QUELQUES ENSEIGNEMENTS À RETENIR Jacques Baudé Pour ce qui concerne le nouvel enseignement d'informatique proposé dans quelques lycées à la rentrée 95 et qui devrait se prolonger (BO n° 28 du 13 juillet 95, p. 2226 et 2227) par des options diversifiées en première et terminale, il me semble qu'un regard sur l'ex-option informatique n'est pas inutile. La prise en compte des réussites indéniables mais aussi des difficultés et des échecs permettrait de dresser la liste exhaustive des conditions de succès. Qui peut souhaiter l'échec d'un tel enseignement ? 1 - LES RÉUSSITES INDÉNIABLES Sans modèle de référence, les pionniers de cette option ont su mettre en place et faire évoluer un enseignement de l'informatique original, divers, lié à des applications transdisciplinaires. Ils avaient un triple objectif : l'apport de connaissances, l'apprentissage de méthodes de travail, la prise de conscience des enjeux économiques, sociaux et culturels de l'informatique. Dès la classe de première l'accent était mis sur le travail sur projet. Les équipes étaient pluridisciplinaires, chaque enseignant ayant par ailleurs une double compétence. L'horaire permettait de travailler concrètement sur les ordinateurs en classe dédoublée. Un triple système de « suivi » avait été progressivement mis en place : le Conseil Scientifique National (CSN), des universitaires et des coordonnateurs académiques. Le fonctionnement en était démocratique et la plupart des décisions (malheureusement nous verrons plus loin que l'essentiel lui échappait !) étaient prises après une large concertation. J'ajouterai que cet enseignement était original au niveau européen puisque dans la plupart des pays l'enseignement de l'informatique est rattaché aux mathématiques et/ou aux enseignements technologiques. Les élèves ne s'y étaient d'ailleurs pas trompé puisqu'après un démarrage en 1981 dans 12 lycées, plus de la moitié des établissements étaient concernés en 1992. 2 - LES DIFFICULTÉS, LES ÉCHECS L'échec essentiel n'est pas imputable à l'option informatique mais au système. Il était en germe dans le refus persistant - malgré les demandes toujours renouvelées du CSN, relayées par l'EPI - de mettre en place les formations indispensables de nouveaux enseignants. La pénurie s'est très vite fait sentir obligeant les chefs d'établissements à sélectionner les trop nombreux élèves volontaires. Il était ensuite facile de faire un procès en élitisme au moment où la mode était à la suppression de toutes les options ! Tout se passe comme si on avait reproché à l'OI de ne pas avoir les moyens matériels d'assumer son propre succès. Que n'avions-nous créé un enseignement de mauvaise qualité qui aurait eu beaucoup moins de candidats, on aurait pu le conserver ! Cette dérive « élitiste » - si dérive il y eut - n'est pas pour l'essentiel imputable aux programmes compte tenu de la marge de manoeuvre dont disposaient les enseignants. Ce qui ne veut pas dire que leur évolution et leur diversification n'auraient pas dû intervenir plus tôt. L'épreuve au baccalauréat - qui était loin de satisfaire le CSN et la plupart des enseignants - a certainement pesé plus lourd. Rappelons que la prise en compte du contrôle continu (et notamment du projet) était une demande de la majorité d'entre eux, la forme retenue pour l'épreuve au bac (épreuve écrite) a été le résultat de contraintes institutionnelles. C'est ainsi que les deux causes essentielles de dérive furent institutionnelles : carence en formation de nouveaux enseignants et épreuve inadaptée imposée par le Ministère, mais il est tellement plus facile de culpabiliser les enseignants ! 3 - QUELS ENSEIGNEMENTS RETENIR ? Des réussites indéniables, il faut probablement tout retenir : équipes pluridisciplinaires, double compétence, horaire suffisant avec possibilité de TP, systèmes de « suivi », soucis de démocratie et de concertation permanente... Pour ce qui concerne la double compétence, il n'est plus possible de rester dans le flou actuel. Si on ne crée pas un Capes et une Agrégation d'informatique (mais ça peut se discuter) il faut une reconnaissance institutionnelle des compétences informatiques des enseignants. Plusieurs solutions sont possibles pourvu qu'il y ait une volonté et un peu d'imagination. Toute généralisation d'un enseignement de l'informatique au lycée est illusoire si on ne définit pas un "label" garanti et reconnu pour les enseignants. Ils ont le droit d'avoir le souci de leur carrière. Toute généralisation est également illusoire si on ne met pas en place dès maintenant des formations initiales (IUFM) et continues (MAFPEN, CFIAP) répondant aux besoins d'un enseignement pour tous en seconde et à ceux des options diversifiées en première et terminale. C'est un choix politique. S'il n'est pas fait, le Ministère se retrouvera très vite dans "l'obligation" d'abandonner un beau projet... Pour ce qui concerne la validation terminale nous sommes nombreux à penser qu'elle peut être remplacée par un contrôle continu dont les modalités sont faciles à trouver. C'est loin d'être pour nous le problème essentiel. Les programmes doivent fixer les grands objectifs et laisser surtout la plus grande liberté aux équipes enseignantes de s'adapter aux demandes des élèves et aux évolutions rapides de l'informatique et de ce qui en dépend : multimédia, réseaux... Ce serait d'autant plus possible que la pression d'une épreuve écrite, avec tout ce qu'elle peut avoir de formel, ne s'exercerait plus. Espérons qu'il y aura une volonté. Espérons que cette nouvelle tentative sera la bonne, que la démonstration sera faite qu'il est possible de créer et de faire vivre un nouvel enseignement sans groupe de pression, sans gourou, dans l'intérêt supérieur des élèves. Jacques Baudé Paru dans la Revue de l'EPI n° 81 de mars 1996. ___________________ |