Information éducative, information spécialisée : Pascal Bouchard Luc Chatel l'a dit lors du lancement du plan de développement des usages du numérique, il faut « inventer de nouveaux modèles économiques ». Mais il a oublié de nous dire comment... Voici une contribution au débat, sur un domaine particulier, l'information. Enseignant reconverti et journaliste spécialisé dans les questions d'éducation, depuis 1984, année où j'ai créé sur France Culture une émission consacrée à l'innovation pédagogique, je vois émerger des problématiques nouvelles sur des thèmes anciens. La définition du journalisme ne change pas. Nous restons des outils de la médiation. Nous recueillons auprès de sources des informations et des points de vue qu'elles n'ont pas les moyens de faire partager à un public plus large que celui auquel elles ont naturellement accès. Prenons deux exemples simples. Le ministre veut faire savoir à l'ensemble de la Nation qu'il réforme le lycée, il convoque une conférence de presse et il lui reste à espérer que les médias nationaux seront là, et qu'ils répercuteront convenablement, de son point de vue, son message. Un haut fonctionnaire de l'entourage du président Nixon est scandalisé d'avoir vu son « patron » commanditer le cambriolage de l'immeuble du Watergate où est installé son concurrent. Il repère pour leur talent, deux journalistes d'un média ayant une large audience, et il leur donne du « biscuit ». Deuxième élément qui n'a pas changé : ce travail de recueil des discours et des confidences, de sélection et de mise en forme des éléments les plus signifiants pour un lectorat ou un auditorat donné, prend du temps et suppose une certaine technicité, il mérite donc une rémunération. L'Internet amène quatre changements très profonds. D'une part, « la source » dispose d'un moyen idéal pour contourner le journaliste. Tous les dossiers de presse et tous les discours de Luc Chatel sont sur le site du ministère. Plus de « petite phrase » malicieusement extraite d'un propos dont le sens est détourné, plus de reportage de terrain qui viendrait contredire, en « encadré » les affirmations de l'émetteur... à la condition que le grand public aille sur le site gouvernemental et prenne le temps de comparer le dire officiel et le compte-rendu qu'il a trouvé dans son quotidien préféré. Deuxièmement, la création d'un média virtuel coûte le prix du développement du site, et de son hébergement. Tout le reste est gratuit. Les frais d'impression et de routage supposent plusieurs milliers, et même dizaines de milliers d'acheteurs, donc la définition de cibles aussi larges que possible. L'Internet permet la création de médias de « niches ». Quelques dizaines ou centaines d'internautes suffisent à justifier l'existence d'un site. Troisième facteur, la logique économique est, pour partie, devenue économie libidinale. La satisfaction narcissique rémunère le blogueur. D'autres satisfactions viennent payer d'autres travaux. Une entreprise comme L'Étudiant peut, avec talent et avec des ressources journalistiques importantes faire de l'information la vitrine, le faire-valoir de son activité principale, les salons. Bien des associations ont la même logique pour attirer l'attention sur leur activité. La « revue de presse » du CRAP-Cahiers pédagogique en est un bon exemple, tout comme le remarquable travail de recension fait par l'OZP, ou celui d'EPI, chacun dans leur domaine. Conséquence, et quatrième facteur de changement, la quasi totalité de l'information est disponible gratuitement sur l'Internet. Elle est souvent (mais pas toujours) d'excellente qualité. Il n'en reste pas moins que tout un chacun préfère que l'on extraie pour lui d'un discours, souvent long et parfois ennuyeux, « la petite phrase » qui en donne le ton, et qui en révèle le sens partagé pour tous ceux qui se reconnaissent dans tel ou tel média. Personne n'a le temps de faire le tour de tous les sites où il pourrait trouver les informations dont il a besoin. La sélection de l'information et son décryptage, sa mise en perspective, créent de la plus-value. Reste à la concrétiser, à la transformer en « espèces sonnantes et trébuchantes ». Peut-on compter sur la ressource publicitaire ? Certains secteurs sont mieux pourvus que l'éducation : pas de fabricants d'engrais comme pour la presse agricole, ni de laboratoires comme pour la presse médicale. Quelques banques, mutuelles, éditeurs de manuels ou concepteurs de tableaux numériques ont des messages à faire passer, mais les masses financières en jeu n'ont rien de comparable. Si la Droite parvient à ses fins, et laisse aux chefs d'établissement le soin de recruter des enseignants qui auront été mis « sur le marché », les petites annonces constitueront une manne non négligeable. Ce n'est pas fait ! Deuxième source de financement, les abonnements. On connaît les difficultés de « Mediapart ». Il ne suffit pas de prouver qu'on est meilleur que les autres, il faut effectivement que les manifestations de sympathie et d'intérêt, les « clics » se transforment en virements « paypal ». C'est une question que je connais bien avec ToutEduc (www.touteduc.fr). J'ai ouvert ce site d'information gratuitement début 2009 pour faire la preuve qu'il était possible de produire, avec des moyens réduits, une information de qualité, et de fédérer l'ensemble des professionnels et des militants de l'éducation conçue au sens large, puisque nous nous adressons aussi bien aux enseignants et aux parents qu'aux éducateurs de la Protection judiciaire de la Jeunesse, aux professionnels de la petite enfance et aux attachés territoriaux en charge des politiques mises en oeuvre par les collectivités. Nous nous sommes vite heurtés à la difficulté intrinsèque de l'Internet : un foisonnement de « papiers » dans lesquels il n'était pas simple, pour le visiteur occasionnel de se retrouver, malgré des efforts de rubricage. Nous avons donc choisi de nous limiter à l'information qu'on ne trouve pas ailleurs, ou difficilement. Nous avons aussi créé une « Lettre » qui en assure régulièrement la recension, et nous y avons ajouté une analyse des tendances actuelles, avec un focus sur ce dont les autres ne parlent pas. Les abonnés reçoivent la lettre et peuvent circuler sur le site qui est partiellement protégé, toutes les « dépêches » représentant un travail de recherche ou de mise en forme important leur étant réservées. Nous avons fait le choix de prix très modiques, mais variables selon la situation du lecteur, institutionnel ou personne privée : le temps des abonnements massifs est révolu. Les « lettres confidentielles » à 500 € n'ont plus aucun sens, à l'heure de Wikileaks ! Il nous paraît en revanche raisonnable de proposer à tous une base sur laquelle viendront s'agréger d'autres produits, totalement personnalisés, sur lesquels la réflexion est encore en cours. Pour commencer à faire vivre une SARL comme la nôtre, il faudrait un millier d'abonnés, et trois ou quatre fois plus pour rémunérer décemment une petite équipe de jeunes journalistes encadrés par un senior, moi-même. Mais le « coût d'acquisition » d'un abonnement est exorbitant. Je n'ai pas tenu le compte des coups de fil ou des mails du type « cliquez ici, non, ici, pas là! Avez-vous coché la case en bas ? Oui, vous pouvez payer par chèque ou par virement! Je vous envoie la facture. Etc., etc. » J'ai de plus créé un abonnement d'essai de 2 mois. Mais il faut rappeler à tous ces abonnés gratuits la date de l'échéance. Or une petite structure doit limiter autant que faire se peut ses frais d'administration et ses démarches commerciales. L'informatique n'y contribue que très partiellement... Les lecteurs d'EPI seront informés des évolutions d'un modèle rédactionnel et économique qui est en train de s'inventer. En attendant, ToutEduc propose à tous les lecteurs de la revue d'aller sur le site (www.touteduc.fr), d'ouvrir un compte, puis, dès que ce compte est validé, de souscrire un abonnement gratuit de 2 mois avant, pour ceux qui seront convaincus de son intérêt, de sortir leur carte bleue. Pascal Bouchard, Derniers ouvrages publiés : Une école sans boussole dans une société sans projet, novembre 2010, éd. Chronique sociale, 128 pages, 11,90 €, et Je n'entendais pas le cri des pierres, 2010, éd. Érès, 192 pages, 12 €.
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