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Apprentissage et pédagogie
(2e partie)

Agnès Cousin
 

Suite de l'article commencé par Agnès Cousin dans le Bulletin n° 37 de mars 1985.

Un projet au quotidien

   Comment le projet se vit-il au quotidien au collège ?

   Quels moyens permettent d'en faire un ÉLÉMENT DYNAMIQUE dans la structure de type 6B ?

   Toute expérience pédagogique nécessite pour sa réussite la mise en place de moyens adéquats sans quoi il y a de fortes chances pour qu'elle n'ait d'expérience que le nom.

   Les moyens, ce sont aussi bien les possibilités plus larges offertes par des horaires, des décharges, une organisation interne au collège adapté aux besoins des enfants que par la mise en place de pratiques pédagogiques nouvelles susceptibles d'apporter des solutions aux problèmes posés par les difficultés que rencontrent les enfants. Parler en termes de moyens ce n'est pas seulement demander l'extension de moyens financiers, c'est aussi, et cela doit aller de pair, rechercher les solutions pédagogiques appropriées.

   Or, dans l'expérience que nous conduisons avec la classe de type 6B, il y a la conjonction :

  • des moyens matériels, une organisation différente de la classe,
  • d'une problématique nouvelle, avec l'introduction de l'outil informatique utilisé dans la perspective évoquée précédemment.

Moyens mis en place en classe de 6B

   Avec le concours actif de l'équipe administrative, un certain nombre de moyens matériels ont été mis en place dès septembre 1982 et reconduits en partie ou totalement ou étendus les années suivantes : d'abord, l'EFFECTIF de seize élèves est maintenu. Cet effectif de seize élèves est le maximum possible si l'on veut s'occuper avec un soin tout particulier de chaque enfant, si l'on veut mettre en place une aide individualisée, si l'on veut suivre attentivement la progression de chacun et être à l'écoute de ses interrogations. Ensuite, les HORAIRES des enfants sont pensés en fonction de leurs besoins. Deux plages horaires hebdomadaires de deux heures ont été aménagées pour permettre un travail pluridisciplinaire en maths, en français et en anglais dans le cadre de l'expérience informatique. Une matinée est également aménagée de telle sorte que l'on peut organiser des activités pluridisciplinaires en maths, en anglais, en EPS et en français hors de la salle informatique. De plus, lors de ces activités, il est possible, du fait des décharges utilisées à cette fin, de fonctionner à deux, trois professeurs en même temps pour une même plage horaire.

   Enfin, il a été prévu la possibilité d'occuper durant les deux plages de deux heures deux salles face à face ce qui permet une souplesse beaucoup plus grande dans l'organisation des activités proposées aux enfants.

   Ces aménagements en horaires et en salles ont été mis en place après l'analyse des besoins qui s'étaient révélés au cours de la première année de l'expérimentation.

   Un autre moyen mis en place dans cette classe est la CONCERTATION régulière entre l'ensemble des professeurs de la 68 travaillant en équipe (voir annexe).

   En effet, dès la première année de l'expérience, la concertation a paru absolument nécessaire pour les enseignants de la classe afin d'essayer de faire face aux problèmes quotidiens posés par les enfants et de réfléchir sur les différentes pratiques de chacun. Cette concertation a été mise en place en 1982-1983, chaque enseignant a bénéficié alors d'une heure de décharge hebdomadaire. Depuis, et du fait d'une extension à d'autres classes et d'une organisation différente de la concertation au sein de l'établissement, les collègues de la classe ne bénéficient plus que d'une heure tous les quinze jours.

   Toutefois, même si par moments, il serait souhaitable d'avoir une concertation plus fréquente, il faut souligner qu'elle est indispensable pour essayer de mettre en place des solutions pédagogiques communes. Même s'il est très difficile à l'ensemble des collègues de tenir un langage commun, parce que tous ne sont pas directement impliqués dans l'expérience informatique, il est important d'aborder ensemble des problèmes très précis et aussi divers que ceux de l'organisation du travail en classe ou à la maison, de la discipline à l'intérieur de la classe, du respect nécessaire par chaque enfant du droit à apprendre de ses camarades, de la lecture, de la nature différente des écrits proposés ou imposés aux enfants, du fonctionnement de la classe comparé au fonctionnement d'autres classes, de l'orientation, de l'évaluation... ou encore de définir les objectifs pédagogiques communes tels que la constitution du groupe classe, le respect de la parole d'autrui, l'écoute, ou enfin de s'interroger, par exemple sur le poids et le rôle des données culturelles de chaque enfant dans la perception de l'espace et du temps avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement intellectuel de chacun d'eux.

   Enfin, il est d'un intérêt certain d'essayer de tenir face aux enfants en difficulté et qui ont besoin d'un cadre précis pour fonctionner un discours commun et d'adopter une attitude qui intègre les pratiques de chaque enseignant et les données propres à la classe.

La dynamique du projet

   Les moyens matériels dont nous disposons nous permettent :

  • d'être à l'écoute des enfants,
  • de prévoir et de mettre en place des activités pluridisciplinaires.

   En outre, cela a des conséquences sur le projet dont nous percevons, au fil du temps plus finement toutes les implications. Régulièrement, nous sommes conduits à faire une lecture différente qui nous oblige à remettre en question nos certitudes, notre pratique. Cela induit chez les enfants d'autres cheminements, d'autres interrogations qui à leur tour produisent du nouveau tant pour eux que pour nous. Il y a ainsi une interaction constante à différents niveaux entre ce que nous pensons faire et ce que nous faisons et ce que pensent faire les enfants et ce qu'ils font. C'est pourquoi, il nous arrive de renoncer à un travail, ou au contraire d'essayer d'en pousser la logique à son terme si cela est nécessaire aux enfants.

   Enfin, il y a modification de notre regard sur le projet par la représentation que les collègues de la classe et ceux des autres équipes informatiques en ont.

L'organisation des activités

   Chaque semaine, l'organisation du travail est mise au point en même temps que se fait le bilan de la semaine passée (analyse des comportements des enfants face aux activités, analyse de leurs travaux). En équipe, nous décidons des activités futures, de leur objectif, de leur contenu et du moment de leur réalisation.

   Ceci concerne aussi bien les activités en relation étroite avec le travail en salle informatique que les activités proposées pendant les plages pluridisciplinaires, que ce soit en maths, en anglais, en EPS ou en français [1].

   En relation étroite avec la salle informatique le travail s'organise en deux lieux proches et en présence d'au moins trois enseignants :

  • dans la salle qui est face à la salle informatique (salle R10)
  • dans la salle informatique elle-même.

   Selon les objectifs que nous nous fixons, il se peut que les travaux proposés dans chacune des deux salles, et bien que les contextes, les supports, les approches soient différents, activent chez les enfants des processus identiques. Ainsi, au cours d'un travail de lecture, en surface très différent d'un travail sur un texte en ancien français, polycopié, dans lequel il faut prendre des points de repère pour parvenir à créer un sens sans autres données pour l'élève que celles possédées implicite- ment par lui ou, travail sur la silhouette d'une phrase qui est à l'écran et dans laquelle il faut organiser les indices de telle sorte qu'ils deviennent un élément de dynamique de reconstruction de la phrase telle qu'elle a été initialement entrée – il faut dans les deux cas pour l'enfant se construire une représentation du texte, agir par une succession d'hypothèses qui vont lui permettre d'anticiper constamment sur ce qu'il en comprend, investir toutes ses capacités linguistiques, bref être un authentique lecteur.

   Il se peut encore qu'en face de travaux apparemment identiques comme le sont des travaux sur l'iconicité d'un texte (écrit par l'enfant ou par un écrivain reconnu), l'enfant active des processus tout à fait différents, dans la mesure où pouvoir jouer de la mobilité de l'écrit à l'aide de l'ordinateur modifie l'acte d'écriture. (pour de plus amples informations, se reporter à A. Cousin, Programme d'édition de texte : Écrire avec l'outil informatique).

   Bien évidemment, entre ces deux éventualités, il y a place pour de très nombreuses possibilités de créer des situations d'apprentissage tout en agissant sur les conditions de réalisation du travail des enfants. De plus, si la plupart du temps et parce qu'il s'agit pour l'enfant de construire Son langage, le travail en salle info. se fait seul, (et non à deux comme ce fut souvent le cas au début de l'expérimentation), le travail en R10 par contre prend des formes très variées.

   Il peut s'agit d'un travail que l'enfant exécute seul, avec la possibilité de recourir à l'aide d'un enseignant, s'il le désire. Ce travail peut répondre à une demande et un besoin très précis : travail de discrimination sonore, travail sur des contenus précis propres à chaque matière ou travail de recherche préparatoire à un travail en salle info. Ce peut être aussi un travail pour lequel des étapes de recherche individuelle sont prévues et que l'enfant exécute dans un aller et retour constant à un problème posé collectivement, tels certains travaux de lecture en maths (voir en annexe n° 3 l'analyse d'un de ces travaux). Ce peut être un travail en petits groupes, tel que le travail de lecture orale au magnétophone et qui implique un travail sur la voix et aussi un travail très important de sémentisation. Ce peut être enfin des travaux collectifs.

Un élément de la dynamique du projet

   Ces travaux permettent à l'enfant de travailler à son rythme, d'activer différents processus mentaux selon des modes qui sont les siens et de se reconnaître le droit à l'erreur dans la mesure où l'exigence principale que nous avons face à lui est précisément qu'il s'investisse dans l'activité et la mène à son terme.

   De même, lors de ces travaux individuels, il y a très souvent échange entre camarades, ce qui est un élément de la dynamique du projet car, dès lors qu'il y a un questionnement qui se met en place et qui permet à chacun de vérifier ses hypothèses ou au contraire de les remettre en question, de s'interroger sur des éléments de représentation que l'enfant a de son discours, qui vient le modifier et qui suscite l'intégration de nouveaux éléments qu'il lui appartient alors d'analyser et d'intégrer. Ce processus se trouve encore amplifié quand l'enfant se pose et nous pose des questions et il travaille alors à plusieurs niveaux sur son discours.

   De plus, nous constatons que, dans la plupart des cas, une telle gestion des activités est propice à résoudre des problèmes comportements mentaux dans la mesure où l'enfant ne craint plus autant l'échec (parce que celui-ci perd son statut de « mise au pilori » social) et a, de ce fait, une représentation plus valorisante de son activité et donc de lui-même. Et s'il nous arrive de voir les enfants refuser un travail, en écoutant leurs remarques à son propos, nous sommes, bien souvent, conduits à posteriori à comprendre ses insuffisances que nous n'avions pas envisagées en l'élaborant. Faut-il préciser que dans ce cas, parce que nous les confrontons à des tâches qui n'entrent pas dans le champ de leurs investigations et qui ne leur permettent pas de s'y investir, les heures ne sont pas les plus calmes que nous connaissions. ?

   Enfin, ce mode d'organisation nous permet d'observer de très près les enfants, de mieux comprendre à un moment donné ce qui gêne ou favorise leur progression, d'adapter les travaux que nous leur proposons à leurs besoins, de favoriser l'émergence de leur discours, de leur donner accès à leur parole (et non prioritairement à la nôtre...). Il nous permet d'être comme eux en situation d'apprentissage, de recherche, avec le souci, il est vrai pour nous, de commettre le minimum d'erreurs. Il nous permet enfin de faire une lecture plurielle de ce qui se passe, lecture immédiate et lecture différée, lecture modifiée par ce qui se passe ensuite dans la salle informatique ou encore en d'autres lieux, et de ce fait, de dynamiser le projet dans la mesure où il y a interaction constante entre ce qui s'est passé, ce qui va se passer, la lecture que nous en avons, que nous pensons en avoir et les modifications que cela entraîne tant d'un point de vue informatique (modifications des apprenticiels [2]) que d'un point de vue pédagogique (évolution des activités, des critères d'analyse).

Agnès Cousin
Chanteloup-les-vignes

à suivre...

Cet article est sous licence Creative Commons (selon la juridiction française = Paternité - Pas de Modification). http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/

Paru dans le Bulletin de l'EPI  n° 38 de juin 1985.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (120 Ko).

 
ANNEXE

Une équipe pour un projet

Est-il besoin de préciser qu'un tel projet implique nécessairement un fonctionnement des enseignants en équipe ?

Dès lors, bien des questions se posent et qui ont leur importance dans la mesure où elles sont en relation étroite avec l'évolution du projet et induisent des modifications au niveau de la place de chacun dans l'équipe.

S'il n'est guère possible en quelques lignes d'analyser les implications de ces modifications, il convient de situer le lieu de nos interrogations.

La question primordiale est, pour nous, la suivante : qu'est-ce qui fonde l'équipe ? Qu'est-ce qui fait qu'elle est dans l'univers social de l'Éducation reconnue comme telle ? Qu'est-ce qui en fait une instance de pouvoir et d'action ?

De plus, il faut se demander dès lors qu'elle est reconnue comme telle, comment elle évolue et ce qui, en elle, est facteur de dynamique. Est-ce par souci et par nécessité de cohérence, de cohésion ? Est-ce par l'intégration des intervenants extérieurs ? Est-ce en assumant ses contradictions internes ? Est-ce par une redistribution régulière des rôles au sein de l'équipe entre ses membres en fonction des prises de pouvoir de chacun par la parole, et cela, parce, qu'en autres raisons, l'équipe fonctionne à différents niveaux dans le collège par rapport à l'expérimentation informatique et au problème de l'échec scolaire ?

En outre, l'équipe est le lieu d'émergence d'un discours pédagogique dont le champ d'intervention est une problématique d'apprentissage langagier. De ce fait, toutes les questions qui se posent, que nous nous posons au sujet de « l'enfant apprenti langagier », se posent au sujet de l'équipe.

Qu'est-ce qui autorise la parole ?

Qui parle ? Qui écrit ? Qui écoute ? A quels moments, dans quelles conditions ?

Qui s'autorise à parler ? Quel est le degré de reconnaissance de sa parole ?

Qu'est-ce qui valide le discours de chacun ?

Quels sont les rites d'institutionnalisation du discours ?

Qu'est-ce qui fonde l'échange ?

Qu'est-ce qui règle la répartition de la parole ?

Comment se fait la circulation de l'information ?

Comment s'organise au sein de l'équipe la prise de pouvoir par le langage ?

Y a-t-il et selon quels critères instauration d'une parole dominante ?

Qu'est-ce qui l'instaure comme parole de domination ?

Comment s'organise la domination symbolique par le langage ?

Qui condescend à quoi ? Pour quel profit ?

Qu'est-ce qui modifie les conditions de l'échange ?

Quel rôle a le récepteur du message dans la mesure où il participe à sa production ?

Quel est la place des éléments non verbaux ?

Quel rôle jouent tous les facteurs relationnels extra-linguistiques ?

Quelles conditions créent des modifications dans l'échange ?

Quelle est la place des expériences individuelles ?

Quel rôle a le récepteur du message dans la mesure où il participe à sa production ?

Comment intervient au niveau du locuteur la représentation qu'il se fait de son discours et la représentation qu'il se fait de la façon dont les autres vont recevoir son discours ?

Quelle est la place et comment fonctionne l'ambiguïté ?

Ces questions nous semblent avoir leur place dans notre problématique dans la mesure où c'est un enjeu important de notre travail : la façon dont l'enfant investit son langage et comment il peut en faire « un instrument d'action et de pouvoir ». Certes, elles méritent réponse mais cela n'est pas ici notre propos dominant, celui par lequel nous tentons de créer une situation de communication, un contexte d'échanges.

Agnès Cousin

à suivre...

NOTES

[1] Soulignons que, cette année, les activités pluridisciplinaires débordent le cadre de l'expérimentation informatique. Des travaux sont mis en place avec les collègues d'autres matières, en arts plastiques, notamment. Et si tous les enseignants ne participent pas à la réalisation du travail avec les enfants, tous participent aux discussions et aux réflexions qu'il suscite.

[2] Ce joli mot d'« apprenticiel » est né en juin 1984 au cours d'un stage info. Il désigne tout logiciel conçu dans une perspective d'apprentissage.

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Avril 2014

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