SIMULATIONS DANS L'ENSEIGNEMENT Catherine Duvernet, Christiane Padiolleau, Philippe Pignot
Pour l'enseignement des sciences économiques et sociales, en Seconde, Première et Terminale B, il existe des logiciels de simulation de situations économiques. L'un d'entre eux MATIGNON figure même au programme de l'épreuve professionnelle du CAPES de Sciences Économiques et Sociales depuis le 2 octobre 1991. Cette pratique ne fait que refléter l'usage de modèles dans la recherche et dans les organismes chargés de faire des prévisions économiques (INSEE, OFCE, Banque de France...). Ces modèles s'efforcent de représenter une situation économique réelle à l'aide de quelques dizaines ou de quelques centaines d'équations, dont certaines - les équations comptables - ne souffrent pas de discussions ; mais les autres - les équations de comportement des agents économiques - n'entraînent pas l'unanimité des économistes. Quelles que soient leur taille et leurs options théoriques, les modèles n'ont pas réussi à prévoir les effets du krach boursier de 1987, ni les suites de la guerre du Golfe, ni la date de la reprise de l'économie américaine. À ce défaut, il faut en ajouter un autre qui ne gêne que les lycéens : c'est le niveau de mathématiques nécessaire pour comprendre et critiquer ces modèles. Les modèles simplifiés (MICro-DMS DE L'INSEE, MICMAC de l'OFCE...), construits pour les étudiants restent encore trop compliqués pour les lycéens. C'est pourquoi des logiciels mieux adaptés aux exigences pédagogiques ont été écrits à l'intention de ceux-ci. Ces programmes privilégient la mise en situation, certains se présentent sous forme de jeu : une interface dissimule complètement le système d'équations. L'élève joue à être chef d'entreprise (BUSINESS, FLEXICHANGE) ou Premier Ministre (MATIGNON) ou expert (HERMES ou TALENGAI), c'est-à-dire que face à la situation de l'entreprise ou du pays, il prend des décisions : investir, augmenter les dépenses de publicité ou de recherche, modifier le taux d'intérêt, les impôts, les cotisations sociales ou le SMIC, ce qui équivaut à modifier une variable exogène du modèle qui calcule les nouvelles valeurs des variables endogènes (profits ou taux de croissance ou taux d'inflation...) qui apparaissent à l'écran comme les résultats des choix de l'élève. Pourquoi faire ainsi jouer les élèves avec des modèles imparfaits ? La première raison c'est qu'un élève qui joue est un élève actif qui s'efforce de gagner en utilisant tout ce qu'il sait. Pendant le jeu, un élève mobilise des connaissances acquises et inaccessibles en cours. Quelques notions de comptabilité privée aident pour jouer au chef d'entreprise dans BUSINESS. Inversement le jeu suscite des étonnements et des questions qui pourront trouver des éléments de réponse dans le cours. Il permet de lutter contre les préjugés : par exemple beaucoup d'élèves s'imaginent que le sous-développement ne résulte que de mauvais choix dés gouvernements du Tiers Monde. Les logiciels HERMES et TALANGAI qui mettent l'élève dans la situation d'un expert qui propose une politique de développement à un pays pauvre, font comprendre que des contraintes internationales puissantes rendent la plupart des politiques de développement inopérantes. Enfin le jeu permet une synthèse de différents chapitres de cours et l'apprentissage par l'expérience que : - la politique économique poursuit des objectifs contradictoires : croissance, emploi, maîtrise de l'inflation, amélioration de la balance des paiements (MATIGNON) ; - les variables économiques sont interdépendantes ; elles agissent simultanément sur plusieurs objectifs : une baisse du taux d'intérêt favorise l'investissement et la consommation à crédit, ce qui est bon pour la croissance mais cela peut nuire à la balance des paiements parce que les capitaux risquent de quitter ce pays pour un autre où la rémunération du capital est plus avantageuse ; - une décision peut entraîner l'effet contraire de celui qui est attendu : avec FLEXICHANGE, les élèves découvrent qu'un patron qui avait raison d'investir à l'étranger peut y perdre si tous les autres chefs d'entreprise agissent comme lui et font ainsi, sans le vouloir, baisser le cours du franc. Cependant les simulations et les jeux économiques n'ont pas que des avantages. Il est dangereux que le modèle sous-jacent au jeu constitue une boîte noire fermée à l'élève qui peut ainsi croire que toutes les politiques essayées auront toujours les mêmes résultats et que c'est scientifique et vrai parce que l'ordinateur le dit. C'est pourquoi des enseignants préfèrent utiliser des logiciels moins ambitieux même s'ils sont moins ludiques. Ces programmes visent à ne représenter que quelques relations entre des variables économiques, en nombre tel que l'élève puisse retrouver, rapidement, les calculs faits par l'ordinateur. Il n'est évidemment pas question de demander aux élèves d'effectuer tous les calculs mais de pouvoir les comprendre et d'en faire éventuellement un. L'élève peut modifier un paramètre, puis faire répéter à l'ordinateur des calculs fastidieux et dispose de temps pour observer des propriétés de ces relations. Ces logiciels apportent une expérience et font paraître plus concrets les phénomènes étudiés. Calculer le montant de l'impôt sur le revenu est à la portée d'un élève de Première B, armé d'une calculette ; ce que permet un tableur c'est de refaire ce calcul pour observer l'effet d'une modification de la taille de la famille ou pour constater qu'un accroissement du revenu n'entraîne pas une augmentation proportionnelle de l'impôt. Les moyens pédagogiques traditionnels échouent à faire saisir, à la plupart des élèves, le caractère progressif de cet impôt. De même SCRUTIN, un autre exercice sur tableur d'ECOCALC, permet aux élèves d'explorer les effets sur les résultats électoraux d'une modification des modes de scrutin. Dans le logiciel ÉCONOMIE, on peut manipuler les paramètres d'offre et de demande qui simulent des marchés. Dans POLECO qui simule la politique économique keynésienne, à l'aide de trois équations seulement, les élèves doivent retrouver les relations préalablement étudiés en cours, pour expliquer les résultats obtenus à partir de la modification d'un paramètre. En résumé, le principal attrait des logiciels de simulation, c'est de donner aux élèves une expérience sur des sujets difficiles à aborder autrement. Le principal danger résulte de la difficulté à faire saisir, par les élèves, l'écart entre la réalité et le modèle. On souhaiterait sur le même sujet, plusieurs modèles construits à partir de théories différentes. Logiciels cités : BUSINESS de COCKTEL VISION Paru dans L'intégration de l'informatique dans l'enseignement et la formation des enseignants ; actes du colloque des 28-29-30 janvier 1992 au CREPS de Châtenay-Malabry, édités par Georges-Louis Baron et Jacques Baudé ; coédition INRP-EPI, 1992, ___________________ |
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