L'INFORMATIQUE Jean-Pierre Archambault Les premiers pas significatifs en matière d'informatique dans le système éducatif datent des années soixante-dix. L'on recense à l'heure actuelle de l'ordre d'un million d'ordinateurs dans les lycées, les collèges et les écoles. Des centaines de milliers d'enseignants se sont formés. Les programmes scolaires intègrent progressivement l'usage de l'ordinateur. On constate encore, de par la décentralisation, des disparités d'une région à l'autre, entre deux départements qui se ressemblent, d'une ville à sa voisine. Mais le consensus s'est réalisé sur la nécessité d'aller sans trop tarder vers la banalisation et la généralisation des usages de l'ordinateur dans les classes. Internet est passé par là pour aider à forger la conviction. Il existe aussi des disparités selon les ordres et les niveaux d'enseignement. Beaucoup a été fait. Beaucoup reste à faire. Il faut dire que le chantier est immense : faire entrer la France dans la société de l'information signifie notamment que l'on compte en millions lorsqu'il s'agit d'élèves à former. Et l'appréciation que chacun porte sur l'intégration des TIC dans l'enseignement doit se porter à l'aune des critères qu'il retient habituellement pour la chose scolaire, et en relation avec les débats sur la manière dont la société française affronte en général les problèmes qui lui sont posés. Cela étant, les raisons d'intégrer l'ordinateur dans le système éducatif relèvent de préoccupations (et d'enjeux) de natures différentes. Or force est de constater que règnent parfois une certaine confusion et une insuffisante mise en perspective. VOLONTARIAT/OBLIGATION Des professeurs de langues, exerçant dans des quartiers « sensibles », disent en substance qu'ils n'ont pu continuer à enseigner leur discipline, amener leurs élèves à s'exprimer en anglais ou en allemand, qu'à partir d'une motivation née d'une correspondance scolaire par voie électronique, d'une communication « vraie ». Mieux même, leurs élèves restent en classe à la récréation, veulent absolument se faire comprendre... En clair, il n'est déjà pas évident pour un français de parler à des français dans une langue étrangère (on aura reconnu l'enseignant et ses élèves). Mais, si en plus il leur pose des questions dont ils savent pertinemment qu'il en connaît les réponses, la situation pédagogique devient intenable avec certains publics. Par ailleurs, les classes transplantées ont été le grand succès de la télématique scolaire. On est donc fondé à conseiller aux enseignants de recourir à l'outil Internet. Mais ceux-ci ont parfaitement le droit de préférer la TV ou les jeux de rôle, sauf prescriptions institutionnelles contraires à venir. Dans le cadre de leur liberté pédagogique leur démarche ne peut que reposer sur le volontariat. Par contre, il est des situations où il faut s'exprimer en terme d'obligation. Ainsi, les entreprises industrielles et tertiaires se sont profondément transformées, les métiers, les profils, les qualifications aussi. La machine à commande numérique s'est substituée à l'étau et à la lime, le logiciel 3D à la planche à dessin, le traitement de texte à la machine à écrire et la base de données au fichier carton. Il faut pénétrer l'intelligence de l'outil pour s'en servir intelligemment. L'informatique se trouve dorénavant au coeur des enseignements techniques et professionnels. PERTINENCE ET FRÉQUENCE DES USAGES Écrire c'est réécrire, une banalité mais une lourde tâche quand on veut que les élèves « revoient leur copie ». Réécriture suppose relecture. Mais les élèves rechignent à le faire. Quelques annotations de l'enseignant ne suffisent pas. On obtient souvent au mieux quelques corrections orthographiques et de ponctuation. Déplacer un mot, une phrase, un paragraphe, corriger quelques fautes, recopier une nouvelle version issue d'un brouillon vite devenu illisible de par la multiplicité des modifications... tout cela est fastidieux et rédhibitoire s'il n'y a pas une forte motivation. Mais avec un traitement de texte, erreurs, ratures, ajouts ne sont plus insupportables. La reprise est facile. On échappe à la lourdeur de la réécriture à la main. Une mauvaise graphie ne s'oppose plus à la lecture par les autres, une écriture illisible de par des troubles de motricité fine n'est plus un obstacle. L'ordinateur a un apport réel dans la maîtrise des procédés de réécriture. Il se révèle être une condition (nécessaire ?) d'existence d'opérations intellectuelles en ce sens qu'il en permet la réalisation en la rendant infiniment plus aisée, en en supprimant les contraintes « bassement matérielles ». Comme si la portée de l'outil était d'autant plus grande que son effet anodin. Et pourtant, jusqu'ici, l'usage du traitement de texte est nettement moins fréquent en classe de 6ème que dans les enseignements tertiaires. Pas pour un moindre intérêt pédagogique mais pour des questions d'intendance (nombre d'ordinateurs accessibles, personnes ressources pour en assurer le fonctionnement...) ou de formation. DES RAISONS ET DES USAGES DE NATURES DIFFÉRENTES Il est donc nécessaire de proposer une typologie classant les usages, et les enjeux de l'informatique éducative.
L'ordinateur se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la motivation. Il a donné une nouvelle jeunesse à la pédagogie Freinet. Pour autant, il ne constitue pas un outil miracle apportant enfin le bonheur sur la terre pédagogique. Il faut impérativement que les élèves ressentent le plaisir d'apprendre pour apprendre. Il favorise l'activité. Si un lycéen se contentera d'avoir résolu neuf questions sur les dix que comporte un problème (ce n'est déjà pas mal !), il s'acharnera jusqu'à ce que fonctionne le programme de résolution de l'équation du second degré que son professeur lui a demandé d'écrire, pour mieux cerner les notions d'inconnue, de coefficient et de paramètre. Il enrichit la panoplie des outils de l'enseignant. Un logiciel qui grossit à volonté l'allure d'une courbe en un point donné aide l'enseignant de mathématiques à mettre en évidence la notion de platitude locale contenue dans la structure profonde de la dérivation. Le document occupe une place centrale dans certaines disciplines comme l'histoire et la géographie. Incontestablement Internet instaure un contexte porteur en ce sens qu'il facilite le repérage, la mise à disposition et le travail effectif sur des documents variés. Il aide à atteindre des objectifs d'autonomie, de travail individuel ou en groupe. L'ordinateur est aussi encyclopédie active, créateur de situation de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d'images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif...
L'informatique s'immisce dans des objets, des méthodes et des outils des savoirs constitués, et leur enseignement doit en tenir compte. Les mathématiques ne sont pas devenues une science expérimentale mais l'ordinateur fait éclore des démarches plus expérimentales (des idées de théorèmes à établir en visualisant des courbes). Après le formalisme des années Bourbaki, les mathématiques font une plus grande place aux nombres, la démonstration par ordinateur a provoqué une rupture épistémologique. Dans les sciences physiques et du vivant, il a fallu que la simulation « s'impose » et se positionne relativement à l'expérimentation. Michel Vovelle, historien de la Révolution française, a compilé une quantité considérable de données puisées dans des documents d'époque (les cahiers de doléances notamment), chez des historiens anciens ou actuels et, avec l'ordinateur, a cartographié l'immense documentation accumulée. Dans cette étude informatisée on ne trouve pratiquement plus trace du cliché qui faisait de l'opposition entre Paris et les provinces le moteur du dynamisme révolutionnaire : 1789 a transpercé tout le royaume. Par contre, il se confirme que l'affrontement avec le catholicisme fut bien constitutif de notre espace politique. Les régions dessinent une pluralité nationale très nette, les racines des tempéraments politiques modernes sont bien à rechercher au coeur de l'événement fondateur ou structurant. L'enseignement de l'histoire est amené à montrer cette intrusion de l'outil statistique automatisé. Idem pour la géographie et ses systèmes d'information (SIG), ses logiciels de cartographie et de traitement statistiques de données.
Il y a les documents récupérés avec un navigateur, réalisés avec un traitement de texte, un tableur, un grapheur... Il y a les ressources repérées grâce à des portails éducatifs, des moteurs de recherche, des services documentaires. Avec Internet émergent des formes nouvelles de travail coopératif, de mutualisation des ressources, de circulation de l'information. Toutes ces choses sont d'ores et déjà bien connues de la profession, qui les a intégrées de manière significative, comme l'est l'informatisation du fonctionnement administratif de l'Éducation nationale, de la préparation de la rentrée scolaire aux mutations des enseignants en passant par l'affectation des élèves.
C'est évident pour les formations techniques et professionnelles, tant les métiers, les processus de travail, les profils et les qualifications requises ont évolué. Mais tous les élèves sont concernés. Comme ils apprennent à lire un texte, à construire une fonction ou à parler une langue étrangère, ils doivent maintenant, à l'École, s'approprier les connaissances qui leur donneront le recul nécessaire à des usages raisonnés et autonomes. En effet, la réalité quotidienne regorge de situations où, peu ou prou, les individus ont à faire avec les technologies de l'information et de la communication (TIC), que ce soit dans leur vie professionnelle, à la maison ou dans la sphère publique. Ils peuvent devoir comprendre les rapports existant entre ce qu'ils voient à l'écran, ce qu'ils font sur les objets d'un logiciel et ce qui restera en mémoire ou sortira à l'impression. Ou décrypter l'offre d'un fournisseur d'accès à l'Internet, et pour cela savoir pour quelles raisons une page Web « peut se faire attendre » (caractéristiques de l'ordinateur ou du modem, de la configuration du point d'accès, de la liaison à l'Internet). Utiliser un logiciel et des données aussi bien sur un poste autonome que dans un environnement réseau. Être dans l'obligation d'aller au-delà de l'utilisation immédiate d'un traitement de texte, être en mesure de recourir à certaines de ses fonctionnalités plus avancées. Face à une situation professionnelle inédite, une nouvelle tâche à accomplir, avoir le réflexe informatique, c'est-à-dire savoir qu'un logiciel donné est l'outil approprié pour résoudre un problème donné, à un moment donné. Être citoyens, participer au débat démocratique et agir... La variété et le caractère non évident de ces situations imposent de s'être construit des représentations mentales opérationnelles, de s'être approprié l'intelligence de l'outil pour s'en servir intelligemment. Et c'est à l'École, de par ses missions et parce qu'elle est le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée et organisée, de permettre une utilisation efficace, mais surtout rationnelle, des TIC qui ne peut se fonder que sur l'acquisition de quelques notions, de quelques principes relatifs au traitement de l'information. On peut regrouper les contenus scientifiques et techniques à enseigner selon quatre champs essentiels :
Par ailleurs, la pénurie mondiale d'informaticiens prend une tournure préoccupante. Un enseignement de l'informatique pour tous les élèves au lycée (à l'instar de ce qui se fait au collège dans le cours de technologie) serait de nature à susciter des vocations et à créer un large vivier de futures personnes compétentes. Car l'on sait bien l'importance de la précocité des apprentissages. Jean-Pierre Archambault Paru dans la Revue de l'EPI n° 100 de décembre 2000. ___________________ |