Rapport OCDE et enquête PISA
Pourquoi l'informatique à l'École ?
Jean-Pierre Archambault
L'OCDE vient de publier un rapport « Connectés pour apprendre ? Les élèves et les nouvelles technologies » s'appuyant sur les résultats de PISA 2012 [1]. Il s'agit de l'utilisation des TIC (l'ordinateur, l'informatique, le numérique...) dans la pédagogie, et de leur faible degré d'efficacité constaté.
Une enquête OCDE-PISA
On peut lire dans ce rapport : « [...] lorsqu'elles sont utilisées en classe, leur incidence sur la performance des élèves est mitigée, dans le meilleur des cas. En effet, selon les résultats de l'enquête PISA, les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les TIC dans le domaine de l'éducation n'ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences. »
Les pays les plus performants sont « non seulement les pays les plus en pointe des technologies numériques mais également ceux qui intègrent le moins ces mêmes technologies numériques en classe, [...] ceux dont les élèves utilisent le moins l'ordinateur à la maison pour le travail scolaire ». Et il n'y a pas que le travail scolaire ! Attention à l'overdose d'écrans, des heures et des heures à n'en plus finir... Quels impacts sur des enfants en train de se construire ? Une vraie (et inquiétante) question que le rapport aborde, c'est à noter, alors qu'elle est très rarement traitée, en se montrant critique sur les usages excessifs (sommeil, problèmes psychologiques, de santé en général...).
« Toutefois, si les résultats de l'enquête PISA suggèrent qu'un usage limité des ordinateurs à l'école peut être plus bénéfique que l'absence totale d'utilisation, des niveaux d'utilisation supérieurs à la moyenne actuelle des pays de l'OCDE tendent à être associés à des résultats sensiblement plus faibles chez les élèves. » Point trop n'en faut !
Et « les nouvelles technologies ne sont pas d'un grand secours pour combler les écarts de compétences entre élèves favorisés et défavorisés ». L'on sait que l'École ne peut pas tout face aux réalités socio-économiques.
Ce rapport regorge donc de paradoxes. Ainsi les usages du numérique n'apportent-ils pas d'amélioration pédagogique quand les machines sont (trop) là. D'une manière générale, les enseignants sont insuffisamment formés aux choses de l'informatique, à la science informatique et aux usages pédagogiques du numérique. Il y a d'évidence une explication de ce coté-là ? Alors, une tablette pour tous les élèves ? Il ne faudrait pas qu'une course aux équipements continue à se substituer à la formation des enseignants.
Deux problématiques
Les résultats constatés en matière d'efficacité pédagogique des TIC ne sont pas ceux supposés et attendus. Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Et, dans l'éducation, concernant l'informatique et le numérique, il n'y a pas que les usages pédagogiques du numérique. Nous examinerons donc deux problématiques. La première, que peut-on attendre raisonnablement de l'informatique et du numérique en tant qu'outils pédagogiques ? La deuxième, l'informatique et le numérique à l'École, oui mais avec des statuts et des objectifs différents, et complémentaires, des « bonnes raisons » diverses. L'avant-propos du rapport commence ainsi : « Les technologies de l'information et de la communication (TIC) ont révolutionné presque tous les aspects de notre vie privée et professionnelle. Si les élèves ne sont pas capables de naviguer dans un environnement numérique complexe, ils ne pourront plus participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle du monde qui les entoure. » Exact. Mais quelles sont les notions informatiques qu'il faut s'approprier pour bien naviguer ? Le rapport n'est guère explicite sur la question. Pourtant la formation est essentielle. D'une manière analogue, par exemple, on peut se demander quels sont les pré-requis scientifiques pour exercer sa citoyenneté en matière d'OGM ou de politique de l'énergie, savoir de quoi il retourne. La réponse s'appelle cours de SVT ou de sciences physiques. À quand une discipline informatique pour tous les élèves au collège et au lycée après une première sensibilisation au primaire ? [2]. Nous y reviendrons.
Outil pédagogique
Un tout numérique pédagogique n'a pas de sens. L'enjeu est un usage raisonné et raisonnable, un recours circonstancié à l'outil, pour faire différemment et mieux. L'on sait qu'un certain nombres de conditions sont à remplir. La formation des enseignants d'abord, répétons-le. Ils doivent avoir une culture générale informatique, connaître les notions sous-jacentes aux matériels et logiciels pour savoir quoi en attendre, d'une manière générale et spécifique à leur discipline, pour guider et accompagner les élèves, pour mettre en place des environnements et des situations d'apprentissages fondées sur la didactique de leur discipline. De plus, les ordinateurs doivent être en état de marche à tout moment. La « norme » communément admise pour l'entreprise est de l'ordre d'un gestionnaire de parc informatique pour cent, cent cinquante appareils, cela dépend. On est encore loin de ce compte dans les établissements scolaires. Ces préalables rappelés, on peut penser, en toute « laïcité pédagogique » que, sur la base de la compétence et du volontariat, l'ordinateur a sa place dans la trousse pédagogique des enseignants. Prenons quelques exemples.
Écrire c'est réécrire
Écrire, c'est réécrire : une banalité certes, mais une lourde tâche pour les pédagogues quand ils veulent que les élèves « revoient leur copie ». Réécriture suppose relecture. Mais les élèves peuvent rechigner à le faire, quelques annotations de l'enseignant ne suffisant pas. Il obtient souvent au mieux quelques corrections orthographiques et de ponctuation. En effet, avec un stylo et sur une feuille de papier, déplacer un mot, une phrase, un paragraphe, corriger quelques fautes, recopier une nouvelle version issue d'un brouillon vite devenu illisible de par la multiplicité des modifications... tout cela s'avère rapidement fastidieux et rédhibitoire s'il n'y a pas une forte motivation. Or, il arrive que les élèves doivent se persuader qu'ils n'ont pas maintenu le dialogue implicite avec un lecteur (ils ont tu des données...), qu'ils ont insuffisamment fait la différence entre ce qu'ils voulaient dire et ce qu'ils ont réellement écrit, qu'ils ont mal perçu les registres de langue...
Avec un traitement de texte, tout, ou presque, change. S'il faut repérer des répétitions ou mettre en évidence ce qui relève du langage parlé, l'enseignant peut demander de mettre les mots en caractères italiques. Erreurs, ratures, ajouts ne sont plus insupportables. La reprise est facile. On échappe à la lourdeur de la réécriture à la main. Une mauvaise graphie ne s'oppose plus à la lecture par les autres, une écriture illisible de par des troubles de motricité fine n'est plus un obstacle. En complément d'autres outils (dictionnaire, stylo, grammaire...), l'apport de l'ordinateur est riche et singulier.
L'ordinateur se révèle être une condition (nécessaire ?) d'existence d'opérations intellectuelles, en ce sens qu'il en permet effectivement la réalisation en la rendant infiniment plus aisée, en en supprimant les contraintes « bassement matérielles ». Comme si la portée de l'outil était d'autant plus grande que son effet est anodin.
Autres exemples
Un logiciel qui grossit à volonté l'allure d'une courbe en un point donné aide l'enseignant de mathématiques à mettre en évidence la notion de platitude locale contenue dans la structure profonde de la dérivation.
Le numérique permet un accès facilité à une masse de documents grâce aux portails et aux moteurs de recherche. Le document occupe une place centrale dans certaines disciplines comme l'histoire et la géographie. Internet constitue un contexte favorable en ce sens qu'il facilite le repérage, la mise à disposition et le travail effectif sur des documents variés.
Il y a la simulation, les phénomènes dynamiques, les figures en géométrie, en veillant à ce que les élèves sachent se fabriquer des images mentales, voir dans l'espace... Ces exemples, et d'autres, montrent qu'il est raisonnable de penser que l'on peut recourir à l'ordinateur et qu'il est un outil pédagogique potentiellement efficace.
Et l'on sait par ailleurs que les enseignants utilisent massivement l'ordinateur au domicile pour préparer leurs cours.
L'informatique et l'« essence des disciplines »
Mais il n'y a pas que les usages pédagogiques du numérique (pour faire cours). L'informatique modifie l'« essence » des disciplines, à savoir leurs objets d'étude, méthodes et outils. Cela vaut pour les sciences, les sciences humaines... peu ou prou pour toutes les disciplines [3]. Peut-on par exemple imaginer aujourd'hui la géographie sans les systèmes d'information géographique ou la linguistique sans le traitement automatique de la langue ? Ou l'astronomie sans ses pipelines de calculs informatiques, ou la génomique sans ses algorithmes d'analyse de séquences ADN. Numérisation, bases de données, hypertexte et Internet investissent les sciences humaines. Le théorème des « 4 couleurs » (qui suffisent pour réaliser n'importe quelle carte) a été démontré par ordinateur. Quelque part, à des degrés très diversifiés, l'enseignement des disciplines scolaires doit en tenir compte. Pas de sciences expérimentales sans simulation et EXAO. Il existe donc d'autres bonnes raisons d'avoir des ordinateurs dans les classes qui sont, de fait, des obligations pour le système éducatif.
Et il y a les enseignements techniques et professionnels où les ordinateurs sont légion et où l'informatique s'est banalisée depuis une trentaine d'années. Le traitement de texte s'est substitué à la machine à écrire, la base de données au fichier-carton, le logiciel de DAO à la planche à dessin, la machine à commandes numériques à l'étau-limeur, etc. En effet, l'informatisation est la forme contemporaine de l'industrialisation. Elle intervient dans l'économie de plusieurs façons essentielles, aux niveaux suivants : la production de biens manufacturés ou agricoles, de par l'automatisation de plus en plus poussée des processus de production ; la création de nouveaux produits ou l'amélioration de produits anciens par l'introduction de puces et de logiciels ; la communication entre les personnes. L'industrie automobile recrute aujourd'hui plus d'informaticiens que de mécaniciens. On ne fait plus d'essais en vol pour fabriquer des avions, on simule. Tous les secteurs d'activités sont concernés : chirurgie, médecine, arts, architecture, droit... On a besoin de spécialistes informaticiens bien sûr – on en manque – mais tous les personnels, peu ou prou utilisateurs au quotidien de l'informatique, doivent avoir la culture générale qui donne le recul et l'efficience. Gare aux difficultés de dialogue quand sévit l'illettrisme numérique... La présence de l'informatique dans la composante professionnalisante du système éducatif ne saurait se discuter du point de vue d'une efficacité pédagogique escomptée. Elle est une obligation de par les transformations de l'économie, des entreprises et des administrations.
Enseigner la discipline informatique, une autre obligation
On parle beaucoup de la place occupée dans la société par le numérique, de plus en plus d'activités et de réalisations reposant sur la numérisation de l'information. Or, au coeur du numérique, il y a la science informatique car elle est la science du traitement et de la représentation de l'information numérisée. Elle sous-tend le numérique comme la biologie sous-tend la compréhension du vivant et les sciences physiques l'industrie de l'énergie. Il faut l'enseigner à tous les élèves pour leur donner la culture générale de leur époque car cette dernière ne saurait ignorer l'informatique, science et technique majeure au XXIe siècle. Il s'agit de former l'homme, le travailleur et le citoyen. Nous avons vu les enjeux pour la formation professionnalisante. Il y a aussi ceux de la vie quotidienne, remplir sa feuille d'impôts, utiliser son smartphone et mille autres choses. Tournons-nous vers le citoyen.
Ainsi l'année 2009 a-t-elle vu le vote de la loi Création et Internet dite loi Hadopi. En 2006, la transposition par le Parlement de la directive européenne sur les Droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) avait déjà été l'occasion de débats complexes où exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. En effet, s'il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques... ce fut sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l'autre, on a constaté un sérieux déficit global de culture du numérique, largement partagé. La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté.
Il y a d'autres débats sociétaux qui requièrent, eux aussi, une culture informatique. Dans les colonnes du Monde diplomatique, en décembre 2002, John Sulston, prix Nobel de médecine, évoquant les risques de privatisation du génome humain, indiquait que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l'instar du modèle de l'open source pour les logiciels ». Open source, logiciels libres, code source... C'est quoi le code source pour quelqu'un qui n'a jamais écrit une ligne de programme ? Le libre est ici aussi un outil conceptuel qui aide à appréhender les problématiques de l'immatériel. Il suppose une culture générale informatique.
L'informatique, comme les autres sciences, est une condition d'un exercice plein de la citoyenneté dans le monde moderne.
En matière d'enseignement de l'informatique, ces dernières années ont vu des avancées (création en terminale S de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique », d'un enseignement d'informatique pour tous les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques, d'un enseignement d'exploration « Informatique et création numérique » en seconde...). Il faut les poursuivre. Il faut créer une discipline informatique en tant que telle avec son Capes et son agrégation [2]. Des ordinateurs en perspective dans les établissements scolaires...
Si le rapport de l'OCDE attire à juste titre l'attention sur les obstacles à franchir sur le chemin de l'efficacité pédagogique du numérique, nous avons vu que des « obligations » sociétales fortes fondent aussi la présence de l'informatique dans le système éducatif. Il y a des enjeux majeurs de culture générale pour tous. Et donner la culture générale de leur époque à tous les élèves est la mission de l'enseignement scolaire.
Jean-Pierre Archambault
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NOTES
[1] http://www.oecd.org/fr/edu/scolaire/Connectes-pour-apprendre-les-eleves-et-les-nouvelles-technologies-principaux-resultats.pdf
[2] Communiqué SIF-EPI
http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1510a.htm
[3] « La révolution informatique dans les sciences », Gérard Berry
http://www.college-de-france.fr/site/gerard-berry/course-2015-01-28-16h00.htm
« Humanités numériques », Serge Abiteboul et Florence Hachez-Leroy
http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2015/07/1024-no6-abiteboul-hachez-leroy.pdf
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