QUELLE SIMULATION
DANS LES DISCIPLINES LITTÉRAIRES ?

Jean-Louis Malandain
Chargé d'Études au CIEP-BELC
Bureau National de l'EPI
 

POURQUOI LA SIMULATION ?

     On peut simuler le cri du canard en faisant varier la fréquence, les harmoniques et l'intensité d'une lame vibrante dans un laboratoire d'acoustique, tout en rendant compte au millième de seconde de ce qu'on a fait pour obtenir « coin coin ».

     On peut aussi utiliser un appeau fabriqué par un chasseur ignorant tout des lois de l'acoustique. Dans le premier cas, on peut parler d'une démarche scientifique fondée sur la modélisation ; dans le second, il s'agit d'une approche intuitive dont le ressort est l'imitation.

     Classiquement, une simulation, dans les domaines scientifiques où est né ce concept, peut correspondre à des modalités différentes :
- un phénomène dont on connaît suffisamment les lois ou les règles et qu'on a les moyens de reproduire afin de montrer les effets d'une variation des paramètres ;
- les conséquences d'une évolution du prix des matières premières dans une situation socio-économique ;
- un phénomène difficile ou coûteux à développer en grandeur réelle et qu'on propose avec des moyens artificiels mais qui donnent l'illusion du vrai ;
- le célèbre jeu « Simulator » ou, avec des moyens autrement complexes, un simulateur de vol pour entraîner les pilotes.

     Les objectifs recherchés ne sont pas forcément convergents.

     Pour un chercheur, la simulation est un moyen de démontrer qu'il maîtrise le phénomène et que le modèle adopté est fiable. Pour l'utilisateur, le résultat obtenu compte plus que les moyens mis en oeuvre ou la justesse des analyses.

QUE SERAIT UNE SIMULATION
DANS LES DISCIPLINES LITTÉRAIRES ?

     Ces limites extrêmes étant fixées ainsi que la pluralité des objectifs et des démarches, peut-on repérer des simulations dans le domaine linguistique et langagier ?

     On retrouve, en tout cas, des approches similaires :
- simulation savante (pour éclairer les fonctionnements linguistiques) ;
- connaître suffisamment les règles d'agencement syntagmatique des unités lexicales pour générer un texte, y ajouter des filtres respectant la cohérence sémantique, affiner la production en fonction de règles propres à un genre etc. : quand une telle machinerie est mise en place, elle peut produire des poèmes, des romans, des slogans, des dépêches d'agence, des pastiches (cf. Jean-Pierre Balpe, Michel Bézard, Laurence Danlos dans le domaine de la génération de textes).

     La conception de programmes informatiques pour simuler certaines productions littéraires s'inscrit assez naturellement dans la tradition de l'écriture automatique, chère aux Surréalistes, et poursuivie par l'OULIPO (ouvroir de littérature potentielle), animé par Raymond Queneau. Dans la même perspective, les membres de l'ALAMO (Atelier de littérature assistée par micro-ordinateur) recherchent ce qu'on pourrait appeler une modélisation littéraire.

     On en trouve la trace dans des ouvrages et des revues depuis les années 70. On peut citer Action poétique n° 95 (1984), consacré aux travaux du groupe ALAMO, ainsi que l'ouvrage de Jean-Pierre Balpe Initiation à la génération de textes en langue naturelle (exemples de programmes en Basic), Eyrolles, 1986.

     En dehors du domaine littéraire, la simulation des pratiques langagières fondée sur une modélisation des structures linguistiques et du comportement humain est au moins aussi ancienne.

     Dès 1966, Joseph Weizenbaum proposait le célèbre programme ELIZA qui simulait une conversation. Il s'étonna plus tard de l'importance donnée à sa tentative car il s'agissait surtout de repérer des mots clés pour donner l'illusion que la machine comprenait un « interlocuteur ». Il n'empêche que d'autres chercheurs en IA voulurent aller plus loin.

     De son côté, Terry Winograd achevait en 1971 le programme SHRDLU pour simuler la compréhension à partir de la manipulation d'objets. Le livre issu de ces recherches La compréhension des langues naturelles (University Press, 1972) a suscité beaucoup d'enthousiasme, mais il apparut très vite que les moyens à mettre en oeuvre pour simuler valablement la production ou la compréhension étaient considérables et que, surtout, les analyses préalables sur le langage n'avaient pas la fiabilité des modèles scientifiques.

     Pourtant, il en est resté un intérêt aigu pour la génération ou la compréhension des textes. C'est une approche très motivante pour mener des analyses et motiver des élèves qui répugneraient à faire de la grammaire si on prononçait ce mot tellement scolaire !

     La question reviendrait alors à se demander (ou à demander à des élèves) quelles règles il faudrait installer dans un programme quelconque pour que la machine soit en mesure de produire une phrase qui ait une signification pour celui qui regarde l'écran où elle s'affiche.

     Imitation triviale (pour donner l'illusion du vrai).

     Cette autre voie, qu'on pourrait appeler la « simulation palliative », aurait pour objectif de mettre à la portée de tous l'équivalent d'outils inaccessibles dans le domaine du traitement de l'information : consultation d'une banque de données, écriture dans une messagerie, fonctionnalités des hypertextes ou hypermédias, images de synthèse, synthèse et reconnaissance de la parole, etc.

     En voici deux exemples, parmi bien d'autres possibles :

- Il se passera sans doute beaucoup de temps avant que l'Éducation nationale puisse mettre à la disposition des enseignants et des élèves un système de recherche documentaire aussi puissant et performant que SPIRIT (diffusé par SYSTEX au prix de 55 000 francs HT dans sa version « standard »). En revanche, l'interrogation en langue naturelle, principale fonctionnalité du système en question, peut être simulée sur un corpus limité.

- Dans un domaine tout différent, le catalogue de l'UGAP propose pour 64 500 francs (TTC !) un dispositif permettant à un orateur de voir apparaître sur un écran le texte de son intervention au moment opportun pour une diction naturelle. C'est l'équivalent du « prompteur » utilisé par les présentateurs de télévision ou des aides techniques très sophistiquées qui facilitent le doublage des films. À part le Ministre en personne, on ne voit guère quel établissement pourrait commander ce système pourtant très utile pour travailler sur l'élocution. Là encore, une simulation est non seulement possible à moindres frais mais elle existe déjà (La disquette « KITORAL », disponible au CIEP-BELC pour 50 francs, permet précisément ce type d'affichage synchrone à partir de fichiers Ascii).

     Dans une situation d'enseignement, l'important n'est pas forcément de disposer des appareillages professionnels mais bien de reconnaître l'apport considérable, dans la communication et les pratiques langagières, de ce qu'il est convenu d'appeler « les Industries de la langue » :
- TAO (traduction assistée par ordinateur) ;
- dictionnaires électroniques ;
- synthèse de la parole ;
- analyse des textes.

     Il suffit de parcourir le catalogue du dernier salon international consacré à ces productions spécifiques (Paris, novembre 1991) pour en comprendre, à la fois, l'intérêt et le caractère utopique au regard des crédits nécessaires.

UNE SOLUTION CONFORME À LA VOCATION DE L'ÉCOLE

     Ce pourrait être l'objectif d'un Atelier National des Logiciels que de recenser, d'identifier et de simuler tous ces moyens qui vont transformer en profondeur la communication sociale ou la création littéraire et artistique. Il s'agirait de repérer et de reproduire les moments où l'usage de l'ordinateur s'impose quand on veut respecter la réalité des besoins professionnels. N'est-ce pas le rôle de l'école de mettre en évidence des fonctionnements et des fonctions que l'élève retrouvera dans la vie active, même s'il est conscient de n'avoir jamais dépassé le stade de la simulation. Cf. « Pour le développement de l'informatique dans le système éducatif ». AG 1990. Bulletin de l'EPI n° 60, p. 41-53, décembre 1990.

Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, p. 132-135.

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