L'enseignement de l'informatique en Tunisie, 30 ans déjà...
État des lieux
Dorsaf Benna Chelly
Résumé
Cet article présente un aperçu sur l'enseignement de la discipline informatique dans les établissements scolaires tunisiens en passant de ses débuts en 1983 avec les élèves élites dans les lycées pilotes, sa généralisation en 1999 comme matière optionnelle dans les lycées et en arrivant à l'état actuel où plus de 5 000 enseignants d'informatique exercent sur toute la Tunisie et qui sont encadrés par 32 inspecteurs de la discipline. Le ministère tunisien de l'éducation a prévu plus que 3 000 laboratoires d'informatique répartis entre collèges et lycées afin de favoriser de bonnes conditions de travail et ce défiant sa frêle structure.
Mots clés : Discipline informatique, Laboratoire d'informatique, Programme, Évaluation, Recrutement des enseignants, Section, Encadrement.
Bref historique de l'enseignement de la discipline informatique en Tunisie
L'enseignement de l'informatique a commencé en Tunisie en 1983 dans les deux lycées pilotes : Lycée pilote Ariana et Lycée Bourguiba – Tunis : des établissements scolaires réservés aux élèves élites. Quelques enseignants de mathématiques ont pris la charge de concevoir un programme et de l'enseigner : Logo tortue en était le principal thème.
En 1991, la discipline informatique a été généralisée dans tous les lycées de la République sous forme d'une matière optionnelle. Un même programme est enseigné pendant la 3e et la 4e : Architecture d'un micro-ordinateur, systèmes d'exploitation et bureautique sont les thèmes enseignés en 3e année ; la 4e année est réservée à l'algorithmique et à la programmation en Turbo Pascal. Plusieurs obstacles didactiques relatifs à l'enseignement de l'algorithmique ont été détectés dans les classes section Économie et section Lettres ce qui a engendré une chute dans le nombre des élèves choisissant cette option. C'était l'une des principales raisons pour lesquelles, il a été décidé en 1999 de changer radicalement les programmes de l'enseignement de l'informatique en vue de s'adapter aux spécificités de chaque section. En effet, à part les parties « Culture générale », « Composantes d'un ordinateur », « Systèmes d'exploitation » et « Réseaux et Internet », nous répertorions les différences fondamentales suivantes :
les sections scientifiques (Mathématiques, Sciences expérimentales et technique) : Algorithmique et programmation ;
la section Lettres : Bureautique et Multimédia ;
la section Économie et gestion : Bureautique et Base de données.
En 2005, et en réponse aux exigences de l'élève du 21e siècle, la discipline informatique a connu un grand changement résumé en ces trois points :
la discipline informatique n'est plus optionnelle, elle est désormais obligatoire à raison de deux heures par semaine ;
la discipline informatique est enseignée obligatoirement dans les écoles préparatoires à raison d'une heure par semaine ;
une nouvelle section s'ajoute : Technologie de l'Informatique TI qui débute en 2e année secondaire. À partir de la 3e année, elle est appelée désormais section Sciences de l'Informatique.
Un grand nombre d'enseignants a été recruté pour enseigner cette discipline. Plusieurs d'entre eux ont été des maîtrisards des diplômés des universités spécialisées en informatique, le reste est constitué essentiellement d'enseignants déjà exerçant – spécialité Technique et spécialité Mathématiques – et qui ont suivi une formation condensée pour se convertir en enseignants d'informatique.
La figure 1 résume les dates clés de l'histoire de l'enseignement de l'informatique en Tunisie.
1983
L'informatique dans les lycées pilotes. |
1991
Généralisation de l'informatique dans les lycées. Une même matière optionnelle pour toute les section. |
1999
Matière optionnelle mais les programmes s'adaptent à la section. |
2005
Enseignement obligatoire de l'informatique dans les collèges et les lycées. La section TI voit le jour. |
Figure 1. Dates clés de l'histoire de l'informatique en Tunisie.
Pour l'année scolaire 2012-2013, on compte 5 398 enseignants d'informatique exerçant sur toute la Tunisie et 3 398 laboratoires bien équipés pour l'enseignement de cette discipline répartis entre les collèges et les lycées. La figure 2 présente l'évolution du nombre de laboratoires d'informatique dans notre pays.
Figure 2. Évolution du nombre de laboratoires d'informatique en Tunisie.
[Statistiques du ministère de l'éducation]
Recrutement des enseignants
Les enseignants de la matière informatique sont à l'origine des diplômés d'instituts ou de faculté spécialité informatique. Ils sont soit des maîtrisards – pour les plus anciens – ou des licenciés (Système LMD) ou des ingénieurs. Tout participant souhaitant exercer le métier de professeur devrait obtenir le Capes « Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du Secondaire ».
Actuellement, 5 398 enseignants d'informatique encadrés par 32 inspecteurs spécialisés exercent dans tous les collèges et les lycées de la république tunisienne : La figure 3 illustre l'évolution du nombre d'enseignants d'informatique en Tunisie.
Figure 3. Évolution du nombre des enseignants d'informatique en Tunisie.
[Statistiques du ministère de l'éducation]
Enseignement de l'informatique à l'école primaire
L'enseignement de l'informatique à l'école primaire n'est pas obligatoire mais le nombre d'établissements primaires dotés de laboratoires informatique est en hausse. L'informatique est enseigné en 6e année primaire (équivalent au CM2) par des instituteurs volontaires doués en informatique. Les cours sont donnés en langue arabe et ils portent sur l'architecture d'un micro-ordinateur, gestion des fichiers et des dossiers, traitement de textes et manipulation d'un logiciel de présentation assistée par ordinateur. Les évaluations peuvent être théoriques et/ou pratiques. Un inspecteur nommé coordinateur des TIC assure quelques formations au profit des enseignants.
Enseignement de l'informatique au collège
L'informatique au collège est une matière obligatoire enseignée par des spécialistes à raison d'une heure par semaine. Les programmes sont axés sur la culture générale, l'architecture d'un micro-ordinateur, les systèmes d'exploitation, Réseau et Internet et le traitement d'image (pour les 7e années), le traitement de son (pour les 8e années) et les tableurs (pour les 9e années). Les cours sont présentés en langue française.
Deux examens sont exigés, ils peuvent comporter une partie théorique et une autre pratique et ce en s'adaptant aux contenus à évaluer. A la fin de l'année, les collégiens présentent leurs projets qu'ils ont réalisés au cours de l'année en parallèle avec les apprentissages.
Enseignement de l'informatique au lycée
La section Sciences de l'informatique
En première année secondaire, les élèves sont orientés vers plusieurs sections dont la section Sciences de l'informatique. En 2e année, une seule matière spécifique à la section est enseignée, elle rassemble culture générale, architecture d'un micro-ordinateur, systèmes d'exploitation, réseaux, bureautique et algorithmique et programmation : Elle est enseignée à raison de 5 heures par semaine. En 3e année, trois matières sont prévues : Algorithmique et programmation, réseaux et technologies de l'information et de la communication. Enfin, en 4e année, les deux matières Algorithmique et programmation et technologies de l'information et de la communication sont approfondies ; la matière « Réseaux » est remplacée par la matière « Bases de données ». A la fin de la terminale, un élève de cette section pourra résoudre des problèmes faisant appel à la récursivité, à la gestion des fichiers et aux algorithmes d'approximation, de tri et de recherche. En plus, il est capable de concevoir une base de données, de créer et de gérer un site WEB dynamique.
Le nombre d'élèves orientés vers cette section est en baisse. Les raisons sont multiples, je peux citer les principales causes :
Les contenus des programmes de la section sciences de l'informatique sont assez costauds, les élèves cibles devraient avoir un assez bon niveau en informatique cependant de tels élèves préfèrent la section mathématiques ou sciences expérimentales.
Une conséquence de la première cause : la baisse du taux de réussite des élèves de cette section au baccalauréat.
Le système de l'orientation universitaire ne tient pas compte des spécificités de cette section. En effet un lauréat de cette section n'est pas vraiment avantageux par rapport à un autre en section mathématiques ou technique ou sciences expérimentales, ils peuvent accéder tous à une faculté spécialité informatique.
Les programmes enseignés dans les facultés spécialité informatique ne tiennent aucunement compte des acquis des universitaires ayant suivi cette branche puisque les groupes sont hétérogènes.
La section Économie et services
L'enseignement de la matière d'informatique s'étale sur trois années consécutives à raison de deux heures par semaine. Le programme est en adéquation avec le profil de cette section. En effet, les principaux thèmes enseignés sont les tableurs, les bases de données et le commerce électronique.
La section Lettres
Les élèves de cette section suivent des cours d'informatique pendant les deux dernières années du secondaire à raison de deux heures par semaine. Le programme est majoritairement axé sur le volet pratique, il concerne principalement la bureautique et surtout le traitement de textes, la technique du publipostage, la manipulation des logiciels de présentation et le multimédia.
Les sections scientifiques
L'enseignement de l'informatique est prévu sur deux années consécutives à raison de deux heures par semaine. Les programmes sont axés sur l'algorithmique et la programmation. Le langage pascal est utilisé pour vérifier la validité des algorithmes proposés. L'analyse descendante est recommandée afin de résoudre les problèmes. À la fin de la terminale, les élèves sont capables de résoudre des problèmes de recherche et de tri via l'analyse modulaire.
Évaluation de l'élève au niveau du baccalauréat
Tout bachelier toutes sections confondues est appelé à passer un examen pratique et un examen théorique. Suivant la section, un examen pratique est proposé afin d'évaluer les compétences ciblées par le programme officiel. Chaque bachelier passe individuellement cet examen qui est surveillé par deux enseignants d'informatique et évalué par un collègue qui a enseigné la matière informatique pour les bacheliers de cette section. L'évaluation s'effectue juste après la fin de l'examen.
L'examen théorique concerne des parties cruciales du programme dont l'évaluation donnera une idée sur le degré d'acquisition des notions fondamentales.
Conclusion
Il est indéniable que l'intégration de l'enseignement de l'informatique dans le système éducatif tunisien a été avantageuse. En effet, cette décision a réduit le phénomène de fracture numérique dans le pays ; en plus une aisance dans l'emploi de l'outil informatique est décelée surtout au niveau de la préparation des projets dans divers disciplines. Cependant, certains problèmes sont à signaler à savoir :
L'évolution exorbitante dans le domaine informatique impose une mise à jour périodique de nos manuels scolaires et ce fait est loin d'arranger le service des programmes du ministère de l'éducation surtout que nous disposons actuellement d'au moins 18 manuels scolaires relatifs à la discipline informatique.
La maintenance et le renouvellement du matériel informatique représente un lourd fardeau que ce soit pour l'enseignant, pour l'administration et pour le ministère de l'éducation. Des techniciens de laboratoire d'informatiques sont à prévoir mais le ministère reste sourd à ces nouvelles exigences pour des raisons budgétaires
L'absence de l'enseignement de l'informatique en 1re et en 2e année n'est pas encore résolue : la principale cause de ce silence est le côté matériel (recrutement de nouveaux enseignants et création de laboratoires supplémentaires).
La section Sciences de l'informatique est menacée. Nous remettons en cause essentiellement l'orientation à la fin de la première année où la section Technologie de l'informatique n'est pas considérée comme une section scientifique, ce qui explique la qualité moyenne des élèves qui choisissent cette branche, en plus la discontinuité de la formation des étudiants de cette section dans les universités pose un très grand problème.
Dorsaf Benna Chelly
inspecteur.monastir@gmail.com Unité de recherche STEF, ENS-Cachan
Paru dans les actes du colloque DidaPRO 5 - Dida&STIC, Sciences et technologies de l'information et de la communication en milieu éducatif : Objets et méthodes d'enseignement et d'apprentissage, de la maternelle à l'université, 28, 29 et 30 octobre 2013 à Clermont-Ferrand, France, sous la direction de Béatrice Drot-Delange, Georges-Louis Baron, Éric Bruillard.
http://edutice.archives-ouvertes.fr/DIDAPRO5/fr/
http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00877130
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