La revue de l'EPI :
18 ANS D'ARTICLES SUR LES PRATIQUES EN TIC
À L'ÉCOLE PRIMAIRE

Jacques BÉZIAT

 

Cet article se centre sur le contenu éditorial du Bulletin de l'EPI depuis sa parution (1971). L'association EPI s'est d'abord regroupée autour d'enseignants du second degré, avec pour vocation de militer pour l'intégration de l'informatique à l'ensemble du système scolaire. Dès le début des années 1980, des enseignants du premier degré lui ont soumis leurs textes.

La tribune associative présente plusieurs intérêts : les textes ne sont pas cadrés par une ligne éditoriale institutionnelle ou commerciale, ils sont d'une grande diversité de formes et de contenus. Je n'ai retenu dans le corpus que les textes relatant des expériences d'intégration des TIC à l'école primaire.

1. CARACTÉRISTIQUES DU CORPUS D'ARTICLES

Le corpus est composé de 69 articles, écrits par 60 auteurs, sur une période de 18 années (1983-2000). Le premier article traitant de l'intégration de l'informatique à l'école primaire date de 1983 (Bulletin de l'EPI n° 29, mars 83). Cet article est daté par l'auteur de décembre 1982.

1.1 Le nombre d'articles écrits par année

De 1989 à 1995, nous avons une moyenne de 1,86 articles écrits par an, contre une moyenne de 5,33 articles par an pour la période de 1983-1988 et une moyenne de 5,5 articles par an de 1996-1999. Sur le graphique, le pic de 1984 s'explique par l'appel à contribution de l'EPI pour recevoir des articles sur le premier degré (les 9 articles en question n'ont pas été diffusés dans la revue elle-même), appel qui a donné lieu au Dossier EPI n° 6 de septembre 1984 : Informatique à l'école.

Ce graphique est conforme aux périodes clés de l'informatique en milieu scolaire : les précurseurs du plan IPT, les répercussions du plan IPT, la perte d'intérêt pour les TIC à l'école à partir de 1989, le redémarrage de 1996 est contemporain à la montée technique du matériel et des logiciels, de l'arrivée en masse du multimédia et des premières expériences sur l'internet.

1.2 Répartition des articles dans le temps, selon leur nature

Tous les articles recensés traitant de la programmation sont massés entre 1984 et 1992. Les articles de nature disciplinaire (maths & français) sont étalés dans le temps. Pour la rubrique Télématique/ Internet, les articles à partir de 1996 ne parlent que de l'internet. La rubrique "Non classés" est composée d'articles transversaux ou pluridisciplinaires.

Il existe une relative porosité entre les rubriques. Les critères de choix retenus pour le classement des articles ont donc été la priorité des objectifs du maître, et la nature des conclusions pédagogiques.

1.3 Nombre d'articles par niveaux de classe

Les articles qui ne font pas explicitement références à un niveau scolaire sont classés dans les catégories génériques : école élémentaire, école rurale, école primaire (maternelle + élémentaire). Les articles sur l'école maternelle sont tous regroupés dans leur catégorie générique "École maternelle", car tous les articles font à la fois référence à la grande section et, de manière parfois allusive, à la moyenne section. Seuls deux articles traitent explicitement de la seule grande section. Il s'agit donc, dans ces articles, d'une activité informatique pour les plus grands de l'école maternelle.

On peut noter une bonne représentation de l'école maternelle (16 articles) et du cours moyen (27 articles), contre 6 articles consacrés aux CP/CE.

2. DÉTAIL DES ACTIVITÉS PAR DISCIPLINE

La lecture des articles laisse apparaître que les activités informatiques décrites se sont principalement appuyées sur les thèmes naturels de l'école (mathématiques, langue écrite, correspondance scolaire, recherche documentaire...). Seule l'activité de programmation apporte des thèmes nouveaux d'activités. Les activités liées à la communication, l'échange, la presse trouvent une force particulière avec la télématique et l'internet.

Parmi le foisonnement d'idées des articles du corpus, voici, ci-dessous, quelques traits que nous retiendrons. Certaines expressions sont directement reprises des articles lus.

2.1 Langue écrite

Pour les plus jeunes classes, le souci est de mettre en main le clavier, de s'habituer à une saisie sur écran et aux correspondances graphiques (clavier en majuscule, affichage en minuscule), de travailler sur la perception de l'espace d'écriture (écriture en anagramme, décorative...).

Au cours élémentaire, le traitement de texte est non seulement utilisé pour la saisie, mais aussi comme interface d'exercices, avec des textes en fond de page : déconcaténation, effacer les coupures arbitraires, remettre les majuscules, mettre les ponctuations, remise en ordre des mots, enrichir une phrase minimale, retrouver la phrase minimale... Ce sont des situations de lecture inhabituelles, l'élève peut manipuler l'écrit à sa convenance.

Au cours élémentaire, des logiciels d'entraînement à la grammaire sont utilisés, le traitement de texte sert à l'expression écrite. Avec le traitement de texte, l'élève échappe au cycle [écrire un brouillon/le recevoir corrigé/le recopier, plusieurs fois si nécessaire]. Il passe davantage de temps à s'exprimer qu'à recopier, il produit davantage de texte, les projets d'écriture sont plus ambitieux. Des textes en fond de page peuvent servir de déclencheur à l'écriture (par intercalation...).

Les cours moyens produisent des hypertextes. Le fait de produire des hypertextes fictionnels oblige l'enfant à se décentrer (tout saisir, même les impasses de l'histoire), c'est-à-dire, se mettre du point de vue du joueur. L'élève est confronté à la complexité de la langue et à la complexité d'écriture d'un scénario en hypertexte (diagrammes utiles). Il est inscrit dans un double projet : projet d'écrivain/projet de lecteur. Dans ce type d'activité, l'outil technologique n'est pas second, c'est lui qui donne forme au document.

2.2 Mathématiques & géométrie

L'utilisation de logiciels d'activités mathématiques est très souvent citée pour l'école maternelle. Ces logiciels sont utilisés avec leurs qualités et leurs limites. Ce qui intéresse avant tout les enseignants qui les utilisent, c'est la particularité de la situation offerte par l'ordinateur : malgré la neutralité matérielle de la situation informatique (l'enfant agit, déplace, essaye, il utilise entièrement sa pensée, il n'y a pas d'intermédiaire), il existe une forte congruence entre les situations mathématiques à l'écran et celles sur la table ; l'élève travaille sur des représentations d'objets et non sur les objets eux-mêmes (les activités mathématiques sur ordinateur posent de vrais problèmes sur des objets virtuels) ; l'écran est en soi une situation problème, il propose une représentation ordonnée de la tâche ; la réactivité de l'écran fonctionne comme une auto-évaluation en temps réel.

Au cours moyen, l'utilisation de logiciels dédiés à l'arithmétique est souvent signalée. Des tableurs sont aussi utilisés pour des activités de lecture de diagrammes et d'histogrammes. Dans ce type d'activités, l'ordinateur permet d'accéder directement aux données numériques et aux représentations graphiques. La machine met à disposition sa capacité de mémoire et de reproduction, sa vitesse de calcul, et prend à son compte le problème de tracé et de soin. La possibilité de basculer rapidement d'un mode de représentation à un autre permet de comparer, critiquer, mettre en évidence le choix d'une représentation. L'informatique devient un outil d'exercice du sens critique.

2.3 Programmation/Algorithmique

En maternelle, avec le Bigtrak, l'enfant doit apprendre à prévoir, à établir un plan d'action, à programmer. En allant vers des programmes plus élaborés, par essais/erreurs, l'enfant cherche les valeurs des déplacements pour atteindre un but. À ce moment, il n'y a plus de hasard, l'enfant est créateur.

La tortue de sol propose une activité vraie, à caractère fonctionnel, marquée par la réalisation concrète du dessin. L'enfant est actif, le rapprochement à son corps propre est possible. L'enfant intériorise des éléments de spatialisation, de symbolisation, d'anticipation. Parti du concret, l'enfant forge des notions abstraites. Il apprend à manier ces notions pour agir sur le concret.

Les élèves de C.P. et de C.E. programment en Logo des dessins, des figures géométriques. Par analogie aux déplacements de la tortue, des fiches cartonnées, figurant les actions, peuvent aider à se représenter (anticiper) le déplacement à programmer pour atteindre un but. L'ordre des cartes donne l'ordre algorithmique de programmation.

Les cours moyens s'initient à la programmation graphique, recherchent des algorithmes, simulent des fonctionnements de systèmes informatiques (DAB et tri postal), font de la robotique avec maquette, créent des macros, utilisent des systèmes experts avec base de connaissances à fabriquer, tracent des fonds de page en programmant...

2.4 Télématique et internet

Les élèves d'école élémentaire utilisent le courrier électronique pour la correspondance scolaire ou pour contacter des personnes ressources, utilisent des journaux électroniques pour leurs activités de classe, réalisent des micro-serveurs télématiques et des sites internet, participent à des magazines électroniques...

Parmi d'autres, deux pratiques :

Réalisation d'un micro-serveur télématique : il s'agit de développer la communication entre les différents partenaires de l'école (les parents sont invités à retirer un Minitel). Le contenu du serveur : textes, graphiques, informations, correspondance parents/maître, contact maintenu pendant la classe de neige. Le but est de valoriser l'expression écrite des enfants.

Les Cyber-Écoliers : c'est un projet interactif, écrire pour être lu, être lu pour mieux écrire. Les enfants s'interrogent sur le sens et sur la forme de leurs écrits. Trois objectifs à ce projet : fédérer et motiver de vraies situations d'écriture et d'illustration d'articles ; lire avec la presse, apprendre à lire la presse (saisir les objectifs éditoriaux) ; utiliser avec discernement les ressources offertes par les technologies informatiques.

La correspondance télématique n'épuise pas les participants, elle permet d'accueillir en douceur les nouveaux. Chacun s'implique selon ses moyens, ses désirs. Elle accompagne dans la durée les expériences qui naissent.

La création de site internet est une activité pluridisciplinaire. Il faut chercher, comprendre, écrire, partager. Les technologies informatiques sont très utiles pour ce partage. Derrière les sites visités, il y a des gens qui ont des intentions, qui ont voulu s'exprimer, partager un savoir... L'internet devient un espace d'échanges. On ne travaille pas pour l'internet, on s'en sert pour laisser une trace. De plus, produire sur l'internet permet de comprendre que n'importe qui peut en faire autant. En étant un des acteurs du web, on en relativise d'autant les contenus qui y circulent. Il s'agit là d'éveil du sens critique et citoyen.

L'outil ne créé pas la communication, c'est le désir de communiquer qui en permet la maîtrise.

2.5 Création multimédia & Arts plastiques

Dès la maternelle, les enfants font des petits dessins animés avec un logiciel simple de création de film. Les réalisations sont présentées à la classe. Chaque enfant réalisateur répond aux questions, justifie ses choix.

En cycle 3, une encyclopédie multimédia est conçue collectivement, vivante et interactive, sa mise à jour est permanente. Il faut choisir des sujets d'étude, créer des dossiers, définir des mots-clés...

Des élèves de maternelle fabriquent des figurines avec du papier, des couleurs... Elles sont numérisées et animées à l'écran à l'aide du format d'image GIFa. Le spectacle du mouvement influence l'activité langagière pour dénommer chaque figurine.

En C.P., sous éditeur de texte, des élèves réalisent des projets graphiques : création de motifs et de formes décoratives avec les caractères du clavier.

2.6 Recherche documentaire/Gestion de bibliothèque

Les TIC permettent la mise en place d'une gestion informatisée d'une bibliothèque de classe par les élèves.

Dans un groupe scolaire, possédant 6 000 volumes, la recherche documentaire par fax a conduit à la création d'un service coopératif : "Les enfants renseignent les enfants". Des élèves reçoivent par télécopie des requêtes documentaires d'élèves d'autres écoles, et y répondent à l'aide du fonds documentaire à disposition dans leur école. Ce sont des enfants au cœur des apprentissages : parfaite maîtrise d'objets de lecture (tables des matières, sommaires, bibliographies...), acquisition d'une réelle démarche documentaire. La confrontation active à l'écrit les conduit vers l'autonomie.

3. DISCUSSION

Il faut noter l'importance des activités de programmation au cours des années 1980. Cela est certainement dû à une offre logicielle encore restreinte à l'époque, et de qualité très inégale. Il a donc fallu, pour les enseignants qui souhaitaient pratiquer l'informatique dans leur classe, s'investir davantage sur des langages de programmation, soit en direction des enfants, soit pour programmer eux-mêmes des logiciels d'activités.

Dans les activités présentées, la mise en œuvre d'activités informatisées impose une organisation du travail claire, tant pour le maître que pour l'élève. Celle-ci ne dépend pas de la seule volonté du maître. L'ordinateur impose de vraies contraintes méthodologiques. Loin de le rendre plus convivial, ces contraintes sont très formatrices.

Même si l'attrait de la machine sur les enfants, avec ses qualités sonores et lumineuses, a été souvent relevé, les auteurs ont, semble-t-il, échappé à une pédagogie de la ruse en proposant des conditions d'activités réellement éducatives. Il existe, chez ces enseignants, une instrumentation de l'ordinateur pour ses qualités propres. Celui-ci devient indispensable pour la mise en œuvre des activités décrites. De ce point de vue, l'ordinateur sert directement les objectifs de l'école. Il s'agit bien d'une intégration culturelle et fonctionnelle des TIC à la vie de la classe.

Les textes évoquant l'école maternelle sont plus proches de compétences transversales, de situations d'éveil, d'aspects socio-affectifs. L'ordinateur aide l'enfant à réaliser des tâches qu'il peut intellectuellement faire mais qui ne lui sont pas encore accessibles matériellement. En revanche, l'existence d'un retour de concept sur l'apprentissage matériel de ces tâches a souvent été souligné. En cours moyen, les articles sont plus descriptifs du point de vue de l'activité pédagogique. Les particularités de l'ordinateur sont utilisées pour que l'enfant dépasse le contexte matériel des notions abordées.

Le but n'est pas d'empêcher l'enfant d'être au contact des conditions matérielles de production ou de manipulation. Il s'agit simplement de lui permettre de travailler sur des notions qui lui sont accessibles intellectuellement mais que ses propres capacités de production ou de manipulation freinent. Il s'agit aussi d'offrir à l'élève d'autres situations de simulations, d'autres types de représentations.

Cette présentation d'activités peut paraître trop parcellaire, trop incomplète par rapport à ce que nous pourrions observer dans les classes, ou par rapport à ce qui est écrit ailleurs. Mais elle montre combien l'intégration de l'informatique dans la classe peut être, encore maintenant, exigeante. Cette intégration impose l'invention, la créativité, l'audace si l'on souhaite que l'enfant ne devienne pas un "périphérique ajouté", dépendant de programmes éducatifs multimédia interactifs préformatés hors contexte scolaire. En fabriquant un programme, un journal, une page internet, un courriel... la machine devient un objet de culture informatique. Confronter à l'action, l'enfant entre dans un processus d'appropriation active. Nous ne céderons pas ici à la terminologie constructiviste, mais les enseignants auteurs de cette revue ont massivement compris que l'utilisation de l'ordinateur en classe projetait l'élève dans une action intellectuelle authentique et formative.

 

Jacques BÉZIAT
www.beziat.net

Paru dans la Revue de l'EPI  n° 100  de décembre 2000.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (226 Ko).

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(1er février 2001)

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