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L'approche par compétences
dans l'enseignement de l'informatique au Cameroun

Paul Dieudonné Mbock
 

La réforme du curriculum d'enseignement est en cours dans les enseignements secondaires au Cameroun. L'informatique, dont le nombre d'encadreurs a considérablement augmenté, bénéficie naturellement de cette amélioration [1]. L'adoption de l'approche par compétences (APC) a vocation à mener à terme cette réforme. Cette approche n'est pas encore bien assimilée et intégrée par tous les acteurs de la chaîne pédagogique. C'est fort de ce constat que nous proposons aux différents acteurs et à toute la communauté, quelques réflexions sur l'APC et présentons le chemin parcouru à ce jour.

 
Du contexte et de la justification

   Plusieurs réflexions et études ont été menées sur le système éducatif camerounais actuel. Le texte de référence est la loi n° 98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'éducation au Cameroun. De nos jours, environ 25 % des élèves de la classe de sixième du secondaire arrivent en classe terminale. Il est donc question d'encadrer et de doter les 75 % d'élèves qui sortent du système éducatif classique des aptitudes afin qu'ils ne soient plus une charge non maîtrisée dans la société. Par ailleurs, le marché du travail étant de plus en plus exigeant, il est indispensable de faire acquérir aux jeunes (futurs agents et cadres) et à toute la population active des capacités nécessaires pour leur insertion dans la future société, ce qui aura comme effet induit la réduction du taux de chômage actuel.

   Pour y arriver, les autorités en charge de l'éducation ont entrepris une réforme du curriculum en adoptant l'approche par compétences (APC). Les programmes du sous cycle d'observation (première et deuxième années du secondaire) sont finalisés et un séminaire y relatif s'est tenu en date du 13 novembre 2013.

La notion de compétence

   Le terme « compétence » est généralement utilisé en ingénierie de la formation professionnelle. Ce terme possède plusieurs acceptions. Mais de manière simple, la compétence est la capacité à apporter une solution à un problème, une intelligence des situations. Il est alors question de mobiliser des connaissances et des savoirs pour faire face avec succès à un problème donné.

   Une définition plus récente proposée par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) laisse davantage place à la mobilisation des savoirs et à l'évolution des acquis dans le temps. On parle alors d'un « pouvoir d'agir, de réussir et de progresser qui permet de réaliser adéquatement des tâches, des activités de vie professionnelle ou personnelle, et qui se fonde sur un ensemble organisé de savoirs : connaissances et habiletés de divers domaines, stratégies, perceptions, attitudes, etc. » [2].

   L'approche par compétences (APC) est alors une méthode qui « consiste essentiellement à définir les compétences inhérentes à l'exercice d'un métier et à les formuler en objectifs dans le cadre d'un programme d'études. »[2]. L'APC n'est donc pas totalement opposée à l'approche par objectifs (APO). Il est cependant à noter que le terme « objectif » qui apparaît dans la définition de l'APC peut avoir pour synonyme « comportement », « situation de vie » ou « situation de travail. » L'élève d'hier, devenu apprenant par l'APC, est placé au centre du processus d'apprentissage. Il est question pour celui-ci d'apprendre à apprendre en comptant sur l'enseignant dont le rôle n'est pour autant pas négligeable.

Le rôle de l'enseignant

   Quoique l'APC place l'apprenant au centre de tout processus d'apprentissage, l'enseignant joue un rôle majeur, puisqu'il est le principal facilitateur de cette activité. Il existe une relation entre les aptitudes de l'apprenant et celles de l'enseignant : un apprenant compétent nécessite impérativement un enseignant compétent.

   L'évaluation et le renforcement des compétences des enseignants sont, nous en sommes convaincu, un gage de la réussite de l'APC dans notre système éducatif. Avant d'engager un processus d'enseignement, chaque enseignant doit au préalable effectuer une auto-évaluation de ses propres compétences. Les lacunes décelées devront être comblées par exemple lors des sessions de formation organisées par les Inspections de Pédagogie. Pour effectuer cette auto-évaluation, il nous semble urgent pour chaque enseignant de revisiter les trente (30) compétences de l'enseignant moderne, compétences proposées par André de Piretti et reprises par François Muller [3]. Les rôles, qualités et compétences de l'enseignant moderne, selon André de Piretti, sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous :

Rôles

Qualités

Compétences

Chercheur

Expérimentateur

Créer des situations d'apprentissage

Faire de la didactique

Observer ses élèves

Clinicien

Diriger des projets

Analyser les pratiques

Analyser les ressources

Technicien

Utilisateur

Utiliser les TICE

Utiliser l'audiovisuel

Mettre en oeuvre les outils

Réalisateur

Préparer une sortie, un stage

Définir une progression

Créer ses outils

Responsable des relations

Animateur

Négocier des contrats d'étude

Travailler en équipe

Guider et éduquer

Organisateur

Gérer les relations

Mettre en groupes

Diriger une séquence

Personne-ressource

Méthodologue

Donner un conseil de méthode

Conduire une recherche documentaire

Définir des objectifs

Expert

Faire une conférence

Penser sa formation

Apprendre la complexité

Évaluateur

Consultant

Auditer les attentes

Prospecter les besoins

Guider le travail personnel

Contrôleur

Être le gardien des programmes

Rapporter des travaux

Assurer la sécurité

Tableau 1 : Les 30 compétences de l'enseignant moderne.

   Les compétences ci-dessus énumérées forment un ensemble indissociable dans l'exercice du métier d'enseignant. Le professeur d'informatique devrait davantage s'intéresser aux autres spécialités afin d'élargir les champs d'application de sa discipline, captivant de ce fait et chaque jour, l'attention des apprenants.

Le modèle camerounais

   Le Cameroun envisage introduire l'APC sous deux formes : selon qu'on intervienne dans l'enseignement secondaire général (ESG) ou dans l'enseignement secondaire technique et professionnel (ESTP).

   Pour l'ESG, le modèle adopté est l'entrée par des situations de vie (APC/ESV). Il est question pour l'apprenant d'acquérir des compétences qui lui seront utiles lors de ses interactions dans la société. Pour l'ESTP, l'entrée par des situations de travail est adoptée (APC/EST). Ici, l'apprenant est amené à se positionner dans le monde du travail.

   Les cinq (05) domaines de vie retenus pour l'ESG sont les suivants :

  • Vie familiale et sociale ;
  • Vie économique ;
  • Environnement, bien-être et santé ;
  • Citoyenneté ;
  • Média et communication.

   Pour l'ESTP, les situations de travail, qui restent encore à parachever, devraient intégrer les activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire.

Spécificité de l'informatique

   Discipline transversale, la réforme du curriculum a retenu quatre (04) compétences en informatique :

  • Compétences en informatique fondamentale ;
  • Compétences en TIC ;
  • Compétences en ingénierie ;
  • Compétences en projets.

   Ces compétences sont réparties en domaines d'apprentissage et un dosage des capacités est effectuée pour les différents niveaux d'apprentissage (de la classe de sixième en terminale).

L'APC en salle de classe

   Un transfert optimal des compétences dans un processus d'enseignement / apprentissage nécessite de chaque intervenant la bonne maîtrise de son rôle. Pour l'enseignant, une animation réussie de son activité passe nécessairement par :

  • La conduite de ses activités dans un environnement approprié (salle spécialisée bien aménagée et équipée) ;
  • La motivation de l'apprenant ;
  • L'adoption d'une démarche de projet ;
  • L'utilisation des ressources didactiques appropriées ;
  • La confrontation des apprenants aux situations réelles ;
  • L'organisation des travaux en groupes ;
  • L'évaluation de l'acquisition des compétences par les apprenants. Activité parfois difficile à mener, le choix d'une méthode d'évaluation dans l'APC doit être bien étudié et adapté au type de compétence à évaluer. Un guide d'évaluation selon l'APC est attendu.

Quelques résultats obtenus en informatique

   Nous présentons ci-dessous les premiers résultats obtenus pour la série technologies de l'information (TI). Fonctionnelle depuis la rentrée scolaire de septembre 2011, cette série a délivré ses premiers bacheliers en juillet 2013. Le tableau 2 ci-dessous présente les résultats de la série TI pour la session d'examens de 2013, données compilées au niveau de l'Inspection de Pédagogie chargée de l'enseignement de l'informatique du Ministère des Enseignements Secondaires (MINESEC) :

Examen

Candidats inscrits

Candidats admis

Pourcentage de réussite

Baccalauréat TI

106

104

98,11 %

Probatoire TI

549

400

72,85 %

Tableau 2 : Résultats de la série TI en 2013.

   Il est à noter que les programmes d'études de la série TI ont été élaborés selon l'approche par compétences. Les résultats obtenus au baccalauréat TI en 2013 (98,11 %) sont largement supérieurs à ceux obtenus dans les autres séries qui eux n'ont pas atteint 54 % au courant de la même session. Ces résultats donnent de réels motifs de satisfaction et montrent que l'APC, lorsqu'elle est menée dans un environnement optimal, peut favoriser la réussite du plus grand nombre d'apprenants.

   Quatre (04) conditions ont favorisé l'obtention des bons résultats de la série TI pour la session 2013 :

  • Des effectifs maîtrisés, inférieurs aux effectifs canoniques (106 candidats présentés dans 04 régions du pays) ;
  • Un équipement adéquat dans les salles spécialisées d'informatique des établissements abritant la série ;
  • Un personnel enseignant compétent et motivé ;
  • Un encadrement continu des apprenants et enseignants par l'Inspection de Pédagogie chargée de l'enseignement de l'informatique.

   Le souhait légitime est le maintien des conditions optimales de travail dans la série TI afin d'améliorer les taux de réussite ci-dessus présentés, étant entendu que le taux de réussite normal en APC est de 100 % (l'apprenant étant compétent ou pas).

Un chemin qui reste qui reste encore à parcourir

   L'initiative prise par les responsables des enseignements secondaires de reformer le curriculum d'enseignement est profitable au système. Cependant, cette initiative manque encore une certaine visibilité à court et moyen terme. Les programmes du sous-cycle d'observation devraient entrer dans la phase d'expérimentation en septembre 2013. Les textes réglementant cette importante activité sont toujours attendus. En attendant la signature de ces textes, un certain nombre d'actions prioritaires doivent être menées, notamment :

  1. La maîtrise des effectifs
    Définis par une circulaire ministérielle et fixés à 60 élèves par classe pour l'enseignement secondaire général, ces effectifs canoniques sont largement dépassés de nos jours. Une question se pose alors : comment mener à bien l'introduction de l'APC avec des salles de classe à effectif pléthorique ? 

  2. La construction et l'équipement des salles spécialisées
    La mise en oeuvre de l'APC nécessite un environnement propice à la construction des compétences. Toutes les disciplines doivent disposer des environnements spécialisés et bien équipés. Les laboratoires virtuels peuvent jouer ici un rôle capital [4]. 

  3. La production et la vulgarisation d'un guide d'implantation d'un programme d'études selon l'APC
    Document de cadrage de toutes les activités dans l'introduction de l'APC, ce guide est indispensable pour une intégration réussie de cette méthode dans notre système éducatif. Il doit présenter un chronogramme de toutes les activités, organiser et gérer l'implantation de l'APC tout en proposant un dispositif de suivi évaluation du projet. 

  4. L'inspection continue des unités scolaires
    Les Inspections de Pédagogie (nationales et régionales) ne doivent plus être considérées comme des « garages » pour des enseignants fatigués et en fin de carrière. Les activités de recherche et d'accompagnement des enseignants et apprenants doivent être prioritaires et revalorisées. 

  5. La participation du Ministère de l'Enseignement Supérieur
    Principal formateur des enseignants utilisés par le Ministère des Enseignements Secondaires, il est souhaitable que les notions pratiques de l'APC soient intégrées dans le cursus des futurs enseignants formés dans les écoles normales supérieures. 

  6. La mise sur pied d'un véritable environnement numérique de travail.
    Intégrant toutes les disciplines, ces espaces d'échange et de collaboration entre apprenants, enseignants et superviseurs doivent être produits et vulgarisés. En informatique, un exemple est donné par la Tunisie à travers le site kiteb [5]. 

   Pour finir, nos pays africains gagneraient à mettre sur pied un dispositif de promotion et d'évaluation des systèmes éducatifs à l'instar du Programme International pour le Suivi des Acquis (PISA) de l'Organisation de Coopération et le Développement Économiques (OCDE).

Conclusion

   L'approche par compétences ne doit pas être perçue comme une pédagogie absolue : elle semble convenir, pour le moment, à une éducation de masse en mettant l'apprenant en position de réussite. Méthode excluant toute approximation, l'APC est encore perçue au Cameroun comme un effet de mode en lieu et place d'un véritable outil de changement. Le délicat problème de l'évaluation suffit à lui seul pour nous inviter à nous remettre au travail. La finalité de cette méthodologie est simple : assurer une intégration réussie de l'APC dans notre système éducatif.

Janvier 2014

Paul Dieudonné Mbock
IPN Informatique
Minesec – Cameroun
pmbockfr@hotmail.com

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

NOTES

[1] Paul Dieudonné Mbock, « Nouvelles orientations de l'informatique pédagogique au Cameroun », EpiNet n° 134 d'avril 2011.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1104c.htm

[2] http://www.francophonie.org/IMG/pdf/guide3_final_SB.pdf (consulté le 13 janvier 2014)

[3] http://francois.muller.free.fr/diversifier/30compet.htm (consulté le 13 janvier 2014).

[4] Paul Dieudonné Mbock, « Les laboratoires virtuels au service de la pédagogie », EpiNet n° 115 de mars 2005.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0905a.htm

[5] http://www.kiteb.net/ (consulté le 13 janvier 2014).

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