NOUS AVONS LU
 

Le numérique éducatif (1977-2009)
30 ans d'un imaginaire pédagogique officiel

Daniel Moatti, préface de Pascal Lardellier, 2010, Éditions Universitaires de Dijon, Collection « Sociétés », 128 pages, 20 euros.

   Cet ouvrage comprend trois parties :

   Dans la première partie, L'utilisation continue et pragmatique des techniques de l'information au sein d'un cadre institutionnel, l'auteur traite notamment des rigidités et permanences dans un cadre institutionnel instable. Il remonte à loin (rapport du 28 pluviôse de l'an VIII !) souligne l'inflation des textes (les 3 000 pages annuelles du BOEN) égratigne au passage la hiérarchie, les différents ordres d'inspection. On sent là comme un règlement de compte. Mais pourquoi pas ?

   Cet ensemble est assez hétérogène. La méthode « en mosaïque » oblige (page 22). Ce qui n'empêche pas d'apprécier quelques passages inspirés comme celui sur la multiplicité des textes officiels bavards, peu cohérents, parfois contradictoires et souvent peu adaptés aux réalités pédagogiques, sociales, culturelles.

   Du chapitre « L'intégration « réussie » de l'image à un échec relatif des technologies de l'information » on retiendra la réussite scolaire des enfants qui ne regardent pas ou peu la télévision chez eux (le mérite en revenant aux parents) et le constat sévère que, dans leur ensemble, les enseignants n'ont pas su ou pas voulu intégrer les médias audiovisuels à leur pédagogie (la faute à qui ?).

   La deuxième partie, Une rupture annoncée. Les technologies de la communication en tant qu'idéologie... (pages 85 à 159), nous fait entrer dans le vif du sujet : le numérique éducatif. L'auteur s'applique à décrire « l'imaginaire techniciste développé par l'élite de la nation ». Il pointe assez justement les excès, pas seulement de langage, d'une politique volontariste plus souvent axée sur les matériels que sur les contenus. Le mot « révolution » truffant les textes officiels et les médias en écho. Sans compter les poncifs du genre « les enfants [en matière d'informatique] sont les tuteurs de leurs parents » déclinés à toutes les sauces. Tout cela est assez bien vu. D'autant que la « révolution » tant attendue semble bien floue (page 121). La thèse qui tient à coeur à Daniel Moatti, il y revient plusieurs fois, est le remplacement, selon lui, d'une « ancienne idéologie » la laïcité à l'école par un nouvel imaginaire numérique. Le délitement de la laïcité s'effectuerait en concomitance avec l'imposition d'un imaginaire technologique à l'Éducation nationale. Mais « Est-ce un hasard où une coïncidence ? » se demande t-il en page 85. Et plus loin (page 144) : « Certes, il n'apparaît pas de lien suffisamment visible de causalité... ». C'est effectivement ce qu'il nous semble. Comme l'auteur, nous ne confondons pas concomitance et causalité.

   Dans la troisième partie, Une remise en cause de la sacralisation du « tout numérique » en milieu scolaire, nous retiendrons ce constat lucide : les usages réels des adolescents et préadolescents ne sont pas ceux espérés, ils s'inscrivent principalement dans un cadre ludique. Nous suivons parfaitement Daniel Moatti sur ce terrain. L'auteur cite effectivement des témoignages et pourcentages impressionnants. Le temps passé devant les ordinateurs, téléphones portables et autres appareils numériques (sans oublier la télévision) est considérable. Le tableau dressé est plutôt sombre même si les avis sont souvent contradictoires sur les effets de ces pratiques. Ainsi, « autour des jeux vidéo s'affiche un ensemble de craintes et de peurs parentales et éducatives recevant des réponses radicalement divergentes de la part des autorités scientifiques » (page 174)

   Alors, que faire ? Faut-il supprimer les ordinateurs, omniprésents dans la société ? Peut-on se passer de l'informatique et d'internet à l'École ? Questions difficiles. Aristote vilipendait déjà l'écriture et, plus près de nous, certains collègues des années 60 refusaient les copies au stylo bille ! L'auteur (fin du chapitre 3) renvoie un peu vite au B2i « détaché de l'imaginaire technologique et professant des ambitions plus modestes » Pas un mot sur l'informatique discipline, dans les enseignements général et technologique. Nous aurions pourtant été là de plain pied dans le « numérique » et dans la recherche d'autre chose qu'un certain imaginaire.

   En conclusion, l'auteur, chercheur habilité à diriger les recherches, directeur de thèse, propose un vaste programme de recherche. Il y a effectivement du pain sur la planche !

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   Quelle est la meilleure voie pour le système éducatif républicain sachant que nous sommes pour longtemps dans une société mondialisée où l'informatique jouera de plus en plus, dans tous les secteurs, un rôle dominant ?

   L'École a le devoir impérieux de préparer les jeunes générations. Elle ne peut se dérober. Mais, doit-elle se contenter de singer ce qui se fait hors de ses murs ou doit-elle au contraire prendre de la hauteur, délivrer une véritable culture informatique, avec tous les volets qui la composent, qui permette de former l'homme, le travailleur et le citoyen. Nous renvoyons aux éditoriaux et textes anciens et récents de l'EPI

   Gardons nous seulement de passer trop de temps à chercher car pendant ce temps d'autres pays avancent... Si nous nous laissons distancer dans toutes les industries et activités de pointe (c'est-à-dire celles à fort contenu numérique) nous n'aurons plus guère les moyens de la recherche pédagogique et plus que nos yeux pour pleurer.

Jacques Baudé

À propos de l'EPI, quelques lignes lui sont consacrées ici et là. Nous ne nous attarderons pas sur quelques erreurs et approximations sans grand intérêt (par exemple page 86).

   Il est impossible de rendre compte en quelques lignes des finalités et actions d'une association qui a joué, et continue de jouer, un si grand rôle dans le déploiement de l'informatique pédagogique en France. Portons à l'actif de l'auteur le rappel d'un passage essentiel du premier éditorial du Bulletin de l'EPI (décembre 1971) : « Membres de l'enseignement public, nous ne devons pas nous laisser déposséder de nos responsabilités. C'est à nous qu'il appartient de dire comment nous utiliserons et comment nous n'utiliserons pas l'informatique »
http://www.epi.asso.fr/revue/01/b01p001.htm

   Cette exigence n'a jamais cessé d'être celle de l'association. Par contre, laisser croire que l'EPI n'aurait fait, au cours de ses 40 années d'existence, que la promotion enthousiaste de l'utilisation de l'ordinateur est un peu court. Ce que semble ignorer Daniel Moatti, par ailleurs fort bien informé, c'est que depuis le début des années 80 (ce qui correspond au champ de son ouvrage) l'EPI milite activement pour une complémentarité des approches. Elle ne cesse de déclarer que l'utilisation de l'informatique (et pas seulement d'internet) dans les disciplines, connaît ses limites. Le système éducatif doit jouer pleinement son rôle et assumer également l'enseignement d'une discipline informatique avec ses différents volets. Et quand l'auteur parle de « nouvelle approche » (page 90) dans un article paru en 2009, cette approche date de plus de 30 ans et même bien avant si l'on veut bien lire intégralement l'éditorial cité plus haut !
Cf. par ailleurs l'historique de l'EPI et l'historique de l'option informatique des lycées :
http://www.epi.asso.fr/revue/histosom.htm
et
http://www.epi.asso.fr/revue/histo/h10oi_jb1.htm

   Rappelons aussi que les mises en garde, les éditoriaux et articles critiques, les demandes récurrentes de recherche pédagogique et de formation des enseignants, n'ont pas cessé au cours de ces longues années. Nous sommes très loin, pour l'EPI, d'un enthousiasme béat !

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Association EPI
Janvier 2011

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