Roman pour ordinateur Jean-Marie Pelloquin En publiant Frontières vomies, roman interactif pour ordinateur, nous découvrons un nouveau concept littéraire, une utilisation culturelle de l'informatique et des idées pour un atelier d'écriture. 1 - LITTÉRATURE ET ORDINATEUR C'est un héros sans nom, comme pour nous indiquer que son identité est au delà de ce territoire national, étriqué, ceint de frontières arbitraires qu'on nomme France. Il rencontre les multiples visages de notre humanité, souffrant de ce qui la divise, frontières matérielles ou fantasmatiques. Préférant l'anecdote aux discours socio-politiques, il dénonce ironiquement les États-nations, le racisme, la purification ethnique, la guerre sous toutes ses formes. S'il prend le parti d'en rire, c'est qu'il n'ose pas avouer son impuissance que l'abondance des médias lui rappelle insidieusement. On pourrait croire qu'il est un grand voyageur mais en fait, il est un parisien ordinaire qui se heurte aux portes blindées comme aux préjugés. La logique veut qu'on en crève mais cette mort restera absurde, comme celle de toutes les victimes sacrifiées au nom de la religion d'État. Un livre de plus, direz-vous. Oui, mais quel livre ? Son format est de 3 pouces 1/2, il pèse 15 grammes et contient plus de 300 pages... Vous l'aurez deviné, il s'agit d'un « livre électronique », c'est à dire une création littéraire qui préfère l'écran de l'ordinateur au papier imprimé. Pourquoi ce choix ? Traditionnellement, l'action de lire est indissociable de l'objet livre imprimé. L'ordinateur vient bouleverser nos habitudes, nous lisons de plus en plus sur écran : outre les sous-titrages de films, les documentations logicielles, les informations télématiques, nos yeux découvrent la « librairique ». Les éditeurs mettent leurs dictionnaires et encyclopédies sur écran, ils nous proposent les auteurs classiques sur disquette ou CD-ROM. Adieu livre imprimé, livre de poche, livre compagnon ! Bonjour la technologie ! Qu'y gagne-t-on ? L'édition électronique est une nouvelle façon de lire : de multiples logiques logicielles et pédagogiques permettent de circuler dans le texte, de l'analyser, de se l'approprier. Frontières vomies est en plus une nouvelle façon d'écrire, puisque c'est un roman interactif conçu pour l'ordinateur. On peut jouer les sceptiques, s'enfermer dans les traditions livresques, regretter la souplesse de la plume d'oie, mais on ne peut pas ignorer ce monde où jeunes et moins jeunes cherchent à renouveler le plaisir de lire et d'écrire. 2 - INTERACTIF Le roman Frontières vomies se déroule selon différentes orientations que le lecteur choisit en répondant aux sollicitations affichées sur l'écran. Quel que soit le choix fait, le récit se poursuit jusqu'à la fin. En fait, il navigue le long d'une tresse en empruntant l'un ou l'autre des brins, dans un sens ou dans l'autre. C'est lui qui décide : soit il va au plus vite vers la fin quitte à recommencer plus tard par d'autres voies, soit il flâne en cherchant à reconnaître chacune des voies possibles quitte à retomber de temps à autre dans certains passages uniques. Les questions posées ne sont pas des pièges. Le lecteur choisit parmi deux ou trois possibilités, laissant agir ses penchants naturels. Il ne s'agit pas d'une aventure héroïque où stratégie et hasard lui font affronter des êtres fantastiques, comme dans « Un livre dont vous êtes le héros ». Non, le monde où il circule est ordinaire, cruellement banal et il doit avancer sans trop réfléchir... L'interactivité aboutit donc à un récit qui n'est plus unique et linéaire : au contraire, le récit est multiple, variable d'un jour à l'autre, d'un lecteur à l'autre. Il ne s'agit pas d'une démonstration technologique ou d'un formalisme stérile : c'est une aventure littéraire. La structure du récit véhicule du sens. Quand il diverge, c'est le héros qui cherche à affronter la diversité de l'univers, quand il converge, c'est le destin, la fuite impossible. En plus de cette trame, le lecteur peut ouvrir des parenthèses dans le récit principal. Ainsi, des citations, des poèmes, des anecdotes viennent s'insérer dans le récit, voire le bouleverser. Le geste est volontaire, on recherche la surprise au détour des pages, chacun selon son rythme et sa curiosité. Même si le nombre de combinaisons possibles n'est pas illimité, on peut dire que chaque lecture est unique, compte tenu de la multiplicité des parcours possibles. Interactif encore, puisque le texte peut s'afficher selon l'orthographe désirée, à savoir l'orthographe traditionnelle ou bien l'orthographe correspondant à la réforme de décembre 1990. Ce défi lancé aux imprimeurs permet en outre de voir concrètement les implications réelles de cette réforme. 3 - RÉVOLUTION Frontières vomies, on l'aura vu, est une nouveauté dans le monde de l'édition. Si l'invention de l'imprimerie fut une révolution, on peut penser que l'introduction de l'ordinateur, des disques numériques et des réseaux télématiques prépare une autre révolution en littérature. Les projets de lecture informatisée de la Bibliothèque de France sont là pour en témoigner. Au delà de cet univers multimédia qui va renouveler la façon de s'approprier l'immense patrimoine littéraire que les siècles ont accumulé, une place de choix devrait se dessiner pour la création de ces nouvelles formes de littérature. On y trouvera du texte bien sûr, mais aussi de l'image, du son et de la vidéo, le tout devant former un ensemble à forte valeur culturelle. Mais la nouveauté est-elle complète ? L'Oulipo, OUvroir de LIttérature POtentielle avait déjà ouvert des voies. Pensons à Raymond Queneau avec « Un conte à votre façon » ou « Cent mille milliards de poèmes ». Si des explorations ont été faites, il semble que peu d'écrivains aient profité de la diffusion massive de la micro-informatique pour reprendre à leur compte ces écrits potentiels. Or, quantité d'inventions sont désormais possibles. Imaginez par exemple un feuilleton télématique, avec des épisodes journaliers ou hebdomadaires, sachant que le texte pourrait être multiforme selon les interactions programmées. Imaginez un récit antistructurel : on commencerait par n'importe quelle page, puis, en sélectionnant un mot ou un icône, on accéderait à une autre page et ainsi de suite jusqu'à plus soif, comme dans les constructions en « hypertexte ». Frontières vomies est la preuve que l'ordinateur peut accueillir une véritable création littéraire. Pourtant, alors que sa construction reste relativement proche d'un roman traditionnel, il soulève des objections de la part de ceux qui ont peur des révolutions, qui freinent la création sous prétexte qu'il n'y aurait point de littérature en dehors du livre imprimé. De quoi auraient-ils peur ? La librairie est sinistrée, qu'elle sache saisir cette opportunité ! La copie d'une disquette coûte cent fois moins cher que l'impression d'un livre et économise du papier ! Attendons-nous d'être envahis par la culture Nintendo-Disney au mépris de la francophonie ? Et n'ayons crainte, le livre n'y perdra pas son âme ! 4 - DISTRIBUTION Devant l'hésitation des éditeurs traditionnels, la distribution est pour le moment limitée au circuit suivant : Jean-Marie Pelloquin - JMP formation - 3, rue Achille - 75020 PARIS - Tél : 16-1-40 33 96 78 Frontières vomies est déposé à la didacthèque professionnelle de La Villette, à la salle d'actualités de la BPI du centre Georges Pompidou et aux CRDP de Paris et Versailles. De plus, il a été adressé au Ministère de l'Éducation nationale dans le cadre de l'appel d'offres de logiciels. La version proposée à ce jour est au format compatible PC, lecteur HD 3 pouces 1/2, carte graphique VGA ou EGA (autres formats sur commande) - ISBN 2-910465-00-4 - Prix public TTC : 150 Francs. 5 - ENSEIGNEMENT Frontières vomies aborde des questions cruciales pour notre civilisation. Le nouvel ordre international reste une illusion, une utopie, mais chaque jour nous confronte à des problèmes insolubles de frontières arbitraires. L'actualité yougoslave nous plonge dans la plus grande incertitude quant aux valeurs fondatrices de nos démocraties. L'action humanitaire masque les folies nationalistes. Comment parler de la guerre, du racisme, de la violence sans tomber dans le discours théorique ? L'auteur procède par petites touches où les gestes quotidiens sont autant de métaphores de ces lois d'État qui divisent pour régner. Ce texte n'est donc pas destiné aux enfants même si leur univers est évoqué, mais il convient aux jeunes et adolescents. Bien que le sujet soit grave, le ton est humoristique, poétique ou anecdotique. Oser rire de la purification ethnique n'est pas neutre. En parler est déjà un engagement intellectuel, ironiser accrédite l'aberration d'une telle pratique. Et le héros voyage autour de la terre en restant enfermé dans son petit pays. En faisant la satire de nos gestes quotidiens que l'on croit innocents, il nous laisse perplexes. Les frontières intérieures sont aussi grinçantes que les autres, qu'elles soient régionalistes ou psychologiques. Le style du roman répond autant à la psychologie de l'auteur qu'aux exigences du média informatique : on y trouve des phrases simples, habilement découpées en « pages écran », des situations parallèles qui étonnent par l'identité de leur conclusion, des descriptions réduites au minimum nécessaire à l'intrigue. Ce discours où toute emphase est exclue, est justice rendue aux simples, à ceux qui refusent l'humanitarisme grandiloquent et hypocrite. Seule la poésie a le droit de s'attarder sur les mots, pour exciter notre curiosité, pour lier les choses entre elles, pour témoigner que nous sommes encore vivants. En site scolaire, la lecture de ce roman contribuera a affirmer la dimension littéraire de la salle informatique. L'exploitation du roman se fera par différentes approches :
Ateliers d'écriture Ce roman est un excellent outil d'incitation à l'écriture en milieu scolaire. En effet, par l'informatique, on peut donner une forme de cohérence à un récit à plusieurs mains. Il faut envisager ici la mise en forme d'ateliers d'écriture pour ordinateur. Par exemple, dans une classe, on définit un thème, des contraintes d'écriture et une architecture logique. Ensuite, chaque élève écrit son propre texte, de préférence avec un logiciel de traitement de texte. Enfin, on assemble le tout par un programme informatique. Le résultat est une composition littéraire beaucoup plus riche qu'une simple juxtaposition de récits épars. Mais n'oublions pas que la structure de Frontières vomies n'est qu'une proposition parmi des milliers d'autres possibles. Si dans un premier temps l'imitation facilite l'écriture, on laissera volontiers place à l'imagination pour inventer une littérature inédite à ce jour. Il faut noter que la diffusion d'un tel travail se fera par simple copie de disquettes. Ce mode d'écriture et de lecture élimine donc la contrainte coûteuse de l'imprimerie et permet pourtant un aboutissement concret aux travaux d'élèves. Programmation Il n'existe pas beaucoup de logiciels dédiés à l'édition de textes interactifs. On fera donc appel à une programmation en langage générique, ce qui peut intéresser les classes avec enseignement informatique. Pour Frontières vomies, la programmation a été faite avec le langage auteur EGO, dédié à l'EAO, Enseignement Assisté par Ordinateur. Ce type de langage convient parfaitement par son environnement graphique et grâce à la paramétrisation des fichiers de texte. D'autres langages existent, notamment ceux qui ont une vocation multimédia. En définitive, chaque établissement fera appel à ses propres ressources informatiques. Sinon, il pourra confier la programmation à un organisme extérieur (contacter JMP formation). Dans ce cas, le financement pourra être réalisé par PAE ou autre forme de subvention. 6 - AVENIR Frontières vomies ne manque pas de soulever de nombreuses polémiques. En effet, cet ouvrage explore la liaison balbutiante de deux mondes, celui de l'informatique et celui de la littérature. Dans sa phase expérimentale, de nombreuses questions ont déjà surgi. Le livre électronique est-il capable d'apporter une alternative culturelle aux jeux d'ordinateurs, de réconcilier les jeunes avec la littérature, de proposer des produits où la démarche culturelle prime sur le matraquage commercial ? Les enseignants sauront-ils communiquer à leurs élèves l'enthousiasme qui anime les précurseurs de la « librairique » ? Bien d'autres questions seront posées et concernent tous les acteurs du livre : lecteurs, libraires, auteurs, traducteurs, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, enseignants, bibliothécaires, journalistes, imprimeurs, graphistes, etc. Le débat promet d'être passionné ! Jean-Marie Pelloquin Paru dans la Revue de l'EPI n° 76 de décembre 1994. Voir aussi l'avis d'un enseignent. ___________________ |