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Réforme du secteur de l'Éducation nationale.
Quel apport du nouveau statut unifié

Biaz Abdelouahed
 

Résumé
Dans cet article, nous analysons le statut unifié du secteur de l'Éducation nationale au Maroc dans sa version initiale publiée le 6 octobre 2023. Nous exposons le contexte général de cette loi ainsi que les grandes lignes du discours officiel, nous mettons en évidence les dispositions de la version initiale qui ont suscité un large débat sociétal, et passons en revue quelques insuffisances qui ont ancré le projet dans sa globalité, et nous exposons l'apport positif de la version amendée publiée le 23 février 2024 en termes de réponse effective aux diverses revendications de révision de certaines dispositions controversées soulevées par la version initiale dudit statut dans l'horizon d'assurer les principes d'équité et d'égalité réelles et consolider le statut de l'école publique et assurer ainsi l'avancement de la réforme souhaitée.

Mots-clés : Statut unifié, système éducatif, école publique, réforme de l'éducation.

Introduction

   La réforme du système éducatif marocain revêt une grande importance [1]. En effet, ce dernier constitue le pilier fondamental de l'État social et le deuxième enjeu national après l'unité territoriale du Royaume, du fait de son impact sur le développement de la société, la formation des générations, la consolidation des valeurs citoyennes, le renforcement des capacités et des compétences des apprenants ainsi que l'adaptation aux défis technologiques et sociétaux actuels et futurs.

   Le nouveau statut (loi promulguée en octobre 2023 sous le n° 2.23.819), qui représente le maillon central du processus de cette réforme, intervient dans un contexte social et économique national et international très sensible en raison des incidences de l'inflation et des tensions arabes et islamiques en raison des répercussions de la guerre à Gaza. Il intervient également, après vingt ans de mise en œuvre de la loi précédente (Décret n° 2.02.854 du 10-02-2003) conformément aux directives et orientations du nouveau modèle de développement et de la feuille de route 2022-2026, ces derniers ont fixé parmi leur engagements la nécessité de réaliser une véritable renaissance éducative visant la motivation et la formation des enseignants, véritables garants de la réussite de toute réforme, ainsi que l'adoption d'un nouveau statut motivant pour eux et répondant aux aspirations de toutes les forces sociétales réclamant l'amélioration de la qualité de l'éducation.

   Il convient de mentionner que le projet initial du nouveau statut du secteur de l'éducation (décret n° 2.23.819), a constitué le résultat de discussions approfondies pendant deux ans entre le MENPS [2] et les syndicats les plus représentatifs, sans l'implication des structures de ces derniers et leurs bases. Ainsi, la confidentialité et la discrétion ont été les principaux titres qui ont marqué l'élaboration de ce projet réglementant plus de 368 462 praticiens de la profession.

   Ce décret, qui englobe douze chapitres, neuf sections et quatre-vingt-dix-huit articles, s'inspirait de plusieurs lois et statuts à savoir ; le statut général de la fonction publique (Dahir 1.58.008 du 24-02-1958), la loi-cadre 51.17 relative au système d'éducation, de formation et de la recherche scientifique, la loi instituant un régime de pensions civiles (Loi n° 011.71 du 30-12-1971), la charte des services publics (Loi n° 54.19 du 14-06-2021), la loi portant création des Académies Régionales d'Éducation et de Formation (AREF)( Loi n° 07.00 du 19-05-2000), le décret royal fixant les dispositions applicables aux fonctionnaires stagiaires des administrations publiques (n° 62.68 du 17-05-1968), le décret portant création des Centres de l'orientation et de la planification pédagogique (Décret n° 2.85.723 du 06-04-1987), le décret relatif à la réorganisation du Centre de formation des inspecteurs de l'éducation (Décret n° 2.08.521 du 18-12-2008), le décret portant création et organisation des centres régionaux des métiers de l'éducation et de formation (Décret n° 2.11.672 du 23.12.2011), le décret relatif au statut particulier du corps interministériel des enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur ne relevant pas des universités (Décret n° 2.23.546 du 02-08-2023), le décret définissant les échelles de rémunération et les conditions d'avancement d'échelon et de grade des fonctionnaires de l'État (Décret n° 2.62.344 du 08-07-1963), le décret fixant les échelles de classement des fonctionnaires de l'État et la hiérarchie des emplois supérieurs des administrations publiques (Décret n° 2.73.722 du 31-12-1973), le décret fixant les conditions d'avancement du personnel de l'état dans le grade ou le cadre (Décret n° 2.04.403 du 02-12-2005), le décret fixant les conditions et les modalités d'organisation des concours de recrutement dans les emplois publics (Décret n° 2.11.621 du 25-11-2011), le décret dispensant les fonctionnaires de la condition d'âge requise statutairement pour leur recrutement dans un nouveau cadre de l'État (Décret n° 2.92.231 du 29-04-1993), le décret fixant les conditions et les modalités de l'indemnité compensatrice de certains fonctionnaires des administrations publiques (Décret n° 2.92.264 du 18-05-1993), et le décret relatif aux diplômes demandés pour l'intégration des différents grades institués par les statuts particuliers (Décret n° 2.12.90 du 30-04-2012).

   À travers ce qui précède, nous souhaitons étudier les grandes lignes de la version initiale du nouveau statut sous plusieurs angles, puis analyser les composantes organisationnelles, administratives, pédagogiques, humaines et matérielles qui ont fait de ce statut un objet de critiques et de vastes débats sociétales. Seront pris en compte les études et les rapports qui ont précédé l'élaboration de ce projet, dans la perspective de dégager une perception générale sur ses bénéfices à travers la réponse de la version amendée (Décret n° 2.24.140 du 23 février 2024) aux diverses revendications relatives au besoin d'amélioration et de révision de ses articles dans l'horizon de l'avancement du système éducatif et de renforcement de la confiance dans l'école publique.

Problématique de la recherche

   Le nouveau statut (Décret n° 2.23.819), qui se veut le cadre juridique du plus grand segment socioprofessionnel dans lequel le personnel enseignant représente 61,69 % du nombre total des employés du secteur, soit environ 256 000 enseignants, a suscité le mécontentement de la majorité du corps enseignant. En effet, selon le discours officiel, ce statut a été inspiré du programme gouvernemental. Néanmoins, d'un point de vue critique, et comparé à son prédécesseur (Décret n° 2.02.854), il se trouve en retard par rapport au contexte général et à la réalité socio-économique actuelle caractérisée par la hausse des prix de tous les produits énergétiques et de consommation. En effet, ledit projet incarne une sorte de discrimination entre les différents acteurs du secteur de l'éducation, ceci étant expliqué par l'exclusion du personnel enseignant, pierre angulaire de ce système, de tous les avantages complémentaires au même titre que le personnel administratif et d'inspection.

   À la lumière de ce qui précède, nous souhaitons déterminer l'apport de la version amendée, apparue après un travail minutieux et des discussions marathoniennes et approfondies de 4 mois entre toutes les parties concernées (Représentants du gouvernement, ministère d'emploi, syndicats), en terme de réponse effective aux revendications de révision des articles controversés de ladite loi, dans un contexte global qui garantit les principes d'équité et d'égalité des chances et pouvant contribuer à la consolidation de la légitimité de l'école publique et conserver les intérêts ultimes des apprenants. La principale question qui se pose est la suivante : Quels sont les principales dispositions de la nouvelle loi dans sa version initiale ainsi que les défis qui en découlent ?

Questions de recherche :

1) Quelles sont les principales caractéristiques structurelles et organisationnelles du nouveau statut (Décret n° 2.23.819) ?

2) Quel est le contexte général qui a encadré la promulgation de ce projet ainsi que les principales tendances du discours officiel ?

3) Quelles sont les exigences formelles particulières et les questions associées à certaines dispositions relatives à ce statut ?

Raisons du choix du sujet et importance de la recherche : La volonté d'analyser les aspects les plus importants du nouveau statut des fonctionnaires du secteurs de l'éducation nationale ainsi que les défis qui en découlent.

Méthodologie et outils utilisés : En raison de la nature de l'étude, nous avons adopté une approche descriptive et analytique et nous nous sommes appuyés sur des documents et des sources administratives gouvernementales, ainsi que des références scientifiques pour recueillir des informations.

Période de recherche : La recherche s'articule autour de la loi relative au Statut unifié du secteur de l'éducation nationale, publiée au Journal officiel le 9 octobre 2023 ainsi que sa version amendée, publiée au Journal officiel le 29 février 2024.

Premier axe : Les grandes lignes du discours officiel

   Selon le discours officiel, ce statut (Décret n° 2.23.819) intervient dans le cadre d'un dialogue social qui a abouti à la signature de l'accord historique du 14 janvier 2023 entre le MENPS et les syndicats les plus représentatifs dans la perspective de surmonter les lacunes issues du statut de 2003. En effet, il s'agissait de doter toutes les composantes ; administratives, pédagogiques, économiques et d'inspection, d'un parcours de carrière unifié, basé sur les principes d'équité, d'égalité des chances, de responsabilité et d'accompagnement permanent par des parcours de formation continue adaptés et variés.

   Selon ce nouveau statut, les fonctionnaires du MENPS sont réparti en quatre corps (Education et enseignement - administration et gestion scolaire - Inspection, supervision, suivi et évaluation - Enseignants chercheurs en éducation et formation). De plus, ce statut a visé l'abolition de la discrimination entre les cadres des AREF et les autres fonctionnaires du ministère via la fusion des deux catégories en une seule entité (personnel enseignant), avec les mêmes droits et obligations ainsi qu'aux mêmes avantages sociaux et parcours de carrière. De plus, ledit statut visait l'amélioration significative de la version antérieure de 2003, via la résolution de plusieurs dossiers en suspens tel que la reconnaissance du grade d'excellence pour une large catégorie de fonctionnaires qui en étaient privés, l'octroi d'une indemnisation annuelle au personnel enseignant et administratif impliqué dans le projet intitulé « Établissement pionnier », la mise en place d'une indemnité supplémentaire pour le personnel administratif et d'inspection, la promotion avec effet rétroactif d'une grande partie des cadres des AREF ainsi que la régularisation du dossier des enseignants dits « de la cellule10 », l'adoption du principe d'évaluation des performances professionnelles selon des indicateurs objectifs qui auront un impact direct sur les apprentissages. Cependant, la promotion du personnel enseignant sera soumise à l'efficacité, la performance, la créativité et l'excellence.

   Afin de couvrir tous les engagements soulevés par ce statut, le gouvernement a mobilisé un budget colossal de 9 milliards de dirhams à l'horizon 2027, à raison de 2,5 milliards de dirhams par an à partir de 2024. Ces acquis vont permettre de surmonter les problématiques issus de l'ancien système tout en optimisant les différents principes sur lesquels il était basé, ce qui va permettre de formuler une nouvelle perspective et vision pour les acteurs du secteur.

Deuxième axe : Analyse des principales dispositions de la version initiale du statut unifié des enseignants

La nouvelle structure des employés du secteur de l'Éducation nationale

   Parmi les dispositions importantes apportées par ce statut dans sa version initiale (Décret n° 2.23.819), l'attribution de la nomination 'Statut unifié des fonctionnaires de l'éducation nationale', malgré l'absence, dans ses articles, des cadres administratifs œuvrant dans les départements et services régionaux et centraux. En effet, ledit décret s'adresse principalement aux enseignants des établissements d'enseignement publique et des centres de formation, tous désignés comme « Ressources humaines », et ce contrairement à la nomination adoptée par L'ancien statut de 2003 « fonctionnaires du ministère de l'Éducation nationale ». Cependant, en référence à l'article 2 du statut général de la fonction publique, adopté comme document de référence dans l'élaboration de ce nouveau statut ; il est considéré comme fonctionnaire toute personne nommée à un poste permanent appartenant à un grade et une échelle de l'administration de l'État. De ce fait, La fusion des fonctionnaires du secteur de l'éducation nationale et des cadres des AREF en une seule dénomination « Ressources humaines » avait pour objectif de dissoudre les deux entités au sein du même corps d'enseignement dans la même organisation (fonctionnaires de l'état), tout en conservant leurs identités distinctes.

   En outre, ledit décret marque une rupture avec son prédécesseur de 2003 qui stipulait l'indépendance du corps enseignant et des cadres d'orientation et de planification. Dans ce contexte, le corps de l'éducation et de l'enseignement a remplacé le corps d'enseignement dans l'ancien système et intègre les conseillers en orientation ainsi que les spécialistes pédagogiques et sociaux. De même, le corps d'encadrement, de contrôle éducatif a été remplacée par le corps d'inspection, de contrôle et d'évaluation. Ledit statut prévoit également la création du cadre d'inspecteur pédagogique post-baccalauréat et la fusion du cadre d'inspecteur pédagogique de l'enseignement collégial et celui du secondaire qualifiant en un seul cadre nommé « inspecteur pédagogique de l'enseignement secondaire ». Quant au corps de l'administration scolaire et de gestion, il comprend désormais, outre l'administrateur éducatif, le spécialiste économique et administratif, l'assistant éducatif, ainsi que les conseillers en planification et les économes, qui relevaient auparavant respectivement au corps d'orientation et de planification pédagogique, et au corps de gestion et du contrôle matériel et financier. De plus, le nouveau décret a prévu la création du corps des professeurs chercheurs en éducation et formation pour répondre aux attentes des fonctionnaires titulaires du diplôme de doctorat. Ce corps est composé de trois cadres (Professeur assistant - Professeur habilité - Professeur encadrant) ayants des parcours professionnels similaires à ceux des professeurs de l'enseignement supérieur.

   Il convient de noter que la diversité dans la composition des corps, combinée à celle des tâches et spécialisations qui en découlent, remet en question la méthodologie utilisée pour adopter cette ingénierie, de point de vue des différentes interactions professionnelles entre les divers cadres en lien avec l'efficacité de l'acte éducatif et managérial dans les établissements d'éducation, d'enseignement et de formation.

Nouvelles tâches pour le personnel enseignant

   Dans sa forme initiale largement controversée, le nouveau statut a adopté la dénomination « corps d'éducation et d'enseignement » au lieu de celle optée dans le statut de 2003 « corps d'enseignement ». En réalité, par l'introduction du concept d'éducation, le nouveau statut ne fait que valoriser l'acte pédagogique à travers l'innovation de l'acte d'enseignement en se basant sur les mécanismes qui stimulent la créativité des apprenants. En effet, l'éducation dépasse la seule perspective d'acquisition de connaissances et de concepts vers le développement global de l'apprenant, pierre angulaire de l'action pédagogique, elle tient compte de toutes les interactions existantes entre l'enseignant, l'apprenant et l'environnement éducatif, encourage la créativité, la communication, la pensée critique et la mobilisation d'expériences acquises grâce aux d'outils d'enseignement innovants et efficaces s'adaptant aux capacités spécifiques de chaque apprenant et permettant d'atteindre les objectifs fixés.

   D'autre part, selon les dispositions de la version initiale du statut largement controversé, les tâches du personnel enseignant dépassent les fonctions explicitées dans les articles 15, 21 et 26 du statut de 2003, axées sur l'enseignement, l'évaluation et la participation aux concours et examens, pour couvrir d'autres tâches supplémentaires (Éducation, soutien scolaire et éducatif, participation au processus de développement professionnel, coopération et coordination au sein de l'équipe éducative, participation aux activités scolaires et aux activités intégrées), sans aucune compensation matérielle. En parallèle, le législateur a approuvé des indemnités complémentaires en faveur du corps de la gestion scolaire et d'inspection pour les tâches qui leur sont assignées, ce qui contredit les principes d'équité et d'égalité qui a ancré le discours officiel. De plus, l'article 68 dudit statut stipule que la détermination de la durée hebdomadaire d'enseignement pour le personnel enseignant est assignée à la décision de l'autorité gouvernementale chargée de l'éducation nationale, sur avis de celle chargée de la fonction publique, mais sans impliquer l'autorité gouvernementale chargée des finances, explicitement mentionnée dans les articles précités de la loi de 2003. Ainsi, l'absence du département financier confirme la possibilité d'ajout d'autres tâches en plus de la tâche principale d'enseignement sans aucune compensation. Ceci est également confirmé par l'article 67 qui stipule que les tâches réellement assignées ou ultérieurement attribuées feront l'objet de la décision unique de l'autorité gouvernementale chargée de l'éducation nationale. De plus, la motivation professionnelle est conditionnée par la nécessité de fournir des activités d'appui pédagogique en dehors des heures de travail approuvées (article 60). De même, l'article 4 reconnaît le droit aux moyens de travail, sans que l'administration ne soit obligée de les fournir. Dans ce contexte, deux questions se posent ; d'abord comment peut-on évaluer la productivité en l'absence de moyens de fonctionnement ? ensuite, comment peut-on promouvoir l'apprentissage et imposer la mise en œuvre de la réforme si l'action pédagogique n'est pas réellement conditionnée par l'obligation de disponibilité des ressources et outils didactiques ? De plus, l'article 6 stipule l'obligation de tous les acteurs pédagogiques d'adhérer à une déontologie qui encadre la réputation des professions de l'éducation et de la formation, ce qui peut nuire à la liberté d'expression et d'opinion.

Chevauchement des tâches assignées aux différents cadres

   Le constat majeur qui a ancré ce nouveau statut est le chevauchement existant entre les tâches assignées au corps enseignant. En effet, le conseiller en orientation pédagogique, qui appartenait au corps d'orientation et de planification pédagogique dans l'ancien statut, chargé de la réalisation des tâches d'information et d'orientation scolaire et professionnelle, la diffusion des données relatives aux perspectives scolaires et professionnelles des apprenants, la réalisation d'examens psychologiques à leur profit (article 48 du décret de 2003) ; ce cadre est devenu affilié au corps de l'enseignement chargé, en plus des tâches précitées, d'assurer le suivi des parcours scolaires de formation et du projet personnel de l'apprenant, participer aux activités scolaires, parascolaires, d'évaluation et de présenter le soutien et conseils en orientation en faveur des familles et des institutions. De ce fait, le législateur a considéré ces différentes tâches comme partie intégrante de l'acte éducatif et un processus d'accompagnement fusionné aux rythmes des apprentissages. D'autre part, les tâches du 'spécialiste pédagogique' s'articulent autour de l'assistance dans les activités administratives, la supervision des laboratoires et des bibliothèques scolaires, la gestion des activités éducatives et parascolaires, tandis que les tâches du 'spécialiste social' gravitent autour du soutien psychologique, social et sanitaire de l'apprenant, la gestion de la santé scolaire, la communication avec les familles ainsi que les activités éducatives de la vie scolaire. Ce constat engendre un croisement des responsabilités 'conflit de compétences' entre les fonctions du conseiller en orientation et celles du spécialiste de l'éducation, de l'assistant social et de l'enseignant. Ce même croisement de responsabilités est constaté également entre les professeurs-chercheurs et les inspecteurs concernant les tâches liées à l'évaluation, à la supervision et au soutien des professeurs-stagiaires.

Les Indemnités complémentaires à l'épreuve de l'équité

   À l'exception de la rémunération complémentaire annuelle octroyée à l'équipe pédagogique du projet des établissements pionniers (Article 60), l'article 62 du nouveau statut fait référence à l'importance des initiatives et des pratiques remarquables des « ressources humaines ». En effet, l'article 69 du statut controversé fait référence à l'obligation de participation de ces dernières aux diverses formations continues organisées à leur profit afin de développer leurs compétences et améliorer leur rentabilité. Cette participation, ainsi que son investissement sur le terrain seront prises en compte dans l'évaluation annuelle des performances professionnelles (article 52) à travers l'attribution de certificats d'appréciations.

   Cependant, le législateur a d'une part adopté la logique d'octroi d'une rémunération supplémentaire matérielle en faveur du staff de gestion et d'inspection pour les tâches qui leurs sont assignées et a d'autre part recouru à une motivation symbolique pour le corps enseignant via l'octroi de certificats d'appréciation et de reconnaissance sans pour autant détailler les critères objectifs et mesurables définissant les pratiques concernées par ces certificats. En effet, lesdits certificats ne peuvent constituer une véritable motivation pour les enseignants et ne seront considérées lors des procédés relatifs au mouvement de mobilité ou de promotion. Toutefois, l'obtention des attestations précitées est liée à l'effacement des sanctions disciplinaires consignées au dossier du fonctionnaire (article 65), et peuvent par conséquent remédier au parcours professionnel des fonctionnaires concernés par les sanctions ayant un impact grave sur leur carrière professionnelle.

   En retour aux formations continues dispensées au corps enseignant, il convient de mentionner qu'elles s'inscrivent majoritairement dans le contexte de la mise en œuvre des dispositions de la loi-cadre 51.17 relative au système d'éducation et de formation dans son volet relatif au développement des usages des TIC [3] ainsi que l'opérationnalisation des objectifs de la feuille de route 2022-2026. Généralement, ces formations sont programmées et encadrées par des enseignants d'informatique en dehors des heures de service réglementaires. Dans ce contexte, le nouveau statut ne mentionne aucune prime ou rémunération d'encadrement en faveur de cette catégorie, malgré leur contribution et leur participation active à la réussite du plan régional de la formation continue.

Détail exhaustif des sanctions disciplinaires

   Le constat majeur qui a ancré le discours adopté par le nouveau statut est l'usage massif des expressions (les concernés) ou (personnes concernées), s'écartant ainsi du discours opté pour les autres professions étatiques régies par le statut général de la fonction publique, et de la formule adoptée par le législateur (article 113) de l'ancienne loi « Les différents cadres cités dans les articles du présent décret ». D'autre part, et de manière inhabituelle lors de la rédaction des lois régissant les différents secteurs de la fonction publique, le nouveau statut (2.23.819), a largement détaillé la notion d'erreur ainsi que les sanctions sévères qui en découlent. Dans ce contexte, l'article 64 dudit décret a favorisé le développement des sanctions disciplinaires qui ne sont pas en conflit avec celles mentionnées à l'article 66 du statut général de la fonction publique, mais en ajoutant des dispositions qui n'y étaient pas incluses, sans pour autant désigner les erreurs professionnelles méritant ces sanctions ni les organismes habilités à mettre en œuvre les différentes peines en question. Cependant, le détail excessif des sanctions est dû à l'impossibilité d'application de celles issues du statut général de la fonction publique aux deux catégories de 'ressources humaines'. En effet, selon l'article 3 de ce décret, les cadres des AREF ne sont pas soumis aux exigences des sanctions applicables aux fonctionnaires de l'état régies par le statut Général de la fonction publique. Cependant, l'exploration détaillée de nouvelles sanctions, telles que la privation de mouvement de mutation ou de la promotion est justifiée par le fait que ces dernières ; constituent les principales préoccupations du corps enseignant, en raison de leur cohérence avec la spécificité du secteur de l'éducation nationale, mais aussi pour permettre à l'autorité administrative d'avoir une marge de Manœuvre pour choisir les sanctions appropriées pour toutes les entités de ressources humaines sans l'obligation de respecter ou non les exigences de l'article 66 du statut général de la fonction publique applicable uniquement aux fonctionnaires 'titulaires' du secteur de l'éducation nationale.

Le troisième axe : Statut amendé, Résultats et recommandations

   Le statut général du secteur de l'éducation nationale dans sa version initiale (Décret n° 2.23.819) a suscité une large critique de la part des spécialistes du secteur de l'éducation et de la formation. En effet, l'absence d'interaction immédiate avec les revendications soulevées a contribué de manière significative à l'alimentation de la tension qui a généré plusieurs semaines de grèves. Cependant, l'implication positive et responsable du gouvernement et du ministère de tutelle en concertation avec les différents intervenants et syndicats, a pu atténuer les tensions qui ont surgi le secteur à travers le retrait du dit décret et la révision significative de ses articles controversés. Le résultat des discussions fructueuses entre les différents acteurs a permis l'adoption de la version renouvelée du statut unifié, il s'agit du nouveau décret abrogeant l'ancien texte objet de la discorde, la nouvelle loi intitulée (Statut Unifié des Fonctionnaires du Ministère Chargé de l'Éducation nationale), traduite par le décret n° 2.24.140 apparu le 23 février 2024. En parallèle, d'autres décrets complémentaires relatifs aux indemnités ont été adoptés ; en particulier le décret n° 2.24.167 relatif à l'inspection, l'arrêté n° 2.23.827 relatif à la supervision et l'organisation des examens et concours, et le décret n° 2.24.142 relatif au soutien pédagogique. Au volet financier, une enveloppe de 17 milliards de DH sera déployée sur les quatre à cinq prochaines années, dont environ 9 Milliards de DH dédiés aux augmentations et aux indemnités complémentaires.

   Considéré comme nouveau et complet pour tous les acteurs du secteur de l'éducation nationale, le nouveau décret amendé (Décret n° 2.24.140) vise à assurer une stabilité à l'ensemble des fonctionnaires du système via l'amélioration des salaires et la simplification du processus de titularisation et de promotion. De même, la nouvelle loi prévoit la limitation des tâches confiées au corps enseignant, ces dernières seront réduites aux activités d'éducation et d'enseignement ainsi qu'à l'évaluation et la participation à l'organisation des examens. De même, la nouvelle loi oeuvre pour l'unification des parcours de carrière des fonctionnaires sans atteinte aux exigences du statut général de la fonction publique et sans devoir distinguer entre les 'titulaires' du MEN et les cadres des AREF, contrairement à ce qui a été indiqué à l'article 2 du décret précédent (Décret 2.23.819).

   De point de vue structurelle, la nouvelle loi catégorise les fonctionnaires de l'éducation nationale en 4 corps ; le corps d'éducation et d'enseignement, le corps des administrateurs de l'éducation nationale, le corps de la direction éducative et de gestion, corps d'inspection, d'encadrement, de contrôle et d'évaluation, et le corps des enseignants-chercheurs en éducation et formation, ce dernier a été mis en place en réponse aux revendications des fonctionnaires titulaires du diplôme de doctorat et visait principalement la régularisation de la situation de ces fonctionnaires sur 3 ans à partir de 2024.

   D'une manière générale, le nouveau décret a permis le traitement de plusieurs dossiers suspendus depuis très longtemps, comme la promotion et la révision du régime d'indemnités, en particulier pour les fonctionnaires classés au grade exceptionnel à partir du 3e échelon, l'octroi du grade 'hors échelle' pour certaines catégories ainsi que la promotion de plus de 72 000 fonctionnaires sur les quatre prochaines années, l'augmentation des salaires de l'ensemble des fonctionnaires du secteur et la révision des indemnités complémentaires pour les enseignants agrégés, les inspecteurs, les administrateurs et les conseillers d'orientation et de planification. De plus, le dit statut prévoit l'instauration pour la première fois d'un système de motivation dans le secteur de l'enseignement primaire ; une prime annuelle sera allouée à l'équipe pédagogique impliquée dans la mise en œuvre du projet labélisé « Établissement pionnier ».

   Cependant, en dehors de la logique d'indemnisation en faveur des différents salariés du secteur, l'article 62 du décret amendé souligne que les fonctionnaires acteurs des initiatives et pratiques professionnelles remarquables bénéficieront de certificats d'appréciation et de reconnaissance, classés par ordre d'importance, sans définir ; ni les critères mesurables ou les pratiques donnant droit à l'obtention de ces certificats, ni leur impact sur le statut du personnel enseignant en terme d'une éventuelle prise en compte dans le mouvement de mutation ou de promotion. Toutefois, l'article 65 ajoute que l'obtention des attestations précitées est liée à l'effacement des sanctions administratives enregistrées dans le dossier du fonctionnaire, ce qui constitue un véritable remède à son parcours professionnel.

   Toutefois, l'un des problèmes liés à la version amendée du décret en question est la disparité de motivation entre le corps enseignant, épine dorsale du système éducatif et véritable acteur d'applicabilité des divers projets de réforme, et les autres corps du secteur de l'éducation nationale, à l'exception de la motivation unique de l'équipe pédagogique impliquée dans le projet « Établissement pionnier ». De même, le dit statut, à travers ses arrêtés complémentaires (En particulier l'arrêté n° 2.24.141), a exclu les enseignants impliqués dans les activités d'encadrement des formations continues en faveur du personnel enseignant, de toute indemnisation supplémentaire. De même, le dit décret n'a pas mentionné le secteur de l'enseignement préscolaire ni les acteurs qui y sont impliqués, malgré l'importance accordée par le Ministère à cet enseignement à travers les appels officiels à l'obligation et à la généralisation de ce dernier. En effet, bien que ce secteur représente une véritable assise du processus de réforme du système éducatif, la formation de base et continue des acteurs de ce secteur stratégique n'a constitué aucune priorité dans ce statut. Qu'il s'agisse ou non d'une partie des enseignants du cycle primaire qui sont chargés d'assurer les enseignements des classes du préscolaire, ce sont eux qui sont chargés d'acquérir aux enfants les valeurs et les principes élémentaires qui constituent l'épine dorsale du système d'éducation et de formation. D'où la nécessité, malgré les efforts consentis et les ressources allouées au développement de ce secteur, de lui donner la priorité nécessaire via l'adoption de lois visant la clarification des mécanismes de travail et l'adoption d'une gouvernance efficace qui rompt avec la multiplicité des acteurs dans ce domaine stratégique dans le but d'atteindre les vraies valeurs de la qualité et de l'équité, à travers la valorisation du statut des acteurs qui y sont impliqués et l'amélioration des structures d'accueil pour favoriser l'inclusion des enfants ayant des besoins spéciaux, avec la nécessité d'apporter du soutien à leurs familles, tout en œuvrant pour l'amélioration et l'unification des programmes en tenant compte des dimensions pédagogiques, disparités régionales ainsi que les spécificités liées à l'identité et à la culture locale.

   En guise de conclusion, on peut dire que malgré les défis posés, le nouveau statut ne doit pas être perçu comme une fin en soi, mais plutôt un moyen d'évoquer constamment l'intérêt suprême des apprenants pour une école de qualité et d'équité pour tous, à travers l'engagement et l'implication sérieuse et responsable de tous les intervenants pour l'amélioration du secteur à l'horizon de la réalisation des grands objectifs du système d'éducation et de formation. Dans cette optique, l'initiative doit être prise pour garantir à tous les intervenants du secteur de l'éducation l'exercice de toutes les tâches qui leur sont confiées dans des conditions appropriées. De plus, il convient de rappeler la nécessité de conserver les droits antérieurement acquis, et enrichir la réflexion sur la nature et les mécanismes de résolution des dossiers catégoriels en suspens, avec l'engagement d'élaborer des plans clairs à l'horizon de leur solution définitive, suivie de la publication des lois parallèles et acceptables, convenues avec les partenaires actuels, pour favoriser le traitement automatisé de ces dossiers à l'avenir afin d'atteindre les objectifs de la réforme souhaitée et tant attendue par les acteurs éducatifs et les forces sociétales en vue de garantir toute les conditions nécessaires permettant de gagner les défis de cette réforme.

Biaz Abdelouahed
Docteur en ingénierie de l'éducation et de la formation
Faculté des sciences Ben M'sik Casablanca
Université Hassan II Mohammedia
Contact : Bayyaz@gmail.com

Cet article est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International. https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr

Références bibliographiques

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Décret n° 2-23-819 du 20 rebia I 1445 (6 octobre 2023) portant statut particulier des fonctionnaires du département de l'éducation nationale.

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UNESCO, (2016). Créer des avenirs durables pour tous : L'éducation pour les peuples et la planète. Rapport mondial de suivi sur l'éducation.

NOTES

[1] Programme gouvernemental 2021-2026.

[2] Ministère de l'Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports.

[3] Biaz, A., Bennamara, A., Khyati, A. & Talbi, M. (2009). Intégration des technologies de l'information et de la communication dans le travail enseignant, état des lieux et perspectives. EpiNet : revue électronique de l'EPI, n° 120.

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