Oui à une discipline informatique au lycée

Jacques Baudé
 

   Tout d'abord je tiens à saluer l'initiative de la mission Jean-Michel Fourgous d'ouvrir un espace consacré à ce débat. Le nombre et la qualité des interventions montrent que ce n'était pas superflu. Je me permets d'intervenir à nouveau (cf. Forum thème 2 [1]) par un témoignage plus personnel.

   Remarque liminaire : il ne s'agit pas pour moi de nier l'importance de l'utilisation de l'« outil » dans les différentes disciplines et activités. Ayant pratiqué activement, dès les années 70, l'EAO, la simulation, l'ExAO... disons l'informatique pédagogique (on a parlé ensuite de NTIC, de TICE et même de TUIC !), je sais l'intérêt pour les élèves de ces pratiques avec des enseignants bien formés disposant de bons logiciels.

   Malheureusement, il faut reconnaître que cette pratique « outil » n'en finit pas de décoller dans l'enseignement général aussi bien au collège qu'au lycée. De plus, je ne suis pas sûr (litote) qu'elle donne une « maîtrise » satisfaisante et permette de dépasser, au plan informatique, le niveau « utilitariste » acquis par les élèves hors de l'École.

   Cette situation perdure depuis des années, voire des décennies. C'est pour cette raison que j'ai personnellement bien accueilli la création d'une option informatique des lycées au début des années 80. Je ne cherche pas à la donner comme modèle (le monde informatique ne cesse d'évoluer) mais il me semble qu'une « expérience » d'une douzaine d'années, ayant concerné 50 % des lycées avant d'être supprimée (pour des raisons non avouées qui tenaient à la récupération de postes d'enseignants), devrait au moins servir de base de réflexion.

   Certains survivants pourraient rappeler comment des synergies s'établissaient dans nombre d'établissements entre les compétences des élèves et des enseignants de l'option, et le développement de la pratique « outil » dans les disciplines. Comment les connaissances informatiques des élèves étaient réinvesties dans ces pratiques. Comment de vrais travaux interdisciplinaires se développaient dans le cadre d'une pédagogie de Projet. Comment le travail collectif en équipe était promu et encouragé. Comment les enseignants de l'option et le programme assuraient un équilibre entre théorie et pratique... (cf. l'article que j'ai écrit en mars 1996 pour l'EPI [2]).

   Même si le contexte a beaucoup évolué et que l'option informatique des lycées ne peut plus être un modèle en l'état, elle est riche d'enseignements. Bien des problèmes – et des solutions – demeurent à l'identique. Que de temps perdu !

   Ce qui reste vrai des années après, c'est que la seule pratique ne suffit pas à dominer l'outil, que l'intervention d'enseignants spécifiquement formés reste indispensable (que penserait-on de l'enseignement du français ou des maths laissé au seul soin d'autres disciplines ?), que l'informatique est une science omniprésente sauf dans les enseignements de culture générale au collège et au lycée (d'où sont issus l'essentiel de nos cadres)...

   On n'en finirait pas d'allonger la liste des raisons pertinentes qui plaident en faveur d'un enseignement général de l'informatique et des TIC dans le secondaire (cf. notamment la contribution de Jean-Pierre Archambault [3]).

   Différentes instances se sont exprimées récemment dans ce sens : rapport de l'Académie des Sciences, rapport SNRI (Stratégie Nationale de Recherche et d'Innovation), rapport de la Commission de l'Économie Numérique (CAS - Premier Ministre). Leur souci essentiel, me semble-t-il, étant l'insuffisante formation informatique de la population et corrélativement le manque de spécialistes qualifiés dans les domaines numériques si importants pour l'avenir de notre pays.

   Effectivement, nos futurs ingénieurs et autres cadres (presque tous issus des enseignements généraux, même si on peut le regretter) ne naissent pas par génération spontanée après le Bac. Leur vocation s'enracine dans les disciplines qu'ils ont pratiquées au cours de leurs études secondaires. Ils ont pratiqué pendant de longues années les mathématiques, les sciences expérimentales, pas « l'omniprésente » informatique...

   Cette nécessité d'une « culture informatique » de base ne concerne pas que les disciplines scientifiques même si, là , le degré d'urgence est le plus grand compte tenu du contexte international. Dans mon message au thème 2, je rappelais la phrase de Barak Obama « nous n'acceptons pas un monde où les emplois et les industries de demain se créent au delà de nos frontières ».

   Et si cela avait aussi à voir avec la pédagogie ?

   Le rôle du système éducatif n'est pas seulement de former des « utilisateurs »...

Jacques Baudé

Ce texte est la contribution du 5 octobre 2009 de J. Baudé à la réflexion « Oui ou non à une matière TIC à l'École ? » organisée par la mission Fourgous pour les TICE.
http://www.missionfourgous-tice.fr/matiere-tice#forum58
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NOTES

[1] Thème 2 : La réussite scolaire. Pour un enseignement de l'informatique et des TIC, 28 septembre 2009 par Jacques Baudé.
http://www.missionfourgous-tice.fr/theme-2#forum23.

[2] Jacques Baudé (1996). « Quelques enseignements à retenir de l'ex-option informatique des lycées (1981-1992) », la Revue de l'EPI n° 81.
http://www.epi.asso.fr/revue/81/b81p143.htm.

[3]  Oui ou non à une matière TIC à l'École ? L'enseignement de l'informatique et des TIC (de l'école aux classes préparatoires), 3 octobre 2009 par Jean-Pierre Archambault.
http://www.missionfourgous-tice.fr/matiere-tice#forum44.

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Association EPI
Octobre 2009

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