LE COURRIEL Jacques Béziat
Le parcours fait référence à un cursus en licence de sciences de l'éducation en formation à distance et la présence à une relation tutorale par courrier électronique [1]. Cet article est le témoignage d'une pratique de tutorat par courriel. Il présente l'organisation tutorale mise en place par un tuteur. Il s'agit ici de porter un regard qualitatif sur l'accompagnement tutoral dans le cadre d'une formation à distance. La formation dont il est question ici est une formation à distance en licence de sciences de l'éducation [2]. Les étudiants de cette formation, proposée par le CNED Poitiers/Université de Rouen, ont le choix entre un tutorat par courrier postal, par téléphone ou par courriel. Plusieurs critères sont retenus pour la constitution des groupes d'accompagnement tutoral, le mode de tutorat choisi par l'étudiant en est un. Sur la première année d'existence de cette formation [3], après bilan des groupes de tutorat, il est apparu que les groupes d'étudiants en contact par téléphone ou courrier postal ont provoqué moins d'échanges tuteurs/étudiants que ceux par courriel. Le mode de tutorat a donc eu un impact sur le flux des contacts, ainsi que sur leur forme. Les groupes de tutorat par l'internet ont donc été les plus actifs. Pour le groupe étudié ici (groupe de 27 étudiants en formation continue, tutorat par courriel), jusqu'à 120 contacts d'étudiants entre novembre et mai [4], avec un pic de plus de trente contacts sur le mois de mars, avant le deuxième regroupement, préparatoire à l'examen. Toutes les questions d'étudiants ont reçu une réponse. Une liste de contact, à partir de toutes les adresses électroniques du groupe de tutorat, a été constituée, donnant la possibilité à chacun de s'adresser à l'ensemble du groupe. Sur cette liste, le tuteur a pu répercuter régulièrement les échanges les plus significatifs à l'ensemble du groupe, sous forme de FAQ [5]. Donc, même si, sur les 27 étudiants, 3 sont restés muets et 7 ont contacté leur tuteur moins de 3 fois, tous ont reçu les résumés d'échanges dans le groupe de tutorat tout au long de l'année universitaire. Le nombre de contacts pris par les étudiants peut paraître « relativement faible ». Cela s'explique par le fait que cette formation à distance n'engage pas les étudiants dans des activités collaboratives, il n'y a donc pas d'échanges autour de travaux communs. Ils étudient leurs cours et demandent de l'aide quand ils en ont besoin. Même si les étudiants ont très peu [6] utilisé la possibilité de contacter l'ensemble du groupe par les fonctions du type « groupe de contact » de leur logiciel de messagerie, tous les témoignages d'étudiants reçus ont convergé, pour apprécier l'envoi régulier des nouvelles du groupe, il s'agissait même pour certains d'entre eux d'un soutien réel tout au long de leur formation. Il semblerait que, quelle que soit la fréquence du recours au tuteur, sa présence est marquée par l'écho des conversations duelles, et que le fait de recevoir à intervalle régulier une compilation des échanges de la liste permet de se sentir dans le groupe, même si on n'est pas soi même contributeur actif [7]. Les échanges par courriel Le groupe de tutorat par courriel a donné lieu à des échanges par internet, mais aussi par téléphone et par courrier postal. Nous ne prenons en compte ici que les contacts par internet. Les échanges ont démarré début novembre, après le regroupement à Rouen fin octobre. Le deuxième regroupement a eu lieu fin mars, les examens fin mai. Ce graphique ne rend pas compte des échanges qui ont eu lieu après les examens, dans l'attente des résultats, ni pendant les vacances d'été pour la préparation de la deuxième session d'examen. L'effet du deuxième regroupement du mois de mars est net. Les échanges sur les dossiers à rendre, pour constituer une revue de questions préparatoire aux examens, ainsi que sur les aspects matériels du regroupement ont dominé. La différence importante entre les messages des étudiants et ceux du tuteur au mois de mars est liée au fait que beaucoup de messages ont fait l'objet de réponses groupées. Avec l'approche du regroupement et des examens, les préoccupations de chacun se sont rejointes. Le graphique ci-dessous présente un tri thématique des courriels adressés par les étudiants. Les messages ont été classés en 6 catégories :
Les thèmes 1 et 2 sont d'ordres techniques, liés aux aspects matériels de la formation et à la gestion des contacts. Les thèmes 3 et 4 sont d'ordres pédagogiques, liés aux cours, aux méthodes de travail et à la préparation des dossiers de méthodologie. Les thèmes 5 et 6 relèvent du soutien psychologique ou personnel, d'appels à l'aide. Dans l'ordre décroissant, les questions d'ordre pédagogique ont occupé la moitié des échanges, les questions d'ordres techniques 40 % des échanges et les appels à soutien 11 %. Parmi les thèmes d'échanges relevés, la catégorie 2 est générée par le médium. Elle représente une part importante des échanges. La gestion matérielle de la liste de contact impose une mise à jour régulière, selon les changements d'adresses électroniques des membres de la liste, mais aussi selon l'inexpertise de certains quant à l'emploi d'internet [8]. Des étudiants ont mis un certain temps à fournir une adresse électronique exacte et opérationnelle. D'autres ont eu une adresse électronique changeante. D'autres encore ont éprouvé le besoin de tester le contact, la réactivité du tuteur. Des échanges sur les cours
Les échanges a contenu pédagogique ont principalement aidé les étudiants à lire les cours ou les devoirs : problèmes terminologiques, de compréhension des questions, de repérage dans les sommaires de cours, de questions sur la cohérence des lectures complémentaires aux cours, ou de cohérence entre les cours eux-mêmes. Il m'a semblé que bon nombre des étudiants avaient besoin d'une validation extérieure de leurs propres lectures. Les questions liées à l'organisation du travail sont restées secondaires. Entre les deux courriels ci-dessous, le courriel du tuteur a relativisé le problème soulevé par l'étudiante en se recentrant sur la lecture du cours en question, de son sommaire, et sur l'importance relative -dans le contexte historique- de chacun des auteurs qui y sont cités. L'étudiante avait focalisé sa lecture du cours en fonction du devoir à rendre qui l'accompagnait.
La masse de cours peut peser lourd pour l'étudiant, d'autant plus quand il est isolé. Le rôle du tuteur est aussi d'aider à y voir plus clair, à faire le tri. Il prend en charge une fonction prise par les groupes d'étudiants d'un même campus : discuter des cours. Des échanges personnels
Même si les appels à l'aide n'ont pas dominé les échanges, ils ont eu, pour certains étudiants un caractère nécessaire pour pouvoir poursuivre la formation. Les annonces d'arrêt de la formation ont aussi fait l'objet d'une réponse en soutien de la part du tuteur. Une des étudiante a donc pris sa décision en deux temps, à un mois d'intervalle. La décision d'arrêt de la formation de la part de l'étudiant ne brise pas le contrat qui le lie au tuteur pour la durée de la formation.
Dans les trois messages précédents, la référence au groupe de tutorat est claire, que l'étudiante ait quitté la formation avant le regroupement, qu'elle ne puisse pas y aller, ou qu'elle en revienne. Le tuteur est non seulement médiateur avec la formation, mais aussi au sein de son groupe de tutorat. Le temps de l'échange Chacun sait qu'il suffit de décrocher le téléphone pour passer un coup de fil. Pour écrire un courrier papier, il faut le temps de la rédiger dans sa forme épistolaire, puis la poster, enfin qu'elle soit acheminée. Cela paraît trivial de le souligner ici, mais dans le cadre d'une formation à distance, l'impact du mode de tutorat est à considérer. De ce point de vue, une analyse reste à faire pour savoir si le médium influe sur les contenus des échanges entre étudiants et tuteurs. Avec le téléphone, nous avons à faire à une communication duelle synchrone. Si le tuteur ne peut répondre dans l'instant à une demande de l'étudiant, il doit y avoir rappel téléphonique, donc délai dans la satisfaction de la demande. Avec le courrier postal, nous sommes dans une communication duelle asynchrone, où le délai imposé par les acheminements aller et retour réduisent d'autant la réactivité du contact tutoral. Le contact par courriel peut être décrit comme une communication asynchrone, duelle ou collective, au choix de l'émetteur. Le message est livré dès l'envoi, et reçu dès consultation de la boite électronique du destinataire. Le délai de réception est donc lié au moment où l'étudiant se place lui-même dans la formation. Du point de vue du tuteur, le délai de réponse n'est pas un délai technique d'acheminement, mais bien un délai pédagogique d'élaboration de la réponse. Que ce soit pour l'étudiant ou pour le tuteur, l'échange par courriel permet d'être dans la formation à son temps choisi, tout en préservant une réactivité nécessaire pour un accompagnement tutoral proche de l'étudiant. Le courriel emprunte au téléphone la rapidité et une forme d'échange proche de la communication orale, au courrier, la trace écrite. Par les réseaux numériques, nous avons des communications asynchrones à caractère immédiat, en faux différé. Le message est immédiatement mis à disposition du destinataire. Le courriel est du type conversationnel asynchrone, où chaque interlocuteur peut choisir son temps de réception et d'intervention. Après une analyse des différentes prises de contact possibles en formation à distance, d'Halluin (1995) relève que la conférence asynchrone assistée par ordinateur est l'outil le plus coopératif, bien que la validation d'un débat soit difficile, voire impossible, dans une conférence asynchrone, car « il est difficile de conclure une discussion en temps différé ». Cela peut nous laisser penser qu'elle reste un outil privilégié pour le tuteur plus que pour le formateur. Ce point de vue fait écho à Glikman (1997) : « ... leurs indiscutables potentialités [9] ne doivent pas occulter le fait que la formation est un service. (...) Il doit pour le moins, au-delà des produits qu'il fournit, insérer les apprenants dans un contexte institutionnel et les inscrire dans des dispositifs aussi individualisés que possible, accordant une large place à la fonction tutorale et aux contacts entre pairs, et recréant ainsi le lien social indispensable à tout processus d'apprentissage. » La fonction tutorale est distincte de celle du professeur (Perriault 1999), elle peut avoir des médiations qui lui soient propres. La communication par internet impose des codes de communication nouveaux, liés aux caractéristiques d'un médium encore jeune, et à ses usages émergents. Le courriel permet une forme écrite condensée, d'une relative liberté de ton, avec économie des formules épistolaires d'entrée et de sortie, prise en charge automatique des référentiels de temps, de lieu et d'identité, et affichage de l'objet à la livraison du message. La souplesse de ce mode de tutorat est à la fois liée aux caractéristiques du médium et à la manière de l'utiliser. Deux étudiants du groupe, très peu communicants, ont envoyés des courriels du type épistolaire avec incipit, référentiel de temps et de lieu dans le corps du message et formule de sortie rédigée. Ceci soit dans le corps du message, soit en tant que courrier en fichier attaché. Ils se sont apparemment placés dans une posture épistolaire classique, et n'ont pas eu plus d'échanges que par courrier postal. Ils ont utilisé ce médium sans se l'être réellement approprié. Le courriel, conversation écrite « Pour apprendre, se former, il faut du temps. La formation à distance propose de l'espace. » [10] L'étudiant, libéré des contraintes matérielles liées à la formation en présentiel, perd du même coup les repères temporels afférents. Ces repères sont liés à l'enchaînement chronologique des cours, à leur longueur, au spectacle des autres étudiants dans la formation, et à toutes les interactions sociales qui ont lieu dans une faculté. Loin de cette émulation, de ce bruit, l'étudiant doit décider du temps pendant lequel il est étudiant, et celui pendant lequel il est dans sa vie quotidienne. Il doit donc décider seul du moment où son statut d'étudiant doit être prioritaire sur sa vie quotidienne. La distance n'est pas seulement spatiale, elle est aussi temporelle et sociale. Le téléphone permet une utilisation achronique du contact tutoral, agressive parfois pour le récepteur. Par courrier, le temps de réaction de la réponse peut être sensiblement important, donc décalé par rapport à la demande d'aide de l'étudiant. Trop réactif ou trop peu, ces deux modalités ne permettent ni une structuration temporelle ni un contact social satisfaisants. Le contact par courrier reproduit, par ses délais d'acheminement, la distance spatiale, et n'est que d'une faible interactivité sociale. Le contact par téléphone, s'il est instantané, ne permet qu'une interaction à deux, dans un instant donné. La télé-présence [11] ne remplace pas ce qui est absent, mais fait circuler les signes de la présence (Jacquinot 1999). En formation à distance, il est probablement plus important de créer l'impression de présence que l'impression de réalité. Dessus, Lemaire et Baillé (1997) notent que la distance enseignant-élève n'est pas fortuite, et qu'il s'agit pour l'enseignant de l'apprivoiser. La formation à distance nécessite une logistique de moyens matériels et humains qui peuvent augmenter d'autant cette distance subjective. Ces auteurs présentent la téléconférence asynchrone [12] comme un dispositif minimisant cet espace de transaction qui sépare l'élève et l'enseignant. Une relation tutorale par internet redonne des repères sociaux et sur le temps. Le potentiel réactif du groupe a autant d'importance que le contact lui-même. Le spectacle des échanges, la trace écrite des conversations donne une réalité objective, socialisée, à la formation. L'utilisation collective de conversations duelles qui intéressent tous les étudiants du groupe assure la permanence du contact avec la formation. Le tuteur est non seulement une personne ressource pour l'étudiant isolé, mais devient, par le courriel, un médiateur de la formation engagée et son cadre universitaire. L'interface de courrier électronique est utilisée comme un « panneau d'affichage » qui rapproche les étudiants sur des préoccupations communes. Le contact par courriel, par ses caractères synchrone et différé, individuel et collectif, permet de négocier l'échange et le contact à distance en replaçant le temps comme une donnée nécessaire pour l'intégration d'une demande d'aide ou d'un appel à soutien, comme un élément incontournable à toute situation de formation ou d'apprentissage. Jacques Béziat RÉFÉRENCES CNED (2001). Les dispositifs de tutorat. Institut de Poitiers Futuroscope. Document polycopié du 10/07/01, 10 p. Dessus P., Lemaire B. & Baillé J. (1997). Études expérimentales sur l'enseignement à distance. Sciences et techniques éducatives, Vol. 4-n° 2, p. 137-164. Glikman V. (1997). Quand les formations d'adultes surfent sur les nouvelles technologies. Recherche et formation, n° 26, p. 99-112. d'Halluin C. (1995). La présence à distance, c'est possible ou du bon usage des médias. Un accès au savoir dans la société de l'information, Actes des premiers entretiens internationaux sur l'enseignement à distance des 25, 26 et 27 octobre 1995, CNED, p. 107-115. Jacquinot G. (1999). Comment être à la hauteur de nos drôles de machines. 2ème Rencontres Internationales du Multimédia et de la Formation, Actes du Cafoc de Bordeaux, 17 18 19 novembre 1999. Ollivier B. (1993). Le tutorat dans l'enseignement à distance. Perspectives et pistes de réflexion. Document INRP-TECNE 93-014, Paris. Perriault J. (1999). Les industries du savoir : évolutions et problèmes. Mélanges. L'enseignement à Distance à l'aube du troisième millénaire, CNED, p. 177-191. Weidenfeld G. (1999). Activités coopératives et exploration d'environnements virtuels : de nouvelles pratiques pour l'EAD. Mélanges. L'enseignement à Distance à l'aube du troisième millénaire, CNED, p. 237-256. NOTES [1] Courriel. [2] FORSE : http://www.sciencedu.org/. [3] Année universitaire 2000/2001. [4] Sur l'ensemble de l'année, jusqu'en septembre : 130 contacts d'étudiants. [5] Foire Aux Questions. [6] Moins de 5 % des contacts. [7] Weidenfeld (1999) identifie la génération de résumés comme un des outils facilitant la communication au sein d'une communauté virtuelle. [8] Ollivier (1993) note que la gestion des médias peut être une difficulté supplémentaire en FAD, et pose donc le principe d'un soutien qui s'intéresse aux aspects relationnels autant qu'aux contenus. [9] Des technologies de l'information et de la communication. [10] Monique Linard. Séminaire des tuteurs, les 18 et 19 mai 2001, CNED institut de Poitiers-Futuroscope. [11] Présence à distance. [12] Assimilable au courrier électronique. ___________________ |