Quelles ingénieries de formation

INTRODUCTION AU THÈME

Jean-Claude Jacquemard
Chef du bureau DLC 15 Ministère de l'Éducation nationale
 

   En préambule il convient de préciser que les éléments ou les pistes de réflexions de cette contribution ont leur source dans les débats d'un atelier qui a travaillé sur des études de cas de formations mises en oeuvre dans des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) et dans des Missions Académiques à la Formation des Personnels de l'Éducation nationale (MAFPEN). Comme tel les matériaux sont disparates, divers et fragmentaires. Tous les champs de la formation initiale et de la formation continue n'ont pas été abordés et toutes les situations académiques n'ont pas été confrontées.

   Au surplus, il est apparu plus intéressant, plus nécessaire (même si c'est plus périlleux), d'agencer les faits et les pratiques relatés dans une problématique d'ingénierie de formation plutôt que de s'appliquer à dresser un rigoureux état des lieux.

   Les définitions de l'ingénierie de formation évoluent au gré des théories et du développement de la formation. La notion est assez à la mode pour être malléable. Notre propos n'étant pas un travail théorique sur l'ingénierie de formation mais une réflexion sur les conditions actuelles de l'intégration de l'informatique dans la formation des enseignants, on considérera que l'ensemble raisonné des procédés (processus et procédures) de formation détermine le domaine de l'ingénierie de formation.

1. QU'OBSERVE-T-ON ?

   Les aspects institutionnels, pédagogiques et techniques sont très imbriqués.

1.1. En formation initiale il y a une recomposition complète

   Partout les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres fonctionnent et ont remplacé les Écoles normales d'instituteurs, ENNA et CPR. Les IUFM sont institutionnellement ancrés dans l'université. La formation initiale devient résolument, pour les enseignants du second degré comme pour ceux du premier degré, professionnelle, c'est-à-dire scientifique, didactique et pédagogique.

   L'IUFM est placé dans une double logique de concours et de formation. L'informatique doit trouver sa place dans un ensemble qui vise à satisfaire cette double logique. L'enjeu, c'est d'apparaître pour les futurs enseignants en formation de manière cohérente, crédible et attractive et notamment de s'inscrire dans une articulation forte entre théorie et pratique.

1.1.1. Trois principes de base orientent l'organisation de la formation mise en oeuvre

  • l'intégration de l'informatique dans les Nouvelles Technologies Éducatives (NTE) ;

  • l'insertion des NTE dans le cadre disciplinaire et non comme une discipline propre par anticipation sur l'avenir dans la perspective de former pour demain ;

  • les NTE doivent constituer une aide pour les enseignants.

1.1.2. Le choix de privilégier un point de vue NTE et non pas informatique apparaît le mieux partagé

   Il n'est pas systématique cependant. Ce choix est pratique, pragmatique, c'est l'ensemble des usages dans l'enseignement qui l'oriente ; il n'y a pas un réel souci d'une justification épistémologique, pas davantage un enracinement théorique affiché, argumenté ou revendiqué. Les débats sur les NTE, l'informatique, l'audiovisuel, les multimédias, quand ils sont suscités, sont abordés avec modestie. Pour les formateurs le souci de la formation l'emporte.

   La réflexion n'est pas absente toutefois. Le travail dans les commissions constituées dans les académies préalablement à la création des IUFM en témoigne. Le rapport de février 1991 de la commission « ad hoc » de l'académie de Montpellier est de ce point de vue explicite. « Noue champ, sans que nous prétendions nous en fixer une définition étroite, s'étendra à tous les domaines mettant en oeuvre le stockage et la restitution de l'information sous forme analogique, ou numérique... Nous utiliserons la formule : Techniques d'Information, de Communication et de Documentation (TICD), sous-entendant que celles-ci s'ancrent dans l'informatique, la télématique, l'audiovisuel, les images interactives, la documentation. »

1.1.3. L'organisation de la formation vise à équilibrer un horaire faible (70 à 90 heures), une grande disparité des niveaux des futurs enseignants en formation, une appétence variable de formation dans ce domaine

   Là, modules communs, modules spécialisés se combinent et s'ajustent sur les deux années pour gérer au mieux pédagogiquement la formation de base. Des parcours individualisés peuvent être proposés. Ailleurs, la première année se caractérisera par l'objectif d'une pratique personnelle, la seconde année prenant en compte la pratique professionnelle. Ailleurs encore, on privilégie la première année la dimension transversale de l'informatique de bureautique pédagogique et ensuite l'informatique spécialisée à des champs disciplinaires. Partout s'exprime le souci de faciliter les perspectives d'ajustements et d'adaptation que l'avenir ferait apparaître.

1.2. En formation continue, il faut gérer la complexité

   Si la formation initiale se préoccupe d'aider à construire une identité professionnelle et à constituer une compétence pédagogique, la formation continue veille à anticiper les évolutions, accompagner les mutations et à favoriser la transformation des pratiques professionnelles.

   Depuis 10 ans la formation continue a joué un rôle essentiel dans le développement de l'informatique dans l'enseignement et la formation. Au-delà des évidentes et très grandes diversités académiques, les modes et les étapes de structuration sont similaires : création des MAFPEN (1982), généralisation des Centres de Formation à l'Information et à ses Applications Pédagogiques (CFIAP), Plan Informatique pour Tous (1985), dotations de crédits et de moyens spécifiques jusqu'en 1987 pour la formation continue en informatique, expérimentation et développement de l'enseignement de l'option informatique dans les lycées...

1.2.1. Dans un cadre de formation continue et d'objectifs de formation continue (les pratiques) s'est mise en place une formation initiale palliative confiée, par conventions, aux CFIAP

   Ces structures dépendantes de l'université peuvent avoir des dénominations variées, surtout certaines académies ont dissocié un pôle de formation et un pôle ressources et recherche. La formation s'est déroulée dans l'ensemble des académies sous forme de stages de durée variable, standardisés en fonction des compétences attendues pour remplir des fonctions précises (formateurs, animateurs...). Le poids, le rôle et la nature des stages longs d'une durée d'un an pour la formation des formateurs modélisant en partie l'ensemble pyramidal des formations.

   Jusqu'en 1984/1985 le recrutement des stagiaires concernait plutôt des enseignants de lycée, le plan IPT et la rénovation des collèges favorisant ensuite une priorité aux professeurs des collèges.

   Cette situation correspondait à un contexte où la formation continue fonctionnait globalement suivant une logique de l'offre, une démarche d'analyse des besoins permettant d'ajuster l'offre aux compétences des formateurs et aux orientations nationales.

   Ce modèle très sommairement caractérisé s'est diversifié et complexifié à mesure de la prise en charge croissante d'une logique de la demande par les MAFPEN, de l'accroissement de la déconcentration et les effets de la formation.

1.2.2. Structures, mission et objectifs se diversifient, notamment autour des années 88-90

   Ainsi, à titre d'exemple, on peut noter dans l'académie de Versailles qui avait mis en place, en 1984, une politique de bassins de formation avec 24 Centres de Ressources en Informatique pédagogique (CRI) une dissociation à partir de 1988 des missions d'animation et de formation. La mission d'animation est renforcée et s'étend à l'information des enseignants, la communication, la documentation, l'assistance technique, l'aide aux projets des établissements, le suivi de formation. Les formateurs pour leur part ne sont plus directement attachés à un CRI, ils deviennent académiques. En 1990, nouvelle organisation avec la mise en place d'équipes départementales, chacune ayant un projet spécifique. Deux types d'organisation sont expérimentées :

  • la création d'un centre départemental (dans un CRI ou un CDDP), les autres CRI restant lieu de permanence à jour fixe et lieu de proximité pour des animations ponctuelles ;

  • le maintien de tous les CRI à égalité, mais une organisation collective des interventions et des animations.

   D'autres exemples pourraient être cités avec des variantes très grandes de calendrier et de modalités à Lille, Nancy-Metz, Strasbourg et ailleurs ; tous témoignent du souci d'adaptation pour être efficace et pertinent.

   En effet, les objectifs de la formation sont reformulés, la volonté de répondre aux demandes précises, concrètes des personnes est reconsidérée, surtout un nouvel acteur fait sa place dans le système éducatif : l'établissement scolaire. C'est autour et à partir de l'établissement scolaire que l'architecture de la formation centrée sur la demande est établie. Il appartient à chaque établissement de bâtir, dans le cadre du projet d'établissement son propre plan de formation, construit au terme d'une procédure de concertation concernant l'ensemble des personnels.

   Les objectifs prioritaires communément affichés par les académies par les actions de formation continue en informatique dans les Plans académiques de formation (quels que soient les types d'actions et les opérateurs) sont les suivants :

  • rôle de l'informatique dans un apprentissage disciplinaire ;
  • stratégies d'apprentissage par l'informatique, son rôle dans l'enseignement individualisé, le soutien... ;
  • connaissance et maîtrise des logiciels type « licence mixte » ;
  • renforcement et développement des réseaux de personnes-ressources (correspondants d'établissement...).

2. QU'EST CE QUI FAIT PROBLÈME ?

   En formation initiale tout comme en formation continue, il a fallu établir des compromis entre plusieurs logiques, bâtir des équilibres.

   Entre concours et formation, entre formation commune et formation spécialisée, entre offre et demande, l'ingénierie de formation mise en oeuvre vise à établir une certaine cohérence et à apporter des réponses pertinentes.

   Malgré tout, apparaissent les limites des dispositifs, les points critiques, ceux qui font problèmes.

2.1. Il semble y avoir accord sur la construction des modules communs pour les futurs professeurs d'école et les professeurs de lycée et collège

   Cet accord se construit autour de l'idée de faire acquérir, quel que soit le cursus antérieur des étudiants, des pré-requis leur permettant un comportement autonome vis à vis de l'ordinateur et son utilisation comme outil de travail (traitement de textes, tableur, base de données...). Toutefois, si les étudiants semblent convaincus de l'utilité de ce type de module, ils ont du mal à sortir de leur logique de préparation au concours. On constate ainsi que si les futurs professeurs d'école suivent très largement les modules communs, les futurs professeurs de lycée et collège y participent peu, même si la fréquentation varie beaucoup selon les disciplines.

   La difficulté à mixer les publics, à construire ensuite des modules spécialisés fait rechercher des solutions de différenciation des modules selon les publics ou bien de construction de parcours individualisés de formation. (Cette dernière solution nécessite que les étudiants soient aidés pour s'auto-évaluer, parce qu'ils ne savent pas faire.)

2.2. En formation continue, les différentes étapes du développement de la formation à l'informatique pédagogique ont rendu les responsables des dispositifs de formation soucieux d'éviter le recyclage et la remise à niveau permanents

   La construction de modules communs de connaissances pratiques et culturelles jugées indispensable apparaît, là aussi, comme un choix fréquent.

   Ensuite, l'intégration dans les disciplines s'effectue soit par l'élaboration d'actions de formation disciplinairement spécialisées, soit par la banalisation dans les actions de formation disciplinaires de l'utilisation de l'outil informatique.

   Au-delà des réponses pragmatiques qui sont apportées, un nécessaire travail de clarification de notions est effectué : formations transversales à l'informatique, formation à l'informatique pédagogique, informatique de bureautique pédagogique, formations spécialisées...

   Ce travail d'approfondissement peut être favorisé par les évolutions pédagogiques et scientifiques des enseignements généraux, technologiques et professionnels ; pédagogiques en ce sens que de plus en plus l'élève doit participer à l'appropriation de son savoir, scientifiques par le renouvellement des thématiques, des hypothèses, des approches et des perspectives. L'enseignement ne fait plus le même usage des outils pédagogiques.

   La formation s'inscrit dans la durée, elle se donne des cadres de réflexion et des objectifs à moyen terme, mais aussi se crée les conditions pour être efficace. Cette évidence est singulièrement illustrée par l'attention, la préoccupation même apportée, en formation initiale, comme en formation continue, par le développement du vivier et des compétences des formateurs.

2.3. Le renouvellement du vivier paraît un premier impératif

   Les formateurs s'estiment insuffisamment nombreux pour faire face à des demandes diverses, médiocrement reconnus comme formateurs.

   Mais surtout, ils ressentent que les demandes, les attentes à leur égard changent, elles sont de plus en plus exigeantes, plus complexes. C'est la rançon du succès et des résultats de la formation. On ne peut plus former, comme on formait, ni tout seul.

   Ainsi, à Montpellier, on indique aux équipes éducatives d'établissement que « l'équipe des formateurs informatiques peut vous aider à formuler vos demandes de formation dans le cadre de vos projets, et vous proposer des outils et des modes d'utilisation nouveaux ». Bâtir une démarche fondée sur la demande c'est construire une expertise d'analyse de situations, permettre de dresser des diagnostics, définir des actions coordonnées avec les acteurs concernés.

2.4. Le second impératif a donc trait aux compétences des formateurs

   Cet aspect mériterait à lui seul de longs développements et une analyse précise qui pourrait porter sur l'identification des différentes fonctions de formation (conseil, aide, ressources, intervenants...) et sur l'agencement des différents niveaux d'expertise en formation que l'on peut attendre des formateurs. Nous nous limiterons à un point problématique, celui de la double compétence informatique et disciplinaire. La communauté des formateurs et des responsables de dispositifs de formation est actuellement partagée sur la stratégie à mettre en oeuvre pour l'acquisition de cette double compétence, soit partir des compétences disciplinaires pour acquérir une maîtrise des matériels informatiques ou l'inverse.

   À Nancy, la formation des formateurs mise en place depuis 1987 dans le cadre du CFIAP repose sur l'appropriation d'apports théoriques (informatiques et pédagogiques) à travers des productions. Ces productions concernent la conception, l'expérimentation, l'évaluation d'une séquence pédagogique en direction d'élèves, ou d'une séquence de formation, la conception du volet informatique d'un projet d'établissement. La formation est soutenue par une activité de recherche dans le cadre d'un Centre de ressources et de recherche en informatique (CRI) où l'approfondissement de travaux disciplinaires est notable.

   Le point d'appui est donc bien là résolument de partir de la compétence informatique. Les stratégies mises en oeuvre, par ailleurs, dans l'académie pour partir des compétences disciplinaires des formateurs se sont révélées infructueuses.

   D'autres réalités académiques témoignent à Lille notamment qu'il est possible, réalisable de partir des compétences disciplinaires pour construire une compétence informatique. Des conditions sont requises. Deux apparaissent déterminantes :

  • disposer de personnes compétentes qui soient attentives, vigilantes à l'égard de ce qui va se passer sur le terrain, qui participent à des programmes de recherche et d'intervention pédagogique ;

  • disposer de moyens, d'un tissu de centres de ressources, équipés qui soient des lieux de travail pour les formateurs.

PEUT-ON CONCLURE ?

   À l'évidence à l'issue de ces propos, la réponse ne peut qu'être négative, l'histoire n'est pas achevée, l'évaluation même de ce qui a été entrepris et qui s'accomplit n'est qu'abordée. Ce n'est pas singulier à la formation en informatique, c'est l'évaluation de la formation qui est malaisée. La volonté des acteurs, des prescripteurs manque de fermeté dans le choix des objectifs qu'il conviendrait de choisir et de soumettre à l'évaluation.

   Ce qu'on peut noter, c'est que la formation (initiale et continue) est une fonction en développement dans le système éducatif comme dans toute organisation.

   Son développement a un coût, en crédits, en emplois, en heures supplémentaires, mais aussi en enseignement non assuré aux élèves et mobilisation ou motivation des personnes. Quels que soient nos désirs, l'accroissement des moyens sera mesuré et ajusté aux contraintes budgétaires. Ceci vaut pour la formation en général, pour la formation en informatique également. L'effort des académies en formation continue dans ce domaine est important, proche de 10 % des crédits, de 15 % des moyens en formateurs.

   Par ailleurs, ce développement durable de la formation produit des transformations, accroît la complexité des politiques et des dispositifs, rend plus floues les finalités de la formation. Or, la formation n'est pas une fin en soi. C'est un instrument au service d'une politique, au service des formés.

   Pour ce double ensemble de raisons, le système éducatif, notamment au niveau académique, doit maîtriser au mieux et au plus juste les dispositifs de formation, leur conception et leur conduite. C'est un souci d'ingénierie de formation. La pertinence des réponses qui seront apportées par les responsables, les formateurs, les acteurs de terrain pour intégrer l'informatique dans la formation (et l'enseignement) sera déterminante.

   Bien des critères sans doute peuvent servir à l'appréciation de cette pertinence et éclairer une démarche d'ingénierie de formation. Trois critères nous paraissent pouvoir utilement être retenus.

  • La qualité de l'insertion dans l'ensemble des dispositifs de formation. L'efficacité de l'articulation des pôles MAFPEN et IUFM et leur mise en réseau pour favoriser l'intégration de l'informatique dans la formation et l'enseignement est le premier critère. C'est l'illustration de la dimension systémique de la formation liée à la politique éducative, à sa conception, sa gestion, son administration.
    Ce critère peut s'enrichir d'indicateurs prenant en compte la dimension économique de la formation.

  • La capacité à construire des outils pédagogiques, à travailler sur l'élaboration de séquences pédagogiques, à permettre aux formés d'accéder à une auto-formation..., est un second critère. Il relève de la dimension accompagnatrice de la formation, à sa force de changement des comportements et des pratiques.

  • La volonté de s'« investir durablement dans la formation de formateurs et dans la recherche pédagogique pourrait être un troisième critère qui permettrait d'appréhender la dimension prospective et innovante de la formation.

   Il reste que l'enjeu, c'est de savoir si les enseignants ordinaires intègrent dans leur enseignement l'informatique et les NTE.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 249-256.

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