Pour une évolution du système éducatif
à l'aube du XXIe siècle
Déclaration de l'Assemblée
générale de l'EPI
réunie à Paris le 19 novembre 1994
Ce texte se situe dans la continuité des textes
approuvés par les précédentes Assemblées
générales. L'essentiel des analyses et des propositions
concrètes qui sont faites dans « Pour le développement de l'informatique pédagogique dans le système
éducatif » (1990) et « Pour une culture générale en informatique à l'école, au collège et au lycée » (1992), reste valable et continue d'être promu par l'association.
Ce nouveau texte, approuvé par l'Assemblée
générale de l'EPI réunie le 19 novembre 1994à Paris, se donne comme objectif d'attirer l'attention de
l'ensemble de nos collègues et des différents
responsables politiques, administratifs, syndicaux, associatifs...
sur les implications du développement considérable des
Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication sur le
système éducatif, et sur l'obligation qu'il a
d'évoluer dans l'intérêt des jeunes et de la
société toute entière.
I - Des fenêtres ouvertes sur l'avenir
Dès les années 60 dans l'enseignement technique,
dès les années 70 dans l'enseignement
général, des enseignants ont commencé à
exploiter, avec et pour leurs élèves, les apports de
l'informatique et des technologies nouvelles. Nous ne reviendrons pas
ici sur le travail patiemment accumulé au cours des
années, la Revue de l'EPI n'a cessé d'en
témoigner.
Ces acquis doivent être reconnus et ces pratiques doivent
être généralisées. Il n'est plus possible
en effet de faire, dans quelque discipline que ce soit, comme si rien
n'avait changé, comme si les moyens offerts par l'informatique
et les technologies associées n'existaient pas. Les
enseignements techniques et professionnels ont déjà
largement évolué dans leurs contenus et leurs
méthodes, mais beaucoup reste à faire dans
l'enseignement général, à l'école, au
collège, au lycée et à l'université. Tout
reste à faire au lycée pour ce qui concerne un
enseignement de culture générale de l'informatique et
des technologies nouvelles, au service de l'ensemble des disciplines.
Cet enseignement établirait des liens étroits avec
l'apprentissage de ce qu'on pourrait appeler "l'ordinateur auxiliaire
du travail intellectuel" où figurerait en bonne place
l'utilisation raisonnée de l'ordinateur et des technologies
associées (CD-ROM, CDI...). Des pistes ont déjà
été tracées notamment par des enseignants de
l'option informatique, des ateliers de pratique, et dans le cadre
d'innovations pilotées par les Directions pédagogiques,
mais cela reste des démarches trop localisées dans le
temps et dans l'espace, pour ne pas dire confidentielles.
L'avenir exige plus que cela. A ce titre, l'expérimentation
actuelle d'un enseignement de l'informatique en classe de seconde
générale et technique, devant déboucher sur une
généralisation progressive dès la rentrée
95 et sur des options diversifiées en première et en
terminale, retient toute notre attention. Rappelons que cet
enseignement a été demandé par
l'Assemblée générale de l'EPI dès 1992.
Une chose est certaine, les technologies modernes sont devant
nous : ordinateur de cartable, ordinateur multimédia dans
la télévision domestique, systèmes-experts
éducatifs grand public... seront rapidement une
réalité hors de l'école dont celle-ci devra
impérativement tenir compte. Permises par les progrès
de la technique et ceux de l'informatique (compression d'image), des
centaines de chaînes numériques vont bientôt
pénétrer les foyers. Les "autoroutes de l'information",
par câbles et satellites, permettront les usages interactifs
les plus variés. Pour les utilisateurs qui ne seraient pas
saturés, il restera les disques compacts de toutes natures.
Nous entrons dans l'ère de l'information au delà des
prévisions les plus folles.
Les relations au savoir et à la culture seront, et sont
déjà, profondément modifiées par l'essor
de l'informatique et de nouvelles technologies de création,
stockage, recherche, communication, diffusion et transformation de
l'information. Ces innovations posent des défis nouveaux
à nombre d'activités humaines, en particulier à
l'enseignement et à la formation. En effet, ces nouvelles
technologies ne permettent pas seulement la réunion, sur un
support unique, d'informations habituellement
véhiculées sur des supports différents, elles
impliquent aussi des démarches intellectuelles qualitativement
nouvelles.
Pour les enseignants, ces technologies constituent à
présent des instruments indispensables à l'exercice de
leur profession et offrent des possibilités de recherche et
d'investigation dans le domaine de la transmission des connaissances
qu'aucune des technologies antérieures, prise
isolément, ne permet.
II - Les devoirs du système éducatif
Sa mission est de préparer les jeunes à leur avenir
marqué sans aucun doute par le développement
considérable des technologies. Sans renier ses missions
traditionnelles, il doit aussi transmettre de nouveaux savoirs et
savoir faire, proposer de nouvelles attitudes, de nouvelles
habiletés dans les approches de la connaissance permises par
ces technologies. Ainsi, dès l'école
élémentaire, les "savoirs fondamentaux" ne peuvent plus
se limiter aux "lire-écrire-compter", mais doivent inclure une
certaine familiarité avec les Nouvelles Technologies de
l'Information et de la Communication". Celles-ci sont
désormais indispensables à chacun, tout au long de sa
vie afin de recueillir des informations, de les gérer, de les
organiser pour construire une partie de ses connaissances.
La reformulation des programmes d'enseignement, l'évolution
des formations initiale et continue des enseignants, et de la
validation des connaissances dans les concours de recrutement, sont
indispensables et urgentes. Nous le répétons depuis des
années.
En même temps, le système éducatif doit
continuer à s'ouvrir sur le monde et savoir qu'il n'est plus
le seul dispensateur de connaissances. A cet égard, les
nouvelles technologies sont devant nous, les futurs enseignants
doivent y être sensibilisés et formés dès
maintenant. A plus long terme, tout porte à croire que le
système éducatif de la société
post-industrielle devra faire résolument appel aux
technologies modernes notamment pour démultiplier ses
possibilités et faciliter les auto-apprentissages.
Le système éducatif, tout en assurant une solide
formation conceptuelle, notamment dans le domaine de l'informatique
et des technologies nouvelles - élargissant ainsi la culture
générale des jeunes - doit considérer aussi que
l'accumulation des connaissances n'est plus une fin en soi. Il faut
rechercher une certaine autonomie de l'élève ou de
l'étudiant qui doit apprendre à apprendre ;
l'ordinateur et les technologies associées peuvent largement y
contribuer. Ils peuvent jouer un rôle considérable dans
l'aide au travail personnel, dans et hors de la classe, comme dans le
soutien aux élèves en difficulté. Les
mêmes objectifs doivent se retrouver tout au long de
l'enseignement supérieur.
Une insuffisante maîtrise des technologies modernes dans un
monde de plus en plus complexe risque de créer de nouveaux
exclus. Aux handicaps liés à la lecture, s'ajouteraient
ceux liés à la technique mal maîtrisée. Un
système éducatif démocratique se doit de relever
ce nouveau défi.
Dans le même temps, le rôle du Service public
d'éducation est de porter un regard critique et constructif.
Ainsi, rien ne garantit a priori que les multimédias et les
autoroutes de l'information ne rimeront pas avec abêtissement.
Certains nous prédisent déjà la dérive
d'Internet qui, de système ouvert permettant de larges
initiatives des utilisateurs, passerait progressivement sous la coupe
de grands opérateurs plus soucieux de chiffre d'affaire que de
contenus... Autre exemple : quels bouleversements vont apporter
les mondes virtuels ? Quelle représentation du mondeentraîneront-ils chez les jeunes ? Il y a là de
véritables défis pour l'enseignement de demain.
Il est certain que le déploiement de l'ordinateur
multimédia dans le grand public - probablement plus vite que
dans le système éducatif, sous la pression des jeux
vidéo, du cinéma, de la télévision -
permettra l'accès généralisé aux savoirs
et remettra en question l'organisation de l'enseignement et de la
formation permanente des adultes, avec les conséquences qu'on
peut imaginer si la création de produits en langue
française n'est pas massivement assurée.
La recherche pédagogique est de plus en plus
indispensable : tout doit être fait pour l'encourager et
la développer.
III - Former pour le XXe siècle
Même s'il semble aller de soi, le système
éducatif tel que nous le connaissons est relativement
récent, c'est un acquis social considérable. Nous
devons tout faire pour le préserver et pour assurer son
évolution qui doit tenir compte du déploiement des
technologies modernes.
Les enseignants doivent être préparés
dès maintenant à être des initiateurs à
l'emploi réfléchi et maîtrisé de ces
technologies ; ils doivent être capables, pour leurs
élèves, d'en exploiter le meilleur et d'en
éviter le pire.
Plaçons-nous encore dans la logique des disciplines - dont
les définitions semblent aller de soi alors qu'elles
s'enracinent dans un savoir du XIXe siècle -
l'ordinateur et l'ensemble des technologies qui en dépendent
seront de plus en plus des auxiliaires efficaces pour la plupart des
activités intellectuelles.
Dans nombre d'activités, les transformations que
l'informatique apporte aux modes d'accès à la
connaissance sont considérables (banques de données,
réseaux, CD-ROM...). Ainsi on apprend mieux lorsqu'à
partir de connaissances de base on se trouve en situation de poser
ses propres questions, de rechercher des éléments de
réponse, de les confronter à des modèles
différents, de les mettre à l'épreuve de
l'expérience éventuellement simulée.
Apprendre à travailler avec ces nouvelles technologies
n'est pas un exercice formel vide de sens ; l'accent doit
être mis sur les acquisitions méthodologiques aux effets
durables, consultation de banques de données, utilisation
raisonnée de progiciels, de dictionnaires
électroniques, etc. L'intérêt de ces
démarches est facteur de motivation.
Pour ce qui concerne l'enseignement de l'informatique :
L'a-t-on assez dit, l'informatique permet à moindre
coût de placer l'élève en situation de faire - ou
de faire-faire à la machine - d'hésiter, de se tromper,
de recommencer après réflexion, bref d'être actif
et créateur. Ce type de démarche est trop rare dans le
système éducatif.
Programmer une calculatrice, rédiger une macro-commande
pour un traitement de texte ou un tableur, mettre en oeuvre un
langage, élaborer un hypertexte... sont des activités
formatrices. Nous plaidons pour une pratique minimum de la
programmation, sans que cette activité soit
nécessairement une fin en soi. Il s'agit d'améliorer la
perception que l'élève, futur citoyen, aura de la
machine, de l'aider à mieux en percevoir les limites, de la
lui rendre plus familière et moins magique. C'est l'aspect
culturel qui nous intéresse ; la culture
générale de cette fin de siècle doit
intégrer une part de culture technique, accessible à
tous sans obstacle de la langue.
L'informatique est au coeur des technologies modernes qui ne vontpas forcément de soi. Un certain nombre de connaissances -
somme toute relativement limitées - sont de nature à
faciliter aux jeunes et aux moins jeunes l'appropriation de ces
techniques.
IV - Ce ne sont pas de discours dont nous avons besoin mais
d'actes
Il serait étrange et dommageable que l'informatique et les
technologies associées, qui ont un tel impact sur la
société, aient si peu de retombées sur les actes
d'enseigner et d'apprendre. Si l'on veut que le système
éducatif reste en phase avec son temps, après plus de
trente années d'expérimentation et un foisonnement de
pratiques qui ne sont encore que le fait d'un "noyau dur"
d'enseignants enthousiastes, les responsables politiques doivent
permettre les conditions d'un large développement.
Mais il faut aussi savoir raison garder, la fuite en avant ne peut
tenir lieu de politique éducative. L'EPI, comme chacun,
perçoit les grands enjeux de l'avenir en matière
d'information et de communication : satellites, câbles,
multimédias... Elle sait aussi ce que sont les
matériels actuellement disponibles dans les
établissements et ce qu'il est possible de demander aux
collectivités territoriales dans un contexte de
pénurie. Faisons dès maintenant ce qu'il est possible
de faire avec les matériels et les compétences dont
nous disposons, ce sera toujours mieux qu'attendre.
Face au problème majeur du chômage ce débat
peut paraître à certains dérisoire. Pourtant,
nous restons persuadés qu'un pays comme le nôtre, et
l'Europe toute entière, ne pourront garder leur
identité, résister à la concurrence
internationale, créer des emplois et dégager des
ressources pour la collectivité que s'ils développent
des secteurs de haute technologie nécessitant une main
d'oeuvre hautement qualifiée. Les entreprises, petites et
moyennes, doivent également se moderniser et ne peuvent le
faire qu'en disposant d'une main d'oeuvre compétente en
matière de technologies modernes, issue d'une
société dont la culture globale aura
intégré, grâce au système éducatif,
ces technologies. Existe-t-il d'autres choix ?
*
* *
Puisse ce texte susciter un débat collectif dans et
au-delà de l'association. C'est une nouvelle contribution de
l'EPI à l'évolution du système éducatif
français à quelques années du XXIe
siècle.
Paru dans la Revue de l'EPI n° 76 de décembre 1994.
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