Les représentations de l'ordinateur chez les élèves de CM2 Charles Peyssonneaux Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont de plus en plus présentes dans les écoles primaires et dans les classes. Les élèves ont accès à ces technologies hors de l'école, à la maison notamment, avec un taux d'équipement des ménages croissant, une large diffusion des logiciels éducatifs et le développement d'Internet. La publicité et l'offre du marché vont également dans ce sens. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger sur l'état des représentations des élèves de l'école primaire concernant les nouvelles technologies. Quelles sont les représentations des élèves de l'école primaire concernant l'ordinateur ? Les facteurs extérieurs à l'école interviennent, dans quelle mesure influencent-ils les représentations, dans un contexte de foyers équipés, d'écoles connectées et de campagne publicitaire ? 1-LES REPRÉSENTATIONS E. Durkheim en 1898 fut à l'origine de la notion de représentation. Bien plus tard cette notion sera reprise et développée, d'un point de vue psycho-sociale, par S. Moscovici (1960) puis par ses successeurs tel D. Jodelet (1989). Pour ce dernier auteur « ... le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale. » Les représentations sociales se caractérisent par un contenu de nature cognitive, signifiant et symbolique. Ce contenu est organisé par un processus qui transforme la réalité sociale en un objet mental, une idée plus ou moins complexe et en évolution permanente. Dans le cas présent, la réalité sociale se construit à partir de trois éléments essentiels : l'école, le foyer familial, le monde environnant dans lequel la pression du marché est à prendre en compte. Pour les sciences de l'éducation, l'étude des représentations sociales présente un grand intérêt (Gilly M. 1989), elle peut expliquer l'influence de facteurs sociaux sur le processus éducatif. D'une manière plus générale, décrire et analyser les représentations des élèves, doit permettre une interprétation de leur comportement et de leurs attentes. Pour faire émerger les représentations, plusieurs approches sont possibles. Pour l'enseignement des sciences à l'école par exemple, l'entretien collectif et le dessin légendé sont utilisés couramment. Dans le cas de cette étude, nous avons choisi comme outil d'investigation : la carte de concepts. Une solution intermédiaire entre dessins et production langagière, n'obligeant pas la représentation à être aussi linéaire que cette dernière. Cet outil mis en oeuvre dans le cadre d'un projet multinational, permet de standardiser le recueil des données, minimiser le problème de langue et faciliter le traitement de l'information. 2-LES CARTES DE CONCEPTS La carte de concepts vise à représenter sous forme de schémas des informations, du texte ou des images. L'objectif est de faire ressortir les concepts importants et les liens qui les unissent, ainsi que de faciliter la compréhension. La technique n'est certes pas nouvelle, Hanf M.B. en 1971 proposait son utilisation pour la prise de note et la planification de projets. Mais elle prend tout son sens dans un contexte de surabondance d'informations. Il s'agit ici de la façon la plus élémentaire de visualiser de l'information et d'établir des réseaux sémantiques. De nombreuses disciplines utilisent cette technique dont l'ingénierie, l'intelligence artificielle, les mathématiques, la philosophie et les sciences de l'éducation. Pour F. Tochon (1990), « la carte de concepts en science de l'éducation est la représentation sémantique de la mémoire déclarative (mémoire factuelle de stockage du long terme). » Il envisage trois types de cartes :
Dans le cas présent ce sont uniquement ces dernières qui nous intéressent. Cet auteur nous prévient de la difficulté de faire établir des cartes de concepts. D. Paquelin (1996) partage cette opinion et explique que la difficulté réside dans la démarche d'abstraction modélisatrice. Il précise que l'élaboration de graphes conceptuels par des élèves n'est pas une chose courante. Dans les écoles françaises les cartes de concepts ne sont pas utilisées, les élèves ignorent totalement cette forme d'expression. Ponctuellement, des présentations graphiques avec quelques caractères des cartes de concepts sont mises en oeuvre par des enseignants. Il s'agit des arbres de connaissances et des listes de mots pour l'étude des champs lexicaux. Mais ces deux objets restreignent considérablement les possibilités des cartes de concepts, l'un dans la structure, l'autre dans le contenu. Ce n'est pas un outil spécifique pour faire émerger les représentations, mais il est intéressant car il peut fournir du texte, des dessins et une organisation spatiale avec des liens entre les concepts. 3-MISE EN OEUVRE Pour cette étude nous disposions d'un échantillon de 55 élèves provenant de deux classes de CM2, choisies dans deux écoles différentes des Hauts de Seine. Pour une des écoles les élèves sont issus des classes moyennes (artisans, employés, ouvriers), l'autre école correspond à une population d'enfants de cadres et de professions libérales. Dans les résultats nous n'avons pas relever de différence entre les deux écoles. Les deux écoles sont bien équipées avec une salle informatique et un ordinateur en fond de classe. Le taux d'équipement et de connexion des familles est élevé, confirmant certains chiffres de J. Jouët et D. Pasquier (1999).
Dans un premier temps, à titre de préparation, les élèves ont réalisé une carte de concepts sur le thème des vacances. L'analyse des cartes a été suivie d'entretiens semi-directifs pour préciser quelques points sur certaines cartes. 4-RÉSULTATS L'impression générale que donne ce jeu de 55 cartes de concepts, est un recul du matériel par rapport aux études précédentes (Bomfim-Souza M., 1999 ; Pelpel N. ,2000) et une progression très nette d'Internet. 4-1-Les données brutes Les mots et expressions recueillis sur les cartes concernent tous sans exception l'informatique, l'orthographe est assez bonne. Nous avons relevé au départ 263 mots différents qui se sont réduits à 257, par la suppression des pluriels et des équivalents. La consigne : « Faites un travail personnel pour ne pas fausser les résultats de l'étude » a été particulièrement suivie et eu pour effet une grande dispersion. Le nombre total de mots exprimé est de 922 pour 55 élèves, soit environ 16 mots par élève. Les mots les mieux représentés sont dans l'ordre : (R+ M) (École R 28 élèves, école M 27 élèves)
Nous remarquons le peu de différence entre les résultats des deux écoles. Les mots « jeux » et « Internet » se retrouvent sur presque toutes les cartes, ensuite avec une présence à 50 % figurent deux éléments matériels : « cédérom » et « imprimante ». Les usages cités sont : le « travail », le « dessin », la « recherche ». 4-2-Regroupement suivant 9 rubriques
Nous avons défini 9 domaines ou rubriques dans lesquels nous avons rangé les 922 mots exprimés, ceci de manière à pouvoir comparer l'importance relative de chaque domaine. 4-1-Internet Le mot « Internet » a été cité dans 87 % des cartes. Internet est apparu comme un mot générique. Pour quelques élèves le concept est assez bien établi, avec des concepts associés : rechercher, site, e-mail, Lycos. Pour d'autres ce terme est certes associé à l'ordinateur, on le voit écrit partout sur les affiches publicitaires sur la couverture des magazines, on en parle à la télévision, mais ça demeure un grand mystère. Entre ces deux types d'élèves, nous trouvons tous les intermédiaires. Le fonctionnement d'Internet est inconnu, malgré un certain nombre d'indices : connexion, A.O.L., Wanadoo, Lycos, et de réponses précises : « c'est la société à qui on donne de l'argent pour aller sur Internet », « c'est pour faire la recherche ». Les usages sont souvent mentionnés : « découvrir des sites, envoyer des e-mails, acheter, vendre, louer, enchères, relevé bancaire, voyages, discuter par ordinateur, météo, renseignements. » 4-2-Importance des jeux Le mot « jeux » a été cité dans 80 % des cartes. Le mot jeux est apparu à égalité pour les filles et les garçons. Les jeux simples fournis avec Windows (Démineur, solitaire) sont cités par les filles, les garçons sont plus concernés par des jeux vidéo comme « Age of empire » ou « Fifa » (9 et 8 à l'école R). Cette tendance a été signalée par Trémel L. dans sa thèse (1999). La socialisation est importante autour de ces jeux qui s'inscrivent dans un phénomène de mode, lequel se construit autour de l'école pendant les récréations notamment. Les jeux restent une entrée importante des élèves dans le monde des nouvelles technologies, ils permettent une familiarisation rapide avec le matériel et les principales fonctionnalités. 4-3-Le matériel La rubrique matériel représente 16 % des mots exprimés. Le cédérom vient en tête avec 52 %, détrônant la disquette qui n'obtient que 18 %. L'imprimante 47 % et le scanner 16 % suivent l'offre du marché, ce sont des appareils présentés couramment dans les rayons des supermarchés. L'utilisation de la carte de concepts comme nous l'avons fait, n'a pas favorisé l'émergence d'éléments concernant le matériel. Nous avons obtenu cependant quelques illustrations montrant très souvent les enceintes acoustiques. Les entretiens ont permis de vérifier la bonne connaissance du matériel, sauf pour l'unité centrale (4 %), qualifiée dans le meilleur des cas de « la boîte de l'ordinateur ». Cet élément est souvent passé sous silence, ou perçu comme boîtier de commande marche-arrêt, lecteur de disquettes et de CD. Le modem n'a jamais été mentionné, il faut dire que son intégration dans les machines récentes le dématérialise aux yeux des élèves. Le graveur de CD, très prisé par les adolescents, n'a pas retenu l'attention de ces enfants de 10 ans. 4-4-Les usages, les activités La rubrique usages et activités représente 17 % des mots exprimés. Nous considérons sous cette rubrique les usages autres que le jeu et les activités liés à Internet. Le travail Comme nous l'avons vérifié lors des entretiens, le travail est considéré sous deux formes : le travail des adultes à la maison et le travail scolaire. L'aide apportée par l'ordinateur est souligné. Le travail à l'école est associé au français et aux mathématiques, à l'écriture, mais aussi aux logiciels éducatifs. L'importance que les élèves accordent au travail nous avait déjà surpris lors de l'élaboration en commun de la carte de concepts sur le thème des vacances, des enfants avaient proposé le travail et les devoirs de vacances. Le dessin Deux élèves associent le logiciel Paint au dessin. Ce logiciel accessoire de Windows est utilisé à la maison de la même manière que les jeux (solitaire, démineur) situés au même endroit. Les entretiens ont confirmé l'usage courant de ce logiciel. Effectuer une recherche Le terme recherche ou rechercher recouvre un certain nombre de choses. Il s'agit en premier lieu de la recherche sur Internet. Le terme est employé aussi pour la consultation du dictionnaire ou de l'encyclopédie. Enfin, c'est une fonctionnalité machine : « rechercher », en cas de difficulté l'adulte qui vient aider un élève l'utilise souvent. La musique Cet usage vient de quelques foyers où les parents écoutent des CD audio en travaillant sur l'ordinateur. Mais il est signalé plus fortement à l'école R., car le professeur de musique commande son piano électronique à partir d'un vieux Mac LC475. Les fonctionnalités machine La rubrique des fonctionnalités machine représente 6 % des mots exprimés. Nous trouvons dans ce domaine une grande dispersion des données avec 56 mots. Les élèves ne semblent pas se soucier beaucoup du fonctionnement de l'ordinateur ou d'Internet. Nous avons noté quelques rares mentions :
Les affichages de l'écran et l'organisation sont cités occasionnellement :
4-3-Les mots de l'ordinateur Nous pensions que certains mots devaient être glanés sur des supports publicitaires, apparaître dans la carte de concepts, mais en fait masquer une certaine ignorance. Nous avons lors des entretiens effectuer quelques sondages ponctuels. Le terme de Lycos dans la carte N° 16 figure dans la branche Internet avec un lien sur recherche. Ce qui montre que l'élève sait ce que ce mot signifie. Nous avons vérifié auprès de cinq autres élèves, quatre ont donné des réponses satisfaisantes : Ou bien : Le mot émulateur est apparu une fois, l'élève qui l'a cité, nous a donné une information complète : L'unité centrale a été citée deux fois sur les cartes et c'est : « la boîte de l'ordinateur » ou « l'ordinateur ». 5-CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Dans cette étude nous avons vu que ces élèves de CM2 ont des représentations de l'ordinateur assez riches. Ils ont utilisé 257 mots différents pour les exprimer. Chaque élève défini l'ordinateur avec en moyenne 16 mots sur sa carte de concepts. Ils associent systématiquement à l'ordinateur les mots « Internet » et « jeux ». Bien qu'ils connaissent mal le fonctionnement de cette machine et d'Internet, ils ont une conception assez large des usages et une bonne connaissance du matériel. Nous pouvons considérer que les conditions sont requises pour mettre en oeuvre des pratiques pédagogiques utilisant l'ordinateur et Internet. Charles Peyssonneaux Paru dans la Revue de l'EPI n° 103 de septembre 2001. BIBLIOGRAPHIE BARON, G.-L., BRUILLARD, É. (1996). L'informatique et ses usagers dans l'éducation. Paris, PFU, l'Éducateur, 312 p. BARON, G.-L., BRUILLARD, É., DANSAC, C. (1999). Représentations, modélisations ; implications sur les stratégies éducatives et sur les processus d'apprentissages : synthèse bibliographique. Educational Multimedia Task Force project MM 1045. Paris, INRP, 165 p. BOMFIM SOUZA, M. (1999). Internet à l'école, une étude exploratoire sur les représentations des élèves, mémoire de D.E.A., École Normale Supérieure de Cachan, 57 p. HANF, M.B. (1971). Mapping : A technique for translating reading into thinking. Journal of Reading. p. 225-230. HARRARI, M. (2000). Informatique et enseignement élémentaire 1975-1996. Contribution à l'étude des enjeux et des acteurs. Thèse de doctorat, ParisV, Sciences de l'éducation, sous la direction de G.-L. BARON, 363 p. JODELET, D. (1984). Représentations sociales : phénomènes, concept et théorie. in S. Mouscovici (éd.). Psychologie social. Paris, PUF. JODELET, D. (1989). Représentations sociales : un domaine en expansion. in D. Jodelet (éd.). Psychologie social. Paris, PUF. JODELET, D., (1991). Représentations sociales. Paris, PUF, 424p. JOUËT, J., PASQUIER, D. (1999). Les jeunes et la culture à l'écran ; enquête nationale auprès des 6-17 ans, Réseau n° 92-93, CNET-HERMES science publications. Paris, p. 25-102. NORMAND, S., BOMFIM SOUZA, M. (2000). Internet à l'école. in Baron, Bruillard et Lévy Les technologies dans la classe de l'innovation à l'intégration. Paris, EPI/INRP, p. 185-195. PAQUELIN, D. (1996). Les cartes de concepts : outil pour les concepteurs et les utilisateurs d'hypermédia éducatif. in Bruillard, Baldner et Baron : Hypermédia et apprentissages 3. Paris, EPI/INRP, p. 85-96. PELPEL, N. (2000). Dessine-moi une souris, Étude comparative de représentations d'élèves du primaire, mémoire de D.E.A., École Normale Supérieur de Cachan, 32 p. PEYSSONNEAUX, C. (2001). Les représentations de l'ordinateur chez les élèves de CM2. Mémoire de D.E.A. Enseignement et diffusion des Sciences et Techniques, Option Technologie de l'Information et de la Communication. Cachan : L.I.R.E.S.T. 25 p. TOCHON, F. (1990). Les cartes de concepts dans la recherche cognitive. Perspectives documentaires en éducation, n° 21, p. 87-105. TREMEL, L. (1999). Les faiseurs de mondes : essai socio-anthropologique sur la pratique des jeux de simulation. Thèse de doctorat de sociologie, EHESS Paris, sous la direction de J.-L. DEROUET, 378 p. ___________________ |