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Rapport sur l'enseignement des sciences et sur l'environnement de travail des enseignants et enseignants-chercheurs

Jean-Pierre Demailly, Professeur à l'Université de Grenoble I, Membre Correspondant de l'Académie des Sciences à Monsieur le Ministre de l'Éducation nationale, Monsieur le Ministre de la Recherche et de la Technologie, Monsieur le Secrétaire d'État à l'Industrie.
Saint-Martin d'Hères, le 30 juillet 2001.
(extrait)

   Il est à noter que l'on n'enseigne actuellement presque aucune « informatique sérieuse » au Lycée, juste une formation à l'usage de logiciels assez spécifiques comme les tableurs ou les instruments de calcul, en général dans des contextes qui réduisent les élèves à l'état d'utilisateurs passifs de techniques venues d'ailleurs, et qui leur restent totalement étrangères au plan de la compréhension des mécanismes [1].

   Bien sûr, une formation à l'usage de logiciels spécifiques est compréhensible pour des filières courtes à visée professionnelle (secrétariat, comptabilité, etc.), mais ce type de formation n'a pas sa place dans les filières générales. Des expériences tentées il y a environ une quinzaine d'années dans les programmes du secondaire ont montré qu'il était possible, en option informatique, d'enseigner des choses beaucoup plus intéressantes, telles que la programmation dans un langage informatique de base – par exemple en relation avec les mathématiques et la compréhension des concepts logiques fondamentaux (cf. aussi l'analyse de Bernard Lang [2]). Ces concepts restent hélas presque totalement ignorés dans l'enseignement actuel au Lycée. Cela est consternant, compte tenu de l'importance croissante que jouent ces concepts dans la technologie contemporaine et même dans la vie quotidienne [3].

   Quel rôle peut-il rester à cette école de la grise et uniforme médiocrité, alors que des jeunes fortement motivés et placés dans des conditions favorables peuvent – loin de l'école – parvenir eux-mêmes à des réalisations remarquables ? L'ennui généré chez certains élèves par l'absence d'enjeu ou de stimulation intellectuelle (et le caractère répétitif des devoirs scolaires) est sûrement la cause de nombreux échecs d'élèves doués, souvent de nombreuses années après le début du phénomène, lorsqu'ils ont définitivement perdu pied.

   Si on ne remédie pas d'urgence à toutes ces lacunes fondamentales de l'enseignement secondaire (et universitaire, voir plus loin), je crois que notre pays se dirige à très court terme vers une situation de véritable décadence technico-scientifique. Comme les États-Unis, que nous avons tendance à trop imiter de manière irréfléchie et dont la science ne se maintient au meilleur rang mondial que par perfusion massive de matière grise venant d'Europe de l'Est et d'Asie, notre pays se dirige tout droit vers une forte pénurie de techniciens et de scientifiques. Les mêmes erreurs entraînant les mêmes conséquences, on observe aujourd'hui une situation similaire dans presque tous les pays européens voisins. Cette situation n'est certes pas irréversible, il reste en Europe un potentiel humain considérable tout à fait à même de redresser la situation.

http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~demailly/rapport.html.

Voir aussi sur le site EPI : Analyse des prérequis éducatifs nécessaires pour l'enseignement des sciences.

NOTES

[1] Il a été écrit a de nombreuses reprises, y compris par des scientifiques reconnus, mais surtout par des milieux proches des média et du monde politique, que le fait de disposer via les ordinateurs d'une grande puissance de calcul automatique allait pouvoir dispenser l'être humain de la plus grande partie de ses efforts intellectuels. Mais si l'on imagine que les ordinateurs d'aujourd'hui sont capables de simuler certains processus intellectuels, c'est probablement, en dehors de quelques cas de systèmes experts très particuliers et très limités, qu'on ne dépasse guère le niveau de l'intelligence simiesque (et encore... les singes font beaucoup mieux que l'ordinateur dans quantité de domaines !). S'il s'agit d'épargner à l'être humain des efforts de calcul purement mécaniques, l'argument peut éventuellement s'entendre. Mais certains inspecteurs généraux de l'Éducation nationale sont allés jusqu'à prétendre qu'il n'y avait plus lieu de développer les capacités de calcul chez les élèves, ni de s'interroger sur les principes de fonctionnement de la technologie, et que seuls les résultats accessibles via la prothèse électronique comptent. Je me permets de m'inscrire en opposition totale farouche contre ce point de vue. Car en définitive, cela revient à peu près à dire que le citoyen n'aura plus aucun moyen de contrôle sur la technologie qu'il utilise, ni aucun moyen d'évaluer la pertinence des choix technologiques que la société lui impose. Et qu'il sera donc livré sans défense possible aux appétits de quelques « élites » disposant seules de la connaissance scientifique et technique. On voit déjà les prémisses de cette situation avec l'émergence de monopoles technologiques mondiaux.

[2]  Sur http://pauillac.inria.fr/~lang/ecrits/ailf/.

[3] La plupart des étudiants qui entrent à l'Université semblent très mal comprendre les liens qui peuvent exister entre la numération en base 2, le codage de l'information et les connecteurs logiques comme « et », « ou », etc. Rien d'étonnant à cela : on ne le leur a jamais appris. Mais on prétend cependant que nous allons bientôt entrer dans l'ère du tout numérique !

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Association EPI
Mars 2008

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