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L'illettrisme scientifique en question

Ouvrage collectif, 2013, Actes Sud/IHEST, Coll. Question vive, 332 pages, 28 euros.

   Cet ouvrage, le quatrième de la collection « Questions vives », est parti d'un étonnement devant le néologisme Scientific Illiteracy, courant outre-Atlantique : le terme d'« illettrisme » scientifique le traduit imparfaitement. Ce qui est en question, ce n'est pas seulement l'acquisition scolaire d'un savoir minimum mais bien une capacité globale du public à s'informer sans se perdre dans la pléthore de messages, c'est-à-dire, au sens propre, à se former une conscience et à faire siens les fruits comme les interrogations de la science.

   Chercheurs et philosophes s'interrogent sur la place des sciences dans la cité. Quels défis doivent relever les systèmes éducatifs, pas seulement en France ?

   À vrai dire, nous nous sommes intéressés à cet ouvrage collectif pour mesurer la place de l'informatique comme science dans l'esprit de nos chercheurs et philosophes. C'est assez édifiant.

   Pierre Léna dans « L'éducation aux sciences et la démarche scientifique » (pages 157 à 170) s'intéresse de façon significative à la science informatique « qui vient d'émerger » :
« ... Quant au quatrième champ, celui de la science informatique, il vient certes d'émerger, mais avec quelle puissance ! Aujourd'hui, un tiers de la recherche et développement dans le monde, la moitié de la croissance sont liés à ce secteur. Il n'est guère de profession qui ne soit touchée : le chirurgien, l'assureur, l'avocat, l'architecte ou le plombier, hommes et femmes de toute condition passent leur vie devant des écrans. On est là face à un défi nouveau pour le système éducatif, qui ne l'a jusqu'ici guère assumé. Car, face à cette émergence soudaine d'une science nouvelle, l'informatique, l'éducation est longtemps demeurée désemparée. Pour être au goût du jour, elle a promu abondamment l'usage desTICE, des tableurs, des traitements de texte, sans observer que nos enfants sont souvent meilleurs que leur maître sur le sujet. Dans ce champ, tout est à construire, étant entendu qu'il y a urgence. » (page 164)

   Et dans le Rebonds, page 172 :
« ... Quant à l'informatique, l'éducation à la science ne peut plus ignorer cette nouvelle science, d'autant que celle-ci est source de développements industriels majeurs, de nombreuses créations d'emplois et d'un autre regard sur le monde. Bien plus que l'apprentissage d'une pratique qui ne pose guère de difficulté aux jeunes, il s'agit de savoir comment introduire les jeunes à l'intelligence du monde numérique, à sa puissance libératrice de leur faculté à concevoir un avenir fait de jeux sérieux ou non, de logiciels, d'applications de toutes sortes dans tous les secteurs de la création et de la société. Chacun des quatre ingrédients de base de cette nouvelle science informatique – les algorithmes, les machines, le langage, l'information selon Gilles Dowek et Gérard Berry – peut être abordé dès l'entrée au lycée, mais aussi dès l'entrée au collège, et sans doute dès l'école primaire. De jeunes enfants peuvent, en manipulant, comprendre le codage binaire (0 et 1), le fait que l'on puisse coder une couleur (information) avec un nombre ou concevoir un programme. Penser un enseignement de la science informatique est un défi majeur. Cet enseignement doit pouvoir, comme La main à la pâte le fit pour les sciences de la nature, et peut-être avec elle, se développer par une pédagogie active, à partir de la séduction spontanée qu'exerce l'informatique sur la jeunesse et dont tous les parents ont l'expérience. »

   Jean-Pierre Bourguignon (page 121) s'intéresse au « palais annexe » que constitue l'informatique :
« Les mathématiques ne sont donc pas un palais reposant sur quatre piliers : l'architecture de ce palais change constamment. Leur évolution est liée à l'apparition, souvent totalement inattendue, de nouvelles branches, voire la construction de palais annexes – comme cela s'est produit avec le développement de l'informatique – palais qui rendent à devenir aussi imposants, si ce n'est plus, que le bâtiment principal. L'importance radicale de ces transformations a quelquefois été niée, et on a vu certains mathématiciens entretenir l'illusion que l'informatique, par exemple, ne serait qu'une technique éphémère ; ces temps sont heureusement dépassés. L'informatique, pour parler encore d'elle, s'est ainsi développée suivant sa dynamique propre, de façon maintenant totalement autonome par rapport aux mathématiques, mais en leur apportant en permanence autant de questionnements nouveaux que d'outils permettant de gagner de nouveaux points de vue sur certaines questions mathématiques. »

   Et on notera la réflexion assez désabusée mais fort juste d'Étienne Klein (page 102), « Il nous faut donc bien admettre que nous ne vivons pas vraiment dans une « société de la connaissance », comme on se plait à le répéter, mais plutôt dans une société de l'usage de technologies : « nous utilisons avec aisance des appareils issus des nouvelles technologies mais sans presque rien savoir des principes scientifiques dont ils découlent. (...) Par leur facilité d'usage, les nouvelles technologies sont devenues les produits à la fois dérivés et masquants de la science. On peut même se demander si ce ne serait pas notre besoin compulsif de produits innovants qui viendrait sournoisement ronger notre appétit de savoir, par un effet quasi mécanique. »... et plus loin (page 103) : « Il est devenu urgent de réinventer une "culture technique et scientifique" qui permette aux citoyens de s'orienter face aux défis du développement technologique qui sont à l'horizon de notre temps ». Réinventer, c'est dire redéfinir...

   Trois scientifiques : un astrophysicien, un mathématicien, un physicien. Les philosophes et pédagogues n'auraient-ils rien à dire sur la place de l'informatique dans la culture scientifique ?

http://www.actes-sud.fr/catalogue/sciences/partager-la-science

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Avril 2013

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