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Programmer en logique au cycle moyen

Michel Perraudeau
 

1) Quelques définitions

   0n peut légitimement être surpris lorsque sont associées la logique et son moue spécifique de programmation d'une part, et l'école primaire d'autre part, plus familière de tortue LOGO que de système expert.

   Il convient par conséquent, de donner quelques précisions et de rappeler les définitions de base, afin de mieux comprendre en quoi consiste notre démarche.

   Par programmation en logique, on fait habituellement référence aux langages déclaratifs, comme LISP ou PROLOG. Ce type de programmation consiste, essentiellement, à définir des relations entre les objets contenus dans le problème à traiter. Il a ceci de commun avec la programmation « classique » en langage évolué, qu'il nécessite une démarche structurée, relevant du besoin de mettre en place un projet précis et d'analyser avec rigueur le problème qu'il constitue.

   Notre démarche s'appuie sur l'utilisation d'un petit Système expert et d'une base de connaissances. La base de connaissances est interrogeable en langage naturel. Elle fonctionne à partir de règles que l'utilisateur rentre au clavier. Celles-ci doivent respecter le schéma syntaxique simple sujet-relation-objet. Il est possible d'interroger la base directement ou indirectement, de traiter les syllogismes et la composition de fonctions. Cependant, elle reste peu fiable et il est aisé de la « piéger ».

   Le petit système expert est un moteur d'inférence d'ordre 0 fonctionnant en chaînage avant (qui permet d'opérer les déductions). Il est basé sur le formalisme classique : SI (conditions) ALORS (conséquence). C'est ce logiciel que nous avons utilisé le plus fréquemment.

   Les listages de chacun des deux logiciels ont été publiés dans une revue (Micro systèmes nos 48 et 50, auteur P. Larvet). Il est possible, aujourd'hui, de trouver de tels logiciels dans les publications ou livres consacrés à l'intelligence artificielle. Le choix de cette option s'est fait en fonction de sa simplicité et de la souplesse qu'elle offre, tout autant qu'en raison du langage support (BASIC) et du faible encombrement en mémoire.

2) Raisons de ce choix de programmation

   Précisons, en premier, afin de lever toute ambiguïté, ce que nous entendons par « programmation » en logique. Il s'agit d'abord de l'utilisation d'outils spécifiques (les logiciels mentionnés). La particularité de ce mode est que l'utilisateur, s'il veut se servir de l'outil, est obligé d'en « fabriquer » une partie : concevoir la base (ce qui nécessite une analyse des données), et la transcrire dans un formalisme du type SI (conditions) ALORS (conséquence). Par conséquent, si nous envisageons l'informatique comme un outil, nous n'oublions pas qu'elle constitue aussi une science.

   Le choix d'aborder la programmation en logique est fondé sur différents travaux relatifs à la psychologie de l'enfant.

   Il convient de préciser que la démarche présentée concerne des élèves de cycle moyen 2ème année, donc des enfants ayant en moyenne 10-12 ans.

   Selon Piaget, c'est une période charnière entre le stade des opérations concrètes et celui des opérations formelles. C'est le passage parfois harmonieux, parfois difficile entre un raisonnement encore ancré à un substrat concret, et une pensée formelle et extemporanée.

   La construction de la logique des propositions s'effectue au cours de plusieurs étapes. C'est ainsi que chez l'enfant de 7-8 ans, les classifications emboîtées se heurtent au problème de l'utilisation de « tous » et de « quelques » (tous les canards sont des oiseaux, et quelques oiseaux sont des canards) dans leur rapport de classe et sous-classe. C'est vers 9-10 ans que l'utilisation de ces quantificateurs commence à être maîtrisée.

   Jusqu'à 11-12 ans, l'enfant met en place les formes élémentaires de logique des classes avec l'inversion et de logique des relations avec la réciprocité.

   Piaget aborde à plusieurs reprises le problème soulevé par le syllogisme. Il remarque, par exemple, qu'à partir de 10-11 ans l'enfant devient capable de manier la multiplication logique. C'est sous cet angle que se situe notre travail. Favoriser l'accession la plus harmonieuse au formalisme hypothético-déductif tout en respectant le propre développement de l'enfant.

   En envisageant la problématique sous l'angle pédagogique, et celui plus strictement formel des Instructions ministérielles, on remarque que la programmation en logique satisfait aux directives officielles. L'intelligence artificielle est une illustration d'une nouvelle orientation du « développement de l'informatique dans la société », tout autant qu'elle permet d'approcher la programmation « dans une perspective logistique ».

3) Éléments de mise en place

a) Les objectifs

   Outre les aspects psycho-pédagogiques développés précédemment, les objectifs spécifiques concernent les points suivants :

  • objectifs liés aux savoirs : l'équipement notionnel s'effectue par la mise en place de situations faisant appel à des éléments de logique, appréhendant des formes élémentaires de formalisme et favorisant le raisonnement (liaison avec les activités de français ou de mathématiques).

  • objectifs liés aux savoir-faire : la sensibilisation et la manipulation de nouveaux outils constituent l'essentiel des finalités.

  • objectifs liés aux savoir être : il s'agit principalement de développer l'autonomie de l'élève par la maîtrise de l'outil nouveau et de favoriser la communication entre groupes d'élèves ou classes par l'échange de bases de connaissances.

b) la progression adoptée

   Elle s'articule autour de trois points essentiels :

  • travail d'acquisition et d'enrichissement sémantiques. On met dans un premier temps, l'élève en contact avec les phrases absurdes de Binet-Simon. L'essentiel est de l'amener à réfléchir sur le sens d'un énoncé, à être capable de déceler les informations absurdes ou contradictoires et, partant, de réfléchir sur l'écrit. Les autres séquences de cette série concernent la sélection des informations d'un énoncé en fonction des questions posées, la manipulation (oral/écrit) des quantificateurs (quelque/tout), ainsi que les relations de cause et de conséquence. Les élèves manipulent pour la première fois les logiciels présentés.

  • travail autour de la résolution de problèmes simples.
    On aborde, d'abord, les situations syllogistiques simples. Elles sont présentées sous forme de jeux sur le langage et le sens. Ensuite, sont approchés les sorites et les problèmes logiques du type : André a eu trois enfants, B, C et D, et cinq petits enfants G, E, F, L et J. J, fils de C, rencontre souvent ses cousins G et E chez leur oncle commun D. Reconstituer l'arbre généalogique. La résolution d'un tel problème fait l'objet d'une validation sur ordinateur.

  • constituer des bases de connaissances.
    Une part importante du travail consiste à faire construire par les élèves, en vue d'utilisations rationnelles, des bases de connaissances simples. Une des plus travaillées est celle réalisée en géométrie et concernant les polygones réguliers. Elle est mise au point, et interrogeable, en langage mixte ; langage naturel avec des éléments de formalisme sur le modèle SI ... ALORS... Elle est, en outre, l'objet de communication entre classes.

c) Organisation pratique

   Chaque séance dure environ une heure. Elle s'inscrit dans l'emploi du temps hebdomadaire.

   Elle concerne une demi-classe (soit 15 élèves) en alternance. Le deuxième groupe travaille, pendant cette période, à la bibliothèque CD. La séquence se déroule en classe (avec ou sans ordinateur) ou en salle informatique (nano-réseau) selon les besoins.

   Il faut enfin, préciser que ce travail (et particulièrement les séquences de constitution d'une B. dé C. sur les polygones) est mené en relation avec les professeurs de mathématiques et d'informatique de l'Ecole normale d'Angers. 4) BILANS

   Il est toujours difficile de tirer des conclusions objectives d'une recherche pédagogique. Cependant, le travail mené au cours de l'année a constitué le sujet d'un mémoire (CAFIMF-informatique), qui nous a permis d'approfondir certains aspects de l'expérimentation. Il nous semble notamment important d'insister sur les points qui suivent :

  • il est intéressant de noter l'intérêt manifesté par les élèves tout au long des séquences. Lors du travail sur les polygones, l'analyse des situations, menée sous forme arborescente, puis la formalisation (ordre zéro), n'ont pas posé de grandes difficultés. Le travail sur les syllogismes, en revanche, posa un certain nombre de problèmes auxquels il faudra réfléchir plus profondément l'an prochain.

  • un des axes de notre recherche fut de tenter d'évaluer, au bout d'un an de travail, la capacité des élèves à conduire un raisonnement logique, dans une optique hypothético-déductive. Pour ce faire, nous avons assis notre réflexion sur l'ouvrage de Piaget cité en référence. Nous avons proposé aux élèves un certain nombre d'item permettant d'observer leur comportement (observation menée avec la collaboration du GAPP de l'école). Parmi tous les renseignements obtenus, voici l'un des plus significatifs. Il s'agit de test dans « trois frères » Piaget (1924, p. 79) considère ce test comme bon indicateur du raisonnement de l'enfant) pour lequel deux passations à six mois de différence permettent de noter une augmentation des résultats de 57 % à 78 % de réussite. Dans le même temps, un échantillon de comparaison constitué de 58 élèves de CM2 d'autres écoles (n'ayant donc pas travaillé la logique) obtenait un résultat ne dépassant pas 60 %.

   D'autres tests, proposés en situation scolaire classique, donnent de tels résultats. Ainsi une série de petits problèmes dont certains étaient absurdes (type âge du capitaine) est résolue correctement par 83 % de nos élèves (contre 45 % pour des enfants d'autres classes équivalentes).

   L'important pour nous est de montrer l'intérêt pédagogique du travail, tout autant que l'apport qu'il constitue à la construction des structures cognitives et au développement de la pensée formelle de l'enfant.

   Pour notre part nous poursuivrons ce travail, en développant la collaboration avec plusieurs collègues qui désirent se joindre au projet, ainsi qu'avec l'EN.

Michel Perraudeau
Instituteur Maître-Formateur
École Jacques Prévert
rue Axilette, Angers

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Éléments de bibliographie

EPI (1984). Systèmes experts et enseignement, Paris, 128 p.

Gontran (1984). Introduction aux systèmes experts, Paris, Eyrolles, 1984, 98 p.

Piaget, Jean (1924). Le jugement et le raisonnement chez l'enfant, Paris, Delachaux et Niestlé, 204 p.

La Recherche n° 170, 1985, numéro spécial « Intelligence artificielle », Paris.

Paru dans le Bulletin de l'EPI  n° 43 de septembre 1986.
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