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Étude de l'apport d'un imagiciel
pour l'enseignement de quelques concepts abstraits

Mohamed Oudrhiri
 

Résumé
Les potentialités de la géométrie dynamique ont amené les didacticiens à réfléchir sur des logiciels intégrant des images dynamiques pouvant bouger en fonction des demandes de l'utilisateur. Dans cet article, nous allons essayer d'étudier l'apport d'un imagiciel susceptible de pallier le manque du visuel dans l'enseignement de certains concepts abstraits de l'algèbre linéaire. Nous montrerons comment, en permettant de passer de l'abstraction à la visualisation et la manipulation, il peut fournir aux étudiants un support géométrique et intuitif qui peut faciliter l'apprentissage et la conceptualisation.

Mots clés : géométrie dynamique, Geoplan, Imagiciel, logiciel, imagiciel, TICE, numérique, algèbre linéaire.

Introduction

   Les recherches en didactique (Dorier, 1990 ; Robert et Robinet, 1989 ; Rogalski, 1990 ; Oudrhiri, 2000) montrent que l'algèbre linéaire pose énormément de difficultés aux étudiants de première année de licence. Son enseignement marche mal et se traduit par un apprentissage médiocre des concepts et des méthodes.

   Face à cet enseignement nouveau pour les étudiants, le numérique offre d'immenses possibilités de pratique, de changement de cadre, de renforcement, etc. Il peut aider un enseignement qui est souvent resté frontal alors que l'hétérogénéité des populations universitaires ne cesse de s'accroître, ce qui explique en partie les décrochages fréquents.

   Les capacités de calcul et d'affichage de l'ordinateur ont depuis longtemps amené les didacticiens à réfléchir sur des logiciels de construction géométrique. Chastenet de Géry et Hocquenghem (1981) ont montré différentes applications de l'utilisation de l'apport visuel et mobile de l'ordinateur en mathématiques. Ils ont travaillé sur l'illustration de situations mathématiques faisant intervenir une ou plusieurs représentations graphiques. La principale caractéristique de ces situations est que l'utilisateur peut varier les valeurs de variables et en constater les conséquences sur l'écran en temps réel. Cette réflexion a débouché dans un premier temps sur la réalisation de plusieurs imagiciels [1] sous forme de logiciels accompagnés de textes fournissant des explications de fonctionnement et des propositions de scénarios d'utilisation en classe. La suite de cette réflexion a amené à la réalisation d'un logiciel de construction géométrique « Geoplan ».

   Nous allons essayer d'étudier l'apport d'un imagiciel basé sur Geoplan pour l'apprentissage de quelques concepts abstraits de l'algèbre linéaire, en répondant à des questions qui nous paraissent essentielles pour expliquer notre démarche. La « géométrie dynamique » est-elle adéquate à l'enseignement des concepts élémentaires de l'algèbre linéaire ? Comment peut-on présenter ce genre d'enseignement basé sur le visuel et à quel moment de l'apprentissage ? Quels rapports les étudiants peuvent-ils nouer avec les savoirs et objets mathématiques mis en œuvre, compte tenu des connaissances et des pratiques qui sont les leur ?

1. Pourquoi l'algèbre linéaire ?

   Les recherches (Robert et Robinet, 1989 ; Dorier et al., 1994) ont montré que pour une majorité des étudiants, l'algèbre linéaire est un catalogue de notions très abstraites qu'ils n'arrivent pas à se représenter, de plus ils sont submergés par une avalanche de mots nouveaux, de symboles nouveaux, de définitions nouvelles et de théorèmes nouveaux.

   En général l'enseignement de l'algèbre linéaire favorise le mode symbolique, en oubliant que certains étudiants font davantage fonctionner le mode visuel ou sensori-moteur, c'est-à-dire qu'ils se réfèrent à l'image ou à la manipulation plutôt qu'au mot. D'ailleurs Bruner (1987) nous a alertés sur le fait que chaque individu possède trois systèmes parallèles pour coder l'information : le mode sensori-moteur, le mode visuel et le mode symbolique. Il ne s'agit pas de trois stades de développement liés au niveau de conceptualisation, mais de trois systèmes de représentation ; une fois développés, ils fonctionnent comme trois systèmes parallèles pour appréhender l'information. En passant d'un mode de représentation à un autre en « spirale », reprenant les données par des modes différents, la pensée évolue vers une plus grande abstraction. En d'autres termes, il faudrait présenter les concepts de façon variée : expérimentations, démonstrations, images, etc. pour permettre aux étudiants de s'habituer à appréhender l'information par des modes différents.

   Ceci rejoint le changement de cadres (Douady, 1986) qui constitue une activité cognitive essentielle pour l'apprentissage des mathématiques en général et de l'algèbre linéaire en particulier. Hillel (1997) a montré que les différents registres de représentations sont des sources de difficulté pour les étudiants et qu'il y a une absence de prise en compte de ces registres et surtout de la conversion d'un registre à un autre dans l'enseignement de l'algèbre linéaire. De plus la proposition d'un enseignement centré sur la coordination des différents registres est convaincante par rapport aux résultats obtenus sur l'amélioration des compétences des étudiants qui n'avaient pas été abordées pendant cet enseignement (Pavlopoulou, 1993).

   Harel (1997) a aussi montré que les approches qui existent dans l'enseignement de l'algèbre linéaire ne fournissent pas aux étudiants des modèles visuels intuitifs des concepts abstraits et de leur processus de construction. Il a proposé aussi une méthode graduelle vers l'abstraction qui commence par un travail préalable en géométrie et sur les vecteurs de l'espace pour introduire des représentations visuelles des notions fondamentales de l'algèbre linéaire et il précise que les évaluations effectuées montrent que cette approche permet un meilleur apprentissage.

2. L'image en mathématiques

   Les psychologues ont essayé de théoriser le rôle joué par l'image dans l'activité mentale. Paivio (dans Denis, 1989), en se basant sur de très nombreuses expérimentations, émet la théorie du double codage de l'information : le système des représentations imagées et le système des représentations verbales. L'image est donc considérée comme un des lieux de la signification. Les travaux sur ce sujet sont souvent relatifs à la mémorisation et montrent par exemple une amélioration de la mémorisation lorsque les deux codes sont activés.

   Parmi les représentations mathématiques (écritures symboliques, diagrammes, représentations graphiques, dessins géométriques, etc.), celle qui évoque le plus « l'image » semble le dessin géométrique (Artigue, 1987). C'est un instrument de communication et donc d'enseignement. Mais une analyse du rôle du dessin montre que c'est un instrument complexe qui ne va pas de soi. En mathématiques, les visualisations (pour reprendre la terminologie d'Artigue, terme moins fortement connoté que celui d'image) sont une aide importante pour rendre plus concrète une pensée abstraite. Elles sont utilisées pour illustrer des définitions et des propriétés, pour résumer et donner une idée globale (les diagrammes, représentations graphiques), pour structurer (schémas fléchés), pour explorer et émettre des conjectures et même pour produire un contre-exemple ou comme support de preuve.

   Cependant on peut relever une certaine méfiance de l'image qui remonte aux Grecs. L'image est une représentation qui n'est pas au niveau du « dire », et elle n'a pas valeur de vérité comme une proposition logique (Piaget et Inhelder, 1966). Dans ce même ordre d'idées, Descartes, en géométrie a évité le recours au dessin en algébrisant toute figure et tout mouvement pour se débarrasser de l'ambiguïté des sens qui fondait le « doute cartésien ». Mais malgré une certaine méfiance des images dans l'enseignement (Dreyfus 1992), elles sont utilisées pour faciliter compréhension, acquisition et mémorisation en jouant sur des aspects intuitifs, culturels et esthétiques. L'enseignant y a souvent recours lorsqu'il constate certaines difficultés. Il est donc naturel que les nouvelles technologies s'y intéressent.

3. Pourquoi un logiciel faisant appel à la visualisation ?

   D'après Dubinsky (1991), les mathématiques deviennent difficiles quand elles concernent un domaine pour lequel il n'existe pas de représentations visuelles ou physiques simples. Nous pensons que du point de vue cognitif, cette incursion dans la « géométrie dynamique » permettra des jeux de cadres efficaces entre le symbolique et l'analytique d'une part et le vectoriel d'autre part. Elle permettra de mettre des images dynamiques sous les mots.

   Pour pallier les insuffisances de l'enseignement usuel dans le domaine visuel qui, comme nous venons de voir, est crucial pour la conceptualisation de notions abstraites, nous avons opté pour la réalisation d'un logiciel intégrant des dessins dynamiques. Nous avons essayé d'exploiter les possibilités graphiques et dynamiques de l'ordinateur pour proposer des situations qui reposent sur la visualisation et la manipulation intelligentes dans le cadre de la « géométrie dynamique ». Le logiciel cherche à concilier les mathématiques et l'expérience, les lois et les faits. Il cherche à rapprocher l'abstrait du concret et vice et versa pour aider à la conceptualisation de certaines notions abstraites de l'algèbre linéaire.

   Il s'agit d'apprendre aux étudiants de se servir des visualisations alors que toute leur expérience dans ce domaine se résume aux graphes de fonctions ou quelques figures en géométrie élémentaire. Il faut trouver des moyens de développer chez les étudiants une souplesse pour pouvoir raisonner dans différents cadres, car c'est bien cela qui devient un outil puissant pour la compréhension des objets abstraits des mathématiques et des relations qu'elles entretiennent. À ce propos Douady (1986) a signalé dans la conclusion de sa thèse que l'informatique est en train d'offrir aux enseignants un environnement susceptible d'entrer dans des jeux de cadres qui peuvent se révéler très efficaces du point de vue de l'apprentissage.

4. Présentation de l'imagiciel

   Dans le cadre de ma thèse au sein du CREEM, j'ai eu l'opportunité de concevoir un imagiciel, basé sur le logiciel de construction « Geoplan », pour certains concepts de l'algèbre linéaire (vecteurs, opérations sur les vecteurs, combinaisons linéaires, dépendance et indépendances linéaires, sous-espace vectoriel, bases et changement de bases, Noyau, Image, Sous-espaces propres, Déterminant). Il intègre des dessins dynamiques pouvant bouger en fonction des demandes de l'utilisateur et susceptible de pallier le manque du visuel dans l'enseignement de l'algèbre linéaire.

   L'idée directrice de l'imagiciel est d'utiliser l'image dynamique pour faire travailler les étudiants sur le sens des définitions symboliques en jouant sur les représentations visuelles. Passer de l'abstraction du concept à la visualisation et la manipulation, en utilisant des connaissances déjà vues, peut fournir aux étudiants un support géométrique et intuitif à certains concepts abstraits. Nous croyons que le recours à la « géométrie dynamique » peut permettre des jeux de cadres efficaces entre le symbolique et le géométrique, facilitant l'apprentissage et la conceptualisation des notions abstraites d'algèbre linéaire.

   Dans l'imagiciel, il ne s'agit pas d'explorer ou de conjecturer à propos d'une notion nouvelle, mais de reconnaître des choses apprises autrement. Le logiciel ne servira pas à introduire les notions car les questions qui se posent ne prennent de sens que quand les étudiants les connaissent, ou du moins la définition symbolique. De même qu'une certaine familiarité avec la géométrie cartésienne est indispensable. L'étudiant doit pouvoir lire les coordonnées d'un vecteur dans un repère orthonormé et reconnaître l'image d'un vecteur par une application linéaire.

   Nous avons opté pour notre mise en scène le cadre du plan vectoriel malgré son côté réducteur à cause de sa dimension qui peut générer chez les étudiants des obstacles pour passer en dimension supérieure. Mais l'expérimentation de notions d'algèbre linéaire par manipulation directe par l'étudiant présente des difficultés sérieuses en dimension 3.

   Sa prise en main est aisée pour ne pas nécessiter des séances d'apprentissage. Une attention particulière a été accordée aux dessins ne serait-ce que parce qu'ils sont au cœur du dispositif. Mais aussi parce que plusieurs recherches ont montré les difficultés que peuvent poser les dessins aux étudiants. Un dessin contient une quantité de conventions et d'implicites qui peuvent être clairs pour le mathématicien mais pas nécessairement pour l'étudiant (Janvier, 1993).

   Les situations proposées par l'imagiciel n'entrent pas dans les schémas classiques. En général dans un problème de mathématiques, la figure se place dans la phase de préparation et d'incubation et nous aide à élaborer des stratégies de résolution. Elle nous permet d'avoir un « raisonnement plausible » que Polya (1957) distingue de la démonstration qu'il qualifie de « rigoureuse ». Ici c'est l'inverse, ce sont des connaissances abstraites d'algèbre linéaire qui vont nous aider à voir comment nous pouvons résoudre l'exercice graphiquement. Cette démarche nous semble donc relever à la fois de la pensée analytique et de la pensée analogique, ce qui fait sa richesse et aussi sa difficulté d'analyse

5. Type de tâches

   Le changement de cadre et la maîtrise d'articulation entre registres de représentation, au vu des recherches, est un élément nécessaire pour l'appropriation des concepts. L'imagiciel doit permettre de mettre en œuvre de telles tâches de changement de cadres et d'articulation et de proposer des activités suffisamment « simples » pour pouvoir être abordées par des étudiants qui n'ont pas l'habitude de ce genre de tâches.

   Le plan dans lequel nous allons travailler est le plan affine. Mais la donnée de l'origine du plan nous permet de l'identifier à son plan vectoriel associé P. la donnée d'un vecteur u de E équivaut à la donnée de l'unique point M de P tel que =. Choisir un vecteur revient à choisir son extrémité. L'application linéaire de IR2 dans IR2 est définie par la donnée de l'image vectorielle d'un vecteur quelconque du plan ; en d'autre termes l'image P d'un point M.

   Dans chaque situation, l'application linéaire f de IR2 dans IR2 est tiré au hasard et elle est donnée par sa représentation graphique. On représente IR2 par le plan d'une figure-Geoplan. Un repère standard ROxy (origine O, vecteurs de base i et j) représente le repère canonique de IR2. Il est dessiné à l'écran sur un fond quadrillé pour pouvoir estimer les vecteurs. Un point noir M qui détermine le vecteur est donné. Ce dernier est en rouge et son image par l'application linéaire est donnée en bleu. Nous les avons représentés avec des flèches pour être en harmonie avec les pratiques des étudiants. Le dessin proposé est volontairement dépouillé à l'extrême pour éviter les pertes de sens qui ne manquent pas d'accompagner ce genre de situation. Le point M peut être déplacé avec la souris dans toutes les directions. En déplaçant M sur l'écran, c'est l'imagiciel qui trace l'image de par la transformation. Les situations proposées précisent qu'il faut essayer de répondre en expérimentant sur la figure, sans chercher à trouver les coefficients de la matrice.

Situation1 : Déterminer l'Image de f

  • Pour déterminer l'Image de f(f(E)) d'une application linéaire (rang 1), on fait tourner M autour de l'origine. garde une même direction. est un vecteur directeur de Imf qu'on peut estimer.

  • Pour déterminer ces droites, plusieurs possibilités sont offertes : les équations, un point et un coefficient directeur, etc.

Situation2 : Déterminer le Noyau de f

  • Pour déterminer le Noyau (f-1(0)), on fait tourner M autour de l'origine jusqu'à ce que P coïncide avec l'origine O. correspond alors à un vecteur directeur du noyau qu'on peut estimer.

Situation 3 : Déterminer si la matrice est diagonalisable sur IR

  • Pour voir les vecteurs propres, on fait tourner M autour de l'origine O jusqu'à ce que et soient colinéaires, c'est-à-dire O, M et P soient alignés. Dans ce cas, OM est un vecteur directeur de la droite propre et on peut estimer la valeur propre est associée par des rapports d'homothéties. Mais si comme dans le cas d'une rotation ou d'une similitude où elles gardent un angle constant, il n'y a pas de vecteur propre (réel).

  • La matrice est diagonalisable si et seulement s'il existe une base de vecteurs propres, donc ici deux directions propres distinctes.

6. Quelques résultats de la mise à l'essai

   En 2015, nous nous sommes livrés à une expérimentation auprès de 90 étudiants de Licence 1 de la faculté des sciences de Rabat, répartis en trois groupes. Les séances se sont déroulées à un moment où les savoirs en jeu ne sont plus un enjeu d'enseignement officiel.

   La séance dure trois heures et commence par un pré-test papier-crayon sous forme d'exercices similaires à ceux de l'imagiciel. Commence après la séance proprement dite par une aide à la prise en main de l'imagiciel. Chaque étudiant dispose d'un ordinateur. Ensuite les étudiants travaillent individuellement et peuvent consulter leurs cours s'ils le désirent pour résoudre les exercices. Quand un étudiant pense avoir trouvé le résultat, il nous appelle pour expliquer sa démarche.

   Les résultats du pré-test ont révélé un taux de réussite de 75 % pour les exercices sur l'Image et le Noyau et 60 % pour les sous-espaces propres.

   La première constatation est que la grande majorité des étudiants est complètement surprise par l'originalité de la situation et n'établit pas de rapport avec les propriétés déjà vues en cours. Plusieurs questions ont été posées sur la nature des objets mathématiques intervenant dans l'imagiciel et sur leurs rapports avec les objets mathématiques qu'ils utilisent. Pour certains, ils ont émis des réserves quant la rigueur et le caractère « non mathématique mais expérimentale » des situations. Cette impression semble favorisée par le fait qu'ils n'arrivent pas à répondre malgré leur bonne connaissance des définitions et théorèmes en jeu. Ils prennent conscience de l'utilité d'une telle approche des concepts abstraits.

   Il est intéressant de voir comment les étudiants procèdent. Malgré leur hétérogénéité, certaines régularités sont apparues auprès de pratiquement la moitié des étudiants. Après quelques manipulations de, ils ont repris leurs cours pour essayer d'établir quelques connexions. Ils ont ensuite essayé de déterminer l'application linéaire par la donnée de l'image des vecteurs de base (1 , 0) et (0 , 1). Pour ceux qui ont réussi, ils ont d'abord calculé à la main pour trouver le Noyau, l'Image et les sous-espaces propres malgré la consigne qui stipule qu'il faut répondre en expérimentant sur la figure sans essayer de déterminer les coefficients de la matrice. Enfin, ils essayent de retrouver dans les figures les résultats calculés.

   Seul 20 % ont réussi à répondre correctement aux 3 exercices quand l'application n'était pas inversible et que la valeur propre est négative (dans ces cas, il n'y a eu aucune réponse correcte), en manipulant directement sans passer par l'étape détermination de la matrice. 50 % ont réussi les exercices sur le Noyau et l'Image. Ils ressentent un sentiment de grande satisfaction quand ils trouvent la solution qui s'est traduit par des manifestations assez bruyantes.

   Quand l'application linéaire est inversible, les étudiants ont de grandes difficultés à déterminer l'Image et le Noyau. Même s'ils peuvent faire des conversions de cadres pour les définitions, ils ont du mal à faire la même chose avec les propriétés qui en découlent. Ils font tourner M et ne voient pas comment ils peuvent déterminer l'Image et encore moins le Noyau.

   Pour la situation 3, certaines applications ont posé des difficultés aux étudiants, ce qui était prévisible mais pas dans les mêmes proportions. Quand l'application linéaire a une valeur propre négative, ils n'arrivent pas à voir le sous-espace propre associé car et ne seront pas superposés mais de sens opposés. Quand l'application linéaire est de rang 1, ils n'arrivent pas à voir non plus le sous-espace propre associé à la valeur propre 0 qui est le Noyau car P coïncide avec O alors qu'ils s'attendent à voir deux vecteurs bien superposés.

   Pour les 50 % restants, non seulement ils n'arrivent pas à répondre, mais ils ne réussissent à élaborer aucune stratégie. Certains se contentent de faire tourner M autour de l'origine. Les situations proposées leur ont posé problème par leur côté atypique. Les étudiants voient quelque chose de familier comme quelque chose de totalement nouveau. Ils n'ont pas l'habitude de bouger une droite ou un vecteur sur un dessin. Et donc, on ne peut exiger qu'ils soient en mesure de reconnaître les « propriétés qui doivent résister » à ces mouvements et les « propriétés qui doivent disparaître ou apparaître ». Ils sont surpris par la facilité de la solution et ne comprennent pas comment ils n'ont pas pu la trouver.

   Certes, l'identification par l'étudiant de la succession de commandes à utiliser ne garantit pas une conceptualisation des connaissances ni leur transférabilité à d'autres environnements, mais ils semblent apprécier cette « congruence » entre une situation en algèbre linéaire et une en géométrie.

Conclusion

   L'analyse bibliographique montre que l'enseignement de l'algèbre linéaire rencontre de grandes difficultés et que son aspect abstrait y est pour quelque chose. Elle préconise aussi de donner aux étudiants, dès le début, des représentations de type géométrique afin qu'ils puissent disposer d'exemples de référence.

   Pour pallier les insuffisances de l'enseignement usuel dans le domaine de changement de cadres, crucial pour la conceptualisation, nous avons exploité les possibilités graphiques et dynamiques de l'ordinateur pour concevoir un imagiciel. Nous avons ainsi proposé des situations où il s'agit de répondre à des exercices où il est question de définitions abstraites et de résolution de systèmes en expérimentant sur des figures.

   Le point central de notre stratégie est d'approcher des concepts abstraits par la manipulation et l'expérimentation en utilisant des notions de géométrie plane dont les étudiants ont l'intuition. L'imagiciel, en permettant de passer de l'abstraction à la visualisation et la manipulation et de mettre des images sur des notions abstraites, synthétise les informations, favorise la lecture globale et joue sur une distribution spatiale différente de celle du texte. Il peut engendrer la construction d'un modèle mental. Dans la phase d'analyse, les facultés de connexité sont utilisées pour générer des liens entre les entités reconnues et des points d'ancrage.

   Cette étude des possibilités d'utilisation de la géométrie dynamique montre que l'imagiciel peut favoriser l'articulation entre les registres et permet d'envisager des connexions constitutives du champ conceptuel. Mais il reste à étudier si le caractère spécifique de l'imagiciel et des situations peut constituer un obstacle aux transferts vers un environnement papier-crayon.

Mohamed Oudrhiri
Faculté des sciences de l'éducation Rabat (Maroc)

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Bibliographie

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NOTE

[1] Un imagiciel est un logiciel permettant la présentation d'un objet mathématique sous forme d'images programmées animées par un jeu de paramètres commandables. On peut agir sur la construction des images en choisissant les paramètres qui les définissent.

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Juin 2016

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