Dessine-moi une souris
Étude comparative
de représentations d'élèves

Natalie Pelpel
 

INTRODUCTION

     Le champ éducatif a toujours été un lieu privilégié de recherches et d'innovations pour les nouvelles technologies. De tout temps leur intégration à l'enseignement a été expérimentée localement, dans des aventures souvent passionnées où les nouvelles technologies devenaient les alliés de conceptions fortes de l'apprentissage : de l'ordinateur « maître » béhavioriste aux micromondes constructivistes, le développement des technologies de l'information a toujours eu partie liée avec une réflexion sur l'école et l'apprentissage.

     Aujourd'hui les nouvelles technologies se sont introduites dans presque tous les domaines, y compris dans « la vie de tous les jours », dans les actes du quotidien, qui requièrent de plus en plus leur utilisation, sinon leur maîtrise. L'école, dans sa vocation à former des citoyens en adéquation avec leur environnement, se voit dans l'obligation d'intégrer institutionnellement les nouvelles technologies, non plus seulement dans des expérimentations circonscrites à quelques écoles et dépendant de volontés individuelles, mais dans une perspective de réelle généralisation, d'introduction massive dont tous les élèves puissent bénéficier.

     Alors les « nouvelles technologies », au statut éducatif encore flou, deviennent un incontournable des instructions officielles, les plans succèdent aux réformes et à moyen terme le résultat tangible de cette mobilisation sera l'équipement en ordinateurs d'un nombre croissant d'écoles. Mais si l'école primaire apparaît être l'univers le plus propice à leur introduction, des questions de fond restent en suspend. Comment l'école va t-elle se situer dans ce contexte ? Quel rôle entend-elle jouer ? Que va t-elle faire des ordinateurs dont elle dispose ? L'introduction des nouvelles technologies va-t-elle modifier les pratiques, imposer de nouveaux paradigmes d'apprentissage ? L'école offrira-t-elle un pâle reflet d'une culture technologique véhiculée par l'environnement social ou jouera-t-elle un rôle plus actif en formant des citoyens « experts » plutôt que des utilisateurs « aveugles » ? Enfin et peut-être surtout, où en sont les principaux intéressés, quelles idées les élèves développent-ils autour de l'ordinateur, et dépendent-elles de sa présence ou non dans l'environnement scolaire ?

     Ainsi, un des champs à explorer pour nourrir une réflexion autour de ces questions est celui des représentations liées aux nouvelles technologies chez ces enfants de « l'ère technologique », formés dans des écoles qui résistent encore à leur intégration. Cet article rend compte d'une étude exploratoire sur les représentations de l'ordinateur chez des élèves du primaire. Menée sur deux échantillons de population âgée de 10 à 11 ans, elle repose sur le fort contraste des contextes choisis : des élèves d'une l'école A qui bénéficient dans le cadre scolaire d'une activité informatique régulière, des élèves d'une école B où il n'y a pas du tout d'ordinateurs.

HYPOTHÈSES ET MÉTHODOLOGIE

     Les deux principales hypothèses faites a priori sont les suivantes :

  • d'une part la pratique scolaire d'activités informatiques influence significativement les représentations que les élèves se font de l'ordinateur ;

  • d'autre part et dans ces conditions, on doit pouvoir dégager des éléments significativement différents entre les représentations des deux populations testées, fortement contrastées concernant leur environnement informatique dans le cadre scolaire.

     La méthodologie retenue repose sur l'observation in situ et la production de dessins qui reste un mode privilégié de prise de représentations enfantines. Le manque de temps et les contraintes inhérentes au travail de terrain n'ont pas permis ici de procéder à des entretiens complémentaires.

DESCRIPTIF DES ÉCOLES ET RECUEIL DES DONNÉES

- École A

     L'école A qui est située en banlieue parisienne, compte 7 classes pour un total de 174 élèves et 9 enseignants. Globalement le groupe scolaire choisi est très investi dans des actions et projets incluant l'utilisation des nouvelles technologies dans le cadre scolaire. En témoigne s'il en était besoin leur participation au concours Multimédia Apple CRDP et au Festival Softquipeut au Palais des Congrès du Futuroscope. En revanche l'école favorise peu l'utilisation d'Internet sur laquelle l'équipe pédagogique reste sceptique.

     L'école dispose d'une salle informatique séparée, confortable, spacieuse, et surtout bien équipée : huit postes Macintosh Performa 6200/16 Mo, un iMac 350 avec accès à Internet, deux imprimantes couleurs, un scanner.

     En outre la salle possède de nombreux affichages pédagogiques qui visent à faciliter l'utilisation des fonctions de base sur l'ordinateur (comment ouvrir un fichier, imprimer, enregistrer etc.), et à développer une bonne connaissance des différents composants.

     Une animateur en informatique est présent à plein temps et prend en charge les activités. Il travaille en étroite collaboration avec les enseignants dans le cadre de projets souvent prévus sur le long terme.

     La classe retenue pour cette étude est un CM2 de 27 élèves (13 filles et 14 garçons) âgés de 10 à 11 ans. Ils suivent une séance hebdomadaire d'informatique en demi-groupe, ce qui correspond à 1h 30 effective tous les 15 jours pour chaque groupe. La plupart d'entre eux fréquentent la salle informatique de l'école depuis le CE1 ou le CP, voire depuis la maternelle. De plus la présence et l'utilisation régulière d'ordinateurs à l'école sur l'ensemble du cursus ont favorisé l'acquisition d'ordinateurs dans les familles. Ainsi sur les 27 élèves de la classe 17 possèdent un ordinateur chez eux.

     Les visites ont été programmées sur deux mois et réparties en 6 séances dont quatre consacrées à l'observation de l'activité informatique.

     Le projet à ce moment-là reposait sur la réalisation d'un cédérom par les élèves à partir d'un récit. Le logiciel Hypercard utilisé permet la création de piles de cartes avec texte, son et images. À travers cette activité, trois axes principaux sont visés : l'investissement de compétences langagières, la maîtrise de l'ordinateur et du logiciel, la valorisation d'un potentiel créatif.

     Les fonctions que les élèves ont été amenés à utiliser lors des séances observées sont les suivantes : création de champs textes et utilisation du traitement de texte, importation et modification d'images (soit scannées, soit réalisées avec le logiciel dessin de ClarisWorks), importation de son enregistré.

     Les quatre séances observées se sont toujours déroulées de la même façon.

     Les élèves travaillent en binôme, chacun est orienté vers une activité pour la durée de la séance, la répartition changeant chaque semaine :

  • un binôme travaille sur table à partir d'un texte tapé pour lister les mots qui nécessiteront des liens hypertextes renvoyant à des définitions qu'ils préparent par écrit ;

  • un binôme travaille sur table pour faire des dessins destinés à illustrer le texte et à être scannés ultérieurement ;

  • les autres binômes sont orientés sur des postes pour importer des dessins scannés qu'ils ont réalisés, créer des illustrations en utilisant le logiciel dessin, taper des textes ou des définitions.

     Par conséquent, sur chaque séance, 4 élèves ne touchent pas aux ordinateurs, les autres sont deux par ordinateur. Signalons également, d'une part que la phase de répartition des binômes prend systématiquement beaucoup de temps, d'autre part que les élèves une fois en place doivent attendre que l'animateur lance le logiciel. Les aspects fondamentaux qui se dégagent de l'observation de ces séances sont les suivants :

  • le temps de manipulation réelle de l'ordinateur par les enfants est réduit : la raison essentielle de cette passivité, outre des problèmes d'organisation, est le manque d'autonomie des enfants dans les manipulations requises. Ils sont souvent en situation de blocage, et n'utilisent pas spontanément les moyens mis à leur disposition dans la salle pour les aider. Ils ne savent pas faire seuls la plupart des choses dont ils ont besoin, et attendent que l'animateur vienne les aider. Ainsi, sur la durée d'une séance, beaucoup passe plus de temps à attendre qu'à agir ;

  • ce qui nous amène au second constat flagrant sur l'ensemble des séances, qui est une saturation évidente du potentiel d'aide de l'animateur qui d'une part est trop sollicité, d'autre part se voit dans l'obligation de fonctionner en effectuant lui-même la manipulation qui pose problème aux élèves, sous leur regard plus ou moins attentif ;

  • par conséquent, les enfants fonctionnent en observant « un expert » faire ce qu'en novices ils ne parviennent pas encore à faire. Ils sont sur un mode d'observation et d'imitation. Mais on peut constater lors de ces séances pratiques à quel point sur ce mode l'appropriation se fait lentement. Des enfants à qui l'on vient juste de montrer comment enregistrer un document redemandent quelques secondes après « comment on enregistre ? ».

Le recueil des dessins

     La séance consacrée au recueil des dessins a eu lieu en classe complète en présence de l'enseignant. La consigne qui a été donnée est la suivante : « faites un dessin qui montre ce que sont les ordinateurs pour vous, ce qu'ils vous évoquent. »

     Elle a été reformulée par les élèves et il m'a été demandé si l'on pouvait mettre du texte ou des légendes, utiliser des couleurs, ce à quoi j'ai répondu affirmativement. Les enfants ont eu une demi-heure pour faire leur dessin, ils se sont facilement investis dans l'activité.

- École B

     Située en zone d'éducation prioritaire à Paris, cette école est significativement plus importante. Elle compte 17 classes pour un total de 394 élèves et 18 enseignants.

     À l'inverse de la précédente, cette école ne possède aucun équipement en ordinateurs. La plupart des élèves n'ont bénéficié d'aucune activité informatique dans le cadre scolaire depuis leur CP. Les élèves sont majoritairement issus de milieux socioculturels défavorisés, cette donnée cumulée à l'absence d'ordinateurs à l'école explique le faible taux de familles possédant un ordinateur : 4 élèves seulement sur 27 ont accès à un ordinateur chez eux.

     La classe choisie est aussi un CM2, qui compte 27 élèves (13 filles et 14 garçons) âgés de 10 à 11ans. Il s'agissait donc seulement dans ce contexte de faire produire des dessins. Il est intéressant de noter que le premier instituteur de CM2 qui devait participer au projet, et avec qui nous étions convenu d'une séance pour le recueil des dessins, a mis en place dans sa classe un travail préalable sur le thème des ordinateurs, pour que ses élèves fassent de « meilleurs dessins » le jour « J ». La culture scolaire n'est pas toujours propice à la prise de représentations...

Le recueil des dessins

     Les enfants ont disposé d'une demi-heure pour faire leur dessin et la consigne de départ qui a été donnée est strictement la même que pour le CM2 de l'école A. De la même façon, elle a été reformulée plusieurs fois par des élèves, mais ici la signification du verbe évoquer a dû être explicitée. Dans un premier temps et plus que dans l'autre classe, beaucoup d'élèves ont été mal à l'aise face à cette relative liberté de dessiner ce qu'ils voulaient. Peut-être est-ce dû au nombre important d'enfants en difficulté, qui se sentent en échec et manquent de confiance en eux. Toujours est-il que la discussion préalable au lancement réel dans l'activité a été plus longue.

ANALYSE DES DONNÉES

     Les dessins recueillis constituent une source de données à la fois exceptionnellement riche et complexe à exploiter. Il s'agit ici seulement et modestement, dans les limites de la situation observée et de ce que cette soixantaine d'enfants-là ont dessiné un jour dans un contexte donné, de faire ressortir quelques aspects pertinents en relation avec les hypothèses faites. Au-delà du premier regard complaisant porté sur ces productions dont l'intérêt est manifeste, l'analyse requiert de passer à l'observation d'éléments plus précis : ces dessins représentent pour la plupart des composants, avec des connexions et parfois des contextes imagés ou sous forme de petits textes ajoutés au dessin. C'est autour de ces aspects que l'analyse s'organisera en relation avec les hypothèses de départ et dans le souci d'apporter quelques éléments comparatifs intéressants.

- Composants et connexions

     La majorité des dessins représente un seul ordinateur avec divers composants, beaucoup sont légendés et s'apparentent à des schémas. Globalement on constate une représentation dominante, dans les deux contextes, des trois composants écran, clavier et souris. L'écran est présent sur l'ensemble des dessins sans exception. Il n'y a pas de différence significative concernant ces trois composants entre les deux contextes, un ordinateur semble être d'abord et quasi unanimement : un écran, un clavier, une souris.

     Vient ensuite un groupe de composants « annexes » (imprimante, scanner, haut-parleurs et micros) dont la représentation varie quantitativement en fonction du contexte. Scanner et micro ne sont quasiment pas représentés dans le contexte B (aucun scanner et deux dessins avec micro), alors qu'ils sont significativement plus représentés dans le contexte A où le tiers des élèves les dessinent.

     Du point de vue des composants représentés, les dessins du contexte A sont caractérisés par les aspects suivants :

  • des dessins soignés accompagnés de légendes très exhaustives qui témoignent d'une bonne connaissance de la terminologie requise et de l'orthographe des mots utilisés ;

  • une richesse de détails figuratifs parfois poussés à l'extrême et plus ou moins pertinents : dessins de clavier très détaillés avec sur certains AZERTY, un tapis de souris sur lequel est dessiné une publicité pour Canal +.

     Globalement les dessins du contexte B contrastent par rapport à ces aspects précis :

  • moins de composants représentés autour du trio écran, clavier et souris ;

  • moins de détails figuratifs et de soin ;

  • une moins bonne maîtrise du vocabulaire adéquat.

(voir dessins en annexe)

     Mais ne nous y trompons pas, il s'agit bien d'exemples éloquents néanmoins représentatifs d'une tendance manifeste, même si certains dessins du contexte A sont, du point de vue de ces aspects, comparables à ceux du contexte B et vice versa. Ce que l'on peut dire c'est que vraisemblablement les différences observées à ce niveau proviennent de la différence d'environnement. Les dessins des élèves du contexte A peuvent pour ces aspects être directement mis en relation avec le contexte dont ils bénéficient :

  • une salle informatique largement équipée (imprimante, scanner etc.) qu'ils fréquentent depuis plusieurs années ;

  • des affichages pédagogiques adaptés (nom des composants, clavier avec touches et fonctions, etc.).

     Par ailleurs, il y a significativement plus de connexions représentées sur les dessins du contexte A, avec là aussi des dessins souvent très détaillés et complets : représentation des connexions de chaque composant au secteur et représentation des connexions entre les composants. Câbles et fils sont souvent légendés ainsi que dans certains cas les prises de courant. Les fils sont sur certains dessins représentés de façon là encore assez figurative avec des enroulements comme on en voit sous les bureaux avec des ordinateurs.

     Notons enfin une connexion consensuelle qui apparaît dans des proportions significatives sur l'ensemble des dessins du contexte A comme du contexte B : la connexion erronée souris-écran. Hormis cette connexion, très peu de connexions apparaissent sur les dessins du contexte B.

- Les contextes

     Le fait que l'environnement dont ont bénéficié les uns se traduit dans les dessins par une meilleure connaissance des composants ne présente pas plus d'intérêt que la confirmation d'un constat attendu. En revanche, l'analyse des contextes permet de révéler des aspects plus étonnants. Et ce qui frappe dans un premier temps c'est que les dessins du contexte A sont très homogènes, pour la plupart pauvres en contextes et comme « privés » d'imaginaire. Notons aussi qu'à l'exception d'un dessin, ils font tous abstraction de l'activité concrète menée en informatique à ce moment-là. En revanche, les enfants du contexte B ont globalement produit des dessins plus variés, auxquels leur imaginaire a donné vie, et beaucoup plus souvent accompagnés d'un petit texte qui les enrichit. À titre d'exemple, le dessin * est un de ceux qui contraste le plus avec ce qui domine dans le contexte A : juste un écran, mais une grande richesse nourrie d'imaginaire, pas de légendes, de scanner, etc., mais une parenthèse avec écrit « le paradis sur terre »...

     Concrètement, seulement 4 dessins sur 26 dans le contexte A sont accompagnés d'un texte, près de la moitié des dessins (13 sur 27) du contexte B sont complétés de textes relativement longs. Globalement les textes tournent autour de questions relatives à l'utilisation des ordinateurs, à ce à quoi ils peuvent servir. Les aspects qui reviennent le plus souvent sont les suivants :

  • le jeu : mais il est intéressant de noter que les jeux parfois évoqués ne correspondent pas forcément à ce à quoi l'on pouvait s'attendre : jeu de quilles, de cartes, chevaux de course dans le dessin précédemment utilisé, jeux de cartes dans un autre ;

  • l'ordinateur comme source d'informations et moyen de communication : un dessin du contexte B met l'ordinateur en parallèle avec d'autres sources d'informations (radio, télévision). Si le réseau Internet est fréquemment évoqué dans le contexte B (un tiers des élèves en parle) il en est en revanche peu question dans le contexte A où il n'apparaît que dans 4 dessins ;

  • l'ordinateur pour apprendre : soit évoqué comme aide à l'apprentissage scolaire, soit comme moyen d'apprendre dans un sens plus large formulé par « apprendre des choses » ou « plein de choses, de trucs ». Un dessin assimile exclusivement l'ordinateur aux mathématiques (décomposition de nombres, calculs etc.).

     À noter un dessin du contexte B qui fait exception et qui évoque un rôle plus social de l'ordinateur où il est perçu comme un vecteur de civisme (l'ordinateur peut permettre qu'il y ait moins de crimes, d'assassins, de voleurs), comme une source d'emplois et enfin comme un moyen de communication qui aide les gens à parler.

     Les dessins qui rendent compte de représentations plus liées au fonctionnement de l'ordinateur font exception mais méritent que l'on s'y arrête. Deux enfants assimilent l'ordinateur à un cerveau humain, ou le qualifient d'intelligent. Le plus souvent il est décrit comme un instrument qui d'une part peut stocker beaucoup d'informations (mais nous dit un des enfants « si on met trop de choses il s'embrouille »), d'autre part qui mémorise ces informations consultables à n'importe quel moment. Deux autres enfants dessinent et/ou expliquent le processus de fonctionnement, ce qu'il y a à l'intérieur de l'ordinateur. Dans les deux cas c'est une représentation en réseau qui prévaut, soit entre puces électroniques, soit entre cartes.

CONCLUSION

     Le fort contraste qui caractérise les deux populations choisies n'engendre pas ici chez les plus « nantis » dans leur environnement scolaire de représentations plus riches ou plus élaborées. La « plus value » semble se limiter à connaître plus de composants, à mieux les dessiner et les nommer. En revanche la pratique d'une activité informatique à l'école semble avoir induit des représentations plus « scolaires », d'autant plus probablement que la production des dessins s'est faite dans le cadre de l'école. Et finalement la référence scolaire que les enfants du contexte A ont de l'ordinateur, réduit le champ de leurs représentations par certains aspects :

  • l'imaginaire, ou encore ce qu'ils peuvent connaître de l'ordinateur à l'extérieur de l'école ne semble pas avoir sa place ici (rappelons que 17 d'entre eux possèdent un ordinateur chez eux). Il est notoire
    par exemple de constater que très peu évoque internet dans leur dessin dont l'utilisation à l'école n'est pas souhaitée par l'équipe pédagogique ;

  • d'autre part et à la lumière de ce qui a été observé lors des séances d'informatique, ils ne semblent pas développer de représentation privilégiée du fonctionnement de l'ordinateur, mais une connaissance de surface. Ce qui peut faire écho aux remarques faites pour l'observation : relative passivité des enfants face aux ordinateurs, et développement d'un mode d'imitation d'actions dont ils ne saisissent vraisemblablement pas le sens.

     Ces aspects confrontent aux limites de la méthodologie qui s'avère être insuffisante. Les dessins ne permettent pas de saisir les représentations que les enfants ont du fonctionnement de l'ordinateur, et ce qui est avancé ici est uniquement lié à ce qui a été observé par ailleurs. Il faudrait prévoir des entretiens complémentaires pour élucider ces aspects. En outre, le dessin n'est pas nécessairement, pour répondre à la consigne donnée, la forme la mieux adaptée pour tous. En témoigne la question qui m'a spontanément et immédiatement été posée dans les deux contextes, relative à la possibilité d'écrire du texte en plus du dessin, ou de légender. À noter également qu'un des rares dessin du contexte A qui soit accompagné d'un texte est l'un des plus « pauvre » dans ce qu'il représente par le dessin (un écran et un clavier).

     Mais il semble en tout cas que les enfants du contexte B, privés de référence scolaire et pour la plupart dépourvus d'ordinateurs chez eux, aient visiblement été d'avantage livrés à des représentations sociales et à leur « intime ». Plus d'imaginaire et de fantaisie mais aussi par exemple plus d'évocation d'Internet dont la « promotion » sociale est largement prise en charge par les médias. Ayant moins de choses figuratives à dessiner, ils ont beaucoup plus recours aux mots pour exprimer des idées moins faciles à dessiner, leurs productions s'en trouvent plus riches et plutôt moins « aseptisées ». Finalement et en relation avec les hypothèses deux aspects remarquables ressortent :

  • d'une part l'absence d'ordinateurs à l'école n'entraîne pas dans le cas présent de représentations plus pauvres ou moins élaborées, même si moins de composants et de connexions y apparaissent ;

  • d'autre part, au contraire et paradoxalement, cette pénurie semble avoir jouer favorablement sur les productions du contexte B, en libérant l'expression, et en obligeant à aller au-delà d'aspects de surface que l'environnement scolaire n'a pas donné à voir.

Discussion

     Les conclusions de l'étude menée ici, bien qu'étant spécifiques de cette situation précise, amènent néanmoins à poser un certain nombre de questions plus ouvertes autour de l'utilisation des nouvelles technologies à l'école. Deux niveaux complémentaires de réflexion semblent pertinents.

     D'abord en relation avec les activités informatiques à l'école intégrées aux apprentissages. Dans ce domaine où les approches relèvent de pédagogies actives, il serait utile d'analyser plus profondément les situations éducatives effectives. Non pour porter un jugement de valeur, mais pour prendre la mesure de l'écart qu'elles masquent souvent entre ce que l'on pense faire et ce qui est effectivement fait, et notamment en relation avec l'action effective des élèves et la « plus value » réelle liée à l'utilisation des ordinateurs. La présence de matériel et la motivation des élèves ne signifient pas nécessairement qu'il y ait construction de savoirs par ces derniers. Ceci amène à se demander s'il ne serait pas utile de revenir à un lien fort entre utilisation de l'ordinateur à l'école et conception de l'apprentissage, dans une perspective constructiviste.

     Par ailleurs, il faut aussi se poser la question des contenus propres à l'informatique comme discipline, en relation avec les finalités de l'école. Entend-elle former des citoyens en interaction réciproque avec leur environnement, c'est-à-dire capables aussi d'agir sur lui, et pas seulement de le « subir » ? Auquel cas ne doit-elle pas offrir une résistance au leurre de la transparence et de la facilité devenu le leitmotiv des logiciels. Il s'agirait bien alors d'acquérir une connaissance plus experte, au-delà de l'écran, dont il n'est pas évident qu'elle soit innée : l'idée répandue selon laquelle voir et toucher des ordinateurs dès le berceau suffiraient à développer cette expertise est peut-être à revoir.

     À l'évidence les programmes actuels de l'école élémentaire ne prévoient pas d'enseignement d'informatique à proprement parlé, mais le problème des connaissances en informatique à ce niveau reste posé. Tant d'ailleurs concernant les élèves que les enseignants dont le niveau et le rôle restent à définir.

     Il s'avère en tout cas que l'étude des représentations est un domaine de recherche à haut potentiel, dont les perspectives dans le cadre d'une réflexion autour de l'introduction des nouvelles technologies à l'école, sont d'ores et déjà prometteuses.

Natalie Pelpel

Paru dans la  Revue de l'EPI  n° 100 de décembre 2000.
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RÉFÉRENCES

Bomfim Souza M., 1999, Internet à l'école : une étude exploratoire sur les représentations des élèves, mémoire de D.E.A., École Normale Supérieur de Cachan, 57p.

Chambers D.W., 1983, « Stereotypic images of the scientist : The draw-a-scientist test », in Science Education, 67, p. 255-265.

Delacote G., 1996, Savoir apprendre. Les nouvelles méthodes, Édition Odile Jacob, Paris, 267p.

Lesne M., 1996, Modes de travail pédagogique et formation d'adultes, l'Harmattan, Paris.

Normand S. et Bomfim Souza M., 2000, « Internet à l'école » in G.-L. Baron, É. Bruillard, J.-F. Lévy (éds) Les technologies dans la classe, de l'innovation à l'intégration, EPI/INRP, Paris.

Not L., 1988, Les pédagogies de la connaissance, Privat, Toulouse, 348p.

Papert S., 1981, Jaillissement de l'esprit, Ordinateurs et apprentissage, Flammarion, Paris, 289p.

Rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale pour l'année 1998/1999 ,(à paraître), « Les technologies de l'information et de la communication : évaluation des dispositifs académiques, bilans disciplinaires, accompagnement de la mise en oeuvre des décisions ministérielles ».

Skinner B., 1969, La révolution scientifique de l'enseignement, Pierre Mardaga, Bruxelles

ANNEXE

Contexte A

Contexte B

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