Les TIC à l'école primaire en France :
informatique et programmation
Jacques Béziat
Résumé
Fin des années 1970, l'usage des ordinateurs en classe passait souvent par l'apprentissage d'un langage de programmation, notamment Logo, soit sur écran, soit par la manipulation de robots programmables. Ainsi, les programmes scolaires de 1985 ont fait une place à cette manipulation. Cet item est retiré des programmes à partir de 1995. L'informatique « usager » s'est développée, notamment avec l'intégration de plus en plus performante des technologies numériques, avec pour effet l'abandon de tout ce qui pouvait relever de la programmation avec les élèves. De fait, le B2i [1] depuis les années 2000 ne propose de valider que des compétences « usagers » chez les élèves. Pour autant, l'intérêt de la programmation à l'école primaire a-t-il été réellement remis en question ? La littérature du champ a déjà largement présenté des recherches et pratiques pédagogiques sur Logo sans que cela ait réellement une incidence sur les pratiques de classe ni les orientations institutionnelles. À travers une revue de littérature de la presse professionnelle depuis 30 ans, nous mettrons en perspective l'intérêt d'une pratique de la programmation Logo à l'école. La question est d'actualité avec, entre autres, l'apparition sur le marché de nouveaux objets programmables. La programmation, une pratique pour l'école primaire ?
Mots clés : TICE, informatique, programmation, école primaire, pratique pédagogique.
1. Position du problème
Les premières expérimentations pour l'utilisation de l'informatique à l'école primaire en France datent de la deuxième moitié des années 1970 (Harrari, 2000), principalement par l'apprentissage de la programmation avec les langages disponibles et réputés accessibles par des élèves du premier degré. La programmation a été le point d'entrée de l'usage pédagogique des ordinateurs en classe (Baron & Boulc'h, 2012). De fait, les programmes scolaires accompagnant le lancement du plan IPT [2] en France ont fait une place à la programmation à travers « la manipulation d'objets programmables ». Cette manipulation disparaît des scolaires à partir de 1995. L'informatique « usager » » s'est développée, notamment avec l'intégration de plus en plus performante des technologies numériques, avec pour effet l'abandon de tout ce qui pouvait relever de la programmation avec les élèves (Bruillard, 1997 ; Delannoy, 1992 ; Greff, 1999). Ainsi, le B2i, depuis les années 2000, ne propose de valider que des compétences « usagers » » chez les élèves. Pourtant, un certain nombre d'enseignants et de chercheurs se sont mobilisés autour des usages et de l'intérêt de la programmation à l'école. À travers une revue de littérature de la presse professionnelle depuis 30 ans, nous mettrons en perspective l'intérêt d'une pratique de la programmation à l'école. La question est d'actualité avec, entre autres, l'apparition sur le marché de nouveaux objets programmables. Depuis les années 2000, nous revoyons apparaître sur le marché de nouveaux jouets programmables par quelques primitives Logo (Bee-Bot, Pro-Bot). Le feuilletage des sites associés à ces objets nous propose, selon les tapis et matériels utilisés, des objectifs pédagogiques tels que : l'apprentissage des lettres de l'alphabet, la numération, le repérage dans l'espace. L'objet n'est pas prioritairement manipulé pour ce qu'il apporte en termes de compétences algorithmiques, mais pour ce que les élèves doivent apprendre à l'école, en dehors de la programmation.
Depuis trente ans, les discours n'ont jamais tranché sur le fait de savoir si la programmation relevait d'un apprentissage scolaire nécessaire, spécifique et indépendant des autres disciplines, avec ses propres objectifs éducatifs. Son usage a souvent été justifié pour ce que la programmation pouvait apporter aux autres disciplines. Ce flou sur la nature et l'identité de cette activité a pesé négativement sur sa pratique en classe : en termes de coût pédagogique par rapport aux bénéfices pédagogiques attendus.
2. Point historique
Au niveau élémentaire, les arguments pédagogiques doivent être fondés, en référence au programme, et la simple « manipulation d'objets programmables » ne peut suffire à justifier le coût pédagogique d'un usage avancé et intéressant d'un langage de programmation ou d'un robot ni à clarifier les objectifs d'apprentissages réels à poursuivre pour pouvoir efficacement s'en servir. Apprendre à programmer n'est pas une pratique légitime de l'école, et ce statut à la marge des activités scolaires marquera les débats sur la programmation informatique des années 1980, comme elle marque encore ceux sur les usages des TIC en classe actuellement. Le CERI (1986), citant Hircsh [3], insiste sur le fait que « l'instruction élémentaire n'est pas seulement un ensemble de connaissances formelles, c'est aussi une décision politique ». Dans les faits, en France, l'introduction de l'informatique dans les programmes scolaires s'est faite en 1985 à travers la « manipulation d'objets programmables simples ». La seule réelle référence officielle à la programmation à l'école porte donc sur l'usage de la tortue de sol ou d'autres robots. Cet item survivra dans les programmes scolaires jusque dans le milieu des années 1990, puis sera abandonné (Béziat, 2008).
Cela dit, tant que la programmation restera l'activité la plus convaincante en tant qu'environnement de travail de qualité pour les élèves, les discours officiels considèrent cette pratique comme intéressante et porteuse de promesses. Certaines qualités sont donc reconnues à la programmation, entre autres : la création d'algorithmes et la rédaction de programmes apportent un cadre de pensée utile et opérationnel (Direction générale de la programmation et de la coordination [DGPC], 1980) ; la construction et la validation d'un programme rejoignent l'esprit de la démonstration mathématique, mais dans un univers plus concret (DGPC, 1980) ; Logo peut être utile pour les élèves en difficulté auxquels le langage scolaire ne convient pas (DGPC, 1981) ; l'activité de programmation peut avoir des conséquences bénéfiques sur le comportement en classe (DGPC, 1981). D'une manière générale, il s'agit d'un discours d'accompagnement pour l'usage des seules applications informatiques pour l'école du moment : programmer un ordinateur. Le développement croissant et massif de logiciels éducatifs va ensuite largement contribuer à faire disparaître la programmation de l'éventail des activités scolaires. Dans ce contexte d'émergence de pratiques informatiques à l'école s'installe ainsi tout un débat pour savoir si l'informatique est un outil (au service des disciplines) ou un objet (apprendre à programmer par exemple).
Cette opposition simpliste entre les deux approches n'aidera pas à réfléchir aux différents aspects d'une formation aux TIC et à leurs usages instrumentaux. Le B2i/C2i [4] des années 2000 fait un sort à ce débat : l'informatique est au service des disciplines, c'est un outil.
3. Programmer à l'école ?
Le développement de la programmation à l'école doit beaucoup à Papert et au Langage Logo (Crahay, 1987 ; Papert, 1981). Depuis, la recherche a relativisé les perspectives constructionnistes de Papert, et interrogé davantage l'usage de Logo et de la programmation à l'école (Bruillard, 1997 ; Eirmel, 1993 ; Linard, 1996) et leur impact en matière de transfert de compétence sur les autres disciplines scolaires. De manière générale, on peut retenir que les résultats sont mitigés et ne valident pas pleinement cette mise au service de la programmation aux autres disciplines. Sous certaines conditions, on observe des effets de transfert en fonction des scénarios pédagogiques mis en oeuvre, de leur articulation avec les autres activités de la classe, et des prérequis des élèves (Bideault, 1985 ; Eirmel, 1993).
Derrière cette question sur les services rendus par la programmation aux autres apprentissages de l'école se pose la question du statut de l'activité informatique en classe. Est-ce un domaine d'apprentissage spécifique ? Ou bien, ne peut-elle entrer en classe qu'en se justifiant des apports aux autres disciplines ? Dans le premier cas, il faut mobiliser des moyens pédagogiques et institutionnels spécifiques ; dans l'autre, on peut en faire, à la marge.
Baron et Bruillard (2001) repèrent ainsi trois attracteurs dans les discours officiels : l'informatique comme un outil d'enseignement, comme un ensemble d'outils disciplinaires et transversaux, ou comme un nouveau domaine d'enseignement. Pour ce dernier cas, l'histoire de l'intégration de l'informatique à l'école nous montre à quel point il est difficile de faire accepter cette perspective. Cela suppose que l'on admette que l'informatique n'est pas simple d'usage (Pélisset, 1985) et qu'elle est le lieu de réels enjeux épistémologiques.
Pour les deux premiers cas, effectivement pris en compte dans les discours sociaux, l'informatique est peu prescrite, et ne fait l'objet que de quelques recommandations. Pourtant, l'activité de programmation et de manipulation de robots ne parait vide de sens d'un point de vue éducatif. Parmi les effets positifs de la programmation repérés dans la littérature du champ, nous citerons :
Dans l'espace et dans le temps : 1) elle permet d'exercer des compétences spatiales, et favorise la décentration (Boule, 1988) ; 2) elle aide aussi à établir un ordre chronologique, et à définir des étapes pour parvenir à un objectif (Cohen, 1987).
Sur l'exercice de la pensée : 1) le va-et-vient entre l'action et la verbalisation semble favoriser une « attitude expérimentale » (Bideault, 1985) ; 2) l'enfant qui programme, développe des habiletés de description formelle, apprend à coder et à objectiver des actions, et découvre sur sa propre manière de penser (Dufoyer, 1988) ; 3) « L'apprenant doit traduire ses intuitions sous la forme d'un programme » (Bruillard, 1997).
Sur les instruments de travail : ce domaine d'activité permet le développement de l'imagination, de l'invention et du raisonnement inductif, et permet de travailler sur des compétences linguistiques (Leroux, 2006).
Sur la dynamique personnelle : « Les enfants qui programment sont rarement en situation d'échec insurmontable » (Dufoyer, 1988) ; 2) les enfants développent des comportements d'autonomie et de collaboration (Boule, 1988).
Sur les enjeux sociaux : prendre sa place dans le monde, c'est aussi comprendre comment fonctionnent nos environnements, et savoir repérer les enjeux liés à l'usage et au déploiement des instruments et des espaces numériques. Il est indispensable de former des utilisateurs « intelligents » » (Archambault, 2007), au risque, sinon, d'induire un illettrisme de fait sur les questions du numérique.
4. Sur le terrain scolaire
Pour essayer de regarder la réalité de ce qui a pu se faire en termes de programmation à l'école primaire, nous sommes allé chercher dans la presse professionnelle dédiée aux TICE les témoignages de pratiques livrés par des enseignants qui ont programmé en classe, soit sur ordinateur (Logo, LogoWriter, BASIC, HyperCard, SmallTalk), soit avec des robots (Tortue de sol, Big-Track).
Ce sont ainsi dix revues qui ont été feuilletées, couvrant plus de trente ans d'informatique scolaire, depuis le début des années 1970 jusqu'à maintenant (1 commerciale, 2 associatives, 5 académiques, 2 du CNDP) [5]. Cela représente potentiellement 583 exemplaires de revues, avec presque 90 % du fonds documentaire consultable [6].
Nous avons retenu les articles des enseignants qui ont effectivement rendu compte d'un usage de la programmation informatique en classe. Ce sont des témoignages de praticiens qui ont cherché des solutions pédagogiques, et qui en ont dit quelque chose. Nous n'avons pas pris en compte les articles faisant état d'activités de découvertes du matériel informatique (dans les années 1980, c'est nouveau), les fiches techniques d'usage d'un logiciel de programmation, les fiches pédagogiques, des comptes rendus de chercheurs, les textes de questionnements généraux, les manifestations d'intérêt pour la programmation... Nous n'avons pris en compte que les pratiques effectives en contexte scolaire. Ce sont ainsi 23 articles qui sont rentrés dans nos critères (parmi les exemplaires de revues disponibles). Il y a donc assez peu de témoignages, pour les revues prises en compte. Ces articles sur la programmation à l'école sont essentiellement concentrés dans les années 1980 (19 entre 1982 et 1989, 4 dans les années 1990, ensuite, plus rien).
Les articles sont aussi inégalement répartis en termes de niveaux scolaires : 7 textes pour l'école maternelle, 13 pour le cours moyen (fin de l'école primaire), les autres pour le cours préparatoire, les cours élémentaires et une classe de perfectionnement. Enfin, les textes de maternelle nous parlent d'usages des robots de sol, ceux sur le cours moyen, de programmation à l'écran. Les niveaux intermédiaires, des deux. Ces premiers constats renvoient à plusieurs réalités, parmi lesquelles :
Pour enseigner la programmation, il faut savoir programmer soi-même, ou avoir envie d'apprendre.
L'absence de pratiques pour les CP/CE interpelle sur le statut perçu de la programmation : ce sont des niveaux de classe consacrés aux apprentissages fondamentaux. Il n'y a que peu de place pour l'expérimentation.
Pour la programmation en CM, les élèves sont plus grands, plus autonomes, et quelques enseignants passionnés par l'informatique se sont aventurés à faire programmer leurs classes. La maternelle est un cadre d'enseignement moins contraint par les programmes, il y a donc eu de la place pour expérimenter l'usage pédagogique des robots programmables, jugés intéressants et motivants pour de jeunes enfants.
L'évolution technique et logicielle des TIC a clairement fait disparaître toutes préoccupations à l'égard de la programmation. Logo, tombé en désuétude, fait figure de pratique historique (Harrari, 2000). Nous avons déjà constaté une montée des articles sur les TICE à l'école primaire dans les années 1980, puis une baisse très nette d'intérêt dans la presse professionnelle (creux de vague), puis une montée d'intérêt – et du nombre d'articles consacrés au champ après 1995 (vague Internet), avec une disparition des thèmes consacrés à la programmation en classe (Béziat, 2000).
Le corpus de textes ne rend certainement pas compte de la richesse des pratiques qui ont eu lieu autour de la programmation dans les écoles, mais l'aperçu est significatif des contraintes et des questions qu'ont pu se poser les enseignants-programmeurs. Le corpus est constitué de textes d'enseignants qui ont voulu partager leur pratique.
Pour l'école maternelle et les quelques textes portant sur les CP/CE [7], la mise en place de l'activité de programmation passe par des activités de découverte et de familiarisation avec le matériel et les commandes de manipulation du robot ou du code de programmation. Les objectifs sont simples et doivent permettre à l'élève de prendre confiance dans l'activité et de devenir autonome (savoir manipuler, utiliser, programmer).
Ensuite, les projets sont formalisés, codés et réalisés. Un matériel peut être proposé pour soutenir l'activité (fiches cartonnées, représentation graphique ou matérielle...). L'enseignant cherche à mettre en lien les compétences spatiales des enfants avec les déplacements du robot programmables, et ainsi encourager la projection dans l'espace et la production de programmes d'actions avant de passer à la programmation. Le but ultime étant de communiquer ses commandes en mode programmation, et non pas pas à pas.
À ces niveaux scolaires, les scénarios proposés portent essentiellement sur des manipulations de robots à partir de jeux de déplacements (cibles fixes ou mobiles, trajets, labyrinthes, déplacements d'objets...). Parfois, les groupes qui formalisent, codent et exécutent un projet peuvent être différents. L'objectif est alors d'amener les élèves à débattre, à analyser, à échanger, à mettre à distance... Dans tous les cas, la prise de conscience chez l'enfant du lien entre la consigne ou la séquence de consignes et l'action du robot est recherchée. L'élève doit comprendre que la commande est fiable, et qu'il s'agit surtout de maîtriser la mise en séquence de ces actions. Dans tous les cas, l'interaction entre pairs est utilisée dans la recherche de solutions.
Quelques effets dans d'autres domaines (topologie, géométrie, mathématiques...) sont parfois relevés, mais ce n'est pas là le coeur des objectifs poursuivis. Apprendre à maîtriser le robot semble suffire aux enseignants pour la mise en place de ces activités. La relation entretenue entre l'action matérielle et les différents niveaux de représentation (langage, fiches cartonnées, cartes perforées...) semble faciliter certaines formes d'abstraction, d'anticipation, d'interprétation des problèmes posés par les situations proposées aux élèves.
Ces compétences symboliques permettent alors d'agir sur le réel. Sont ainsi travaillées, les notions de causalité, de message, de codage et débogage, d'objectivation et de stabilité des résultats (prendre confiance dans la procédure de résolution, dans sa propre prise de décision). La programmation en tant que telle semble apporter des bénéfices d'ordre cognitif (résolution de problèmes, essentiellement spatiaux), d'ordre informatique (découverte d'une nouvelle situation d'activité, production d'algorithmes), d'ordre social et relationnel (prise en compte du point de vue des autres, ajustement de ses actions à celles des autres).
Pour les témoignages portés pour le début de l'école élémentaire (CP/CE) : apprendre à programmer peut devenir un objectif déclaré (toujours avec la tortue de sol ou le camion Big-Track). Un des objectifs repérés est « la dissolution d'une suite d'ordres dans une totalité de rang conceptuel, juste avant la notion de procédure » et ce faisant, de prendre conscience qu'un processus de résolution est toujours valable (introduction au symbolisme, usage de représentations diverses d'un même problème, décomposition d'actions complexes en actions plus élémentaires...). Dans tous les cas, Logo et ses robots font la démonstration que de jeunes enfants peuvent piloter un ordinateur (Bruillard, 1997 ; Komis & Misirli, 2011).
Pour le cours moyen [8] l'objectif principal d'entrée dans l'activité est l'apprentissage de la programmation : découvrir l'algorithmique, résoudre des problèmes par la formalisation algorithmique, coder, déboguer, saisir et exécuter un programme. L'organisation pédagogique alterne des temps magistraux en classe et des temps d'atelier, en petits groupes ou en individuel.
Les situations supports à l'activité de programmation varient fortement : 1) programmer en Logo des dessins ; 2) programmer en BASIC pour résoudre des problèmes mathématiques ; 3) programmer un générateur de phrases aléatoires ; 4) programmer l'impression de textes de largeurs différentes pour le journal de classe ; 5) programmer un logiciel pour trouver les meilleurs coups possible pour jouer à un jeu de déplacements et de tirs au but ; 6) tracer des cartes de géographie en Logo ; 7) écrire des mots en Logo avec des lettres grand format ; 8) en Logo, simuler un robot de stockage ; 9) utiliser un petit système expert et une base de connaissance autour de phrases absurdes et de problèmes simples (base de connaissance à construire). Dans tous les cas, l'objectif principal reste de réussir le programme pour la tâche désignée.
L'autonomie des élèves dans la réflexion est recherchée (chercher à se représenter le problème), ils apprennent à introduire des variables dans un programme, à paramétrer des commandes en fonction du problème posé... Les situations proposées semblent débloquer certains élèves en difficultés : en raisonnant, ils réussissent à agir et à obtenir des résultats prévus et compréhensibles. Ce faisant, les enseignants cherchent à montrer comment la machine exécute un programme, et à apprendre à remédier à certains défauts de programmation. De ce point de vue, la programmation « n'est pas une fin mais un média de structuration de la pensée. » La programmation permet de proposer de nouvelles situations de recherche et d'action : analyser une situation, un problème, formuler des hypothèses, les vérifier... Des savoirs plus spécifiques liés à l'usage du langage de programmation sont aussi déclarés : notion de variable, de récursivité, d'incrémentation, de procédures emboitées... Au-delà des contextes d'enthousiasme pédagogique décrits, nous retiendrons de ces témoignages le lien que les enseignants ont pu établir avec les élèves entre la réflexion et l'action : analyser, verbaliser, représenter, conceptualiser, coder, exécuter. Quelques objectifs transversaux sont identifiés (repérage sur un plan, nombres décimaux, constantes et variables, structure de phrases...), mais, là encore, ce n'est pas le coeur des objectifs poursuivis. L'objet technique et ses instruments de contrôle sont traités en tant que tel, et non pas par défaut pour soutenir d'autres types d'apprentissages. Quand la programmation sert à analyser et à résoudre des situations problèmes en mathématiques ou en français, elle sert à éclairer autrement les approches disciplinaires. Pour l'ensemble des niveaux scolaires, ce ne sont pas des objectifs de transfert de compétences à d'autres disciplines qui sont évoqués par les enseignants, mais plutôt les avantages et les spécificités propres à la programmation, à la manipulation de robots. Certains apports transversaux sont toutefois évoqués : pensée logique, organisation du problème, démarche de validation.
Les arguments sont centrés sur la situation pédagogique. L'activité de l'enfant est première et constitue en soi un objectif pédagogique. Autrement dit, pour les plus jeunes comme pour les plus grands de l'école, la prise en main du robot ou d'un langage de programmation suffit à justifier leur usage en classe. Un certain nombre d'objectifs d'apprentissage leur sont dédiés et spécifiques. Nous voyons là plusieurs effets :
Les contraintes et les spécificités propres aux objets techniques sont inévitables quand il s'agit de les mettre en oeuvre en classe, d'un point de vue pratique et axiologique.
Les enseignants qui nous en parlent sont des précurseurs. Ils ont à coeur de nous faire part de leur propre appropriation professionnelle de ces nouveaux objets. Ils assument leurs spécificités, parfois de manière militante, et n'éprouvent pas nécessairement le besoin d'avoir un discours de repli derrière la norme scolaire.
Les enseignants qui témoignent de leurs pratiques ne doutent pas de l'importance ni de l'intérêt de l'apprentissage de la programmation à l'école.
5. Perspectives
On peut noter que les enseignants qui nous ont fait part de leurs pratiques s'intéressent assez peu aux effets de transfert de la programmation vers les autres disciplines scolaires. Ils nous la présentent pour ce qu'elle est en classe, en termes de mise en oeuvre, de dispositif pédagogique, d'objectifs poursuivis, de compétences procédurales et algorithmiques...
Selon l'âge des élèves, l'accent peut être mis sur le rapport entre la situation concrète et le travail de formalisation, le vécu corporel et son implication dans l'abstraction nécessaire aux déplacements sous Logo, sur le tâtonnement expérimental, sur la verbalisation qui amène à confronter, à formaliser, à comprendre (Pillot & Pillot, 1984). Tout effort de programmation en classe est adossé à une situation concrète, qui sert à la fois de support, d'objectif et de moyen de validation de l'activité. La situation concrète aide à faire sens, « on ne programme pas pour programmer, mais pour réaliser une tâche, résoudre un problème » (Arsac, 1991). De ce point de vue, plusieurs niveaux de représentations sont mobilisés : sur les propriétés des objets traités et sur le travail algorithmique lui-même. La capacité à décrire est un des enjeux de la programmation. Pour cela, il faut anticiper le résultat et mobiliser les ressources nécessaires pour l'atteindre (Modard, 1985). Apprendre la programmation à l'école suppose donc que l'on transpose ses concepts et ses notions dans des problèmes significatifs pour l'enfant (Rogalski, 1986). Elle n'est pas entraînée pour elle-même, mais doit devenir un outil effectif de résolution de problèmes.
Sous cet angle, et en écho aux pratiques citées ici, trois objectifs à l'éducation à la programmation et à la manipulation de robots peuvent être poursuivis à l'école primaire : 1) construire chez les élèves de premières représentations de l'informatique, partielles mais opératoires ; 2) développer leurs connaissances des dispositifs numériques et de leurs fonctionnalités ; 3) leur permettre d'avoir à disposition d'autres outils de résolution de problèmes. Il faut sortir de l'opposition apprendre pour les TIC ou par les TIC. Les deux approches sont nécessaires et complémentaires dans un monde où la prégnance du numérique doit nous inviter à développer encore notre regard critique sur ses usages et mésusages, à la fois par notre maîtrise instrumentale, et par notre capacité à manoeuvrer les matériels et leurs interfaces.
Jacques Béziat
jacques.beziat@unilim.fr
Équipe FRED, Université de Limoges
Paru dans les actes du Colloque scientifique international portant sur les TIC en éducation : bilan, enjeux actuels et perspectives futures.
http://2012.ticeducation.org/pages/actes
http://2012.ticeducation.org/files/actes/17.pdf
Comme l'ensemble des actes de ce coloque, cette contribution est sous licence Creative Commons Attribution 3.0 non transpose (la moins restrictive).
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Rascaud, S., & Modard, D. (1986). La tortue de sol. Une tortue, une école-chat, des enfants... La revue de l'EPI, 41, 99-113.
Renaut, O. (1982). Simulation d'un ordinateur par une classe de CM. Éducation & Informatique, 10, 21-22.
Rogalski, J. (1986). Pour une pédagogie de l'informatique. La revue de l'EPI, 42, 105-110.
Seyvoz, J. (1991). Logo et géométrie. Écrire en grandes lettres. Un thème de recherche pouvant se pratiquer au CE et au CM. La revue de l'EPI, 61, 105-110.
Vivet, M. (1984). L'introduction de l'informatique à l'école de Villers Centre à Villers-lès-Nancy. La revue de l'EPI, 35, 51-54.
NOTES
[1] Le Brevet Informatique et Internet (B2i) a été lancé au début des années 2000 en France. Ce brevet sert à attester de compétences numériques chez les élèves.
https://eduscol.education.fr/cid46073/b2i.html
[2] Le plan IPT (Informatique Pour Tous) est le premier plan d'envergure lancé en France, en 1985, pour l'informatisation de l'école.
[3] Hirsch, E. D. (1983). Cultural literacy. Computers in Education (Office of the Assistant Secretary for Educational Research and Improvement, Washington).
[4] Le Certificat Informatique et Internet (C2i) atteste des compétences numériques en fin de formation des enseignants, et de leur capacité à utiliser les TICE en classe.
http://www.c2i.education.fr/
[5] Éducation et informatique (éditions Nathan), La revue de l'ADEMIR (réseau MICROTEL), La revue de l'EPI, Moniteur 92, Médialog, Copie d'écran, Cari-Info/Ac-TICE, Les dossiers de l'ingénierie éducative (CNDP), L'école numérique (CNDP).
[6] 71 exemplaires manquants dans nos archives, soit 11 % du fonds, surtout sur des revues entre 1970 et le milieu des années 1990.
[7] Allari, 1984a, 1984b, 1985, 1986 ; Bertin, 1984 ; Boutterin, Boutterin, Rouille, & Savatier, 1988 ; Cazaux, 1999 ; Mathieu, 1984 ; Pugin, 1984 ; Rascaud & Modard, 1986 ; Vivet, 1984.
[8] Bazile, 1990 ; Bernier & Landry, 1992 ; Bethermin, 1984 ; Cheilan, 1986 ; Crinon, 1988 ; Fontaine, 1989 ; Gros et Roussel, 1988 ; Laurette, Marchal, & Touyarot, 1985 ; Marescot, 1986 ; Perraudeau, 1986 ; Renaut, 1982 ; Seyvoz, 1991.
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