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Sur l'avenir de la culture européenne

Interview de Bernard Stiegler par Jean-Paul Baquiast (31 janvier 2005).
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/61/interviewstiegler.htm.

     De ce long entretien portant essentiellement sur l'avenir de la culture européenne et sur le retard des industries culturelles européennes, nous extrayons quelques passages ayant retenu notre attention. Ils ne dispensent pas d'une lecture attentive de l'ensemble des huit pages.

   « L'intervention de la Puissance Publique pour créer un autre marché [...] Nous sommes dans une situation analogue à celle ayant en Europe précédé l'arrivée des infrastructures ferroviaires. Sans l'État, les compagnies auraient été incapables de supporter le coût de mise en place des réseaux. Aujourd'hui, la situation est la même, face à la nécessité de développer des infrastructures culturelles. Toutes les technologies du symbolique font muter complètement les logiques de développement. Elles sont comme le chemin de fer confronté à la résistance de la diligence. Il faut donc que la puissance publique investisse dans la durée afin de soutenir des modèles nouveaux d'utilisation et ceci pendant de nombreuses années. Aux États-Unis aujourd'hui, l'État fédéral investit beaucoup d'argent dans ce but, via l'armée et d'autres sources. Il est faux de dire qu'il ne finance pas le développement culturel. En revanche, il le fait en conformité à un modèle qui sert uniquement son propre intérêt... »

   « JPB. : Malheureusement, tout ce que vous proposez se heurte actuellement à l'ignorance technologique et à la naïveté politique des chefs d'État, des ministres de tutelle et des directeurs d'établissement. Ceci en France et sans doute aussi en Europe. Il s'agit de gens qui, pour l'essentiel, ne savent même pas utiliser Internet. Nous abordons les guerres culturelles actuelles avec des chefs aussi ignorants que l'était Weygand en 1939 face aux nouveaux emplois de l'arme blindée...

   « BS. : C'est hélas exact. À l'École nationale d'Administration, il n'y a toujours aucune formation à ces questions, pas plus d'ailleurs que dans les autres grandes écoles pourtant dites scientifiques ou dans les universités. Nous avons en France un très grand problème de formation des décideurs.
[...] Je crois en tous cas que, pour arriver à produire de l'"intelligence technologique", je dis bien technologique et pas seulement économique, il faut comprendre que les technologies forment des systèmes... Il existe une théorie de l'évolution des techniques, que malheureusement les parlementaires et leurs assistants n'ont jamais cherché à cherché à connaître.
[...] Aujourd'hui, l'Europe n'a toujours pas de politique industrielle parce qu'elle n'a pas de vision industrielle dans le domaine de la culture. Elle en a peut-être dans le domaine militaire ou dans le domaine des infrastructures parce que là existent des ingénieurs et des traditions qui le permettent. [...] Mais aujourd'hui, il ne faut plus faire seulement des TGV ou des Airbus. Il faut développer des industries du symbolique. Or là l'Europe est très mal outillée. On a beaucoup de mathématiciens, d'informaticiens, de concepteurs, en particulier en France. Mais on n'a pas la volonté politique et même la lucidité de leur fournir des cadres leur permettant de valoriser leurs compétences...

   « PB. : Votre message est très convaincant. Mais comment le faire passer ?

   « BS. : Je crois qu'il faut organiser des mouvements citoyens, mais des mouvements qui ne soient pas constitués de protestataires. Il faut que de tels mouvements associent des gens de tous milieux, industriels, universitaires, scientifiques et aussi des représentants des publics désireux de s'investir dans la construction de quelque chose de nouveau. Un sommet mondial de l'ONU autour des sociétés de savoir aura lieu à Tunis du 15 au 17 novembre 2005. Il s'agit d'un point de rendez-vous important. Je crois qu'il faudrait organiser d'ici là une mobilisation des bonnes volontés fédérant des investisseurs et créateurs de toutes origines. Il s'agirait de dire que nous avons en France et en Europe des idées sur la question et que nous voulons les faire connaître et les discuter. »

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Association EPI
Mars 2005

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