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Sur le système LSE (suite)

Jacques Lucy
 

L'excellent article de Jacques Baudé m'a inspiré quelques réflexions. Le sujet est vaste compte tenu de ses nombreuses connexions à d'autres sujets.

1. Un projet ambitieux

   La constitution d'une vaste bibliothèque de logiciels en partie construite par les enseignants utilisateurs était un énorme défi qui ne pouvait être relevé que grâce au soutien d'une volonté politique forte ancrée dans la durée, ce qui n'a pas été le cas après la mise à l'écart, puis la disparition du Plan.

   Cet objectif a été assez fermement combattu par les éditeurs qui voyaient la dedans une concurrence déloyale et par des sociétés développant du logiciel qui flairaient un marché potentiellement juteux. Un argument souvent utilisé était qu'il fallait réserver cette activité à des professionnels.

   Des projets comme la diffusion rapide et gratuite des logiciels pédagogiques développés par le CNDP – diffusion techniquement au point grâce à une collaboration avec le CCETT – ont été torpillés pour des raisons politiques : il fallait laisser aux services Minitel la possibilité de diffuser de telles applications. N'oublions pas que le plan Informatique Pour Tous a été largement financé par le ministère des PTT (via la DGT).

   L'enseignement supérieur n'avait pas les mêmes objectifs. Plus axé sur l'enseignement de l'informatique, il a préféré Turbo Pascal, plus rapide à l'exécution et plus ouvert à des évolutions en cours comme la programmation objet.

2. Pour Tous ?

   La question de la portabilité des logiciels d'une machine à une autre était très importante compte tenu de la grande variété des micro-ordinateurs et des microprocesseurs qui les animaient. Il fallait se battre pour avoir les minuscules accentuées et les possibilités graphiques étaient balbutiantes.

   Ces problèmes étaient d'autant plus difficiles à résoudre que la puissance d'exécution et la taille mémoire étaient très limitées sur des micro-ordinateurs suffisamment coûteux pour ne pas être accessibles au grand public. La tentative de Thomson d'élargir le public cible était très intéressante, mais a été mal conduite : les développeurs des projets TO7 et MO5 ont été loin d'avoir les moyens nécessaires pour atteindre convenablement leurs objectifs. À l'heure où internet n'existait quasiment pas, le Nanoréseau était une réalisation formidable qui a été portée par quelques personnes extrêmement motivées, mais peu soutenues.

   On peut observer que même maintenant la question de la portabilité des applications n'est pas parfaitement résolue. Sans parler de la difficulté posée par le passage d'un système d'exploitation à un autre (Linux, Windows, OS d'Apple, Android...), on constate la variété des cartes graphiques et leur gestion. Concrètement, il est aisé d'observer les différences d'un matériel à un autre quand on consulte un site internet !!!...

   Il est clair que la portabilité est recherchée par certains et évitée par d'autres. Il y a des niches qui sont un terrain privilégié pour certains constructeurs (musique, édition, graphisme....). L'interfaçage d'un micro ordinateur avec du matériel industriel n'est pas toujours compatible avec les secrets de fabrication d'un système d'exploitation jalousement gardés.

3. Vie et mort des langages

   La création de nouveaux langages est souvent le résultat de travaux à caractère universitaire.

   Des langages anciens comme FORTRAN ou COBOL ont vu énormément de logiciels réalisés et constitués en bibliothèques (souvent sans concurrence) et les entreprises ont consacré des budgets importants pour leur maintenance et leur évolution, ce qui leur a donné une grande durabilité.

   À l'inverse, un langage comme BASIC, bien adapté à des petits ordinateurs et à un public débutant qui les achetait s'est développé très rapidement. N'ayant pas de point d'ancrage solide, il a pu être remplacé par d'autres langages plus modernes.

   Un système auteur comme DIANE, largement soutenu par les pouvoirs publics (Agence De l'Informatique) n'a pas réussi à imposer la démarche des langages auteurs. Un prédécesseur comme le système PLATO a disparu quand il n'a plus été soutenu par Control Data.

   LISP a eu un succès en intelligence artificielle, mais reste cantonné dans une niche.

   CAML développé par l'INRIA a été adopté un temps par les classes préparatoires, après qu'elles aient choisi TurboPascal et avant qu'elle ne choisissent maintenant Python.

   Le langage ADA a été fortement soutenu pour remplacer Pascal. Utilisé pour enseigner l'informatique et former au génie logiciel, son développement est important dans des domaines où on est très exigeant sur la qualité du logiciel, mais il n'a pas détrôné d'autres concurrents qui résistent (Java, C++...)

   Cette liste ne se veut pas exhaustive, mais donne simplement des exemples.

   Pour ce qui concerne LSE, je pense que son abandon n'est pas dû au hasard ou à des faiblesses intrinsèques, mais plutôt à un contexte politique qui est devenu défavorable. L'ambition du projet qu'il portait ne convenait pas à certains.

4. Que de temps perdu

   Il est assez triste de constater la pauvreté actuelle en matière de logiciels pédagogiques.

   En 1986, l'arrivée au MEN de René Monory et de son chef de cabinet Thierry Breton a signé l'arrêt total de l'effort entrepris avec Informatique Pour Tous. Le CNDP – qui avait lancé un appel d'offres pour des scénarios de didacticiels et en avait sélectionné environ un millier pour les faire développer – s'est vu interdire d'entreprendre une telle production.

   Je me souviens, au début des années 90, de l'attitude méprisante des éditeurs d'encyclopédies lors d'un salon « Le crayon rouge » : l'EPI souhaitait qu'une version informatisée de leur production soit réalisée. Il nous était répondu que rien ne remplacerait le papier. Que reste t-il maintenant ? Encyclopedia Universalis, fleuron en la matière, a jeté l'éponge face à Wikipédia.

   Peut être que les MOOCS (cours en ligne ouvert et massif (CLOM), cours en ligne ouvert à tous) donneront une nouvelle vitalité aux didacticiels. Nous avons gâché un savoir faire et un enthousiasme extraordinaires initié entre 1970 et 1986. Il est remarquable que des enseignants aient persévéré soit en diffusant leur production à un prix symbolique, soit en mutualisant le travail pour créer un projet plus fort. C'est notamment le cas de l'association Sésamath. Ces efforts sont-ils recensés ? L'esprit animant le logiciel libre peut apporter des espoirs.

Jaques Lucy
Président honoraire de l'EPI

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Mars 2016

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