Vingt ans plus dix ans après...

Quel rôle pour la recherche en éducation ?

Georges-Louis BARON

 

     Les repères les plus indiscutables et souvent les plus insignifiants qui scandent la fuite du temps sont dans notre société sont liés aux anniversaires et aux commémorations décennales, séculaires, millénaires...

     Dans le champ de l'informatique pour l'enseignement, on en est maintenant à des repères décennaux. J'ai récemment retrouvé un court article que j'avais écrit pour l'EPI en 1981 (c'est à dire il y a vingt ans), alors que j'étais enseignant associé à mi-temps à l'INRP, dont le titre est "dix ans après (où en est l'INRP ?)".

     La vague micro-informatique commençait juste à se former et le gouvernement avait engagé un plan d'équipement des lycées et collèges avec 10 000 micro-ordinateurs, ce qui à l'époque était extrêmement ambitieux. La décennie 70 avait été celle d'une introduction limitée de l'informatique, menée sous le signe de la confiance faite aux enseignants pour trouver comment l'utiliser, une fois qu'ils auraient été formés, avec des élèves. Le pilotage était assuré par l'INR (D) P - le sigle a changé en 1975 - où une section informatique et enseignement avait été créée en 1972. Cet institut avait notamment eu la lourde tâche, en un temps où tout était à explorer, d'impulser et de coordonner les efforts des enseignants engagés dans l'action, de faire circuler l'information produite et de confronter les points de vue. Le travail de recherche consistait principalement à proposer des exemples de renouvellement de disciplines grâce à la "démarche informatique", à créer et à valider des logiciels à usage éducatif.

     Comme à chaque phénomène de changement d'échelle, il y eut de nouvelles orientations et des changements importants. Le pilotage des actions passa à la direction des lycées et l'INRP put alors se recentrer sur son "métier principal" comme on dirait maintenant : en relation avec des enseignants, questionner, inventer, analyser, donner des éléments permettant d'anticiper les évolutions.

Mon article de 1981 plaidait pour la poursuite de la recherche "afin de permettre la découverte et la validation de méthodes nouvelles". Remarquant qu'en ce domaine "les enjeux sont à moyen et long terme" et qu'ils "risquent de ne pas peser très lourd face à des enjeux économiques à court terme", il revendiquait de faire de l'INRP "un outil efficace au service de l'innovation pédagogique dans l'enseignement".

     Depuis, bien de l'eau a coulé sous les ponts de l'innovation pédagogique, les superbes machines d'alors (64 Ko de mémoire vive et deux lecteurs de disquette) sont devenues des pièces de musée et une partie des pionniers a pris une retraite méritée. Les outils informatiques se sont diffusés et l'accès à l'information se fait de plus en plus par l'intermédiaire de logiciels. Nous sommes au début d'une phase de développement d'une nouvelle technologie, Internet, qui changera sans doute nos façons de communiquer avec les autres, pour le meilleur et pour le pire.

     Dans ce mouvement, une disparition a été annoncée, celle de la nécessité de compétences en informatique (ce substantif est pratiquement devenu un adjectif). Il est indéniable que nos moyens de communiquer avec l'ordinateur ont été bouleversés en vingt ans, que les interfaces modernes font efficacement écran à ce qui est traité "en machine" (avec le réseau, la question de savoir quelle est la machine qui traite a d'ailleurs acquis une complexité nouvelle). Il est tout aussi indéniable que les questions liées au traitement automatique de l'information (ce qui est une autre façon de parler d'informatique) se posent toujours avec acuité.

     Je soutiens que, dans la longue série d'actions entreprises en 30 ans, les recherches menées en relation avec des enseignants ont joué un rôle fondamental. Les "bonnes" idées (au sens où elles sont en harmonie avec les besoins d'une communauté) survivent aux changements technologiques et durent. Pour donner un exemple, un logiciel comme NUT, simulation de nutrition développé par des pionniers au début des années soixante-dix était encore au milieu des années quatre-vingt-dix parmi les meilleures ventes du CNDP.

     Le "front" de la recherche pédagogique, au début des années 80, s'intéressait en particulier à LOGO, à l'expérimentation assistée par ordinateur, aux systèmes experts dans l'enseignement. Les résultats des travaux alors menés ont nourri des développements. LOGO, pour sa part, a été largement diffusé au moment du plan informatique pour tous, puis a connu un désintérêt progressif. Dans la seconde moitié de la décennie, l'expérimentation assistée par ordinateur a fait l'objet de développements puis d'une banalisation progressive dans les années 90. La recherche sur les systèmes experts et l'enseignement s'est surtout poursuivie à l'université, s'orientant progressivement vers la modélisation par des agents logiciels coopérant entre eux.

     Le front de la recherche s'est progressivement déplacé ; les chercheurs (qu'ils soient professionnels ou occasionnels) se sont intéressés à des phénomènes comme la télédétection, à la question des explications dans les logiciels, puis aux processus d'intégration dans les disciplines d'outils, d'instruments et de concepts informatiques. Plus récemment, ils se sont tournés vers les possibilités ouvertes par les hypermédias et les multimédias, notamment lorsqu'ils sont hébergés dans des objets "nomades", du type livre électronique. Maintenant, ce sont les possibilités d'Internet qui font l'objet d'investigations.

     La recherche est une dimension fondamentale des processus conduisant d'une idée initiale à une banalisation dans les classes. Ces derniers sont tortueux et lents. Ils n'aboutissent pas systématiquement... Quand ils le font, c'est à partir d'idées considérées un temps comme innovantes et ayant bénéficié d'un engagement pédagogique collectif pendant une durée assez longue. L'EPI, dans ce type de processus a toujours joué un grand rôle de diffusion en ouvrant les colonnes de ses publications à des résultats de recherche et d'innovation.

     Vingt ans après 1981, le contexte a beaucoup changé. Les vues dominantes sur l'éducation ont évolué, les orientations de type néo-libéral ont gagné du terrain, la globalisation nous oblige à tenir compte de considérations nouvelles. Dans le domaine des biens et des services éducatifs, les "start-ups" fleurissent et désormais, la majeure partie de l'initiative technologique échappe au secteur éducatif (et même sans doute pour une bonne part aux gouvernements de la vieille Europe).

     Plus qu'il y a vingt ans, on peut considérer qu'il y a un capital d'expertise de la profession enseignante. Comme il y a vingt ans, cependant, il existe toujours un besoin d'invention, de capitalisation des acquis intellectuels (et non pas financiers). Il y a urgence à ce que le milieu enseignant reste acteur de son propre devenir. Pour cela, la recherche en éducation est un investissement d'avenir...

Georges-Louis BARON

Paru dans la Revue de l'EPI  n° 100 de décembre 2000.
Vous pouvez télécharger cet article au format .pdf (88 Ko).

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(1er février 2001)

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