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L'informatique à l'école :
il ne suffit pas de savoir cliquer sur une souris

Jean-Pierre Archambault, Gérard Berry, Maurice Nivat
 

   Le ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon, a indiqué le mercredi 23 mai [1] que les décisions concernant les sujets de l'éducation seraient prises fin juillet après concertation, avant une loi de programmation à l'automne.

   Pour la première fois, l'informatique s'est invitée dans la campagne présidentielle, notamment par le souhait de son enseignement au lycée sous la forme d'une discipline en tant que telle.

   François Hollande a ainsi proposé que « chaque série du baccalauréat ait une option numérique » [2].

Un enjeu pour le citoyen du XXIe siècle

   Vincent Peillon, chargé de l'Éducation dans l'équipe du candidat François Hollande, a lui déclaré le 23 avril :

« L'école du XXIe siècle doit se mettre à l'heure du numérique. [...] Ceux qui le souhaitent auront donc la possibilité d'accéder à une initiation aux langages informatiques et à la programmation, au sein des options "spécialité numérique" que nous étendrons à l'ensemble des séries des baccalauréats général et technologique. »

   Il s'agit effectivement d'une extension, car, rappelons-le, un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » est entré en vigueur en terminale scientifique à la rentrée 2012 [3].

   Ce premier pas en appelait d'autres, et les déclarations ci-dessus montrent que ce sera bientôt chose faite.

   L'enseignement de l'informatique, dont on parle ainsi d'une manière nouvelle, constitue un enjeu d'importance pour la formation de l'homme, du travailleur et du citoyen du XXIe siècle, c'est-à-dire pour sa culture générale scientifique et technique et pour les modalités du développement de cette culture.

   En effet, l'informatique est omniprésente dans l'entreprise et les administrations, la société en général et la vie de tous les jours. Elle est la forme contemporaine de l'industrialisation. Elle intervient dans l'économie de plusieurs façons essentielles, aux niveaux suivants :

  • la production de biens manufacturés ou agricoles, de par l'automatisation de plus en plus poussée des processus de production ;

  • la création de nouveaux produits ou l'amélioration de produits anciens par l'introduction de puces et de logiciels dans la plupart des objets ou machines, afin d'assurer des fonctions de plus en plus nombreuses avec plus de précision et de fiabilité que ne pouvaient en donner les hommes ou les mécanismes traditionnels. Ceci est particulièrement visible dans les transports, mais tous les pans de l'activité sont désormais touchés ;

  • la gestion des entreprises et des administrations : les programmes informatiques ont depuis longtemps remplacé les méthodes traditionnelles de comptabilité et de gestion des stocks ou des commandes. Ils font place désormais à des systèmes d'information qui gèrent tous les flux d'information nécessaires à chaque acteur, du directeur au plus modeste employé. En ce sens le système d'information devient le système nerveux de l'entreprise ;

  • la communication entre les personnes à l'aide de nouvelles formes d'échanges, la transmission des objets culturels, la recherche de tous types d'informations, avec une créativité applicative qui ne fait que grandir, etc.

   Depuis cette extraordinaire expansion du champ de l'informatique, on ne compte plus les débats sociétaux concernant le numérique :

  • transposition de la directive européenne Dadvsi [4] ;
  • loi Hadopi [5] ;
  • libertés numériques ;
  • vote électronique ;
  • neutralité du Net [6] ;
  • etc.

   Cependant, en ce qui concerne l'enseignement de l'informatique, le rapport « Stratégie nationale de recherche et d'innovation » [7] faisait en 2009 le constat que « la majorité des ingénieurs et chercheurs non informaticiens n'acquièrent pendant leur cursus qu'un bagage limité au regard de ce que l'on observe dans les autres disciplines ». Or, la ré-industrialisation suppose une forte compétence globale en informatique.

Un sérieux déficit de culture numérique

   Dans les débats qui ont accompagné les votes de Dadvsi et Hadopi, s'il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, de modèles économiques, etc., ce fut sur fond d'interopérabilité, de DRM, de code source, de logiciels.

   Dans un cas comme dans l'autre, on n'a pu que constater un sérieux déficit global de culture du numérique chez les différents acteurs. La question se pose donc de savoir quelles sont les représentations mentales opérationnelles, c'est-à-dire les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un chacun d'exercer pleinement sa citoyenneté.

   Comment l'école doit-elle s'y prendre pour donner à tous cette culture générale de notre époque de la maternelle au lycée, ce qui est sa mission essentielle ? Concrètement, faut-il une discipline informatique ou non ?

   Deux approches pédagogiques se confrontent depuis des décennies :

  • pour l'une, les apprentissages doivent se faire exclusivement à travers les usages de l'outil informatique dans les différentes disciplines existantes ;

  • pour l'autre, l'informatique étant partout et ayant ses façons de penser spécifiques, elle doit devenir une discipline scolaire en tant que telle.

   Pour les uns, l'utilisation des TIC (technologies de l'information et de la communication) suffit. Pour les autres, l'utilisation d'un outil, matériel ou conceptuel, n'est pas plus utile pour le maîtriser que le permis de conduite n'est utile pour maîtriser la mécanique.

   Le B2i [8] (brevet informatique et internet) a vu le jour en 2001 ; il correspond à l'approche par les seules utilisations, et s'est révélé être un échec.

   Cet échec était prévisible : imaginons que l'on supprime le cours de mathématiques et qu'on décide de traiter les entiers relatifs en histoire, à l'occasion de l'étude de la période avant / après J.-C., ou encore les coordonnées dans un plan en géographie quand on parle de longitude et de latitude. Cela ne fonctionnerait évidemment pas. Pourtant, c'est ce que l'on a fait avec l'informatique.

Il faut une vraie discipline informatique

   Vis-à-vis de l'informatique, il convient donc que l'école fasse ce qu'elle fait avec les autres domaines de la connaissance.

   Depuis longtemps, nous savons qu'il est indispensable que tous les jeunes soient initiés aux notions fondamentales de nombre et d'opération, de vitesse et de force, d'atome et de molécule, de microbe et de virus, etc. Ces initiations se font dans un cadre disciplinaire.

   Il est indispensable aujourd'hui de les initier de la même façon aux notions centrales de l'informatique, devenues tout aussi indispensables : celles d'algorithme, de langage et de programme, de machine et d'architecture, de réseau et de protocole, d'information et de communication, de données et de formats, etc. Cela ne peut se faire qu'au sein d'une vraie discipline informatique.

   L'échec du B2i ne signifie nullement que l'informatique n'aurait pas sa place dans les autres disciplines. En effet, elle est un outil pédagogique. Elle est aussi facteur d'évolution des objets et méthodes des autres disciplines enseignées ; par exemple, elle a déjà profondément transformé les enseignements techniques et professionnels. Elle est enfin outil de travail personnel et collectif de la communauté scolaire. Mais, comme l'expérience l'a montré, tous ces usages ne peuvent pas suffire à donner la culture générale scientifique et technique dont tous les élèves ont besoin.

Nos propositions

   À ce propos, une des parties du nouveau programme d'ISN suscite de larges débats, à savoir la programmation. Pour Cédric Villani [9], médaille Fields 2010 :

« Tout le monde devrait apprendre à programmer pour sentir ce qu'est un programme ! »

   Nous partageons cette réflexion. Il n'en va pas autrement en mathématiques avec la continuité, la dérivation et l'étude de fonctions, qui permettent que « tout le monde sente qu'une grandeur peut dépendre d'une autre grandeur ».

   Cliquer sur une souris et utiliser les fonctions simples d'un logiciel ne suffit pas pour acquérir la culture informatique incontournable. Il faut avoir fait un petit tour derrière le décor.

   Pour la législature à venir, nous proposons les mesures qui suivent :

  • au lycée, l'option « informatique et science du numérique » devient un enseignement obligatoire en terminale S puis en première. Pour les séries ES et L, une option puis un enseignement obligatoire sont progressivement mis en place, d'abord en terminale puis en première. A terme, un enseignement pour tous en seconde est nécessaire ;

  • au collège est introduit un enseignement de l'informatique pour tous, par exemple selon une modalité où l'informatique représente de l'ordre de 40 % des contenus de la discipline Technologie. Une formation complémentaire en informatique doit être donnée aux enseignants de cette discipline ;

  • à l'école primaire, une initiation pour tous à l'informatique est indispensable ;

  • en matière de formations initiale et continue des enseignants, la création d'une agrégation et d'un Capes est plus que souhaitable, à l'instar de ce qui se fait pour les autres disciplines ;

  • enfin, l'informatique doit avoir toute sa place dans les classes préparatoires et les grandes écoles.

   Un processus irréversible s'est désormais enclenché. Il ne faut pas perdre de temps et s'installer dès maintenant dans la perspective du long terme.

Jean-Pierre Archambault,
président de l'EPI (Enseignement public et informatique)

Gérard Berry,
membre de l'Académie des sciences,
professeur au Collège de France

Maurice Nivat,
membre correspondant de l'Académie des sciences

Paru dans Rue89, Tribune du 28 juin 2012.
http://www.rue89.com/2012/06/28/linformatique-lecole-il-ne-suffit-pas-de-savoir-cliquer-sur-une-souris-233389

NOTES

[1] http://www.liberation.fr/societe/2012/05/23/reformes-de-l-education-peillon-rendra-sa-copie-fin-juillet_820811

[2] http://www.linformaticien.com/actualites/direct-afp/id/24260/hollande-propose-que-chaque-serie-du-baccalaureat-ait-une-option-numerique.aspx

[3] http://eduscol.education.fr/pid26461/informatique-et-sciences-du-numerique.html

[4] http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d'auteur_et_droits_voisins_dans_la_société_de_l'information

[5] http://www.rue89.com/hadopi

[6] http://www.rue89.com/explicateur/2010/04/14/quappelle-t-on-la-neutralite-du-net-147303

[7] http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/SNRI/69/8/Rapport_general_de_la_SNRI_-_version_finale_65698.pdf

[8] http://eduscol.education.fr/cid46073/b2i.html

[9] http://www.espace-turing.fr/Interview-de-Cedric-Villani.html

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Septembre 2012

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