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Une « Grande cause nationale »
et une lettre de Vincent Peillon
 

   La Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) est à l'initiative de la constitution d'un collectif pour faire de l'éducation au numérique une « Grande cause nationale » en 2014 [1]. Ce collectif regroupe à l'heure actuelle 42 organismes issus du monde de l'éducation, de la société civile, de l'économie numérique, ainsi que d'institutions nationales et internationales, parmi lesquels la SIF (Société Informatique de France), dont l'EPI est membre.

   Les membres du collectif considèrent unanimement qu'il y a urgence à diffuser une culture du numérique et de former les différents publics, à tous les âges de la vie, pour permettre à chaque individu d'être un acteur du numérique informé et responsable, d'exercer de manière effective ses droits et devoirs dans cet univers, chacun devenant un véritable « citoyen numérique ». Ils considèrent qu'« il faut changer d'échelle dans les actions pédagogiques menées ». L'objectif du collectif est de « donner, sans attendre, une visibilité nationale au sujet de l'éducation au numérique et massifier la formation en la matière. » Le dossier de candidature au label « Grande cause nationale » sera remis aux services du Premier ministre avant la fin 2013. Le secrétariat du collectif est assuré par la CNIL. Prenant la forme d'une conférence de presse, le lancement officiel de la candidature du collectif à la « Grande cause nationale » a eu lieu le mardi 1er octobre. Il a rencontré un écho certain dans l'opinion publique et au sein des pouvoirs publics.

   Il va sans dire que l'EPI se retrouve pleinement dans cette initiative. Effectivement de plus en plus d'activités et de réalisations reposent sur la numérisation de l'information, suscitant de multiples débats citoyens. Et, au coeur du numérique, il y a la science informatique car elle est la science du traitement et de la représentation de l'information numérisée. Elle sous-tend le numérique comme la biologie sous-tend le vivant et les sciences physiques l'industrie de l'énergie.

   Lors des débats sur l'énergie, un citoyen sait de « quoi il retourne » car il peut se référer à ses cours de sciences physiques. Idem pour ceux sur les OGM avec ce qu'il a appris en SVT. C'est pour cela notamment que, depuis longtemps, tous les jeunes sont initiés aux notions fondamentales de vitesse, puissance, atome, molécule, gène... Le citoyen a ainsi des références pour se faire son opinion. Et ces initiations se font dans un cadre disciplinaire : la physique, la chimie, les SVT sont des matières scolaires en tant que telles.

   Mais que signifie « code source » pour quelqu'un qui n'a jamais écrit la moindre ligne de programme ? « Neutralité du Net » pour celui qui n'a aucune représentation mentale d'un réseau informatique ? L'on se souvient que lors des votes sur la transposition de la directive européenne DADVSI et de la loi Hadopi, s'il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques..., ce fut sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l'autre on n'a pu que constater un sérieux déficit global de culture informatique largement partagé. Et il y a les libertés numériques, la confidentialité des données, le respect de la vie privée, le vote avec des ordinateurs et des réseaux... La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques informatiques qui permettent à tout un chacun d'être en phase et en prise sur la société dans laquelle il vit. Une grande cause composante de premier plan dans la grande cause.

   Les sciences ont une contribution spécifique et irremplaçable dans la formation du citoyen [2]. Il faut les connaître pour parler avec pertinence de ce qu'elles sous-tendent et entraînent, du monde qu'elles contribuent à créer. Il faut « ouvrir le capot ». Le monde devenant numérique, il est incontournable d'initier les jeunes aux notions centrales de l'informatique, devenues indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu'au sein d'une discipline informatique (discipline de culture générale au même titre que la physique et la biologie) : l'expérience a amplement montré que les seuls usages pédagogiques du numérique ne suffisent pas (utiliser les fonctions simples d'un logiciel par exemple), loin de là, même si par ailleurs leur légitimité éducative ne se discute aucunement [3].

   Donner la culture générale de leur époque à tous les élèves est une grande cause nationale. C'est la mission essentielle de l'enseignement scolaire, de la maternelle au lycée. Avec en particulier la création à la rentrée 2012 en Terminale S de l'enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » et son extension prévue à toutes les classes de Terminale, des premiers pas ont été faits [4]. Mais, comme le dit l'Académie des Sciences dans le rapport sur « l'enseignement de l'informatique en France » qu'elle a adopté en mai dernier, « il est urgent de ne plus attendre » [5]. La cause nationale est grande et urgente.

   Dans ce contexte, on notera la réponse, en date du 9 septembre 2013, du Ministre de l'Èducation nationale Vincent Peillon à la lettre adressée le 3 mai 2013 à Jean-Pierre Bel, Président du Sénat, et signée par Serge Abiteboul (Académie des Sciences, Collège de France 2012), Jean-Pierre Archambault (EPI), Gérard Berry (Académie des Sciences, Collège de France), Colin de la Higuera (SIF), Gilles Dowek (INRIA) et Maurice Nivat (Académie des Sciences).

   L'objet de cette lettre était : « Pour une discipline informatique dans l'enseignement secondaire. Enjeu majeur pour notre pays. Demande d'intervention lors du débat sur la Refondation de l'École ». Vincent Peillon écrit : « C'est avec tout l'intérêt qu'il mérite que j'ai pris connaissance du courrier de l'association Enseignement Public et Informatique concernant l'enseignement de l'informatique... ». Il rappelle que « comme le Président de la République s'y était engagé, l'option informatique et sciences du numérique (ISN) sera généralisée à l'ensemble des terminales des séries du baccalauréat général et technologique à la rentrée 2014 ». Concernant la formation des enseignants, il écrit que « comme le signale l'association EPI, l'option ISN nécessite que les professeurs chargés de l'enseigner soient spécifiquement formés et que leur qualification soit validée comme c'est actuellement le cas pour l'option de spécialité en série scientifique ». Et il précise que « par ailleurs, le conseil supérieur des programmes, qui sera prochainement installé comme le prévoit la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, étudiera la question de l'enseignement de l'informatique et des sciences du numérique aux autres niveaux d'enseignement » [6]. Dont acte.

Jean-Pierre Archambault
Président de l'EPI

NOTES

[1] « Éducation au numérique, grande cause nationale 2014 ? : le collectif fait sa rentrée », 11 septembre 2013.
http://www.cnil.fr/
http://www.cnil.fr/linstitution/actualite/article/article/education-au-numerique-grande-cause-nationale-2014-le-collectif-fait-sa-rentree/

[2] sans parler de celle, en permanence, du travailleur avec, dans le contexte d'une relance économique, un déficit en ingénieurs et techniciens compétents.
Voir « Quel rôle pour l'école dans le développement de l'économie devenue numérique ? », 2013, Gilles Dowek.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1309c.htm

[3] L'EPI depuis sa création en 1971 milite pour la complémentarité des approches.

[4] « L'An II de l'enseignement de l'informatique au lycée », éditorial d'EpiNet 157.
http://www.epi.asso.fr/revue/articles/a1309a.htm

[5] L'enseignement de l'informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre. Rapport de l'Académie des sciences, mai 2013.
http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf

[6] « Réponse au courrier du groupe ITIC-EPI-SIF transmise au Ministre de l'Éducation nationale par le président du Sénat » : http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1310a.htm
Réponse de Jean-Pierre Bel : http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1310a_Bel.pdf
Réponse de Vincent Peillon : http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1310a_Peillon.pdf

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Association EPI
Octobre 2013

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