Le déficit en ingénieurs et scientifiques
Les alertes se multiplient, mais la prise de conscience ne semble pas atteindre les responsables politiques. Et pourtant...
Cette pénurie touche notre pays et plus généralement l'Europe.
- Pour ce qui concerne les ingénieurs et scientifiques en France :
Letudiant.fr a relayé le 28 octobre dernier l'alerte du collectif Maths&Sciences parue dans Le Monde du 4 septembre 2024 : le nombre de nouveaux inscrits en écoles d'ingénieurs est en baisse de 11,5 % à la rentrée 2023 [1]. Le déficit est confirmé, entre autres, par Le Monde des grandes écoles et universités [2]
Pour Mélanie Guenais, coordinatrice du collectif et vice-présidente de la Société Mathématique de France, c'est là la conséquence de la réforme du bac de Jean-Michel Blanquer (ministre de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports de 2017 à 2022), qui a réduit l'enseignement des sciences au lycée. Elle appelle à un réveil politique rapide.
« Tout le monde est très inquiet de ce qu'il va se passer. Le faible enseignement scientifique représente un risque réel de déclin économique et culturel (...) proposer 2 heures de culture scientifique obligatoire sur près de 30 heures par semaine pour un lycéen, ça envoie le message que les sciences ne servent à rien. (...) Depuis la mise en place de la réforme du lycée, on a vu un effondrement de 40% des effectifs susceptibles de s'orienter vers des études de sciences approfondies, dont les écoles d'ingénieurs. Le tout avec une aggravation des inégalités filles/garçons »
Inutile de préciser que l'EPI est signataire du texte Collectif, elle qui alerte depuis des décennies sur la nécessité de former résolument à l'informatique et aux « technologies modernes »
Ainsi, par exemple, les dernières lignes de la déclaration de l'Assemblée générale du 6 novembre 1993 : « Une évolution du système éducatif intégrant résolument l'informatique et les technologies modernes est de nature à faciliter les évolutions économiques, sociales et culturelles de cette fin de XXe siècle, et à sauvegarder les chances de la France dans la compétition avec les autres pays développés. » [3] et celles de l'AG du 19 novembre 1994 :
« Pourtant, nous restons persuadés qu'un pays comme le nôtre, et l'Europe toute entière, ne pourront garder leur identité, résister à la concurrence internationale, créer des emplois et dégager des ressources pour la collectivité que s'ils développent des secteurs de haute technologie nécessitant une main d'œuvre hautement qualifiée. Les entreprises, petites et moyennes, doivent également se moderniser et ne peuvent le faire qu'en disposant d'une main d'œuvre compétente en matière de technologies modernes, issue d'une société dont la culture globale aura intégré, grâce au système éducatif, ces technologies. Existe-t-il d'autres choix ? »
etc.
Dans un communiqué du 14 octobre 2024, dont nous fait état dans le numéro 269 d'EpiNet, la Société informatique de France rappelle une fois de plus ses positions concernant l'informatique dans l'éducation nationale [4] :
« tous les élèves doivent bénéficier d'un enseignement en informatique leur permettant de comprendre les principes fondamentaux de la discipline, afin de pouvoir grandir dans un monde numérique dont ils maîtrisent les enjeux, les élèves qui souhaitent s'orienter vers des métiers relevant directement du numérique, ou bien nécessitant de fortes compétences dans ce domaine, doivent avoir accès, dès le collège, à un enseignement de qualité sur tout le territoire nationa », (extrait).
Voir également : « Quelle ambition numérique pour la France ? » (SiF, 27 septembre 2024) [5]
Les avis convergent :
« La technique (informatique) est partie intégrante de la culture du jeune de l'élève et du citoyen » écrit Bruno Devauchelle dans une chronique du 29 novembre parue dans le Café pédagogique. Or, les différentes enquêtes comme ICILS « sur le système éducatif français, semblent montrer les limites du modèle scolaire actuel ».
Nous dirions plutôt qu'elle devrait être partie intégrante.
- À propos d'Europe, que dit le rapport Draghi ? (page 33)
Que : l'Union Européenne devrait revoir son approche des compétences émergentes, la rendre plus stratégique, tournée vers l'avenir et centrée sur les pénuries (...) les programmes de l'UE consacrés à l'éducation devraient être repensés.
« La pénurie de compétences émergentes en Europe est due au déclin des systèmes d'éducation et de formation, qui ne parviennent pas à préparer la main d'œuvre aux changements technologiques. Le niveau d'éducation dans l'UE, tel que mesuré par les résultats du PISA de l'OCDE, est en baisse. Les positions de tête dans les derniers rapports PISA sont dominées par les pays asiatiques, tandis que l'Europe a connu un déclin sans précédent. » [6]
Mais on ne compte plus les rapports d'économistes qui ont fini sur une étagère du haut. Celui de Mario Draghi connaîtra-t-il le même sort ?
- Christine Lagarde présidente de la BCE, dans un entretien au Monde publié le 31 octobre, confirme la réalité du décrochage de la France et de l'Europe « qui tient essentiellement au secteur de la Tech. » (...) « il est important que les Européens se mobilisent et fournissent des efforts pour garder en Europe ces sociétés qui démarrent ici et ensuite se développent ailleurs. » et au passage :
« les États-Unis développent l'intelligence artificielle très rapidement, et commencent déjà à avoir un certain nombre de grands champions. Pendant ce temps-là, l'Europe non seulement n'a pas de grands champions, mais fait figure de pionnière dans la réglementation applicable à l'intelligence artificielle. Cela amène les acteurs de ce secteur d'activité à se dire : « Allons faire ça ailleurs, ce sera plus simple et nous aurons moins de barrières et de contraintes. »
Mais elle n'évoque pas le problème de la formation quantitativement insuffisante, aggravée par la fuite des cerveaux ! [7] .
- Et en guise de conclusion provisoire, une déclaration du Président chinois, Xi Jinping le 17 octobre dernier : Les scientifiques et la Tech sont « la colonne vertébrale de la modernisation chinoise ». Pour mémoire, de très nombreux dirigeants chinois au plus haut niveau ont suivi des formations scientifiques ou techniques dans leur jeunesse et doivent se tenir au courant des évolutions récentes...
12 janvier 2025
Le Bureau EPI
NOTES
[1] M. Guenais (collectif maths&sciences) : « Le faible enseignement scientifique représente un risque réel de déclin économique » Thibaut Cojean publié le 28 octobre 2024.
https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/m-guenais-collectif-maths-sciences-le-faible-enseignement-scientifique-represente-un-risque-reel-de-declin-economique.html
https://collectif-maths-sciences.fr/2024/09/03/tribune-le-monde-decrochage-des-inscrits-en-cycle-ingenieur-en-2023-quel-role-de-la-reforme-du-bac/
Les signataires : https://collectif-maths-sciences.fr/2024/09/02/tribune-le-monde/
Voir aussi : https://education.newstank.fr/article/view/344422/news-tank-tv-politiques-educatives-projets-terra-academia-vus-blanquer.html
[2] « La France a besoin de 65 000 nouveaux diplômés chaque année, soit 18 000 de plus qu'à l'heure actuelle. » (26 juin 2024)
https://www.mondedesgrandesecoles.fr/emploi-des-ingenieurs-en-2024-on-fait-le-point/
[3] https://www.epi.asso.fr/revue/72/b72p005.htm
[4] https://www.socinfo.fr/la-semaine-du-code-une-bonne-action-ne-suffit-pas/
[5] https://www.socinfo.fr/uploads/2024/09/2024-09-QuelleAmbitionNumeriquePourLaFrance-SocieteInformatiqueDeFrance.pdf
[6] L'avenir de la compétitivité européenne - Partie A | Une stratégie de compétitivité pour l'Europe, septembre 2024, 69 pages.
https://commission.europa.eu/document/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en
[7] « Le décrochage de l'Europe est une réalité, celui de la France aussi », publié dans Le Monde, le 31 octobre 2024 :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/10/31/christine-lagarde-presidente-de-la-bce-le-decrochage-de-l-europe-est-une-realite-celui-de-la-france-aussi_6368399_3234.html
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