Genre et informatique : Georges-Louis Baron, Béatrice Drot-Delange, Mehdi Khaneboubi, Ayuko Sedooka 1. Contexte Dans le cadre du projet européen PREDIL, s'intéressant aux rapports à l'informatique et aux technologies des élèves et des étudiant(e)s [1], une enquête par questionnaire a été lancée au printemps 2010, afin de comparer, dans 6 pays européens, les représentations des filles et des garçons scolarisés en lycée à l'égard de l'informatique. Comme chaque fois qu'il s'agit de concevoir un instrument de collecte d'informations s'adaptant à la situation de plusieurs pays, un assez long processus de définition et de validation des questions a été mis en oeuvre. La situation n'est en effet pas du tout la même dans les pays enseignant l'informatique en tant que telle (Grèce, Pologne, Slovaquie), ceux où les technologies de l'information et de la communication font partie des curricula (Grande Bretagne) et ceux où elles ne donnent pas lieu à une prise en compte spécifique (France, Espagne). Le processus de définition des questions a donc été assez délicat. Le questionnaire a d'abord été défini en anglais (vecteur de communication désormais commun aux projets européens) puis adapté dans les différentes langues. La phase de validation a duré de décembre 2009 à mars 2010. Elle a comporté plusieurs phases, dans la mesure où nous avons constaté que des expressions d'abord jugées comme simples posaient problème (bases de données, tableur, réseaux sociaux...). Finalement, l'outil, d'un contenu très classique, a été structuré en trois grandes parties et 22 questions : 8 générales, 10 sur les expériences avec les technologies, à la fois à la maison et dans l'établissement et 4 sur les représentations des technologies du point de vue du genre. Une modalité de passation en ligne a été retenue, ce qui a conduit à mettre en place une infrastructure, gérée par le partenaire polonais. Nos premiers tests ont confirmé un phénomène bien connu : si l'on se contente de diffuser une URL auprès d'enseignants en leur suggérant de faire soumettre le questionnaire aux élèves, on obtient des résultats très incomplets. Nous avons donc choisi de laisser ouverte cette possibilité et, également d'envoyer une chercheuse chargée de veiller, en accord avec les enseignant(e)s, à la passation du questionnaire dans des lycées où nous avions obtenu l'autorisation d'aller. Il convient, en particulier de remercier les associations Femmes et Maths et EPI, dont des membres nous ont grandement aidés à prendre contact avec les établissements. L'une d'entre nous (B. Drot-Delange) a également entrepris une campagne de prise de contact systématique avec des responsables TICE dans les académies, qui a produit certains résultats. Finalement, le 10 juin, 485 réponses avaient été enregistrées, la plupart provenant de classes où la passation du questionnaire avait été supervisée. Parmi elles, seules 321 avaient été complétées au-delà des premières questions et 312 seulement comportaient l'indication du genre. L'inspection de la base de données a montré que le temps de remplissage était parfois très court, les répondants n'ayant pas rempli les données relatives aux représentations. Nous avons donc éliminé toutes les réponses pour lesquelles la durée était 1 minute ou moins. Nous avons également choisi de ne pas tenir compte de celles provenant de personnes n'ayant pas indiqué leur année de naissance ou donné une date antérieure à 1990. Finalement, après élimination, nous avons retenu 278 réponses. Le tableau suivant indique une répartition assez équilibrée entre les classes, avec une majorité nette de filles (environ les 2/3).
Tableau 1 : Répartition par classe des répondant(e)s Les répondants proviennent dans leur majorité de lycées généraux (239), 31 disant suivre des filières technologiques. Parmi les premières et terminales (201), série S a été indiquée dans 105 cas, dont 55 garçons (53 %). On a donc un échantillon de taille assez modeste, comportant une majorité relative d'élèves de S, section où les filles sont minoritaires contrairement aux autres. La procédure de réponse en ligne de manière anonyme a laissé aux répondants une assez grande liberté de réponse. Mais il convient de garder en mémoire qu'il serait illégitime d'extrapoler les résultats suivants à l'ensemble des élèves français de lycée. Il est en particulier probable que les répondants proviennent de classes dont des enseignants ont un intérêt particulier pour les questions d'équité entre les genres. Ils ont donc probablement été sensibilisés à cette question. Nous avons mené une étude exploratoire simple, en nous concentrant sur ce qu'indiquaient des tris croisés en fonction du genre. Nous avons en particulier cherché des indices de liaison entre variables nominales, en utilisant le pourcentage de l'écart maximum de Philippe Cibois, noté par la suite PEM [3]. Pour autant, les résultats qui suivent sont, à notre avis, intéressants comme indicateurs d'une réalité qui a jusqu'ici été peu étudiée de manière quantitative. 2. Expériences personnelles de l'informatique Une série de questions ont été posées sur les différents usages des technologies à la maison. Les principales attractions entre modalités sont classiques :
3. Expériences de l'informatique au lycée Les données obtenues n'apportent pas d'éléments nouveaux par rapport à ce qui est déjà connu. Les structures générales des réponses sont les mêmes pour les filles et les garçons. Certaines activités semblent familières même si elles ne sont pas réalisées fréquemment (traitement de texte, tableur, présentation...). 3.1. À l'école à quelle fréquence utilisez-vous des ordinateurs dans différentes disciplines ? L'analyse des réponses concernant l'utilisation dans différentes matières confirme un fait déjà connu : les usages fréquents des technologies en classe ne sont pas fréquents. Aucune différence significative n'a pu être identifiée entre les réponses des filles et des garçons. Les sciences de la vie et de la Terre apparaissent en premier avec un tiers des répondants déclarant utiliser les TIC souvent (20 % répondant « jamais »). Les mathématiques sont la deuxième matière avec un répondant sur 4 déclarant utiliser l'ordinateur « souvent ». D'autre part, concernant l'histoire-géographie, les deux tiers des élèves interrogés répondent « jamais », tandis qu'en lettres on a presque 50 % de non-utilisateurs déclarés. Il est intéressant de noter qu'au sein d'une même classe, les réponses sur les fréquences d'utilisation dans une matière donnée peuvent varier entre les élèves. Cela montre qu'à défaut d'une mesure quantitative précise de cette fréquence, l'expérience vécue est variable d'un individu à l'autre. 4. Opinions et avis Une série de questions ouvertes a été posée. De manière classique, nous avons procédé à une classification thématique des réponses. Voici brièvement les principaux résultats obtenus. 4.1.Quel conseil donner aux enseignants ? L'analyse des réponses des 202 répondant(e)s à cette question ne met pas en évidence de grandes différences entre les garçons et les filles. La suggestion faite par les élèves aux enseignants pour utiliser les TIC qui revient le plus souvent est une incitation à les utiliser eux-mêmes (66 réponses), vient ensuite l'idée d'enseigner les TIC (47 réponses), de suivre des cours (31) et de se soucier plus des élèves (30). Il s'agit d'un fait intéressant car il montre l'importance qu'attachent les élèves au TIC en classe.
Tableau 2 : Conseils aux enseignants. Effectif et pourcentage des réponses par genre. La suggestion d'enseigner les technologies, qui provient de 47 élèves (environ un quart des répondants) est intéressante et nous avons souhaité approfondir ce point. Il apparaît que la demande ne provient pas spécialement des garçons ou des filles, ni spécifiquement d'une classe.
Tableau 3 : Demande d'enseignement des TIC, par classe, répondant(e)s 4.2. Écrivez trois mots qui qualifient une fille utilisant bien les technologies ou les ordinateurs La catégorisation des réponses montre que les appréciations laudatives arrivent en premier (45 % des réponses) mais principalement de filles. En contrepartie les appréciations dépréciatives (4 % des réponses) viennent de garçons.
Tableau 4 : Effectifs et pourcentages des réponses par genre 4.3. Écrivez trois mots qui qualifient un garçon utilisant bien les technologies ou les ordinateurs Concernant les garçons qui se débrouillent bien avec les ordinateurs la situation est à peu près la même : des appréciations laudatives fréquentes venant principalement des filles.
Tableau 5 : Effectifs et pourcentages des réponses par genre Deux autres questions s'intéressaient à la perception des diplômes et des métiers liés à l'informatique. 4.4. Citez au moins un élément qui donne envie d'obtenir un diplôme universitaire en informatique On observe que les répartitions entre filles et garçons sont assez similaires, l'idée de l'utilité pour l'avenir venant en premier. Deux points sont cependant à part : les filles sont plutôt attirées par l'idée qu'un diplôme en informatique permettrait de bien se débrouiller en informatique, tandis que les garçons sont davantage attirés par la perspective de fabriquer quelque chose.
Tableau 6 : Effectifs et pourcentages des réponses (par genre) 4.5. Citez un élément positif concernant les métiers liés à l'informatique ou les métiers aux technologies. Il n'y a pas d'écart significatif entre les réponses des filles et des garçons à cette question. L'innovation et la modernité concentrent la majorité des réponses (34 réponses sur 213). Se sentir à l'aise dans l'utilisation de l'informatique (« bien dans l'usage ») est cité par un nombre équivalent de personnes (33). La question étant ouverte, les réponses obtenues sont très diversifiées. Sont par exemple mentionnées le fait de gagner de l'argent (28), la nécessité pour son activité professionnelle (« OK pour les champs professionnels » (25) ou dans la vie en général (19). Les réponses regroupées dans la catégorie « Autres réponses » sont celles qui ne sont pas citées fréquemment (aider l'humanité, découvrir la passion, autonomie, être un hacker, etc.) ou bien n'étaient pas manifestement sérieuses.
Tableau 7 : Effectifs et pourcentages des réponses (par genre) 4.6. Certaines personnes pensent que les garçons maîtrisent mieux les ordinateurs que les filles. Qu'en pensez-vous ? Le résultat pour cette question est clair : dans l'ensemble les garçons sont d'accord avec cette idée, tandis que les filles ne le sont pas.
Tableau 8 : Opinions sur le fait que les garçons maîtrisent mieux les ordinateurs. 4.7. Pensez-vous que les styles familiaux influencent différemment les filles et les garçons dans le choix de leurs études ou de leurs métiers dans le domaine de l'informatique ou des technologies ? Ici aussi, le résultat est limpide : la majorité des répondants est d'accord avec cette assertion ; il n'y a pas de différences significatives entre garçons et filles.
Tableau 9 : Opinions sur le fait que les familles influencent les choix d'études 4.8. Pensez-vous que les garçons et les filles soient considérés de la même manière dans les cours liés aux technologies ? Cette question a suscité une réponse très nette, fortement significative du point de vue statistique : les filles pensent que les garçons sont mieux traités et réciproquement. Encore peut-on se demander ce que les répondants ont entendu par technologie : avaient-ils en tête les cours suivis au collège ?
Tableau 10 : Répartition des réponses à la question sur l'égalité 4.9. Logiciel libre La dernière question concernait la citation d'un logiciel libre. Nous pensions en effet que la capacité à citer un logiciel libre pouvait être un indicateur de la familiarité avec l'informatique et les technologies. Or les réponses obtenues concernent en premier lieu des logiciels propriétaires, les produits Microsoft étant en bonne place. On a donc une confusion probable entre la notion de logiciel libre et celle de logiciel qu'on ne paye pas. Il est également possible de noter que les garçons ont eu tendance à citer des dispositifs de communication (par exemple le système du « peer to peer ») et des systèmes techniques, les filles plutôt des noms de sites web, des systèmes pour l'usage des musiques et des vidéos, etc. Ils manifestent ainsi, une plus grande tendance à la technicité.
Tableau 11 : Effectifs et pourcentages des réponses (par genre) à la question sur les logiciels libres. 5. Conclusion Au total, l'image qui nous est renvoyée confirme que les élèves disent peu utiliser l'ordinateur à l'école et beaucoup à la maison. Le questionnaire ne permet pas de repérer de différences très marquantes entre les filles et les garçons, sauf pour trois points déjà relevés :
Il est également notable que nos répondants n'ont à l'évidence pas d'idée extrêmement claire de ce que représente un logiciel libre. Plus surprenant sans doute et il s'agit d'un résultat jusqu'ici peu signalé, est la teneur des conseils que les élèves aimeraient donner aux enseignants. Bien sûr, la taille très limitée de notre échantillon ne permet pas de généraliser, mais il existe une attente de la part des élèves pour recevoir un enseignement leur permettant de mieux prendre en compte la dimension technique de l'informatique. Finalement, notre étude, qui suggère une prise de conscience par les élèves, qu'il s'agisse de filles ou de garçons, de problèmes dans le domaine de la prise en compte des technologies par le système scolaire, demanderait à être poursuivie par d'autres recherches. Georges-Louis Baron, Laboratoire Éducation et apprentissages (EDA), Références bibliographiques Ardilly, P. (2006). Les techniques de sondage, Paris : éditions Technip. Barnier, J. (2008). R pour les sociologues (et assimilés). Cibois, P. (2007). Les méthodes d'analyse d'enquêtes, Que sais-je?, Paris : Presses Universitaires de France. Cibois, P. (2003). Les écarts à l'indépendance. Techniques simples pour analyser des données d'enquête, Sciences Humaines, Collection d'articles web gratuits. Hafkin, N. J. & Huyer, S. (2007). Women and gender in ict statistics and indicators for development, Information Technologies & International Development, 4(2). Howe, C. (1997). Gender and classroom interaction, Citeseer. INSEE (2010). Étudiants des universités par discipline et par cursus selon le sexe, Annuaire statistique de la France, Insee Références. Jouët, J. (2003). Technologies de communication et genre, Réseaux, 4(120), p. 53-86. Mialaret, G. (1991). Statistiques appliquées aux sciences humaines, Presses Universitaires de France - PUF. Vouillot, F. (2007). L'orientation aux prises avec le genre Travail, genre et société, 18(2), p. 87-108. NOTES [1] http://prema-wp2.paris5.sorbonne.fr/wiki/index.php/Accueil [2] Il y avait 5 non-réponses sur la variable classe. [3] http://www.modalisa.com/pdf/CiboisPEM.pdf. [4] Il y avait 5 non-réponses sur la variable classe. ___________________ |
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