments permettant d'accéder à la pleine humanité... Ils ont perdu ce statut. Ils sont réduits à un rôle utilitaire (ou distractif) ». On connaît la question devenue sempiternelle : à quoi ça sert ? « C'est le grand paradoxe de nos sociétés qui se veulent des "sociétés de la connaissance" : elles ont perdu de vue la fonction véritable de la connaissance »... Quid « des livrets de compétences qui juxtaposent des compétences aussi différentes que "savoir faire preuve de créativité" et "savoir attacher une pièce jointe à un courriel" » ? La notion de compétence « renvoie souvent à des capacités invérifiables dont personne ne cherche à savoir comment elles se forment ». Que peut signifier dans ces conditions « l'élève a 60 % des compétences requises » ? L'informatique a ses particularités pédagogiques. À côté des exposés de connaissances, il y a les travaux pratiques et les travaux dirigés, les projets à mettre en oeuvre. Et l'informatique dispose en la circonstance de réels atouts. Ainsi la programmation est-elle un élément de cursus informatique apprécié des élèves car elle les place dans une situation active et créative, dans laquelle ils peuvent eux-mêmes fabriquer un objet (alors qu'il n'est guère possible de construire une machine à vapeur dans un cours de thermodynamique !). On constate en effet avec l'ordinateur une transposition des comportements classiques que l'on observe dans le domaine de la fabrication des objets matériels. À la manière d'un artisan qui prolonge ses efforts tant que son ouvrage n'est pas effectivement terminé et qu'il fonctionne, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d'avoir résolu neuf questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n'est déjà pas si mal !), s'acharnera jusqu'à ce que « tourne » le programme de résolution de l'équation du second degré que son professeur lui a demandé d'écrire, pour qu'il cerne mieux les notions d'inconnue, de coefficient et de paramètre. Ces potentialités pédagogiques de la programmation, qui favorisent l'activité intellectuelle, sont parfois paradoxalement et curieusement oubliées par des pédagogues avertis (qui pour le reste apprécient les vertus de l'ordinateur et d'internet, outil pédagogique). Il y a donc de réels points d'appui pour motiver et intéresser les élèves. Dans leur entretien au Monde.fr, Philippe Meirieu et Marcel Gauchet s'intéressent également aux conditions du face-à-face pédagogique. Dans nos sociétés [3] s'accentue « l'extraordinaire difficulté à contenir une classe qui s'apparente à une cocotte-minute... les élèves ne tiennent pas en place ». Contre le savoir immédiat et utilitaire et toutes les dérives de la « pédagogie bancaire », il faut « reconquérir le plaisir de l'accès à l'oeuvre... qui se heurte à la frénésie de savoir immédiat. Car les enfants de la modernité veulent savoir. Ils veulent même tout savoir. Mais ils ne veulent pas vraiment apprendre. Ils sont nés dans un monde où le progrès technique est censé nous permettre de savoir sans apprendre ». Le fameux « savoir à portée de la main » grâce à internet. Le risque est réel « de river des élèves sur l'efficacité immédiate de savoirs instrumentaux acquis au moindre coût et de ne pas leur faire rencontrer les satisfactions fabuleuses d'une recherche exigeante.. Des élèves pourront ainsi ne pas se douter le moins du monde qu'apprendre peut être occasion de jouissance ». Effet de la démocratisation et de la massification de l'enseignement, le niveau monte globalement dans nos sociétés. Les tendances que pointe l'entretien n'en existent pas moins, même s'il ne faut pas procéder à des généralisations qui n'ont pas lieu d'être. Si tout pédagogue doit tenir compte de la réalité telle qu'elle est et bien voir ses élèves tels qu'ils sont, c'est pour les faire progresser vers des objectifs ambitieux. Nous avons en mémoire l'oxymore d'Antoine Vitez, metteur en scène et homme de théâtre, « l'élitisme pour tous ». Malgré les difficultés rencontrées, il vaut aussi pour l'éducation. Et l'enseignant sait que le temps de la pédagogie reste le temps long et qu'il n'y a pas d'apprentissages solides sans le plaisir d'apprendre pour apprendre. Cela vaut pour l'informatique comme pour toutes les disciplines. Signalons qu'il sera question des contenus scientifiques informatiques et de la pédagogie de l'informatique au colloque Didapro4-Dida STIC [4] et lors du prochain salon Educatice [5]. Et le manuel à l'intention des professeurs de la spécialité ISN de Terminale S, Introduction à la science informatique rencontre un très bon accueil auprès des enseignants qui en apprécient notamment le contenu scientifique [6]. Concernant toujours l'enseignement ISN de Terminale S, le BOEN spécial n° 7 du 6 octobre 2011 définit l'épreuve à compter de la session 2013 de l'examen. L'évaluation se fera en cours d'année. Le texte indique les objectifs de l'épreuve, les modalités de l'évaluation, la structure de l'épreuve en deux parties. Le BOEN n° 36 du 6 octobre 2011 s'intéresse à la prise en charge pédagogique. Il précise les profils (enseignants) qui devront être recherchés ainsi que le dispositif de sensibilisation, d'information, de formation, d'habilitation et de validation. Enfin, le BOEN spécial n° 8 du 13 octobre 2011 comporte le programme des élèves [7]. Le 15 octobre 2011 Jean-Pierre Archambault NOTES [1] Imaginons que l'on fasse de même pour les mathématiques en plaçant l'étude des entiers relatifs dans le cours d'histoire (avant-après JC) et celle des coordonnées en cours de géographie au gré des notions de latitude et de longitude ! [2] Débat Comment réinventer l'école ? « Contre l'idéologie de la compétence, l'éducation doit apprendre à penser » par Nicolas Truong sur Le Monde.fr du 02-09-2011. [3] Ibid. note [2]. [4] Colloque DIDAPRO 4 - Dida&STIC [5] Educatec-Educatice 2011, conférence SCÉRÉN-CNDP : L'enseignement de la discipline informatique [6] Bon de commande du CRDP de Paris : http://crdp.ac-paris.fr/IMG/pdf/bon_commande_vierge.pdf [7] Enseignement de spécialité d'informatique et sciences du numérique, trois BOEN en octobre 2011. « Baccalauréat général, série scientifique : définition de l'épreuve de spécialité informatique et sciences du numérique à compter de la session 2013 de l'examen », BOEN spécial n° 7 du 6 octobre 2011. « Enseignements de spécialité en classe terminale », BOEN n° 36 du 6 octobre 2011. « Enseignement de spécialité d'informatique et sciences du numérique de la série scientifique - classe terminale », BOEN spécial n° 8 du 13 octobre 2011. Avec, en annexe, le programme. ___________________ |
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