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L'évolution des théories de l'apprentissage
à l'ère du numérique

Mohammed Chekour, Mohammed Laafou, Rachid Janati-Idrissi
 

Résumé
Les théories de l'apprentissage visent à expliquer le phénomène d'acquisition des connaissances. L'application directe d'une théorie de l'apprentissage permet de formuler des hypothèses de travail et des méthodes pour des recherches en didactique plus systématique. Dans ce travail, nous avons essayé de réaliser une synthèse des principales théories de l'apprentissage : behaviorisme, cognitivisme, constructivisme et socio-constructivisme. Les critiques de ces théories mettent en évidence la valeur ajoutée d'une nouvelle théorie de l'apprentissage qui s'intéresse à des apports des nouvelles technologies à l'apprentissage et à l'interaction des communautés humaines en réseau.

Mots clés : théories de l'apprentissage, connectivisme, behaviorisme, cognitivisme, constructivisme, socio-constructivisme

Introduction

   Les théories de l'apprentissage servent à donner des explications de ce qui se passe lors du processus d'apprentissage. Du point de vue Hill (1977), les théories de l'apprentissage sont utiles pour deux principales raisons : elles fournissent un cadre conceptuel pour l'interprétation de ce que nous observons et elles offrent des orientations pour trouver des solutions des problèmes rencontrés. Certains chercheurs soulignent une véritable évolution au niveau des théories de l'apprentissage au cours des dernières cinquante années du siècle passé (Jonnaert, 2002). L'évolution la plus remarquable a été le passage de l'approche behavioriste de l'apprentissage à l'approche cognitive qui a été prolongée par l'approche constructiviste, socio-constructiviste et connectivisme. Cette évolution porte à la fois sur les finalités de l'apprentissage, sur le rôle de l'apprenant, sur le rôle de l'enseignant et sur le rôle du processus cognitif interne du cerveau (Villiot-Leclercq, 2007).

1. Du behaviorisme au socio-constructivisme : aperçu historique

1.1. Le béhaviorisme

   Le béhaviorisme (ou comportementalisme) est une théorie de l'apprentissage qui s'intéresse à l'étude des comportements observable sans faire appel à des mécanismes internes au cerveau ou à des processus mentaux non directement observables (Good et Brophy, 1995). Le terme béhaviorisme est apparu au début du XXe siècle en parallèle avec les travaux du psychologue américain John Watson. Ce dernier est considéré comme le pionnier du béhaviorisme, il proposait surtout de faire de la psychologie en général une discipline scientifique en utilisant seulement des procédures objectives, comme les expériences de laboratoires, en vue d'établir des résultats exploitables statistiquement (Watson, 1972). Watson a été influencé par les travaux du physiologiste russe Ivan Pavlov sur le conditionnement des animaux. Cette conception l'entraîna à formuler la théorie psychologique du stimulus-réponse (ou conditionnement classique).

   Dans la même vision, Fechner compare l'individu à une boîte noire, dont on ne sait rien sur ce qui se passe à l'intérieur, mais dont on peut prévoir certains comportements puisqu'en proposant des stimuli particuliers on obtient toujours les mêmes résultats à la sortie (Raynal, Rieunier et Postic, 1997, p.55) :


Figure 1 : Modèle comportemental de Fechner.

   Du point de vue de l'enseignement, le béhaviorisme considère l'apprentissage comme une modification durable du comportement résultant d'un entraînement particulier. Il part du principe que l'acquisition des connaissances s'effectue par paliers successifs. Le passage d'un niveau de connaissance à un autre s'opère par des renforcements positifs des réponses et comportements attendus. De ce fait, l'enseignant répète une notion une ou plusieurs fois lorsqu'il constate à travers le comportement observé que la notion en question n'est pas assimilée par les apprenants. De même, il a pour tâche de concevoir des exercices progressifs, de guider les élèves dans leurs réalisations et de leur communiquer les rétroactions nécessaires à la prochaine étape.  Néanmoins, les apprenants ne donnent souvent pas du sens aux connaissances qu'ils restituent et ils perdent le fil conducteur entre les différentes étapes de leur apprentissage. Dans cette théorie, l'apprenant est un élève qui écoute, regarde, réagit et tente de reproduire face à un enseignant qui est transmetteur d'information, de connaissances, qui présente, décrit, schématise, planifie et vérifie.

   Le behaviorisme est confortable dans l'optique d'une introduction de la machine numérique dans le processus de l'enseignement-apprentissage. L'enseignant behavioriste sera porté à utiliser des exerciseurs, des quizz, des jeux éducatifs et/ou des animations lors de la conception et la réalisation d'une formation à distance. Si cette théorie est confortable dans l'optique d'une introduction de la machine numérique, elle semble trop pauvre pour être durable (El Bouhdidi, 2013).

1.2. Cognitivisme

   Le cognitivisme (ou rationalisme) naît en même temps que l'Intelligence Artificielle, en 1956. Il est proposé par Miller et Bruner en réaction au béhaviorisme. Il est centré sur les manières de penser et de résoudre des problèmes. L'apprentissage ne peut être limité à un enregistrement conditionné, mais doit plutôt être envisagé comme nécessitant un traitement complexe de l'information reçue. La mémoire possède une structure propre, qui implique l'organisation de l'information et le recours à des stratégies pour gérer cette organisation (Crozat, 2002).

   La psychologie cognitive considère qu'il y a fondamentalement trois grandes catégories de connaissances : les connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles. Elle invite l'enseignant à développer des stratégies différentes pour faciliter l'intégration de chacune d'elles parce qu'elles sont représentées différemment dans la mémoire ; les connaissances déclaratives répondent en effet au QUOI, les connaissances procédurales au COMMENT et les connaissances conditionnelles au QUAND et au POURQUOI (Legault, 1992).

   Pour les cognitivistes, l'apprenant est un système actif de traitement de l'information, semblable à un ordinateur : il perçoit des informations qui lui proviennent du monde extérieur, les reconnaît, les emmagasine en mémoire, puis les récupère de sa mémoire lorsqu'il en a besoin pour comprendre son environnement ou résoudre des problèmes (Bibeau, 1996). L'enseignant est gestionnaire des apprentissages, il guide, anime, dirige, conseille, explique, régule, remédie. Les connaissances deviennent une réalité externe que l'apprenant doit intégrer à ses schémas mentaux et réutiliser plutôt qu'à acquérir des comportements observables (Bibeau, 2007). De plus, la méthode d'enseignement favorisée laisse place à de multiples cheminements d'apprentissage afin de tenir compte des différentes variables individuelles pouvant influencer la manière dont les élèves traitent l'information. L'enseignant cognitiviste sera invité à utiliser des TIC qui favorisent une grande interactivité avec les élèves, telles que des simulateurs, des expériences et des tutoriels intelligents. Toutefois, le modèle cognitiviste a une limite importante, liée au fait qu'un matériel bien structuré n'est pas suffisant pour assurer un apprentissage. La motivation des élèves est un facteur déterminant puisqu'il fournit l'énergie nécessaire pour effectuer les apprentissages.

1.3. Constructivisme

   Contrairement aux behavioristes, les constructivistes croient que chaque apprenant construit la réalité, ou du moins l'interprète, en se basant sur sa perception d'expériences passées. Selon le modèle constructiviste, l'acquisition de connaissance ne se réalise pas par simple empilement mais passe par une réorganisation de conceptions mentales précédentes, un travail de construction ou de reconstruction.

   Pour Piaget, l'assimilation et l'accommodation forment un couple indispensable à l'activité cognitive dont les différents processus d'équilibration seront développés dans l'équilibration des structures cognitives (Piaget, 1975). Selon le même auteur, l'assimilation désigne la réintégration d'éléments externes nouveaux dans une structure interne préexistante ; l'accommodation désigne l'adaptation de l'organisme aux variations externes qu'il ne réussit pas à assimiler.


Figure 2 : assimilation et accommodation.

Doolittle (1999) insiste sur huit conditions nécessaires pour réussir une pédagogie constructiviste :

  1. Présenter aux apprenants des situations d'apprentissage complexes similaires à celles qu'ils rencontrent dans la vie courante.
  2. Favoriser l'interaction et la collaboration entre les apprenants.
  3. Donner le sens aux apprentissages des élèves.
  4. Tout apprentissage doit partir des acquis des élèves.
  5. Les élèves doivent bénéficier d'une évaluation formative continue.
  6. Les élèves doivent être responsables de leurs apprentissages.
  7. Les enseignants sont des guides et des agents qui facilitent l'apprentissage.
  8. Revoir des contenus et les présenter selon diverses perspectives.

   Aujourd'hui, le constructivisme apparait toujours prometteur du point de vue des technologies éducatives. Il favorise des outils donnant une grande autonomie à l'élève et lui permettant d'avancer à son rythme (plate-forme pédagogique, matériel didactiques) en utilisant des outils collaboratifs ou – au moins – coopératif (télé correspondance, blogs). Ce modèle favorise aussi le développement des problèmes assistés par ordinateur (Da Costa, 2014)

1.3. Socio-constructivisme

   Ce modèle proposé par Vygotsky, reprend les idées principales du constructivisme de Piaget en y ajoutant le rôle social des apprentissages. L'apprentissage est vu comme l'acquisition de connaissances grâce aux échanges entre l'enseignant et les élèves ou entre élèves. Les élèves n'apprennent pas seulement grâce à la transmission de connaissances par l'enseignant mais aussi grâce aux interactions (Doise & Mugny, 1981). Selon ce modèle, les apprentissages doivent être compris dans leur zone proximale de développement : cette zone comprend les tâches que les élèves peuvent réussir à l'aide d'un adulte, elles sont ni trop difficiles, ni trop faciles. Cette zone augmente nettement le potentiel d'un élève à apprendre plus efficacement (Vygotsky, 1980). Le maître a pour rôle de définir précisément cette zone afin de donner des exercices appropriés. De plus, il va favoriser le débat entre les élèves (conflit socio-cognitif), en les faisant travailler en groupe. Dans ce modèle, les erreurs correspondent également à un point d'appui pour la construction de nouvelles connaissances.

   Bruner (1996) a également apporté sa contribution à la théorie socio-constructiviste en expliquant que le modèle transmissif place l'enseignant en situation de monopole ce qui empêche l'acquisition de l'autonomie des élèves. Pour lui, l'enseignant doit faire en sorte que la tâche soit plus agréable à réaliser avec son aide tout en évitant que l'élève devienne dépendant de lui. Il doit également mobiliser et motiver l'élève en maintenant l'intérêt de la tâche pour l'élève.

3. Connectivisme : la nouvelle théorie de l'apprentissage à l'ère du numérique

3.1. Essai de définition

   Face à l'évolution de l'usage des technologies dans l'enseignement, plusieurs chercheurs ont proposé le terme connectivisme pour désigner une nouvelle approche éducative qui s'adapterait à la formation en ligne. Développée par George Siemens et Stephen Downes, le connectivisme interroge le processus de l'apprentissage à l'ère du numérique et dans un monde connecté en réseaux en s'appuyant sur les limites du behaviorisme, du cognitivisme, du constructivisme et du socio-constructivisme (Siemens, 2005). Un aspect du connectivisme est l'utilisation d'un réseau composé de noeuds et de connexions comme métaphore centrale de l'apprentissage (Duplàa & Talaat, 2012). Dans cette métaphore, un noeud peut être une information, des données, un sentiment, une image ou une simulation. L'apprentissage est le processus de connexions, englobant les connexions neuronales, les connexions entre les hommes, les ordinateurs et l'interconnexion entre les différents champs de savoirs (Siemens, 2005).

   Pour George Siemens : « Le connectivisme est la somme de principes issus de la théorie du chaos, des réseaux, de l'auto-organisation et de la complexité. L'apprentissage est un processus qui se produit dans des environnements flous composés d'éléments de base changeants, et qui n'est pas entièrement sous le contrôle de l'individu. L'apprentissage peut résider en dehors de l'individu (au sein d'une organisation ou une base de données), et se concentre sur la connexion d'ensembles d'informations spécialisées. Les liens qui permettent d'apprendre davantage sont plus importants que l'état actuel de notre connaissance. Le connectivisme est motivé par la compréhension du fait que les prises de décision sont fondées sur des bases qui se modifient rapidement. De nouvelles informations sont constamment acquises. La capacité d'établir des distinctions entre l'information importante et sans importance est vitale. La capacité de reconnaître quand de nouvelles informations modifient le paysage en fonction des décisions prises hier est également critique. » (2005, p. 4).


Figure 3 : Le connectivisme (Siemens, 2005).

3.2. Principes de connectivisme

Selon Siemens (2005), les huit principes du connectivisme sont :

  • L'apprentissage et la connaissance résident dans la diversité des opinions.
  • L'apprentissage est un processus reliant des noeuds spécialisés ou des sources d'information.
  • L'apprentissage peut résider dans des appareils non-humains.
  • La capacité d'en savoir plus est plus critique que ce que l'on sait actuellement.
  • Entretenir et maintenir des connexions est nécessaire pour faciliter l'apprentissage continu.
  • La possibilité de voir les liens entre les domaines, les idées et les concepts est une compétence de base.
  • Obtenir des connaissances précises avec la capacité de les mettre à jours est l'intention de l'apprentissage basé sur connectivisme.
  • La prise de décision est un processus d'apprentissage en soi. L'importance que l'on donne à une information est variable dans le temps, selon les modifications de l'environnement de cette information

Conclusion

   Le terme connectivisme s'inscrit bien dans une logique historique du développement techno-pédagogique. Toutefois, les applications concrètes sont peu dans la littérature et il est aussi critiqué par certains chercheurs. Verhagen (2006) réfute la scientificité des propositions de Siemens et remet en cause le courant connectiviste qui n'est pas une nouvelle théorie de l'apprentissage, mais simplement un courant pédagogique. Il considère que le connectivisme discute principalement le type de savoir que l'élève doit acquérir et des compétences à développer pour faire ces acquisitions. Le connectivisme vise davantage l'organisation de l'apprentissage et n'indique rien sur comment l'élève apprend, donc sur le processus réel de l'apprentissage. Un autre vue critique est proposé par Kerr (2007) qui ne considère pas le connectivisme comme un vrai changement vital au niveau théorique. Selon le même auteur, il existe des théories à l'ère numérique et n'aperçoit pas une grande différence entre la théorie de la cognition distribuée et le connectivisme. Il n'est pas d'accord avec le regard de Siemens qui considère le media est plus important que le contenu transporté car le contenu change très rapidement.

Mohammed Chekour
Étudiant, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Ingénierie Pédagogique,
École Normale Supérieure de Tétouan, Maroc.
Mohammed Laafou
Enseignant-chercheur, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Ingénierie Pédagogique, École Normale Supérieure de Tétouan, Maroc.
Rachid Janati-Idrissi
Enseignant-chercheur, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Ingénierie Pédagogique, École Normale Supérieure de Tétouan, Maroc.

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Références

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