Les enjeux de l'utilisation des TIC dans l'enseignement de la géographie à l'université en Tunisie

Amin Mehdi
 

Résumé
Cet article cherche à étudier les enjeux de l'utilisation des TIC dans l'enseignement de la géographie universitaire en Tunisie. Toujours considéré comme un enseignement trop classique, l'enseignement de la géographie, qui se trouve toujours sous le contrôle de l'école de géographie dite classique dans ses méthodes ainsi que dans ces discours et ses savoirs, se trouve donc face aux technologies éducatives.

Mots clés : TIC, enseignement de la géographie, innovation pédagogique, information géographique, obstacle.

Introduction

   Depuis quelques années, on assiste dans l'enseignement de la géographie à l'université en Tunisie à un développement des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC).

   Il me paraît nécessaire de marquer un temps d'arrêt pour valoriser ce choix concernent l'intégralité des TIC dans l'enseignement de la géographie.

   Notre regard ne se portera pas en priorité sur les TIC mais sur leur intégration et les contextes d'usage. En effet, il est désormais temps d'éviter les amalgames entre moyens et pratiques.

   C'est à dire que notre propos ne vise pas à nier la question des moyens mais à la relativiser en n'en faisant pas un obstacle à l'analyse de l'existant. Nous visons dans cette recherche en didactique de la géographie intitulée « Les TIC dans l'enseignement de la géographie en Tunisie » de montrer l'usage des enseignants et des étudiants en ouvrant des voies intéressantes, mais aussi pourquoi certaines de ces voies sont sans issues.

   Dans les différentes parties de cet article, nous allons aborder l'enjeu des TIC dans l'enseignement de la géographie universitaire, puis repérer ce qui peut aider ou faire frein à ces pratiques.

1. Les enjeux des TIC pour l'enseignement de la géographie

   Autour des Technologies d'Information et de Communication s'expriment depuis quelques années en Tunisie une demande institutionnelle et une attente universitaire. La réponse des différents acteurs de l'enseignement de la géographie universitaire est envisagée sous deux angles :

  • l'échange d'informations géographiques, administratives et pédagogiques, aux deux niveaux, hiérarchique et non hiérarchique ;

  • l'innovation de l'enseignement de la géographie à l'université à partir du multimédia, cédéroms et Internet, au plus près des aspirations des étudiants.

   Cette recommandation insistante repose sur la conviction que ces outils de traitement de l'information géographique permettront d'optimiser le fonctionnement de l'énorme machine de l'enseignement de la géographie à l'université, et de dynamiser les pratiques d'enseignement avec l'adhésion garantie du public universitaire.

   Ce double objectif s'exprime à partir d'un constat que chaque acteur responsable, à n'importe quel niveau, a une mauvaise circulation de l'information, par manque de moyens et de temps, à cause de la persistance de routines pédagogiques, de démarches d'enseignement de la géographie souvent déconnectées de l'environnement technologique et prenant mal en compte les attentes du public universitaire.

   Satisfaire cet appel suppose une réflexion globale, afin de ne pas reproduire les erreurs antérieures en matière informatique : spécialité jalousement gardée, projets sans contenu, dérive ludique ou technologique, etc.

   Seule une mise à la portée du plus grand nombre d'outils technologiques et de compétences permettra de donner à l'enseignement de la géographie une crédibilité qu'elle ne peut avoir a priori. Une articulation crédible de l'outil avec les objectifs et les logiques de l'enseignement de la géographie, transversale ou liée aux disciplines, est la condition d'une intégration effective et raisonnable des TIC dans l'enseignement de la géographie. Ainsi, doit-on évoquer leur emploi dans le cadre disciplinaire, dans les cours et les TD de géographie même, comme en interdisciplinarité à l'université. Leurs potentialités peuvent élargir le projet au cadre académique, non seulement administratif mais aussi pédagogique et culturel, par des connexions inter universitaires.

   L'ouverture des échanges au niveau international est, on le sait, la grande révolution apportée par Internet ; l'enseignant de géographie d'aujourd'hui ne peut se permettre de l'ignorer, quand bien même ces technologies ne recueilleraient pas son adhésion, faute d'inclination ou de compétence.

   Présenter un projet d'intégration des TIC dans l'enseignement de la géographie, serait-il simplement disciplinaire, suppose donc de voir clairement les obstacles qui empêchent la prolifération de ces outils avant d'en proposer un emploi élargi et pertinent, dépassant la seule utilisation par des spécialistes.

2. Des obstacles à prévoir à l'intégration des TIC dans l'enseignement de la géographie

   On peut observer de nombreux obstacles pour intégrer les TIC dans la pratique enseignante et étudiante.

2.1. La banalisation des outils

   Si l'apparente généralisation de l'ordinateur dans l'enseignement de la géographie ne se réalise pas, c'est que les outils à notre disposition ne sont pas encore véritablement disponibles. Plusieurs raisons à cela :

- Un socle de compétences techniques

   Il est enfin apparu clairement que le socle minimal de compétences techniques devait être atteint pour permettre une utilisation « raisonnée ». En France, Le Brevet Informatique et Internet et autres certificats de compétences proposés par les concepteurs des machines sont les représentants de cette nécessité.

   Posséder une machine pour les enseignants et pour les étudiants en géographie universitaire en Tunisie ne suffit donc pas... il faut encore en maîtriser un certain nombre d'aspects en particulier techniques afin de pouvoir en faire réellement usage.

- Une accessibilité plus grande des matériels

   L'implantation des matériels dans les départements de géographie en Tunisie ne se réduit pas à des statistiques concernant le ratio ordinateurs / étudiants. Il se présente aussi sous la forme de lieux, de salles, de personnes, etc.

   L'accessibilité des TIC dans les départements de géographie est souvent posée comme un problème dès que plusieurs enseignants commencent à vouloir s'y investir (et parfois avant).

   Après une phase d'investissement initiale, il est temps de passer à une phase de consolidation et de fonctionnement.

- Une culture de l'information communication

   Il faut noter surtout qu'il n'y a pas que les outils. Tout comme la lecture d'images ne se réduit pas à faire une photo ou à allumer le poste de télévision, le seul usage technique de l'ordinateur ne suffit pas par rapport à une véritable culture de l'information et de la communication. Le monde enseignant, aux pratiques très souvent ritualisées sous la forme scolaire, est en grande partie ignorant de cette culture de laquelle il est pourtant un acteur principal. Démuni face à l'écran sous toutes ses formes, l'enseignant issu d'une culture du livre se trouve pris en défaut.

   Tiraillé entre le savoir savant et le savoir vivant, il tente de se frayer un chemin. L'appel à ce discernement suppose de développer une réelle compréhension des mécanismes à l'oeuvre. S'ils se contentent de rester au rang de spectateur, les enseignants risquent d'être rapidement marginalisés.

2.2. Le cadre social, pédagogique et didactique du système éducatif

   Les obstacles rencontrés sont aussi très profondément ancrés dans les pratiques, dans le métier même. Le cadre d'exercice, aussi bien que la conception que chacun en a, contraignent l'enseignant qui peut aussi y trouver là des motifs de résistance à l'innovation.

- L'université et la société

   La place de l'université dans la société est un débat important invoqué surtout lorsque l'université est mise en cause. La finalité de l'université est souvent interrogée par la société qui ne comprend pas toujours ses fonctionnements. Avec les TIC, la société dispose d'un outil qu'elle a largement adopté et qu'elle tente progressivement de faire partager au système éducatif. Cependant, le refus de la mode, l'esprit critique, le choix de la distance, plaide en faveur d'une université qui refuserait de céder aux injonctions de la société. En revanche, l'importance de l'adaptation des jeunes au monde réel plaide pour une intégration rapide.

   Cette façon de faire entraîne un effet retard qui s'exprime en termes de culture auquel s'ajoute celui des moyens qui s'exprime en termes d'installations. Enfin, un attachement très fort à la liberté individuelle amène de nombreux enseignants à refuser ce qu'ils appellent l'aliénation de l'université.

- L'évolution de la discipline

   Les fameux programmes d'enseignement de la géographie sont l'objet de débats très vifs. L'application d'un programme reste cependant le levier essentiel du changement des pratiques dans le cours de géographie. Cela n'empêche pas certaine évolution inscrite dans les programmes de mettre 5 à 10 années pour parvenir dans les cours.

   C'est par exemple le cas de la cartographie. Dans ce cas, la place des TIC est explicite et pourtant, elle ne parvient pas à franchir les portes du cours de géographie sans que cela soit même toujours dépendant des moyens matériels ou humains.

   La conception disciplinaire des contenus interroge aussi la possibilité d'intégrer les TIC. Ainsi, les Travaux dirigés (TD) sont-ils des biais pour introduire des TIC dans des disciplines qui n'en voient pas l'intérêt.

- La maîtrise pédagogique

   Introduire un nouvel outil comme les SIG dans le cours ou les TD de géographie ne peut laisser indemne l'enseignant qui vit avec. Cela modifie inéluctablement sa relation à l'étudiant et sa façon d'enseigner. Cela suppose donc une maîtrise pédagogique importante. On comprend la réticence d'un enseignant qui va craindre de se voir mis en difficulté à cause d'un matériel déficient ou d'une situation dans laquelle il ne peut suivre d'un seul regard tous ses étudiants, les yeux rivés sur lui.

   L'apprentissage de la conduite de la classe n'a pas encore introduit les spécificités liées à la place de l'informatique comme nouveau facteur. De même, l'enseignant qui débute est très attentif à ses contenus d'enseignement et se trouve très réticent à introduire des outils pouvant le mettre en difficulté. On comprend là de nombreuses réticences observées pendant le triage des questions de cette enquête.

- La valorisation

   L'un des grands écueils de l'introduction des TIC est l'absence de la valorisation. Pourquoi faudrait-il en passer par-là actuellement ? Parce que ces pratiques sont considérées comme innovantes et que l'enseignant qui s'engage dans de telles voies souhaite être soutenu par ses pairs et sa hiérarchie. Ce besoin de valorisation se trouve aussi chez les étudiants, mais il est vécu surtout vis à vis de l'extérieur. Pour l'enseignant, c'est surtout l'intérieur de l'établissement qui fait défaut.

   Du coup, il se sent souvent fondé à une liberté d'attitude et de parole qui l'amène parfois à s'exprimer davantage en dehors de l'institution que dedans. En période de développement, le besoin de valorisation peut aussi prendre un tour pervers. En effet, la valorisation peut aussi être constitutive d'une prise de pouvoir qui s'observe parfois dans les départements de géographie. Cette attitude est souvent dommageable et produit l'effet inverse. L'enseignant s'arroge alors des droits qui viennent d'une absence de reconnaissance du travail accompli et qui lui donnent le contrôle de certains aspects des TIC dans le département de géographie.

2.2. Les résistances internes aux départements de géographie

   À l'intérieur de l'établissement, en regardant du côté des structures, on peut aussi noter de nombreux freins et résistances. Une gestion des ressources humaines qui valorise peu. Si les enseignants se sentent peu valorisés autour des pratiques TIC, en dehors des périodes portes ouvertes, c'est que la gestion des ressources humaines a beaucoup de difficulté à évoluer dans l'enseignement. Les pouvoirs réels de contrainte sont obscurs tout comme les pouvoirs de valorisation. L'arrivée de nouveaux matériels devient un nouveau souci pour les responsables avant d'être une libération.

- Des problèmes techniques récurrents

   La question de la maintenance reste un frein très important à un usage raisonnable de ces technologies. Il a été fait peu de cas de l'instabilité des équipements surtout dans un environnement aussi changeant que l'université. C'est souvent le modèle de l'informatique professionnelle qui a servi pour définir des déploiements un peu importants de matériels dans les établissements. Malheureusement, ce modèle s'applique dans un contexte différent fondé sur des multi-utilisateurs, comme dans un espace public.

   Cette gestion des matériels amène à de nombreuses incompréhensions et aussi à des conflits importants. Remarquons qu'une certaine stabilisation des concepts clés de l'informatique sert actuellement à rendre ces problèmes moins aigus.

   Des personnes ressources parfois encombrantes. Nous avons déjà signalé plus haut la difficulté face à l'investissement des personnes dans le suivi des TIC. On observe dans plusieurs établissements les effets pervers de cette difficulté qui se traduit par des situations parfois très lourdes à gérer. L'enthousiasme des mises en projet laisse parfois la place aux aigreurs et aux luttes d'influence. La faiblesse des moyens, le manque d'une approche professionnelle de ces questions, sont des causes partielles de ces problèmes auxquelles il faut ajouter les facteurs humains.

Conclusion

   Généralement, on a bien peur que si ses obstacles persistent, on ira vers une dérive pragmatique. En effet, l'arrivée de moyens matériels survient souvent avec la capacité à saisir au vol des opportunités d'aides. Malheureusement ce pragmatisme n'entraîne pas les équipes enseignantes vers des déploiements durables de projets. Comme, de surcroît, il y a une méfiance liée à l'obsolescence rapide des matériels, se construit une culture du provisoire qui colle fortement aux TIC dans l'enseignement de la géographie à l'université en Tunisie.

Amin Mehdi

Université Denis Diderot Paris 7,
Université virtuelle, ISEFC - Tunis,
Laboratoire de recherche SYFACTE, Université de Sfax
Mél. : amin.mehdi@yahoo.fr
Tél. : 0021621848952

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Avril 2011

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